Vers une privatisation du n°1 du logement social

 Mediapart.fr

31 janvier 2014 | Par Laurent Mauduit

 Alors que la Fondation Abbé-Pierre indique dans son bilan annuel que 10 millions de Français subissent la crise du logement, voilà un rapport de la Cour des comptes qui va faire scandale : il révèle que la Caisse des dépôts réfléchit à une privatisation partielle de sa filiale, la Société nationale immobilière, le principal bailleur social en France. Les magistrats épinglent aussi des dérives affairistes.

Déjà mis en cause en de nombreuses occasions – de la promotion express de Thomas Le Drian, le fils du ministre de la défense, jusqu’aux « notes blanches » écrites à destination de l’Élysée sous la précédent quinquennat proposant d’appliquer au logement social les pratiques spéculatives des promoteurs immobiliers –, André Yché, le patron de la Société nationale immobilière (SNI), va être au cœur de nouvelles controverses. La SNI est l’une des principales filiales de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et le principal bailleur social en France.

Dans un rapport, qui devait rester confidentiel mais que Mediapart comme Le Monde ont pu consulter, la Cour des comptes critique vivement l’affairisme dans lequel la société a versé et suggère, de surcroît, qu’elle chemine vers une privatisation partielle. Ce rapport constitue une véritable bombe car il laisse entendre que la société abandonne progressivement ses missions d’intérêt général et copie les mœurs du secteur privé, jusqu’aux plus détestables, et sera même peut-être un jour croqué par lui.

Ce projet de privatisation partielle de l’un des acteurs majeurs du logement social en France apparaît d’autant plus sulfureux que dans son dernier rapport, intitulé « L’État du mal-logement en France » et publié ce vendredi à l’occasion de la commémoration du 60e anniversaire de l’Appel de l’Abbé Pierre lancé le 1er février 1954, la Fondation Abbé Pierre estime que 10 millions de personnes sont touchées, de près ou de loin, par la crise du logement en France.

On peut télécharger ici ce dernier rapport de la Fondation

Pour comprendre la gravité des alertes lancées par les magistrats financiers, il faut d’abord avoir à l’esprit le rôle majeur que joue la SNI dans le secteur du logement social, en même temps que les premières dérives dans lesquelles elle a été prise sous la houlette de son président, André Yché.

Cette importance, la Cour des comptes la souligne en de nombreux passages de son rapport. Elle rappelle que la CDC détient plus de 99 % de la société de tête du groupe SNI, et que celui-ci détenait très exactement 269 122 logements au 31 décembre 2011 et en gérait 274 499. Au total, la SNI loge près d’un million de personnes et a perçu 1,28 milliard d’euros de loyers en 2011. Le groupe « constitue donc un enjeu majeur pour la politique publique du logement comme pour la CDC », constate le rapport.

Or, sous l’impulsion de son président, le groupe SNI a déjà fait l’objet de vives polémiques que Mediapart a révélées dans plusieurs enquêtes (lire Le logement social dans le piège des mondanités et de l’affairisme et Le logement social entre privatisation et affairisme). Son président a fait scandale en préconisant un abandon des missions d’intérêt général dans le domaine du logement social au profit des logiques du marché. Dans un petit opuscule paru en 2011 sous le titre Logement, habitat & cohésion sociale, au-delà de la crise, quelle société voulons-nous pour demain (éditions Mollat) préfacé par le gendre de Jacques Chirac, Frédéric Salat-Baroux – nous verrons bientôt que ce détail a son importance –, il proposait ainsi que les organismes de logements sociaux soient à l’avenir régis par des règles nouvelles : « Ils doivent, de fait, devenir de véritables opérateurs immobiliers globaux et acquérir progressivement toutes les compétences de gestionnaires de portefeuilles d’actifs immobiliers qu’impliquent leurs nouvelles missions. »

« Gestionnaires de portefeuilles d’actifs immobiliers ». Pour dire les choses plus grossièrement : il y a beaucoup d’argent à se faire dans l’univers des HLM. « En définitive, ajoutait André Yché, la conclusion de ce tour d’horizon, c’est que la seule manière réaliste et pertinente de dynamiser le logement social, c’est d’instiller des mécanismes de gestion privée dans son exploitation. » Ce qui, là encore, avait le mérite de la franchise : vive le secteur privé ! Vivent les « plus-values latentes » !

Ces thèses n’auraient à l’époque pas retenu l’attention si elles avaient été défendues par un quelconque promoteur immobilier. Mais ce n’était évidemment pas le cas. Chacun avait bien compris que dans les plus hauts sommets de l’État, jusqu’à l’Élysée, on le laissait à dessein jouer ce rôle de boutefeu.

Quelque temps avant ce livre, André Yché avait d’ailleurs fait une première fois scandale, quand on avait appris qu’il était l’auteur de « notes blanches », sans en-tête ni signature donc, rédigées à l’automne 2009 à destination de l’Élysée. Voici une première de ces notes ; et en voilà une seconde.

André Yché
André Yché

Dans ces « notes blanches », André Yché explorait déjà les mêmes pistes. Déplorant que les quelque « 4,5 millions de logements » HLM, représentant « 200 milliards d’euros de plus-values latentes », soient sanctuarisés et échappent « pour l’éternité aux circuits économiques courants », il préconisait un véritable « big bang » : « Ce statut idéal n’est plus d’actualité », écrivait-il. En conclusion, André Yché recommandait d’activer une partie des plus-values latentes en organisant la cession de 10 % du parc de logements détenus par les sociétés anonymes de HLM. En résumé, il proposait de vendre 200 000 logements sur dix ans, ce qui rapporterait 10 milliards d’euros…

Plus récemment, comme l’avait révélé Mediapart, André Yché a encore alimenté la critique en cooptant au comité exécutif de la SNI Thomas Le Drian, qui est le fils du ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian.

Le rôle prépondérant des « plus-values latentes »

Or, le rapport de la Cour des comptes présente le grand intérêt de montrer que ces divers dérapages n’ont rien d’accidentel et poussent la SNI vers une privatisation au moins partielle, sur fond d’affairisme croissant. Les magistrats financiers établissent de manière méticuleuse que les fameuses « plus-values latentes » chères à André Yché jouent un rôle croissant dans la vie du groupe : au fil des ans, ces plus-values ont explosé et deviennent le principal ressort de la vie financière de l’entreprise.

Les cessions d’actifs engagées par la SNI, qui avoisinaient 80 millions d’euros en 2008 et 2009, ont grimpé à 435 millions d’euros en 2010. Au total, elles ont atteint près de 921 millions d’euros de 2006 à 2011, période qui correspond à l’enquête de la Cour des comptes. Dans le même temps, les plus-values constatées (par rapport aux valeurs comptables des biens vendus), ont explosé atteignant 140 millions d’euros en 2010 et 399 millions sur la période sous revue.

Or, à titre de comparaison, le résultat avant impôt de la SNI en 2010 a été de 152,5 millions d’euros, soit à peine plus que les plus-values. Conclusion en forme de lapalissade de la Cour des comptes : « La contribution des cessions au résultat est devenue prépondérante. »

Dans le même temps, la Cour des comptes établit que l’endettement du groupe a explosé pour atteindre 8,4 milliards d’euros. Les magistrats soulignent que le groupe SNI est pris dans une sorte d’étau : comme ses marges de manœuvre pour se financer deviennent de plus en plus contraintes, il est de plus en plus amené à exploiter ces gisements de « plus-values latentes ». C’est une sorte de fuite en avant perpétuelle.

