Le chef de la police municipale d’Hénin-Beaumont mis en examen

POLICE – ENQUÊTE sur Mediapart

24 août 2023 | Par Camille Polloni

Trois agents de la police municipale héninoise, dont son chef, ont été mis en examen ce jeudi à Béthune pour des violences et un faux commis à l’été 2022. De nombreux dysfonctionnements, dénoncés en interne depuis des mois, avaient obligé le maire RN, Steeve Briois, à ordonner un audit, dans lequel le chef de la police était étrangement épargné.

Le chef de la police municipale d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), Jérôme Machart, ainsi que deux de ses agents – Valentin R. et Théo C. – ont été mis en examen par un juge d’instruction du tribunal judiciaire de Béthune jeudi 24 août, selon les informations de Mediapart. Tous trois ont été placés sous contrôle judiciaire avec l’interdiction d’exercer leur profession. 

Les deux policiers municipaux sont soupçonnés d’avoir commis des violences sur un jeune homme de 19 ans, à l’été 2022, et de les avoir couvertes en rédigeant un procès-verbal mensonger, avec la complicité de leur chef de service. 

À l’issue de leurs 48 heures de garde à vue au commissariat de Lens, le parquet de Béthune a ouvert une information judiciaire pour « faux et usage de faux », « violences volontaires » et « complicité de ces délits ». L’ancien adjoint à la sécurité de la commune d’Hénin-Beaumont, Nicolas Moreaux, a pour sa part été entendu mercredi 23 août en audition libre. 

Contacté par Mediapart pour réagir aux mises en examen de ses agents, le maire d’Hénin-Beaumont, Steeve Briois, a répondu par la déclaration suivante : « À la suite d’un large audit interne du service de police municipale, le maire d’Hénin-Beaumont a adressé, il y a plusieurs mois, au procureur de la République une procédure dite “article 40”. Il convient, à ce stade de l’enquête, de respecter à la fois le secret de l’instruction et la présomption d’innocence. » 

Les faits à l’origine de ces mises en examen se sont produits un an plus tôt. Le 6 août 2022, dans l’après-midi, un équipage de la police municipale, appelé pour un « rodéo urbain », prend en chasse le pilote d’une moto, qui ne porte pas de casque. 

« J’ai mes torts », reconnaît aujourd’hui Jan W., âgé de 20 ans, en racontant son arrestation à Mediapart : « La Kangoo de la municipale est venue à côté de moi. Le monsieur de droite m’a gazé en roulant, un beau jet. Comme je ne voyais plus rien, je suis tombé un peu plus loin. Après, ils m’ont sauté dessus à trois, m’ont écrasé la tête. J’étais blessé au bras et j’ai eu des cloques autour de la bouche pendant deux semaines. J’étais brûlé à cause du produit. » 

Dans leur « rapport de délit » rédigé après l’intervention, les policiers municipaux présentent les choses différemment. Selon ce compte-rendu officiel, ils ont été obligés de doubler la moto qui refusait d’obtempérer, afin que l’agent Théo C. puisse descendre de voiture et « stopper l’individu ». Celui-ci aurait alors tenté « de prendre la fuite en accélérant en direction de l’agent ». Se sentant « en danger immédiat », le policier presse la gâchette de sa gazeuse lacrymogène pendant « une demi-seconde » et procède à son interpellation.  

Mais le rapport ne porte que la signature de deux agents : le troisième équipier de cette intervention, Jocelyn C., a refusé d’y apposer la sienne, estimant que ce récit ne reflète pas la réalité. Deux jours après l’intervention, il remet son propre rapport à sa hiérarchie. 

Selon cet écrit dissident, Théo C. a bien utilisé sa gazeuse « à trois reprises, en direction du visage » de Jan W., alors que les deux véhicules roulaient. Un geste illégal et dangereux, aux yeux de ce policier municipal qui exclut de le couvrir. Pour seule réponse, son chef de service, Jérôme Machart, ordonne de retirer son nom du rapport de délit. Et ce, alors même que des images de vidéosurveillance tendent à confirmer sa version. 

