Le chef de la police municipale d’Hénin-Beaumont mis en examen

POLICE – ENQUÊTE sur Mediapart

24 août 2023 | Par Camille Polloni

Trois agents de la police municipale héninoise, dont son chef, ont été mis en examen ce jeudi à Béthune pour des violences et un faux commis à l’été 2022. De nombreux dysfonctionnements, dénoncés en interne depuis des mois, avaient obligé le maire RN, Steeve Briois, à ordonner un audit, dans lequel le chef de la police était étrangement épargné.

Le chef de la police municipale d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), Jérôme Machart, ainsi que deux de ses agents – Valentin R. et Théo C. – ont été mis en examen par un juge d’instruction du tribunal judiciaire de Béthune jeudi 24 août, selon les informations de Mediapart. Tous trois ont été placés sous contrôle judiciaire avec l’interdiction d’exercer leur profession. 

Les deux policiers municipaux sont soupçonnés d’avoir commis des violences sur un jeune homme de 19 ans, à l’été 2022, et de les avoir couvertes en rédigeant un procès-verbal mensonger, avec la complicité de leur chef de service. 

À l’issue de leurs 48 heures de garde à vue au commissariat de Lens, le parquet de Béthune a ouvert une information judiciaire pour « faux et usage de faux », « violences volontaires » et « complicité de ces délits ». L’ancien adjoint à la sécurité de la commune d’Hénin-Beaumont, Nicolas Moreaux, a pour sa part été entendu mercredi 23 août en audition libre. 

Contacté par Mediapart pour réagir aux mises en examen de ses agents, le maire d’Hénin-Beaumont, Steeve Briois, a répondu par la déclaration suivante : « À la suite d’un large audit interne du service de police municipale, le maire d’Hénin-Beaumont a adressé, il y a plusieurs mois, au procureur de la République une procédure dite “article 40”. Il convient, à ce stade de l’enquête, de respecter à la fois le secret de l’instruction et la présomption d’innocence. » 

Les faits à l’origine de ces mises en examen se sont produits un an plus tôt. Le 6 août 2022, dans l’après-midi, un équipage de la police municipale, appelé pour un « rodéo urbain », prend en chasse le pilote d’une moto, qui ne porte pas de casque. 

« J’ai mes torts », reconnaît aujourd’hui Jan W., âgé de 20 ans, en racontant son arrestation à Mediapart : « La Kangoo de la municipale est venue à côté de moi. Le monsieur de droite m’a gazé en roulant, un beau jet. Comme je ne voyais plus rien, je suis tombé un peu plus loin. Après, ils m’ont sauté dessus à trois, m’ont écrasé la tête. J’étais blessé au bras et j’ai eu des cloques autour de la bouche pendant deux semaines. J’étais brûlé à cause du produit. » 

Dans leur « rapport de délit » rédigé après l’intervention, les policiers municipaux présentent les choses différemment. Selon ce compte-rendu officiel, ils ont été obligés de doubler la moto qui refusait d’obtempérer, afin que l’agent Théo C. puisse descendre de voiture et « stopper l’individu ». Celui-ci aurait alors tenté « de prendre la fuite en accélérant en direction de l’agent ». Se sentant « en danger immédiat », le policier presse la gâchette de sa gazeuse lacrymogène pendant « une demi-seconde » et procède à son interpellation.  

Mais le rapport ne porte que la signature de deux agents : le troisième équipier de cette intervention, Jocelyn C., a refusé d’y apposer la sienne, estimant que ce récit ne reflète pas la réalité. Deux jours après l’intervention, il remet son propre rapport à sa hiérarchie. 

Selon cet écrit dissident, Théo C. a bien utilisé sa gazeuse « à trois reprises, en direction du visage » de Jan W., alors que les deux véhicules roulaient. Un geste illégal et dangereux, aux yeux de ce policier municipal qui exclut de le couvrir. Pour seule réponse, son chef de service, Jérôme Machart, ordonne de retirer son nom du rapport de délit. Et ce, alors même que des images de vidéosurveillance tendent à confirmer sa version. 

Depuis l’ouverture de l’enquête pénale, en mars, la police nationale a auditionné plusieurs employés municipaux ayant eu connaissance d’au moins une partie de l’intervention ou de ses conséquences, dont deux agents du centre de supervision urbain. La victime, Jan W., a été entendue le 25 avril et encouragée à déposer plainte. « Le pire, c’est que des policiers se permettent de mentir », commente aujourd’hui le jeune homme. Sa sœur a témoigné de la réalité de ses blessures, tout comme deux policiers municipaux l’ayant contrôlé quelques jours après. 