Certes, tous les pôles d’activité de la SNI ne butent pas sur les mêmes difficultés de financement. Même s’il est confronté à de fortes difficultés, liées aux effets de la banalisation du livret A et de l’appétit croissant des banques privées, le pôle qui intervient dans le domaine de l’habitat social est ainsi assuré d’être alimenté par le Fonds d’épargne, qui recueille la collecte du produit favori des Français. Mais le financement du pôle de logement intermédiaire est, lui, de plus en plus contraint, pour une cascade de raisons : parce que les marges de manœuvre de la Caisse des dépôts sont elles-mêmes contraintes ; parce que, sous les effets de la crise financière, les banques sont de plus en plus frileuses, et que « la SNI est aujourd’hui confrontée à l’impossibilité de lever des fonds sur plus de 20 ans amortissables dans des conditions économiquement acceptables », comme le dit le rapport.

À lire le diagnostic des magistrats financiers, on devine que la SNI est arrivée à un point de bascule de son histoire. Avec deux scénarios possibles : soit la SNI reste dans le giron public, et défend bec et ongles ses missions d’intérêt général ; soit elle devient une proie tentante pour le privé. Sous la houlette d’André Yché, la stratégie est déjà clairement choisie : ce sera la seconde option. Et cela transparaît clairement du rapport de la Cour : « Dans le secteur du logement, il est devenu de plus en plus difficile d’obtenir des financements bancaires de long terme et ceux qui subsistent sont très coûteux (…) La seule possibilité pour la SNI de continuer son développement en étant moins tributaire du marché financier serait de trouver de nouvelles sources de fonds propres, du côté des compagnies d’assurances, des fonds d’investissement. »

En clair, la Cour des comptes confirme que l’idée chemine de passer dans un premier temps une alliance stratégique avec de très gros appétits privés. De qui s’agit-il ? D’Axa ? D’autres groupes du CAC 40 ? En tout cas, c’est écrit noir sur blanc : « L’idée a été envisagée de créer un fonds dans lequel la CDC prendrait une participation à côté d’autres investisseurs. Ceux-ci pourraient être intéressés s’il leur était proposé un investissement suffisamment rentable et liquide. Le rôle de la SNI serait de leur apporter la garantie d’une rentabilité minimale et de la liquidité de leur investissement, par exemple au moyen d’une promesse de rachat à la demande moyennant une prime. » Dans cette première étape, selon le vieux principe libéral, les profits éventuels seraient donc privatisés ; et la SNI socialiserait éventuellement les pertes.

La CDC «n’exclut pas une ouverture à terme » du capital de la SNI

Mais on découvre, à la lecture du rapport, qu’une fois le loup entré dans la bergerie, il pourrait avoir un appétit beaucoup plus grand. En clair, après une alliance stratégique avec des fonds d’investissement ou des grands groupes privés d’assurance, une deuxième étape pourrait être franchie, conduisant à une privatisation, au moins partielle, de la SNI.

Le rapport dit que cette réflexion chemine : « Ces perspectives pourraient se traduire par une évolution de la composition du capital de la SNI. Si la CDC entend la conserver en son sein (sic !), elle n’exclut pas une ouverture à terme de son capital, surtout dans l’hypothèse où la contrainte financière demeurerait forte et où la SNI voudrait néanmoins conserver des projets de développement opérationnels. » On sent que la logique de l’intérêt général est en train d’être progressivement reléguée au second plan, au profit d’une autre, celle du profit. Avec toutes les convoitises que cela peut déchaîner.

C’est un autre aspect important que révèle ce rapport de la Cour des comptes : il suggère que la SNI, avant même son éventuelle privatisation partielle, est la proie d’un spectaculaire affairisme. Comme Le Monde l’a révélé (l’article est ici – lien payant), la Cour des comptes s’arrête en particulier sur une affaire grave, celle de la cession du patrimoine résidentiel locatif qui appartenait à Icade, une autre filiale de la Caisse des dépôts. À la cession de ce gigantesque parc locatif résidentiel, « localisé en quasi-totalité dans huit départements d’Île-de-France, dans une cinquantaine de communes » et « largement financé sur apports publics ainsi que par le 1 % logement et les loyers versés pendant des décennies par des locataires modestes » – ce sont les mots de la Cour des comptes –, Mediapart a déjà consacré de nombreuses enquêtes, sous la plume de ma consœur Martine Orange, que l’on peut retrouver ici.

Or, la Cour des comptes vient confirmer que ce projet de cession, qui portait initialement sur 31 453 logements, 742 commerces, 59 bureaux, 1 859 logements en copropriété et divers autres biens, soit un actif net évalué à 2,2 milliards d’euros, s’est déroulé dans de stupéfiantes conditions. La solution retenue, au début de 2009, a été que la SNI devienne le chef de file d’un consortium regroupant divers investisseurs, dont les « ESH » concernées (les entreprises sociales pour l’habitat des différentes collectivités), pour racheter ces biens à Icade (filiale de la CDC, comme la SNI). D’entrée, la procédure était viciée : « La SNI était donc, en tant que chef de file du consortium, de manière patente, en situation, sinon de conflit d’intérêts, du moins de conflit de missions. »

Mais il y a plus grave. En des termes elliptiques, la Cour des comptes laisse entendre que les avocats choisis par la SNI pour piloter l’opération étaient eux-mêmes en grave conflit d’intérêts. Les magistrats se bornent à donner le nom du cabinet concerné, Weil, Gotshal & Manges, sans indiquer précisément quel est le signe distinctif de ce cabinet. Étrange discrétion de la Cour des comptes !

Mais avant de percer ce mystère, lisons : « Selon les propres termes de la SNI, ces conseils « choisis d’un commun accord avec la CDC » « ont été désignés de gré à gré notamment par rapport à leur connaissance du groupe CDC, à leur dimensionnement suffisant (…) » Même en tenant compte de l’appartenance commune d’Icade et de la SNI au groupe CDC, il est surprenant de voir le conseil de l’acheteur potentiel désigné de fait par le principal actionnaire du vendeur (lequel actionnaire, la CDC, avait recours par ailleurs aux services de ce conseil). Le conflit d’intérêts du côté des conseils était patent. »

Augustin de Romanet
Augustin de Romanet

Traduisons. Le patron de la CDC, à l’époque, était Augustin de Romanet, ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée du temps de Jacques Chirac et actuel PDG de Aéroports de Paris. Et si le conseil du cabinet d’avocats Weil, Gotshal &Manges n’est pas nommé, il n’est guère difficile de savoir qui il est : il s’agit de Frédéric Salat-Baroux (ici sa biographie sur le site du cabinet), gendre de Jacques Chirac, et ancien secrétaire général de l’Élysée.

Frédéric Salat-Baroux
Frédéric Salat-Baroux

En clair, Augustin de Romanet avait pris son ancien supérieur hiérarchique à l’Élysée comme conseil de la CDC et, en accord avec le même Augustin de Romanet, André Yché n’a rien trouvé de mieux que de prendre le même Frédéric Salat-Baroux, celui-là même qui a fait la préface de son livre, comme conseil pour le consortium. Des conflits à tous les étages, avec à la clef d’immenses honoraires pour le cabinet concerné.

Entre mondanités et vie des affaires, André Yché a donc su, au gré des alternances, naviguer au mieux. À titre de rappel, on peut visionner ci-dessous la cérémonie fastueuse qu’il a organisée le 29 janvier 2013 pour présenter ses vœux de nouvelle année, dans une aile des Invalides auquel il peut avoir accès, grâce aux bonnes grâces du ministre de la défenses, Jean-Yves Le Drian :

La SNI sur les traces sulfureuses de Dexia

Et sans doute n’est-ce qu’une partie seulement du scandale car la Cour des comptes prend soin de préciser qu’elle ne traite ce dossier que sous l’angle de la SNI et qu’un nouveau rapport verra bientôt le jour sur le même sujet, dans le cadre d’un contrôle de la société Icade. Dans ses enquêtes sur Mediapart, ma consœur Martine Orange avait ainsi apporté de nombreuses autres révélations sur l’opération. Elle avait en particulier dévoilé que le patron déchu de Vivendi, Jean-Marie Messier, reconverti en banquier d’affaires, avait aussi dispensé ses conseils aussi bien à Icade qu’à la SNI pour un montant global de commissions de 5 millions d’euros (lire Et maintenant, Jean-Marie Messier réorganise le logement social).