Depuis l’ouverture de l’enquête pénale, en mars, la police nationale a auditionné plusieurs employés municipaux ayant eu connaissance d’au moins une partie de l’intervention ou de ses conséquences, dont deux agents du centre de supervision urbain. La victime, Jan W., a été entendue le 25 avril et encouragée à déposer plainte. « Le pire, c’est que des policiers se permettent de mentir », commente aujourd’hui le jeune homme. Sa sœur a témoigné de la réalité de ses blessures, tout comme deux policiers municipaux l’ayant contrôlé quelques jours après. 

Un courrier au maire pour dénoncer des « dysfonctionnements » 

Cet incident n’est que le symptôme du climat inquiétant qui règne depuis des mois au sein de la police municipale d’Hénin-Beaumont, chouchoutée par le maire Rassemblement national (RN), Steeve Briois, et forte d’une trentaine d’agents. En décembre 2022, sept d’entre eux, presque tous des anciens gendarmes, écrivent un courrier commun au maire pour dénoncer de graves « dysfonctionnements » dans le service. 

Dans cette lettre, que Mediapart s’est procurée, ces policiers municipaux invoquent « l’intégrité » qu’ils ont « à cœur de mettre dans [leur] travail » et regrettent de devoir en passer par une lettre formelle, après des rendez-vous infructueux. Ils rappellent l’incident impliquant la motocross et évoquent un autre épisode de violences, survenu trois semaines plus tôt. 

Le 14 juillet 2022 au soir, le chef de service lui-même aurait frappé un individu, certes « virulent et alcoolisé », mais déjà menotté et installé dans le véhicule de la police municipale. D’après les informations de Mediapart, le parquet de Béthune a également ouvert une enquête pour ces faits. 

Au fil de leur courrier, les policiers municipaux détaillent par le menu d’autres irrégularités : des caméras de surveillance détournées pour surveiller les agents municipaux ou verbaliser à distance sans l’autorisation préfectorale nécessaire, des « propos discriminatoires à l’encontre d’un agent féminin », mais aussi des interventions hors cadre légal, des fouilles et contrôles illégaux, des provocations envers les administré·es. 

Quatre jours plus tard, dans une réponse écrite, Steeve Briois semble minimiser leurs griefs, qui s’inscrivent pour lui « dans un contexte de tensions internes, deux clans s’étant constitués au sein de ce service ». Tout en reprochant aux auteurs du courrier de refuser le dialogue et de vouloir régler leurs comptes, l’élu leur annonce avoir « décidé d’un audit interne », confié à la directrice des ressources humaines et au directeur des affaires juridiques de la mairie. 

Un audit sévère pour les agents, clément pour le chef 

Mediapart s’est procuré le rapport issu de cet audit, remis à Steeve Briois le 2 février 2023. Pour faire la lumière sur les « tensions » et les « graves accusations » au sein de la police municipale, ses auteurs ont « reçu un par un chacun des membres du service » en entretien confidentiel. Tout en confirmant la réalité des faits dénoncés, l’audit tire des conclusions particulièrement clémentes pour le chef de service. 

Au sujet du 14 juillet 2022, « deux agents confirment » avoir vu Jérôme Machart porter des coups à un interpellé, jusqu’à avoir « du sang sur les mains ». Cinq autres, qui soulignent « ses difficultés, parfois, à garder son sang-froid », affirment qu’il « a reconnu des violences volontaires et s’en est vanté à plusieurs reprises », parce que l’individu aurait « insulté [sa] mère ». Pourtant, l’audit s’aligne sur la version du chef de service, qui admet avoir exercé une contrainte physique mais « réfute des coups », et estime qu’il n’a commis aucune faute disciplinaire. 