Un courrier au maire pour dénoncer des « dysfonctionnements » 

Cet incident n’est que le symptôme du climat inquiétant qui règne depuis des mois au sein de la police municipale d’Hénin-Beaumont, chouchoutée par le maire Rassemblement national (RN), Steeve Briois, et forte d’une trentaine d’agents. En décembre 2022, sept d’entre eux, presque tous des anciens gendarmes, écrivent un courrier commun au maire pour dénoncer de graves « dysfonctionnements » dans le service. 

Dans cette lettre, que Mediapart s’est procurée, ces policiers municipaux invoquent « l’intégrité » qu’ils ont « à cœur de mettre dans [leur] travail » et regrettent de devoir en passer par une lettre formelle, après des rendez-vous infructueux. Ils rappellent l’incident impliquant la motocross et évoquent un autre épisode de violences, survenu trois semaines plus tôt. 

Le 14 juillet 2022 au soir, le chef de service lui-même aurait frappé un individu, certes « virulent et alcoolisé », mais déjà menotté et installé dans le véhicule de la police municipale. D’après les informations de Mediapart, le parquet de Béthune a également ouvert une enquête pour ces faits. 

Au fil de leur courrier, les policiers municipaux détaillent par le menu d’autres irrégularités : des caméras de surveillance détournées pour surveiller les agents municipaux ou verbaliser à distance sans l’autorisation préfectorale nécessaire, des « propos discriminatoires à l’encontre d’un agent féminin », mais aussi des interventions hors cadre légal, des fouilles et contrôles illégaux, des provocations envers les administré·es. 

Quatre jours plus tard, dans une réponse écrite, Steeve Briois semble minimiser leurs griefs, qui s’inscrivent pour lui « dans un contexte de tensions internes, deux clans s’étant constitués au sein de ce service ». Tout en reprochant aux auteurs du courrier de refuser le dialogue et de vouloir régler leurs comptes, l’élu leur annonce avoir « décidé d’un audit interne », confié à la directrice des ressources humaines et au directeur des affaires juridiques de la mairie. 

Un audit sévère pour les agents, clément pour le chef 

Mediapart s’est procuré le rapport issu de cet audit, remis à Steeve Briois le 2 février 2023. Pour faire la lumière sur les « tensions » et les « graves accusations » au sein de la police municipale, ses auteurs ont « reçu un par un chacun des membres du service » en entretien confidentiel. Tout en confirmant la réalité des faits dénoncés, l’audit tire des conclusions particulièrement clémentes pour le chef de service. 

Au sujet du 14 juillet 2022, « deux agents confirment » avoir vu Jérôme Machart porter des coups à un interpellé, jusqu’à avoir « du sang sur les mains ». Cinq autres, qui soulignent « ses difficultés, parfois, à garder son sang-froid », affirment qu’il « a reconnu des violences volontaires et s’en est vanté à plusieurs reprises », parce que l’individu aurait « insulté [sa] mère ». Pourtant, l’audit s’aligne sur la version du chef de service, qui admet avoir exercé une contrainte physique mais « réfute des coups », et estime qu’il n’a commis aucune faute disciplinaire. 

En ce qui concerne les violences du 6 août et le soupçon de faux, l’audit tient les deux agents Valentin R. et Théo C. pour seuls responsables. « Si l’intervention a pu être délicate ou frappée d’une faute dans la méthode, ce qui est grave est que le rapport d’intervention laisserait apparaître une version erronée des faits et constituerait donc un faux en écriture publique », écrivent la DRH et le directeur des affaires juridiques, qui proposent « de sanctionner disciplinairement les agents R. et C. ». 

D’après les témoignages recueillis lors des entretiens, une partie de la police municipale décrit ces deux agents comme des « têtes brûlées », « adeptes des méthodes musclées » et habitués à travailler « en dehors du cadre légal et déontologique ». Ceux-ci se livreraient régulièrement à des provocations, des injures et des fouilles illégales sur des administrés, auraient « souvent » demandé aux opérateurs de vidéosurveillance de tourner une caméra « pour qu’elle ne filme pas leur intervention » et organiseraient, au sein de leur brigade, des concours de verbalisations. Certains policiers municipaux qualifient même ce binôme de « très dangereux ». 

« Leur attitude et leurs fautes ont une incidence sur le fonctionnement du service », estime l’audit, qui concentre sur eux l’essentiel des reproches. Mais de nombreux agents accusent aussi Jérôme Machart « d’entretenir l’esprit de chasse » et la course aux chiffres, des appréciations qui figurent dans le rapport sans porter à conséquence. 

Le chef de service, un ancien militaire arrivé en 2015, est salué en interne pour son sens de l’organisation mais critiqué pour son autoritarisme et son manque d’impartialité. Certains agents le mettent en cause personnellement pour des propos sexistes contre un personnel féminin – qu’il reconnaît mais attribue à la « colère » – ou encore pour un usage détourné de la vidéosurveillance : à son initiative, les caméras de la ville seraient utilisées pour contrôler les déplacements d’employés municipaux et alimenter des dossiers à leur égard, ainsi que pour des verbalisations à distance. 