La Cour des comptes relève d’autres irrégularités. Les membres du consortium (les organismes HLM, les collectivités…) n’ont bénéficié que d’informations « lacunaires » sur les détails de l’opération. De surcroît, la SNI a fait le jeu de son actionnaire, la CDC, au détriment du consortium dont elle était pourtant le chef de file, en acceptant que la valorisation des biens cédés (l’actif net réévalué) passe subrepticement de 2,2 à 2,8 milliards d’euros, au moment même où le marché immobilier entrait dans une phase d’effondrement, forçant des offices HLM à jeter l’éponge et sortir du consortium ou alors à accepter ces prix surévalués.

« Dans cette affaire, la SNI aurait dû en tant que chef de file du consortium s’attacher en priorité à la défense des intérêts de ses mandants, qui l’ont payée pour cela », note la Cour, soit 6,7 millions d’euros, qui ont été en bonne partie rétrocédés aux conseils. Or, la SNI a fait le jeu d’Icade.

Ce n’est pas la seule opération pointée. Au fil des pages du rapport, on découvre d’autres critiques visant des opérations différentes, comme la vente à prix cassé d’un immeuble dans le VIIIe arrondissement de Paris au profit de Gecina, un groupe foncier qui détient un patrimoine immobilier de 11 milliards d’euros en Île-de-France ; et bien d’autres opérations encore. Les magistrats financiers multiplient aussi les critiques à l’encontre du système de gestion domanial des agents du ministère de la défense (10 000 logements environ), que ce dernier a alloué à la SNI…

Bref, si la Cour des comptes admet que « le groupe SNI apparaît globalement bien géré, notamment en matière de gestion locative », elle délivre dans tous les autres domaines une avalanche de critiques. Et puis surtout, il y a cette alerte rouge : au cœur du logement social, un projet très inquiétant de privatisation fait son chemin. Un projet, selon ce que suggère la Cour, qui a la bénédiction des instances dirigeantes de la CDC.

C’est d’ailleurs là la clef. Car, dans les premiers mois après l’alternance, on pouvait se demander pourquoi l’État ne se débarrassait pas du si encombrant auteur des « notes blanches » à Nicolas Sarkozy, André Yché. Mais sans doute dispose-t-on désormais de la réponse. En vérité, l’ancien ministre sarkozyste qu’est Jean-Pierre Jouyet, actuel patron de la CDC, est vraisemblablement sur la même longueur d’ondes. Tout comme son meilleur ami, François Hollande, qui mène avec ardeur sur tous les fronts une politique clairement néolibérale…

En quelque sorte, à lire la Cour des comptes – et même si elle ne formule pas les choses de manière aussi abrupte –, c’est une sorte de nouveau « hold-up » qui se profile, au sein même de la Caisse des dépôts, un peu à la manière de celui du Crédit local de France, le banquier des collectivités locales, qui, dans le courant des années 1990, s’est progressivement désarrimé de la CDC, puis a été privatisé, et se transformant en Dexia, a copié les mœurs de la finance, arrosé ses mandataires sociaux d’abondantes stock-options, avant de connaître une faillite retentissante, l’une des plus graves de l’histoire bancaire française.

Avec le logement social, l’histoire semble bégayer. À ce rythme-là, une fois que le capital de la SNI aura été ouvert, André Yché pourra à son tour être couvert de stock-options. En remerciements des services rendus au CAC 40 et à la finance. À bas le logement social ! Vivent les plus-values latentes…

Ultras, racistes et xénophobes défilent à Paris

Mediapart

26 janvier 2014 | Par Ellen Salvi et Nicolas Serve et Marine Turchi – Mediapart.fr

 

Les Homen, dans la foule, dimanche.
Les Homen, dans la foule, dimanche. © Nicolas Serve

Des dizaines de milliers de personnes ont défilé à Paris dimanche à l’appel du collectif « Jour de colère ». Le cortège a été marqué par l’omniprésence de groupuscules d’extrême droite et ponctué de slogans antisémites, homophobes et antijournalistes.

Annoncée comme un grand rassemblement citoyen anti-Hollande, la manifestation à l’appel du collectif « Jour de colère » n’a pas eu l’ampleur des mobilisations contre le mariage pour tous l’année dernière (17 000 personnes selon la police, 160 000 personnes selon les organisateurs). Sur Facebook, 25 000 personnes avaient indiqué leur participation sur la page de l’événement. Dimanche, le mouvement était marqué par une omniprésence de groupuscules d’extrême droite. Il a été ponctué de slogans antisémites, homophobes et antijournalistes.

Le collectif avait annoncé un mouvement de « convergence des luttes », organisé sous huit bannières différentes : fiscalité, éducation-jeunesse, famille, identité nationale, chômage, respect des convictions religieuses, liberté d’entreprise, respect des libertés fondamentales. La première difficulté était de contenir dans un même cortège des associations antifiscalité, identitaires, catholiques intégristes, catholiques traditionalistes, anti-islam, des partisans de Dieudonné et des groupuscules d’extrême droite antisémites.

Dès le départ de la manifestation, place de la Bastille, l’une des organisatrices prévient, au micro : « Nous marchons à côté de gens qui n’ont pas les mêmes convictions que nous. Nous l’acceptons. Ce qui nous unit, c’est la volonté de changer le gouvernement. Nous sommes un mouvement patriote. » Le speaker qui lui succède chauffe la foule : « Je vous rappelle que c’est une manifestation pacifique, mais ce n’est pas une raison pour ne pas montrer votre colère ! (…) Les journalistes qui sont des collabos, nous n’en voulons pas ! » Il cible « les pourrisseurs de l’État » et « les médias », et invite les participants à dénoncer les « provocateurs envoyés par Valls ».

Dans la foule, dimanche, un manifestant faisant un salut nazi.
Dans la foule, dimanche, un manifestant faisant un salut nazi. © Nicolas Serve
Des manifestants avec des drapeaux ornés de la croix celtique, emblème du G.U.D.
Des manifestants avec des drapeaux ornés de la croix celtique, emblème du G.U.D. © Nicolas Serve

Pendant trois heures, de la place de la Bastille aux Invalides, des groupes hétéroclites défilent contre le mariage pour tous, le « matraquage fiscal », la hausse du chômage, l’immigration, pour la défense de la famille traditionnelle, de « la souveraineté et l’identité » de la France. Parmi les slogans, certains ciblent directement les membres du gouvernement et le président : « Najat à coups de batte », « Taubira casse-toi ! » et « Hollande au poteau, le peuple aura ta peau ». Mais les deux qui reviennent en boucle sont : « Hollande démission » et « journalistes collabos ».

Pancarte d'une manifestante dans la foule.
Pancarte d’une manifestante dans la foule. © Nicolas Serve

Les organisateurs du collectif sont anonymes, mais les coïncidences avec le Printemps français, branche radicale de la Manif pour tous, sont troublantes, comme l’a démontré Mediapart. Dimanche, on pouvait voir un petit noyau s’affairer au départ de la manifestation, avec oreillettes et téléphones portables. On y retrouvait Frédéric Pichon, ancien leader du Groupe union défense (G.U.D.), figure du Printemps français et avocat de plusieurs manifestants antimariage pour tous prônant la radicalisation, recroisé une heure plus tard avec… un bonnet rouge.

Frédéric Pichon, dans la foule, dimanche.
Frédéric Pichon, dans la foule, dimanche. © Nicolas Serve

Était aussi présent Axel Loustau, le trésorier du microparti de Marine Le Pen, à la tête d’une société de sécurité privée prestataire du FN en 2012. Ce proche de l’ex-chef du G.U.D., Frédéric Chatillon, a déjà été interpellé dans les manifestations contre le mariage pour tous en avril (lire notre article).