En ce qui concerne les violences du 6 août et le soupçon de faux, l’audit tient les deux agents Valentin R. et Théo C. pour seuls responsables. « Si l’intervention a pu être délicate ou frappée d’une faute dans la méthode, ce qui est grave est que le rapport d’intervention laisserait apparaître une version erronée des faits et constituerait donc un faux en écriture publique », écrivent la DRH et le directeur des affaires juridiques, qui proposent « de sanctionner disciplinairement les agents R. et C. ». 

D’après les témoignages recueillis lors des entretiens, une partie de la police municipale décrit ces deux agents comme des « têtes brûlées », « adeptes des méthodes musclées » et habitués à travailler « en dehors du cadre légal et déontologique ». Ceux-ci se livreraient régulièrement à des provocations, des injures et des fouilles illégales sur des administrés, auraient « souvent » demandé aux opérateurs de vidéosurveillance de tourner une caméra « pour qu’elle ne filme pas leur intervention » et organiseraient, au sein de leur brigade, des concours de verbalisations. Certains policiers municipaux qualifient même ce binôme de « très dangereux ». 

« Leur attitude et leurs fautes ont une incidence sur le fonctionnement du service », estime l’audit, qui concentre sur eux l’essentiel des reproches. Mais de nombreux agents accusent aussi Jérôme Machart « d’entretenir l’esprit de chasse » et la course aux chiffres, des appréciations qui figurent dans le rapport sans porter à conséquence. 

Le chef de service, un ancien militaire arrivé en 2015, est salué en interne pour son sens de l’organisation mais critiqué pour son autoritarisme et son manque d’impartialité. Certains agents le mettent en cause personnellement pour des propos sexistes contre un personnel féminin – qu’il reconnaît mais attribue à la « colère » – ou encore pour un usage détourné de la vidéosurveillance : à son initiative, les caméras de la ville seraient utilisées pour contrôler les déplacements d’employés municipaux et alimenter des dossiers à leur égard, ainsi que pour des verbalisations à distance. 

Là encore, l’audit évoque des « événements isolés » et se satisfait de la « réponse cohérente » de Jérôme Machart sur ces faits, qu’il justifie pour certains et dément pour d’autres. Il préconise seulement de lui rappeler par écrit « les bonnes pratiques » et de lui faire suivre un stage de management.   

Fort des conclusions de cet audit, le maire d’Hénin-Beaumont adresse un signalement à l’autorité judiciaire, qui s’en saisit aussitôt. En parallèle, Steeve Briois ordonne des sanctions disciplinaires contre trois agents cités comme problématiques, dont Théo C. et Valentin R. : au printemps dernier, chacun écope de trois jours d’exclusion temporaire. 

Cette punition ne passe pas pour Valentin R., qui a décidé de la contester devant le tribunal administratif de Lille. Policier municipal à Hénin-Beaumont depuis mai 2021, il réfute toutes les accusations portées contre lui. 

Dans son mémoire en défense, la commune d’Hénin-Beaumont maintient que l’agent « utilise fréquemment des méthodes qui violent la loi et les règles déontologiques ». Selon son employeur, ses manquements répétés « jettent le discrédit sur la fonction exercée et apparaissent incompatibles avec les fonctions, l’honneur professionnel et la qualité de fonctionnaire ». Après ses trois jours d’exclusion, il a pourtant conservé son poste. 

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La justice ordonne le retrait de la crèche de la mairie de Perpignan, après celle de Béziers

Après une réaction des milieux associatifs, syndicaux et politiques de Perpignan en défense de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, la Justice, saisie par la LDH, a condamné le maire Aliot a retirer la crèche qu’il avait installée dans l’enceinte de la mairie. Ce dernier a décidé malgré tout de la maintenir jusqu’au 2 janvier 2023 bafouant ouvertement cette loi fondamentale de notre République. Le Préfet n’a toujours pas daigné recevoir les associations qui ont demander à le rencontrer. Ne serait-il pas pressé de faire respecter la loi républicaine sur les principes de la laïcité ?