Là encore, l’audit évoque des « événements isolés » et se satisfait de la « réponse cohérente » de Jérôme Machart sur ces faits, qu’il justifie pour certains et dément pour d’autres. Il préconise seulement de lui rappeler par écrit « les bonnes pratiques » et de lui faire suivre un stage de management.   

Fort des conclusions de cet audit, le maire d’Hénin-Beaumont adresse un signalement à l’autorité judiciaire, qui s’en saisit aussitôt. En parallèle, Steeve Briois ordonne des sanctions disciplinaires contre trois agents cités comme problématiques, dont Théo C. et Valentin R. : au printemps dernier, chacun écope de trois jours d’exclusion temporaire. 

Cette punition ne passe pas pour Valentin R., qui a décidé de la contester devant le tribunal administratif de Lille. Policier municipal à Hénin-Beaumont depuis mai 2021, il réfute toutes les accusations portées contre lui. 

Dans son mémoire en défense, la commune d’Hénin-Beaumont maintient que l’agent « utilise fréquemment des méthodes qui violent la loi et les règles déontologiques ». Selon son employeur, ses manquements répétés « jettent le discrédit sur la fonction exercée et apparaissent incompatibles avec les fonctions, l’honneur professionnel et la qualité de fonctionnaire ». Après ses trois jours d’exclusion, il a pourtant conservé son poste. 

Si vous avez des informations à nous communiquer, vous pouvez nous contacter à l’adresse enquete@mediapart.fr. Si vous souhaitez adresser des documents en passant par une plateforme hautement sécurisée, vous pouvez passer par SecureDrop de Mediapart, la marche à suivre est explicitée dans cette page.

Contrôles au faciès, interpellations violentes, menaces : À Perpignan, la sale besogne de la « milice municipale » de Louis Aliot

Article publié sur blast-info.fr

par Pierre Adrien

Dirigée par un ancien de la police nationale et poussée par un maire RN qui fait de la sécurité la clé de voûte de son mandat, la police municipale de Perpignan est sur tous les fronts. Omniprésente en ville, la « PM » multiplie les opérations coups de poing contre des commerces qu’elle fait fermer et contre les jeunes, tous soupçonnés d’être des dealers. Les vidéos que Blast s’est procuré témoignent d’interventions très musclées et de débordements inquiétants.

Il y a un nouveau shérif en ville. Avec son curriculum vitae, Philippe Rouch affiche des états de service qui en imposent. Jusqu’en 2020, ce commandant de police – 30 ans de police nationale en Ile-de-France – dirigeait le service judiciaire du quartier d’affaires de la Défense dans les Hauts-de-Seine, après avoir exercé à la BRB (la brigade de répression du banditisme) et été chef de groupe de sûreté départementale à Nanterre.

Le patron de « la municipale » Philippe Rouch (à droite) présente ses vœux aux agents en janvier 2021.
Image Ville de Perpignan

Depuis les municipales de 2020, Perpignan, préfecture des Pyrénées-Orientales de 120 000 habitants, vit à l’heure du Rassemblement national. Cadre du parti et « ancien compagnon de », candidat défait en novembre 2022 à la succession de Marine Le Pen, Louis Aliot tient « sa » ville d’une main de fer. Si le népotisme, les conflits d’intérêts et le clientélisme sont très vite apparus comme un mode de gestion de la municipalité actuelle, ainsi que Libération le racontait en novembre dernier, une autre arme est mise à contribution pour assoir ce nouveau pouvoir et ses lubies. Elle tient en deux lettres : PM, pour police municipale.

« C’est plutôt la milice municipale », sourit Ahmed, un habitant.

La promesse de « Loulou »

Pour y arriver, Louis Aliot a donc débauché un flic, un vrai. Sur le site de la ville, le patron de la municipale nommé directeur en octobre 2020 l’affirme : « L’objectif que nous nous sommes fixés est de remettre en place une police de proximité. Pour ce faire, nous ouvrons petit à petit des postes de police dans les quartiers. »

Comme Philippe Rouch, beaucoup d’anciens flics composent aujourd’hui les rangs de cette PM. « Plusieurs d’entre eux aussi étaient en poste en Ile-de-France depuis des années et attendaient une mutation dans le sud. Ils ont trouvé cette solution pour revenir chez eux, souligne une source syndicale. Ils connaissent le métier ».