Axel Loustau, à droite de l'homme à l'oreillette.
Axel Loustau, à droite de l’homme à l’oreillette. © Marine Turchi

Dans le cortège, on croise un grand nombre de groupuscules gravitant à l’extrême droite : les Groupes nationalistes révolutionnaires (G.N.R.), le Front nationaliste, Terre et peuple, ou encore Yvan Benedetti, ex-FN et leader de l’Œuvre française, le groupuscule pétainiste et antisémite dissout en juillet après la mort de Clément Méric. Avec les Caryatides, il lance des « Hollande ça suffit, travail famille patrie ! », « La France aux français », « Français, réveille-toi, tu es ici chez toi ! », « Israël hors d’Europe ! », ou « On n’entend plus chanter Ariel Sharon ».

« Faurisson a raison, la Shoah c’est bidon », entend-on plus loin. Parmi les personnalités présentes, on trouvait l’écrivain Renaud Camus, théoricien du « grand remplacement » (théorie selon laquelle les Français seraient en passe d’être démographiquement évincés par des peuples non européens), l’essayiste Alain Soral, passé par le PCF puis le FN, aujourd’hui à la tête d’Égalité et réconciliation.

Alain Soral, dans la manifestation, le 26 janvier.
Alain Soral, dans la manifestation, le 26 janvier. © Capture d’écran du site Égalité et réconciliation.
Renaud Camus (au centre), devant l'Opéra, place de la Bastille, dimanche.
Renaud Camus (au centre), devant l’Opéra, place de la Bastille, dimanche. © Nicolas Serve

Quenelles, ananas et complotistes

Les Homen, dans la foule, dimanche.
Les Homen, dans la foule, dimanche. © Nicolas Serve

Si Dieudonné est absent, pour cause de spectacle à Bordeaux, ses partisans sont très présents dans le cortège, brandissant des ananas et faisant des quenelles, deux symboles de la « Dieudosphère ». Nombre d’entre eux scandent d’ailleurs « Quenelle révolution ! ».

Des manifestants affichent deux des symboles de Dieudonné.
Des manifestants affichent deux des symboles de Dieudonné. © Marine Turchi
Dimanche, dans la foule, de nombreux manifestants ont fait le geste de la quenelle.
Dimanche, dans la foule, de nombreux manifestants ont fait le geste de la quenelle. © Nicolas Serve

Des familles étaient aussi présentes, parfois avec des drapeaux « Manif pour tous » :

Aux Invalides, dimanche.
Aux Invalides, dimanche. © Marine Turchi

Une poignée d’amateurs de complots en tous genres se sont joints à la marche. Sur le boulevard Montparnasse, un homme distribue des tracts rappelant « la théorie des chemtrails », selon laquelle les traînées blanches créées par le passage des avions seraient composées de produits chimiques répandus par de mystérieuses agences gouvernementales. Non loin, certains hurlent « Francs-maçons en prison ! » tandis que d’autres brandissent des pancartes dénonçant la mainmise du CRIF ou du Club Bilderberg sur le pouvoir. Toute action gouvernementale a son explication alambiquée.

L’épisode Valls-Dieudonné ? « Une manipulation pour punir Dieudonné d’avoir invité dans son théâtre le fils du juge Roche (ex-magistrat décédé en 2003 et mort, selon ses enfants, dans des conditions suspectes – Ndlr), assure Meresia, 36 ans, l’une des volontaires en charge de la quête. C’est pour ça et pour rien d’autre ! On nous cache tellement de choses… »

Place de la Bastille, dimanche.
Place de la Bastille, dimanche. © Nicolas Serve

Les partis politiques étaient les grands absents de cette mobilisation. Le FN avait expliqué qu’il n’appelait pas à manifester, contrairement au SIEL, le parti souverainiste de Paul-Marie Coûteaux. Marion Maréchal-Le Pen a quant à elle fait marche arrière. Son collaborateur a indiqué à Mediapart mercredi qu’elle ne s’y rendrait finalement pas à cause de « l’environnement, l’appel des pro-Dieudonné, la crispation des échanges sur le web ». Sa fédération du Vaucluse, qui avait participé à l’organisation de « Jour de colère » en proposant des « tractages » et des relais locaux, a, depuis, effacé le billet sur son site.

Dans la foule, dimanche, aux Invalides.
Dans la foule, dimanche, aux Invalides. © Nicolas Serve
Au départ de la manifestation, dimanche, place de la Bastille.
Au départ de la manifestation, dimanche, place de la Bastille. © Nicolas Serve

Les habitués des manifestations contre le mariage pour tous, comme l’UMP Hervé Mariton, Christine Boutin ou le frontiste Bruno Gollnisch, étaient absents. Invitée dimanche dans l’émission « Le Supplément politique » de Canal Plus, Christine Boutin, farouche opposante du mariage pour tous, a indiqué qu’elle ne grossirait pas les rangs des marcheurs cette fois-ci : « Je ne veux pas participer à une manifestation qui peut dégénérer. Je ne suis pas certaine qu’il n’y aura pas de violence. » C’est donc de loin que la présidente du parti chrétien démocrate a suivi le mouvement. Sur son compte Twitter, elle s’est félicitée du succès rencontré par le premier « Jour de colère », tout en laissant entendre qu’elle ne manquerait pas le deuxième rendez-vous :

© Twitter / Christine Boutin

En tête de cortège, le groupe, réuni pour « crier (son) ras-le-bol face au matraquage fiscal du gouvernement », salue les identitaires qui tractent sur le trottoir. Rémi, un chef d’entreprise de 46 ans, se dit « apolitique ». Pourtant, « ça ne (lui) pose aucun problème de défiler avec des groupes extrémistes » parce que « ce sont les vrais Français qui sont dans la rue ». Même discours du côté de Marie, 24 ans, qui estime que « tout le monde peut marcher dans la rue, du moment qu’ils ne sont pas venus pour promouvoir leur parti » : « J’avais déjà marché contre le mariage pour tous l’année dernière. C’est toujours bon enfant comme ambiance ! »

De nombreux manifestants portaient cet écusson des scouts unitaires catholiques traditionalistes.
De nombreux manifestants portaient cet écusson des scouts unitaires catholiques traditionalistes. © Nicolas Serve

À l’instar de la jeune femme, nombreux sont les manifestants interrogés ce dimanche par Mediapart, à avoir déjà manifesté l’an passé. Meresia n’est pas de ceux-là. Bonnet rouge sur la tête, gilet fluo des « volontaires » sur le dos, elle use de son sifflet en continu, mais consent à le retirer pour expliquer qu’elle manifeste contre « l’éducation nationale » : « C’est une priorité. Or, tout ce qu’on apprend à nos gamins à l’école aujourd’hui, c’est l’homosexualité. J’adore les homos, je m’éclate avec les gays, mais j’ai pas envie qu’on apprenne ça à mon petit de 5 ans. Je ne veux pas qu’on lui dise que c’est normal parce que ce n’est pas vrai. »

Une bénévole dans la foule.
Une bénévole dans la foule. © Nicolas Serve

Si elles répètent qu’elles manifestent « contre le gouvernement », les personnes interrogées dans la foule ne motivent guère plus leur participation au « Jour de colère ». Christian, un retraité de 74 ans, qui a « toujours voté socialiste », avoue même qu’il ne sait « pas très bien ce qu’(il fait) » : « Je voulais montrer mon mécontentement, mais je me retrouve au milieu de personnes dont je ne partage pas du tout les idées. Quand je suis arrivé, j’ai été un petit peu dérangé de voir qui était là, mais bon, je me dis que quelquefois, on dit bonjour à des gens qu’on n’aime pas… »

Alain Escada, à la tête des catholiques intégristes de Civitas.A
lain Escada, à la tête des catholiques intégristes de Civitas. © Nicolas Serve

Parmi les contre-manifestants, une dizaine de militantes des Femen, venues aux cris de « les fachos au poteau ! ». « Femen salopes, bande de putes, la France aux Français », a répliqué la foule. Elles ont été évacuées par les forces de l’ordre.