Publié sur Le Monde.fr le 21/12/2022 avec agence AFP

Le tribunal administratif de Montpellier a ordonné, mercredi, à la commune dirigée par Louis Aliot de retirer la crèche de son hôtel de ville, sous peine d’une astreinte de « 100 euros par jour de retard ».

©PHOTOPQR/L’INDEPENDANT/MICHEL CLEMENTZ ; PERPIGNAN ; 19/12/2022 ; POLITIQUE / FETES ET TRADITIONS / UNE CRECHE GIGANTESQUE INSTALLEE DANS LE HALL DE LA MAIRIE DE PERPIGNAN POUR CES FETES DE NOEL / ILLUSTRATION (MaxPPP TagID:

Une semaine après celle de Béziers, la mairie de Perpignan est à son tour sommée de retirer « dans les vingt-quatre heures » la crèche installée dans son hôtel de ville. De nouveau saisi par la Ligue des droits de l’homme (LDH) en référé, une procédure d’urgence, le tribunal administratif de Montpellier a ordonné, mercredi 21 décembre, à la commune dirigée par Louis Aliot (Rassemblement national, RN) de « retirer la crèche de la Nativité, ou pessebre [en catalan] », sous peine d’une astreinte de « 100 euros par jour de retard », selon une décision rendue moins de vingt-quatre heures après avoir entendu les parties.

« C’est une crèche avec Joseph, Marie, les Rois mages qui montrent que nous sommes bien dans une crèche catholique, contraire à la loi de 1905 » de séparation des Eglises et de l’Etat, avait plaidé Sophie Mazas, avocate et présidente de la LDH de l’Hérault, mardi.

« Nous sommes véritablement dans la tradition », avait rétorqué l’avocate de la ville, Delphine Joubes, en mettant en avant que la crèche avait été érigée dans un « patio (…)[consacré] à la catalanité » et par lequel « les personnes qui souhaitent venir à la mairie pour des démarches administratives ne passent pas ». Les conclusions de la mairie « sont rejetées », a brièvement fait savoir le tribunal administratif, dont la motivation précise sera connue ultérieurement.

« Instrumentalisation de la religion »

M. Aliot, figure du RN, et le maire de Béziers, Robert Ménard, proche du parti d’extrême droite, « pensent pouvoir violer la loi et la Constitution impunément », a réagi auprès de l’Agence France-Presse Mme Mazas, en jugeant « problématique » que les préfets de l’Hérault et des Pyrénées-Orientales n’aient « pas réagi » pour « faire appliquer la loi ». La responsable de la LDH dénonce aussi « l’instrumentalisation de la religion par l’extrême droite à des fins politiques ». « La force de la laïcité, c’est la liberté de chacun de vivre sa croyance personnellement et dans les lieux de culte prévus à cet effet : la crèche à l’église, l’état civil et la gestion de la cité à la mairie », a-t-elle ajouté.

Le maire de Perpignan lui a immédiatement répondu : « Malheureusement, la Ligue des droits de l’homme et plusieurs organisations politiques ont décidé d’instrumentaliser la laïcité de la République et la justice administrative pour faire obstacle à l’expression de nos traditions, de nos héritages et plus généralement pour nous empêcher d’être ce que nous sommes », a écrit M. Aliot dans un communiqué.

Le candidat malheureux à la présidence du RN dénonce une « décision en total décalage avec l’engouement populaire et l’émerveillement suscités par le pessebre », admiré selon lui par « des milliers de personnes » depuis le 25 novembre. Dans l’attente de la notification officielle, « la ville réaffirme son attachement à tous les éléments de notre culture catalane et dont le pessebre fait partie ».

Les crèches de Beaucaire (Gard) et de Béziers sont régulièrement poursuivies en justice, mais continuent à être installées chaque année par les maires concernés. Le 16 novembre, le Conseil d’Etat avait confirmé l’interdiction de la crèche de Noël de la mairie de Beaucaire, dirigée par le maire d’extrême droite Julien Sanchez.

Le Monde avec AFP