La sécurité était une promesse phare du candidat Aliot – il en avait fait le pivot de sa campagne de 2020. Avec 192 agents composant sa police municipale, Perpignan est aujourd’hui la 8ème ville française en effectif, en valeur absolue. Si on rapporte ce chiffre au nombre d’habitants, l’ancienne cité des rois de Majorque grimpe même à la 2ème place de ce palmarès national, juste derrière Cannes (Alpes-Maritimes), qui a accessoirement un festival international à sécuriser.

A Perpignan, la police municipale est un enjeu politique que se disputent les maires qui se succèdent et se livrent à une course à l’échalote. A celui qui en fera le plus (image Ville de Perpignan)

Ces dernières années, le nombre d’agents de la PM n’a donc fait que croître. En 2013, selon les données du ministère de l’Intérieur, Perpignan comptait 104 agents municipaux qui y exerçaient. Puis 154 en 2019. Si l’actuel édile fait de ce virage sécuritaire le marqueur de son mandat, en réalité, son prédécesseur avait sérieusement engagé la tendance.

En 2020, Jean-Marc Pujol répondait (et se justifiait) en ces termes à la Cour des comptes, dans un rapport rendu après sa défaite (en octobre 2020) mais rédigé avant : « À Perpignan, pendant trop longtemps la ville a vu sa situation sécuritaire reculer en raison des trop faibles moyens donnés par l’Etat à sa police nationale ». Le prédécesseur LR d’Aliot relevait que « les moyens humains de la police municipale de Perpignan ont été doublés en 6 ans » alors que, depuis 2014, les effectifs globaux des agents de la ville n’ont cessé de baisser sur la même période – ils sont passés de 2 473 en 2014 à 2 251 en 2021.

Cette obsession pour la présence « de bleu » dans les rues de la ville avait d’ailleurs été éreintée à l’époque par les adversaires politiques de Pujol. En 2018, L’Indépendant publiait un article au titre explicite – « les policiers municipaux en font-ils trop ? » -, dans lequel le quotidien relatait que l’opposition s’offusquait presque de cette omniprésence à l’occasion des manifestations de gilets jaunes, sur lesquelles les agents de la PM étaient engagés en tenue de maintien de l’ordre. Le FN perpignanais y voyait alors « un mauvais signal [envoyé] aux services de l’Etat tentés de se désengager de ses missions ». Comme quoi…

La main du commissaire politique

Depuis, Louis Aliot s’est installé. Le maire Rassemblement national (RN) ne manque jamais une occasion de communiquer dans la presse locale sur les actions de sa municipale, qu’il s’agisse de l’ouverture d’un nouveau poste de police ou de recrutements. Lors de ses vœux 2023, l’ex-député de la 2ème circonscription des Pyrénées-Orientales a tenu à réaffirmer que « la sécurité est une priorité », « quitte à sortir parfois des seules compétences du maire d’une ville de 120 000 habitants ». Une précision qui dessine ce qui se joue aujourd’hui à Perpignan.

A l’occasion du débat d’orientation budgétaire pour 2023, l’équipe municipale a eu l’occasion de clarifier ses ambitions. Elle prévoit de « poursuivre, avec la collaboration de la police nationale et grâce aux renforts ponctuels accordés par le ministère de l’Intérieur, la lutte contre tous les trafics au sein d’espaces repérés dans différents quartiers, plus particulièrement en matière de stupéfiants ».

Tout un symbole, sa première sortie comme maire, Louis Aliot l’avait faite en juillet 2020 aux Oiseaux, une cité sensible touchée par les trafics de drogue, pour annoncer son objectif : « éradiquer la voyoucratie de nos quartiers ». L’une de ses premières décisions avait été de créer une brigade de nuit, avec pour but ultime que la PM soit sur le pont 7/7 jours, 24/24 heures. Signe de l’enjeu, le 1er magistrat de la ville a conservé la délégation à la sécurité.

Un… office municipal antistup 

Sur le terrain, concrètement, la PM fait feu de tout bois. Sur l’exercice 2022, elle a effectué 42 967 interventions – 38 % de plus qu’en 2021, pour une moyenne de 117 interventions par jour. Dans le lot, se conformant aux injonctions de l’hôtel de ville, la police d’Aliot a réalisé des saisies de stupéfiants : 17 kg de résine de cannabis, 3 kg d’herbe et 720 grammes de cocaïne, précisément. A croire que la mairie de Perpignan est devenue une dépendance de la place Beauvau – ou plus exactement le siège d’un ministère de l’Intérieur, celui d’un territoire autonome gérant directement une problématique pleinement régalienne.

Par ailleurs, autre évolution notable, l’augmentation des « mises à disposition de la police nationale » a elle aussi suivi : 1 376 personnes interpellées par les services de la PM ont été confiées au commissariat local.