Des antifascistes ont déployé une banderole près de la gare d’Austerlitz, sur laquelle on pouvait lire « Valls, Marine, Dieudo, tous fachos » :

Sur le pont près de la gare d'Austerlitz, la banderole déployée par des antifascistes.
Sur le pont près de la gare d’Austerlitz, la banderole déployée par des antifascistes. © La Horde
Affiches collées par le Mouvement inter Lycées indépendant en amont de la manifestation.
Affiches collées par le Mouvement inter Lycées indépendant en amont de la manifestation. © Nicolas Serve

La manifestation, ponctuée de plusieurs incidents (journalistes pris à partie, jets de pétards, fumigènes, bombes agricoles), a débouché aux Invalides, avec plusieurs discours d’anonymes sur l’estrade, venus défendre l’un des huit thèmes mis en exergue. « Nous ne sommes pas les putes de la République », « nous sommes gouvernés par des merdes », lance l’un d’eux au micro. À l’issue de la manifestation, Béatrice Bourges, porte-parole du Printemps français, a annoncé qu’elle entamait « une grève de la faim jusqu’à la destitution du président François Hollande », en précisant qu’elle allait camper au Champ-de-Mars, près de la tour Eiffel.

En fin de journée, des affrontements ont éclaté entre les forces de l’ordre et une centaine de manifestants restés sur place. Masqués pour la plupart, ces derniers ont lancé des projectiles (bouteilles, pétards, barres de fer, poubelles et fumigènes) contre les policiers qui ont répliqué par des tirs de gaz lacrymogènes. Dix-neuf policiers ont été blessés – l’un d’eux a reçu un pavé dans la mâchoire. Au total, 262 personnes ont été interpellées. Près de 250 ont été placées en garde à vue.

Les affrontements entre manifestants et forces de l'ordre, dimanche en fin de journée.
Les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre, dimanche en fin de journée. © Twitter / hugoclement

La boîte noire :Mise à jour: Cet article a été actualisé lundi matin avec le nombre total de personnes interpellées et de gardes à vue.

«Jour de colère», le grand fourre‑tout de l’anti‑hollandisme

Catholiques intégristes, bonnets rouges, militants identitaires islamophobes, supporteurs de Dieudonné : un magma politique foutraque et anonyme appelle à manifester dimanche à Paris dans un grand «Jour de colère». L’événement, préparé depuis l’automne, compte près de 30 000 inscrits sur Facebook. Les organisateurs espèrent mobiliser une foule hétéroclite, réunie autour d’un mot d’ordre : «Hollande démission !» Pour parvenir à leurs fins, ils ont brassé très large. Sur son site, Jour de colère invoque pêle-mêle «le matraquage fiscal, la misère paysanne, le chômage, l’insécurité, la faillite de l’éducation nationale, la destruction de la famille, le mépris de l’identité française, les atteintes à la liberté et le déni de démocratie».

Très actifs sur Internet via une multitude de pages Facebook qu’on croirait clonées – «Hollande dégage !», «Hollande m’a tué», «Génération résistante», «Peuple français réveille toi !» – les têtes pensantes de Jour de colère s’appuient aussi sur des réseaux habitués à la mobilisation, des groupes identitaires aux catholiques intégristes. Le Printemps français de Béatrice Bourges, groupuscule en pointe dans la lutte contre le mariage gay, apparaît aussi à la manoeuvre. On est donc bien loin de «l’apolitisme» mis en avant par les organisateurs. L’appel de Dieudonné à se joindre à la manifestation a contribué au flou général. Ludovine de la Rochère, présidente de la Manif pour tous, a elle préféré tenir son mouvement éloigné de ce défilé. «Quand on se mobilise, on dit qui on est, et on revendique des choses précises», explique-t-elle à Libération.

Libération a recensé la soixantaine d’organisations qui appellent à manifester. Plusieurs caractéristiques communes en ressortent : défense des valeurs «traditionnelles» de la famille, dénonciation d’une fiscalité trop élevée, rejet de l’immigration et de l’islam. Inventaire.

La défense de la famille

Après avoir (re)découvert l’an passé les vertus des défilés dominicaux, les défenseurs de la famille hétéronormée et des «tous-petits» ont décidé de s’associer au Jour de colère. Plusieurs groupuscules très actifs contre la loi légalisant le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels appellent à manifester. Tel le Camping pour tous – qui avait entrepris de squatter les jardins du Sénat -, le Collectif des avocats libres, ou encore le Collectif Famille Mariage. Reconverti en un projet plus simple – «Abroger Taubira» – celui-ci a été fondé par Guillaume de Thieulloy, assistant du sénateur UMP Jean-Claude Gaudin (UMP) et figure de la cathosphère tradi. Prisonniers politiques, qui rassemble les témoignages des victimes de la «répression socialiste», viendra dénoncer «l’intolérable répression et à la naissance d’une police politique, rappel de sombres heures de notre histoire». Rien que ça. Dans la même lignée on retrouvera Solidarité pour Tous, qui aide les manifestants confrontés à la justice. En revanche, les Veilleurs, rejetons de la Manif pour tous adepte des chants scouts à la lueur des bougies, ont décidé de ne pas s’associer officiellement au Jour de colère.

Béatrice Bourges du «Printemps français» (photo Jean-François Monier. AFP)

Le Collectif pour l’Enfant, dont la porte-parole n’est autre que Béatrice Bourges, également à la tête du label «Printemps Français», sera aussi de la partie. N’oublions pas non plus les Gavroches et leur manifeste hommage à la littérature : «En ces temps troublés, le parallèle nous est souvent apparu entre Valls et Javert, Fantine contrainte de vendre son corps et les mères porteuses, les Thénardier et tous ces hommes corrompus qui pensent que tout peut s’acheter.» Les Enfants des terreaux (attention jeu de mot), un mouvement lyonnais, viendra prôner une «résistance énergique contre le système socialiste nauséabond qui détruit nos valeurs de civilisation». Même ambition chez Foutez-leur la paix et ses 214 fans Facebook, qui martèle que «la crèche est là pour garder les enfants et non pour les endoctriner».

Toujours sur l’éducation : Journée de retrait des écoles s’élève contre une éventuelle apparition de «la théorie du genre» dans les classe. Autre participant : le collectif France Audace, qui ambitionne de fédérer les associations catholiques du pays. Son président, François Billot de Lochner, est aussi à la tête de la Fondation de service politique. Ce think tank défendant les «racines chrétiennes» de l’Europe est financé par le Saint-Siège et proche de l’Opus Dei, selon les journalistes Caroline Fourest et Fiametta Venner. Bien que non affichés dans les soutiens, les membres de Civitas seront présents. Leur leader, Alain Escada se félicite de l’appel qui réunit «un souhait de coagulation, cette addition des mécontents qui a pour but d’affaiblir le gouvernement. C’est une formule qui nous convient mieux que la Manif pour tous qui était trop festive».

Alain Escada (photo damien Meyer. AFP)

Le «ras-le-bol fiscal»

La thématique du «ras-le-bol fiscal» réunit une bonne partie des manifestants, qui pourront défiler derrière une bannière dédiée. La gamme des couleurs sera bien représentée, avec les bonnets rouges nantais, les bonnets rouges frontaliers, les bonnets rouges 69 (qui acceptent «toutes les personnes qui sont en colère»), les bonnets blancs (opposés à la réforme des rythmes scolaires), ainsi que les bonnets gris, alias les Fonctionnaires en colère. Le groupe des Citrons facilement exploitables – un «collectif d’artisans et de commerçants albigeois» – soutient le Jour de colère, mais ne se rendra pas à Paris. A noter que les bonnets rouges canal historique – les Bretons opposés à l’écotaxe – ont finalement décliné l’invitation, le défilé ne correspondant ni à leurs «valeurs», ni à leurs «objectifs». En revanche, Tous ensemble contre l’écotaxe a lancé un appel à manifester.