Shit, cigarettes, argent liquide… Comme un véritable office national, la PM de Perpignan exhibe sur Internet les saisies réalisées par le « Groupe opérationnel de soutien tactique » (Gost), qui possède son propre insigne – une tête de mort.
Image compte Facebook police de Perpignan

S’il sème la confusion, cet activisme colle parfaitement aux desideratas du désormais 1er vice-président du RN et à sa volonté de « sortir parfois des seules compétences du maire », comme exprimée le 19 janvier dernier. Or il faut le rappeler, la PM de Perpignan ne dispose pas d’officiers de police judiciaire (OPJ), comme c’est partout le cas en France. Ses agents ne peuvent par conséquent ni mener d’enquête ni gérer des gardes à vue, prérogatives réservées en République française aux seuls fonctionnaires de la police nationale et de la gendarmerie.

Ils occupent le terrain

« La problématique, c’est que nous avons un afflux de mis en cause qui impacte le service, constate de son côté Franck Rovira, secrétaire départemental du syndicat de droite Alliance pour la police nationale dans les Pyrénées-Orientales. Vu le manque d’OPJ, nous sommes vite engloutis ». Visiblement, le responsable d’Alliance s’en contente fort bien : « Ils occupent le terrain, et ça c’est bien », acquiesce-t-il, soulignant la complémentarité entre les deux polices.

Pourtant, cette volonté de grignoter toujours plus sur les missions relevant de l’Etat n’est pas sans poser des difficultés au sein même des rangs de la municipale. Le revers de la médaille ? La pression mise sur les agents et les promesses salariales (sur des primes de nuit) non tenues. Une situation qui les a poussés à débrayer en janvier 2022. Interrogé par France 3, Louis Aliot avait répondu que ces agents « auraient aimé avoir 300 euros de prime mais [que] les finances de la mairie, au moment où l’Etat nous contraint, ne sont pas extensibles ». Réalisme oblige, avait complété l’élu, « donc, il faut faire des choix. Cette brigade a été créée sur la base du volontariat, au moment où ils ont dit oui, ils connaissaient les conditions ». Marché à prendre ou à laisser : selon Omar Belguellaoui, secrétaire général CFDT-UD País Català, certains policiers municipaux, déçus, auraient depuis claqué la porte.

Des vidéos choquantes

Sur le terrain, l’omniprésence de la PM à Perpignan est assimilée par les jeunes à du harcèlement en bonne et due forme. Alors, énième version catalane de l’opposition aussi éternelle que caricaturale entre une jeunesse aspirant à toutes les libertés et des policiers qui représentent l’ordre ? Plaintes habituelles de voyous en réalité dérangés dans leurs trafics et exactions ? Ou plutôt des débordements caractérisés de certains agents en roue libre, décomplexés par les priorités à tout crin de la municipalité RN en place ?

La question, grave, est posée. En effet, Blast a été destinataire de plusieurs vidéos au contenu troublant.

Sur ces images que nous rendons publiques, on assiste à des scènes choquantes. Sur lesquelles on voit et entend des policiers municipaux dont les agissements apparaissent répréhensibles et peu compatibles avec le respect des libertés publiques d’un Etat de droit : usage intempestif des gazeuses, balayettes sur des jeunes et interpellations violentes, et même menaces de mort…

La première de ces vidéos que nous dévoilons met en scène deux agents de la municipale qui viennent d’interpeller un jeune homme dans la rue. Elle est tournée sur un téléphone portable depuis un appartement, d’un immeuble qui surplombe la rue. L’un des deux municipaux coince le jeune homme sur un parking, à un endroit où il ne peut plus bouger, entre un mur et une grille. Il ne donne pas d’ailleurs l’impression de vouloir s’enfuir et ne semble représenter aucune menace apparente. Pourtant, le second agent rejoint son collègue et lâche son chien, qui se jette à deux reprises sur le jeune homme… A aucun moment, le policier ne tente de lui tenir la bride et de le retenir – il ne fera qu’après ces deux premiers assauts.

Une scène d’interpellation par la police municipale à Perpignan.
Document Blast

Sur une seconde vidéo, on retrouve à nouveau deux agents de la PM face à un jeune homme interpellé, toujours à Perpignan. L’intervention là aussi est violente, avec des coups portés par les policiers, avant qu’ils ne tournent le dos. Des actes qui semblent gratuits puisqu’on ne perçoit, cette fois encore, à aucun moment sur ces images un danger pour les agents.

Coups de pied et gazage, deux agents sont passés par là…
Document Blast

La troisième vidéo que Blast produit témoigne d’un climat effarant, avec toujours les mêmes scènes dans les rues de Perpignan : des hommes, qui portent un uniforme bleu, celui de la police municipale, frappent et cognent en pleine ville, au vu et au su de tous. On est cette fois dans une petite rue où passent des voitures.

A Perpignan, tous les coups sont permis sous la municipalité Aliot…
Document Blast

Mais il y a pire que ces saisissantes démonstrations de testostérone et ce déferlement de violence. Sur une autre de ces séquences que nous produisons, la scène est filmée derrière un volet, depuis un balcon à l’étage, dans un quartier de la ville. Elle dure 45 secondes. Un agent de la police municipale cherche à savoir où un jeune homme, qui vient d’être interpellé, a dissimulé de la drogue. On a du mal à en croire nos oreilles.

« Dans un ruisseau avec une balle dans la tête« 

Devant le mutisme du gamin, le policier de la PM lui met un marché en mains : « Le grand chef on le connaît, on va dire que tu es une balance et demain on te retrouve dans un ruisseau avec une balle dans la tête »…

Le même surenchérit : « Le boss, quand on va lui dire que tu es une balance, il va te mettre une balle là et une balle là. Tu préfères l’avoir là ou là ? »

Sur cette vidéo, deux hommes de la police municipale s’adressent à un jeune qu’ils viennent d’interpeller. « Moi je lui dis que tu vends de la drogue et que t’es nul. On dit ça aux gros, demain tu as une balle dans la tête, tu vois ce que je veux dire ! »…
Document Blast

D’après nos informations, aucune plainte en relation avec cette scène particulièrement choquante n’a été déposée à ce jour. Ces images, si elles ont bien été captées à Perpignan, ne sont pas datées. Ce qui l’est en revanche c’est le reportage complaisant que la chaîne RMC Story a consacré à la police municipale de Perpignan.

Le groupe BFM/RMC a mis le paquet pour promouvoir la politique sécuritaire de Louis Aliot. « Sous le soleil du sud de la France, les délinquants ne prennent pas de vacances », annonçait Rachid M’Barki pour présenter « 100 jours avec la police municipale de Perpignan ». Parole d’expert.
Image RMC Story

À RMC on sait informer, la preuve avec ce résumé d’une enquête magistrale au soleil : les « professionnels » de la PM de Perpignan sont plein « d’empathie », ils ramassent même les poubelles ! Rien en revanche sur la sale besogne et l’étiquette politique de la municipalité… L’audimat, c’est un métier.
Image RMC

Diffusé en juillet 2022, ce « documentaire de société » documente les habitudes de ses agents. En particulier lorsque la voix off glisse ce commentaire : « Les policiers savent très bien qui contrôler ». A l’image, on voit ainsi deux agents à VTT coincer un jeune capuche sur la tête… qui n’a pas de drogue sur lui. Ce type d’intervention porte un nom : le contrôle au faciès. Et lorsqu’ils interrompent une distribution de nourriture organisée dans un quartier par l’influenceur NasDas, un policier de la municipale lâche, face caméra, cette remarque : « Ce n’est pas une population qui nous aime ».

Un extrait de « 100 jours avec la police municipale de Perpignan », quand des policiers municipaux se lâchent devant une caméra : un grand moment de sécurité et d’éthique journalistique…
Images RMC Story

Ce quartier, c’est Saint-Jacques. Ici, chacun a une histoire à raconter sur la police municipale. Rassemblés comme tous les jours devant le Casa café, centre névralgique de cette partie déshéritée de Perpignan où le taux de pauvreté est l’un des plus forts de France, une poignée de jeunes livre les mêmes expériences. « Ils viennent et ils nous tapent », dit l’un d’eux ; « Je dormais et ils sont venus, ils m’ont réveillé et m’ont volé 400 euros », affirme son voisin ; « Ils m’ont pris 500 euros à moi », surenchérit un autre. Invérifiable. De toute façon, « la plupart de ceux qui se font agresser n’ont pas de papier, ils savent qu’on ne va pas aller déposer plainte », décrypte l’un d’entre eux.

« Ça peut être très violent« 

Ces jeunes parlent aussi de l’usage des bombes lacrymogènes : « On était là en terrasse, montre l’un d’eux, ils sont arrivés et ils ont gazé tout le monde, sans raison » – celui qui s’exprime a été contrôlé plein de fois.

Scène de gazage en plein visage, sans précaution.
Document Blast

Il y a aussi les coups de pression et des coups réels, si bien que la distinction est désormais bien établie entre policiers nationaux et municipaux : « Même avec la BAC (la brigade anti-criminalité de la police nationale, ndlr), ça va. Les gendarmes (les gendarmes mobiles sont régulièrement en renfort, proximité avec l’Espagne oblige, ndlr) aussi quand ils nous contrôlent, ils nous parlent bien. S’il n’y a pas d’infraction, ils nous laissent. Les municipaux, eux, c’est des cowboys ».