Une banderolle accrochée sur un camion le 2 décembre 2013 à Croissy-Beaubourg dans le cadre du mouvement routier contre l'écotaxe.

Mouvement routier contre l’écotaxe en décembre 2013 (photo Kenzo Tribouillard. AFP)

Dans ce magma, une page Facebook résume le message : la révolte fiscale c’est maintenant. On retrouve aussi les Contribuables en révolte qui refusent de laisser «tondre sans bêler» et délivrent un message plus large : «anti-magouilles», «anti-immigration massive» et «anti-mariage gay». Des revendications proches d’une autre page Facebook qui use de la métaphore animalière, La révolte des vaches à lait. L’association Liberté et sécurité des frontaliers souhaite défendre les droits des frontaliers résidant en France et travaillant en Suisse. La présidente, Valérie Guée, est une proche de Claude Reichman, responsable du Mouvement pour la liberté de la protection sociale – qui incite à quitter la Sécu – et de la Révolution bleue (voir plus bas). Le plus persévérant reste le Rassemblement des contribuables français. Leur président, Nicolas Miguet avait tenté de se présenter à la présidentielle de 2012, mais n’avait pas obtenu les 500 signatures nécessaires.

Les militants d’extrême droite

Ce qui les regroupe, c’est la peur du «grand remplacement», c’est-à-dire la substitution de populations arabo-musulmanes aux Européens «de souche». Cette thèse a notamment été développée par l’écrivain Renaud Camus dans un ouvrage paru en 2011, et devenu une référence pour les milieux identitaires. L’homme, à la tête du Parti de l’In-nocence, a lancé un appel baptisé «Non à la substitution de population», ainsi qu’une pétition qui compte 2 789 signatures.

Autre personnalité en pointe sur ce sujet : Gérard Pince, à la tête de la Free World Academy, site sur lequel on peut lire sa crainte qu’un «nouvel âge de fer et d’obscurantisme [s’étende] sur un territoire qui ne sera plus la France». Sur le site la Révolution bleue de son ami Claude Reichman, il aligne ses propositions : rétablissement du droit du sang, prohibition de l’islam, interdiction de toute immigration en provenance des pays hors Union européenne, suppression des prestations sociales versées aux étrangers, entre autres. Autre membre de la Révolution bleue, Georges Clément, qui est aussi président de deux autres «comités» : le Comité de Lépante, opposé à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne et le Comité francilien de défense du franc. Reconquête Républicaineinsiste également sur la thèse du «grand remplacement».

Renaud Camus, autoportrait (Wikimedia CC)

Bernard Antony, ancien chef de fil de la tendance «nationale-catholique» au sein du FN, député européen d’extrême droite de 1988 à 1999 et fondateur de l’Agrif, participera à la manifestation pour combattre le «racisme anti-blanc et anti-chrétien». Autre participant : Alexandre Goldfarb, inscrit sur la liste du candidat divers-droite Franck Keller pour les municipales de Neuilly. Il est président de l’Observatoire du mensonge, média en ligne qui propose de dévoiler, à grands renforts de déductions hasardeuses, «ce que les autres médias ne disent pas», que ce soit à propos d’économie ou d’immigration. Le Réseau-Identités, en lien avec l’association Nationalité-Citoyenneté-Identité, viendra aussi «crier sa colère». Une colère qui se dirigera sûrement contre les étrangers, puisque le premier objectif de l’association est «de s’opposer par tout moyen légal à l’octroi du droit de vote aux étrangers non issus d’un pays de l’Union européenne». France Libre, de son côté, est en pointe dans le combat contre le «racisme anti-blanc», alors que la Ligue Francilienne est une déclinaison régionale des identitaires.

Les musulmans n’ont pas le monopole des théories de l’envahissement. Les francs-maçons aussi inquiètent plusieurs groupuscules, que ce soit les Génération patriotes présidées par Stéphane Lormenil, suppléant du FN Fabien Engelmann lors des élections législatives 2012 en Moselle, ou la Dissidence française, qui n’apparaît pas dans la liste des soutiens officiels, mais appelle bien à manifester. Vincent Vauclin, qui a créé ce mouvement en 2011 a une solution simple pour mettre fin à la «déroute» de la France : «faire appel à l’armée» pour faire «tomber le Régime».

La présence potentielle de supporteurs de Dieudonné a effrayé l’association anti-islam Résistance républicaine, qui a décidé de ne plus participer au Jour de colère. «Il n’est pas pensable que nous manifestions aux côtés de gens qui veulent islamiser la France et y imposer, pour une partie d’entre eux, la charia», a expliqué la présidente Christine Tasin. En revanche, l’organisation soeur Reconquête républicaine défilera.

Les objets non identifiés

Tous les participants ne réclameront pas le départ d’un président. Certains appelleront au retour d’un autre. «Nous exigeons la libération immédiate de Laurent Gbagbo», écrit Abdel Neki, le président du CRI Panafricain. L’Ivoirien se réjouit d’être présent dans la liste des soutiens : «C’est l’occasion rêvée pour parler de notre cause», s’enthousiasme-t-il. Sauf que les organisateurs ont depuis décidé de retirer le CRI de leur site. L’éventail d’associations, de collectifs, ou de groupes Facebook appelant à protester est très large. On y trouve des Don Quichotte modernes (le Collectif en colère contre l’éolien industriel), un lobby fermier (Les paysans c’est l’Avenir) dont la page Facebook est davantage garnie de photos de tracteurs que d’appel à manifester. Autres étrangetés : Move Human, une association «engagée dans la lutte contre les clichés et pour l’expression des jeunes», ou encore Au nom du peuple, qui demande «l’organisation d’un audit des justiciables victimes des dysfonctionnements» de l’institution judiciaire.

Symbolique de cette addition pour le moins éclectique, reste le mouvement qui sert à tout : la France à l’Unisson. «L’Association se donne pour objectif d’organiser des manifestations culturelles, festives et/ou sportives, mais aussi de veiller à la protection et à la conservation du cadre environnemental, patrimonial et humanitaire sur tout le territoire national.» Son président est Igor Kurek, un ancien candidat aux législatives 2012 dans les Alpes-Maritimes, pour le Rassemblement pour la France, le parti de Christian Vanneste.

Précision : les organisations «Papas en colère» et «Soutien breton» n’ont pas confirmé leur présence, bien qu’ils apparaissent dans la liste officielle.

Sylvain MOUILLARD, Margaux VELIKONIA et Patxi BERHOUET

 

Calendrier de la Section de Bordeaux 28-01-2014 au 11-02-2014

Section de Bordeaux

EVENEMENTS LDH

Mardi 28 janvier à 18h30 : réunion préparatoire de l’émission mensuelle « En toutes libertés » sur RIG
Vendredi 31 janvier de 18h30 à 19h30  : émission « En toutes libertés » en direct sur RIG (90.7) et Aqui FM (98.0)
Mardi 11 février de 19h00 à 22h00 : réunion de la section LDH de Bordeaux (Athénée Joseph Wresinski, Place Saint Christoly à Bordeaux)
EVENEMENTS AVEC PARTENARIAT LDH33
 

Jeudi 30 janvier à 18h30 : réunion du collectif TEMPREF (hôtel de région à Bordeaux)

 

Samedi 1er février à 14h00 : rassemblement pour la défense du droit à l’avortement en Espagne et ailleurs (Place de la Comédie à Bordeaux) ; VENEZ NOMBREUX !!