Des interventions particulièrement musclées… Protégé par ses collègues, un agent plaque violemment un individu au sol. Un témoin filme la scène sans que ça ne perturbe les agents, également devant la caméra d’une sorte de JRI embedded qui ne manque pas une miette du spectacle.
Document Blast

Un commerçant du quartier, soucieux de son anonymat et de sa tranquillité, confie son inquiétude : « Pour l’instant, il n’y a pas eu trop de gros problème mais on a tous peur qu’il y ait un mort, lâche-t-il à Blast. Ça peut être très violent quand ils interviennent ».

Dérapages « appuyés »

Il y a deux ans, un événement avait profondément choqué les habitants du quartier de Saint-Jacques. Le 12 septembre 2021, ils s’étaient mobilisés en organisant une manifestation. Quelques jours plus tôt, les hommes de la PM avaient embarqué un gamin de la communauté gitane. Le môme, le petit David, 8 ans, jouait sur la voie publique avec… un pistolet à billes. Interrogé sur ces faits par L’Indépendant, Philippe Rouch était resté droit dans ses bottes, assumant les actions de ses hommes : « Nous sommes juste plus présents qu’auparavant, s’était-il félicité. Ces gens sont manipulés par des personnes que l’on dérange, avec des incitations à l’émeute. On est serein. Tout est filmé et nous avons des enregistrements audio que nous remettrons à la justice. Certains essayent de liguer les habitants contre nous, mais nous faisons notre travail et on va continuer à appuyer. »

Une descente made in Perpignan… Des agents fondent sur un groupe de gamins au pied d’un immeuble. L’un est brutalement plaqué au sol, les autres sont gazés au visage, en pleine poire. Avant que le premier soit emporté à l’abri des regards et des témoins.
Document Blast

Aucune plainte n’avait été déposée. L’affaire n’a pas connu de suite judiciaire. Autant appuyer, donc.

Un autre habitant raconte lui une histoire de policiers municipaux qui se seraient invités en octobre 2022en pleine nuit chez un de ses amis parce qu’ils n’avaient pas pu l’interpeller après un tapage qu’ils lui reprochaient. « Ils sont revenus vers 1 heure mais ne se sont pas présentés en tant que policiers », rembobine-t-il. Lorsqu’il regarde dehors au moment des faits, il constate que deux camions de la PM sont garés. « On a appelé le 17. Quand ils ont entendu qu’on appelait la police, ils sont ressortis dans la rue pour nous demander si on avait besoin d’aide comme si ce n’était pas l’équipe qui essayait de rentrer dans le logement ». Et de préciser : « C’est la même équipe qui commet ce genre de faits, pas toute la police municipale. Ils sont quatre ou cinq, très agressifs. Ils n’aiment pas qu’on leur réponde ».

Des policiers omnipotents

Il suffit d’arpenter les rues de Perpignan pour se rendre compte de la puissance de la police municipale. Difficile de louper ses bureaux, la PM s’affiche en grandes lettres avec liseré bleu blanc rouge en façade. Des postes comme ça, il y en a désormais six en ville. Avenue du Général De Gaulle, dans d’anciens locaux de la région Occitanie, mais aussi dans des endroits plus originaux comme Le Palmarium, un petit bijou art déco ou, à deux pas du quartier Saint-Jacques, dans l’ancien hôtel La Cigale – où le conseil départemental dirigé par la gauche projetait de créer un centre d’accueil pour migrants. Les deux collectivités s’écharpent notamment devant les tribunaux, autour de l’acte de propriété de ce lieu acheté par le département mais préempté par la mairie. En novembre 2022, Louis Aliot annonçait l’arrivée prochaine de quatorze agents dans les murs. En janvier, si l’enseigne PM était bien en place, il n’y avait pas encore de fonctionnaires ni de mobilier.

Le poste de police municipale du quartier de la gare inauguré en 2021 par le maire Louis Aliot.
Image Blast

Les commerces aussi sont ciblés. En septembre 2022, par délégation des pouvoirs du préfet, les municipaux ont obtenu le droit de fermer administrativement des établissements de restauration ou des épiceries qui créeraient des troubles à l’ordre public. Ce travail de contrôle exercé jusqu’alors avec les services de l’Etat s’est matérialisé par 161 contrôles en 2022. Depuis septembre dernier, 7 fermetures ont été prononcées en trois mois seulement, contre des « établissements, réellement générateurs de nuisances » selon la mairie, avec des « infractions quant à la vente de produits prohibés ».

Parmi ces commerçants sanctionnés, Ilies (*) avait monté un an plus tôt son entreprise de restauration rapide. Il dénonce des contrôles quasi quotidiens, « tous les soirs ». « Ils outrepassent leurs droits, ils font des sous-entendus. On voit que sont visés les établissements tenus par des Magrébins. Il y avait un petit café voisin de mon établissement qui n’a jamais eu un contrôle. Moi, ils m’ont ciblé parce qu’il y avait du monde, des jeunes devant. Une fois, ils m’ont mis 300 euros pour un mégot jeté dans la rue. Le peu d’argent que je gagnais, on me le prenait en amendes : j’en ai eu 80 en 90 jours ! Avant on mangeait (sic) un ou deux contrôles à l’année. Ils veulent faire le travail de tout le monde, de la douane, de l’Urssaf, de l’hygiène ». Tellement d’amendes qu’Ilies a dû déposer un dossier de surendettement.

Preuves à l’appui, le jeune chef d’entreprise égrène les griefs. « J’ai eu 10 jours pour présenter tous les papiers. Je les avais tous mais on m’a fermé quand même ». Et de solder la morale de cette histoire : « Je n’avais plus les moyens pour faire appel devant le tribunal administratif de Montpellier ».

Le maire de Perpignan et sa police prennent à cœur leur « mission ». Le témoignage dévoilé dans cette vidéo éclaire ce qui paraît relever d’une méthode.
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Aliot le rayonnant en… position de cancre

A Perpignan, le Rassemblement national a donc accentué un virage sécuritaire que Les Républicains avaient déjà pris avant son arrivée aux affaires. Pour quel résultat ? Dans un classement de novembre 2022 consacré aux villes « les plus sûres » de France, le quotidien Le Parisien pointait Perpignan « la rayonnante » en queue de peloton : la 8ème ville de France en effectif et la 2ème au regard de sa population hérite de la… 261ème place de ce palmarès (sur 273 villes de plus de 20 000 habitants). Une gifle retentissante et un constat désastreux pour la police de substitution instaurée par Louis Aliot.

A la tête de la plus grande ville de France dirigée par le RN, Louis Aliot (à gauche) veut ériger sa gestion de Perpignan comme un modèle pour les prochaines conquêtes, qu’il espère à l’échelle nationale, de la formation d’extrême-droite.
Image Ville de Perpignan

Contactés au sujet des débordements relevés au cours de notre enquête, les services du Défenseur des droits indiquent à Blast n’avoir été saisis pour l’heure d’aucune réclamation liée à l’activité de la police municipale de Perpignan. De façon plus globale, si la police nationale ou la gendarmerie doivent rendre des comptes aux inspections générales (les « bœufs carotte », dans le jargon), les polices municipales elles sont assez peu contrôlées – selon une règle non-écrite que l’on retrouve à chaque fois qu’une mission publique est déléguée par l’Etat.

Certaines directions départementales de la sécurité publique disposent d’une « cellule déontologie » en charge de ces affaires considérées comme « réservées ». Dans le rapport de la Cour des comptes d’octobre 2020 sur les polices municipales, il est précisé « [qu’]à la demande du maire, du préfet ou du procureur concerné » « le ministre de l’Intérieur peut décider de la vérification de l’organisation et du fonctionnement d’un service de police municipale ». Le contrôle est alors réalisé par « l’inspection générale de l’État ». Rien de tel pour le moment à Perpignan. La ville, malgré les relances de Blast, n’a pas répondu à nos questions.

(*) Le prénom a été modifié.

Les attaques dont la LDH fait l’objet n’entameront en rien notre détermination

11 AVR. 2023 — 

Chers tous, chères toutes,

Encore une fois, un grand merci pour votre soutien. 

L’actualité nous amène sans cesse à renforcer notre volonté de lutter pour la défense de l’Etat de droit. Dans ce cadre, nous avons fait de la lutte contre les violences policières une de nos priorités. 

Or, la LDH a fait l’objet de menaces à peine voilées du ministre de l’Intérieur. En effet, lors de son audition au Sénat sur la question de la manifestation contre la « mégabassine » de Sainte-Soline, Gérald Darmanin a en effet semblé remettre en cause les financements publics qui nous sont accordés, “eu égard aux actions que nous avons pu mener”. Cette manace est particulièrement grave.

Depuis plus de 120 ans, la LDH défend les droits et les libertés pour toutes et tous face à un pouvoir qui a toujours la tentation d’en abuser, même en démocratie. C’est notre seule boussole et cela continuera à l’être, quoi qu’en pense Gérald Darmanin, quoi qu’il tente pour entraver notre expression.

Les attaques dont la LDH fait aujourd’hui l’objet n’entameront en rien notre détermination.

Plus que jamais, nous avons besoin de vous pour amplifier notre voix. Plus que jamais, nous continuerons à dénoncer les atteintes aux droits et libertés. Alors signez et partagez autour de vous, tant que vous le pouvez, cette pétition.

N’hésitez pas à nous soutenir : https://soutenir.ldh-france.org/

Patrick Baudouin, président de la LDH et Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la LDH