AUTRES EVENEMENTS POUR INFORMATION
Lundi 27 janvier à 19h30 : réunion des sympathisants du DAL (21 rue Foy à Bordeaux)


Mercredi 29 janvier à 20h00 :
projection-débat autour du film « Les jours heureux » de G. Perret

en présence de Gérard Boulanger, organisée par les Amis du Monde Diplomatique (cinéma Jean Eustache à Pessac)

Jeudi 30 janvier à 20h30 : projection débat autour du film « terms and conditions may apply » de C. Hoback

et du dernier numéro du bi-mensuel Manière de voir « Souriez vous êtes surveillés »

en présence de Maurice Lemoine, organisée par les Amis du Monde Diplomatique

 

POUR D’AUTRES INFOS, RENDEZ VOUS SUR NOTRE SITE :

ldh-gironde.org

TVA : une victoire pour toute la presse (et pour ses lecteurs)

Mediapart

Grâce à votre mobilisation, celle de nos lecteurs, de la profession, d’élus et de personnalités, justice est enfin rendue à la presse en ligne. Le gouvernement a en effet décidé de mettre en œuvre dès maintenant l’égalité fiscale entre presse imprimée et presse numérique. Ce choix politique d’un même taux de TVA à 2,1 % pour toute la presse, quel que soit son support, est justifié au nom de l’égalité fiscale et de la neutralité technologique.

Cette décision a été annoncée, vendredi 17 janvier, à l’Hôtel Matignon, aux représentants des organisations professionnelles de la presse : SPIIL pour la presse en ligne, SPQN pour la presse quotidienne nationale, SPQR pour la presse quotidienne régionale, SEPM pour la presse magazine, FNPS pour la presse spécialisée. Lors de cette réunion interministérielle présidée par le directeur de cabinet du premier ministre, Christophe Chantepy, il a été précisé qu’une initiative législative sera prise en ce sens très rapidement, dont le dépôt sera accompagné d’une directive du ministère du budget à l’administration fiscale mettant en œuvre l’application immédiate du taux à 2,1 % pour la presse en ligne.

Dans un communiqué commun, l’ensemble des éditeurs de presse, en se félicitant de cette décision, a « salué le courage du gouvernement qui manifeste son souci d’une presse dynamique, pluraliste et inventive, qu’elle soit imprimée ou numérique » (télécharger ici le communiqué). Pour le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL), dont Mediapart est cofondateur, cette décision justifie le combat, engagé depuis sa création en 2009, pour une reconnaissance pleine et entière de la presse en ligne, à égalité de droits et de devoirs avec toute la presse. Aussi le SPIIL donne-t-il acte au premier ministre, Jean-Marc Ayrault, d’avoir pris ses responsabilités après tant d’années d’attentisme politique laissant planer une incertitude sur l’avenir de nos entreprises.

Cette avancée confirme le rôle pionnier de la nouvelle presse en ligne au bénéfice de toute la presse, dans la diversité de ses catégories et le pluralisme de ses orientations. Laboratoire sur les modèles économiques pertinents, comme l’est depuis le début Mediapart avec sa formule payante qui s’oppose avec succès à la destruction de valeur de la gratuité publicitaire, la presse en ligne indépendante est aussi un levier de transformation, de modernisation et de réforme de l’écosystème de la presse au bénéfice du public et, donc, de la démocratie.

Depuis son origine, la TVA dite super-réduite sur la presse (de 2,1 % en France, mais qui est même de 0 % en Grande-Bretagne) exprime une philosophie démocratique au bénéfice du pluralisme, de la diversité et de l’accessibilité de la presse, entendue comme un secteur aux enjeux politiques évidents, entre liberté d’information et liberté d’opinion. La décision du gouvernement français, semblable à celle prise en toute souveraineté sur le livre depuis 2012 (même taux de 5,5 % pour l’imprimé et pour le numérique), affirme la défense de principes constitutionnels et de lois fondamentales qui étaient remis en cause par la banalisation de la presse en ligne, ramenée à n’importe quel service commercial marchand.

Pour Mediapart, qui est parti en campagne sur ce terrain dès sa création en 2008 (lire ici mon premier article du 23 mai 2008 sur le sujet), cette question de la TVA portait, au-delà de son enjeu économique vital, la question de l’égalité de droits et de devoirs avec l’ancienne presse imprimée de cette nouvelle presse numérique que nous voulions à la fois inventer et imposer, bref construire durablement. C’est ainsi que nous avions obtenu le statut reconnaissant, en 2009, la presse en ligne comme une presse à part entière, relevant du périmètre de la CPPAP (Commission paritaire des publications et agences de presse). L’égalité fiscale était la conséquence logique de cette égalité juridique, aussi bien en droit administratif qu’en droit pénal.

Quand une révolution industrielle modifie radicalement la donne – éditoriale, économique, commerciale, culturelle, sociétale, etc. –, comme c’est le cas avec le numérique, il arrive que des pesanteurs, des archaïsmes et des conservatismes créent des situations de retard et de blocage. Le prétexte européen, qui fut longtemps opposé pour ne pas officiellement proclamer l’égalité fiscale aujourd’hui reconnue, en relève, ainsi que nous l’avions longuement et précisément argumenté dans un mémoire juridique du cabinet Lysias remis à Jacques Toubon, alors mandaté par la France auprès de Bruxelles sur le sujet (le télécharger ici et télécharger là un second mémoire remis il y a un an à l’Élysée).

Devant l’accord de tous nos interlocuteurs (et notamment des parlementaires) sur la justesse de notre revendication et, en même temps, l’incompréhensible immobilisme politique des pouvoirs publics, nous avons donc pris, avec le SPIIL, nos responsabilités, en appliquant aux abonnements à Mediapart le taux légitime de 2,1 %. Défendre ce taux, c’est aussi défendre une presse numérique plus abordable pour ses lecteurs et refuser cet engrenage fatal d’une presse qui, à mesure que s’approfondissent ses difficultés, ne cesse d’augmenter ses prix. Inchangé depuis notre création il y a six ans, le prix de l’abonnement à Mediapart est aujourd’hui le plus bas de la presse quotidienne d’information politique et générale. Une presse démocratique doit rester une presse accessible au plus grand nombre.

Notre décision d’appliquer le taux à 2,1 % ne fut en rien une ruse et encore moins une fraude : en toute transparence, ce fut l’affirmation d’un combat et d’une exigence, dont la double légitimité est aujourd’hui reconnue, aussi bien par le gouvernement que par la profession. Tout comme sa totale indépendance économique (voir ici notre campagne « A qui appartient votre journal ? ») aide les journalistes à se battre, où qu’ils travaillent, pour défendre leur indépendance, les audaces entrepreneuriales de Mediapart aident tout le secteur professionnel à avancer dans l’invention d’un nouvel écosystème, plus vertueux et plus transparent, plutôt que dans la répétition des erreurs du passé, lesquelles ont aggravé la crise liée à la transition numérique. Avec le soutien des lecteurs et, donc, de l’opinion que permettent et facilitent l’horizontalité et la rapidité démocratiques d’Internet, nous faisons levier, pression et mobilisation, dans l’intérêt commun et pour le bien public.

C’est bien pourquoi il serait incompréhensible que les audacieux que nous sommes, et dont l’audace aujourd’hui profite à tous, soient lourdement pénalisés par une administration fiscale aveugle aux bouleversements numériques et à leurs enjeux aussi bien politiques qu’économiques. Résultat de la mobilisation suscitée, dans l’opinion et dans la profession, par des contrôles fiscaux discriminatoires visant les journaux en ligne qui appliquent d’ores et déjà ce taux légitime de TVA, parmi lesquels Mediapart au premier chef, cette victoire restera incomplète tant que cette menace pèsera sur nous, mettant en péril l’avenir de nos entreprises.

Aussi, lors de la réunion tenue à Matignon, les représentants du SPIIL ont-ils demandé avec insistance que la décision prise soit complétée par la suspension des contrôles et redressements fiscaux ayant comme motivation l’application, pour le passé, d’un taux de TVA à 19,6 % (passé à 20% depuis le début de l’année 2014) dont les pouvoirs publics conviennent désormais qu’il était injustifié.

Pour mémoire, un premier redressement de plus d’un million d’euros nous a déjà été signifié fin décembre 2013, de façon aussi expéditive que déloyale, en nous appliquant des pénalités de mauvaise foi jusqu’en 2010 alors même que notre combat a toujours été public. Si ce redressement était suivi de redressements similaires pour les années suivantes (2011, 2012, 2013), avec le même barème, les mêmes pénalités et, donc, la même injustice, c’est près de six millions au total que le fisc pourrait nous réclamer, soit plus que ce que nous a coûté le financement de Mediapart jusqu’à ce qu’il commence à devenir bénéficiaire ! Comme je l’ai expliqué dans un précédent billet (lire ici), sauf à brader son indépendance, Mediapart ne pourrait survivre à une telle ponction financière.

Président de la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, le député (PS) Patrick Bloche qui, avec d’autres parlementaires, a toujours défendu la juste cause de la presse en ligne, a déclaré au Monde, en accueillant « avec allégresse » l’annonce gouvernementale, que « s’il y a une loi, cela conduira l’administration fiscale à suspendre les contrôles fiscaux » (lire ici). Pour l’heure, hélas, nous n’avons aucune certitude en ce sens, le prochain rendez-vous avec les inspectrices du fisc étant fixé au 29 janvier. Nous allons évidemment tout faire, en usant de toutes les voies de recours possibles avec toujours la même transparence sur nos actions, pour obtenir cette assurance de ne pas être persécutés pour un combat dont chacun, aujourd’hui, peut constater la justesse et la légitimité.

Merci à tous, lecteurs, amis, collègues, élus et personnalités, de votre soutien sans lequel nous n’aurions pas réussi à transformer cette épreuve en victoire. Et merci à tous de bien vouloir rester vigilants tant que cette victoire ne sera pas pleine et entière.

Martin Hirsch : « L’AP-HP doit soigner tout le monde, sans distinction »

LE MONDE

| 18.01.2014 à 09h53 • Mis à jour le 18.01.2014 à 12h32 | Propos recueillis par Laetitia Clavreul

"Chez nous, un patient peut avoir accès aux plus grands spécialistes indépendamment de son origine et de ses revenus", s'enorgueillit le directeur général de l'AP-HP Martin Hirsch.

Martin Hirsch a été nommé en novembre 2013 à la tête de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour remplacer Mireille Faugère, remerciée par le gouvernement dans un contexte de tensions autour de l’avenir de l’Hôtel-Dieu, à quelques mois des élections municipales.

Réduction du déficit, inégalités d’accès aux soins, dépassements d’honoraires, projets : l’ancien haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté du gouvernement Fillon et ancien président d’Emmaüs livre sa vision du mastodonte dont il a pris la tête.

Plus de quinze ans après votre premier passage dans l’institution, en tant que directeur de la pharmacie centrale, avez-vous retrouvé la même AP-HP ?

Beaucoup de choses ont changé. A l’époque, il y avait une frontière entre l’administratif et le médical, avec du dédain des chefs de service pour ce qu’ils considéraient comme de vulgaires contingences. Aujourd’hui, le corps médical ne se désintéresse plus des questions d’organisation ni des questions financières et l’esprit est davantage collectif. Changements de mentalités auxquels la tarification à l’activité n’est pas étrangère.

Mais ce mode de financement ne doit pas nous détourner de l’essence même du service public hospitalier : soigner tout le monde, sans distinction, sans discrimination. Il ne faut pas confondre être une institution rentable et privilégier des malades plus rentables que d’autres.

Cette notion de service public hospitalier est-elle en danger ?

Ce qui me frappe, au contraire, c’est que, si elle n’est pas encore complètement dans la loi, elle est bien inscrite dans nos comportements. L’AP-HP ne trie pas ses patients. Elle s’honore autant de compter des Prix Nobel, des premières mondiales comme celle du coeur artificiel imaginé si patiemment par le professeur Carpentier, que de soigner des bénéficiaires de la CMU [couverture maladie universelle] et de l’aide médicale d’Etat. Chez nous, un patient peut avoir accès aux plus grands spécialistes indépendamment de son origine et de ses revenus. Cette situation est quasiment unique au monde.

Mais, il ne faut pas s’en cacher, nous devons reconquérir le principe d’égalité d’accès aux soins, afin que les délais pour les rendez-vous, les examens, les interventions soient les mêmes pour tous, indépendamment de la situation sociale, du réseau personnel et bien sûr des moyens financiers. C’est mon obsession que les délais de prise en charge soient les mêmes pour le PDG et pour le travailleur précaire. C’est, par exemple, l’un des enjeux de l’application du prochain plan cancer à l’AP-HP.

Que pensez-vous des dépassements d’honoraires ?

La loi prévoit une activité libérale à l’hôpital encadrée. Cela fait partie de notre équilibre. Mais il est hors de question qu’elle dévoie l’institution par des excès dans les tarifs, des abus dans l’orientation des patients, voire des fraudes. La réputation morale fait partie de notre capital, autant que les robots chirurgicaux sophistiqués. Je ne la laisserai pas ternir par des comportements irresponsables. Et je regrette que ma première sollicitation de l’Inspection générale des affaires sociales concerne un abus, d’une nature qui ne devrait pas exister à l’Assistance publique.

L’AP-HP accuse un déficit d’environ 70 millions d’euros. Vous parlez peu d’économies… Avez-vous le profil de l’emploi ?

Le bon profil ne serait en tout cas pas celui d’un comptable, pour conduire une institution aussi vivante, passionnée, humaine. J’ai maintenu l’objectif de retour à l’équilibre des comptes d’ici à 2016. L’atteindre n’est pas contradictoire avec des projets motivants et innovants. Au contraire. Nous vivons dans un pays où la réduction des déficits publics est une priorité, je ne vois pas pourquoi l’AP-HP n’y contribuerait pas.

François Hollande a déclaré qu’il fallait faire des économies sur les dépenses de santé. Comment le plus gros hôpital de France va-t-il y contribuer ?

La redondance des actes dont parle le président est une réalité. Quand on transmettra les radios ou les résultats de biologie au médecin traitant, on n’aura plus besoin de réaliser des actes trois fois. C’est source d’économies sensibles. Et nous pouvons restructurer sans renoncer, comme lorsqu’on regroupe les plateaux d’analyses biologiques spécialisées.

La ministre de la santé vient d’octroyer 20 millions d’euros à votre institution pour l’achat de matériel médical. L’AP-HP reste-t-elle une grande privilégiée ?

Non. Sinon Marisol Touraine n’aurait pas tenu cet engagement. Avant la création des agences régionales de santé, mes prédécesseurs allaient négocier avec le ministre de budget, et les hôpitaux de la région avaient les restes. Pour les fonds spécifiques, comme les missions d’intérêt général, nous nous taillions la part du lion. Tout cela est fini. L’AP-HP, forteresse autosuffisante, c’est aussi du passé. Mais nous devons encore améliorer notre relation avec les hôpitaux généraux et la médecine de ville. Nous devons par exemple veiller à transmettre les comptes rendus d’hospitalisation. Sinon, la coopération restera un voeu pieux.

La crispation politique autour de la restructuration de l’Hôtel-Dieu a valu son poste à Mireille Faugère, que vous venez de remplacer. Prendre des décisions à l’AP-HP est-il impossible ?

Peut-on prendre des décisions quand on est directeur de l’AP-HP ? La réponse est oui. Mais il est sûr que la neutralisation des pouvoirs, entre toutes nos instances, est une spécialité que nous devons oublier. Je me sens suffisamment libre et soutenu pour y échapper. Retrouver un rythme de décisions régulier, la maison ne demande que cela. Pour l’Hôtel-Dieu, le calendrier et la méthode pour élaborer un projet consolidé et plus fédérateur, incluant l’hospitalisation à domicile, seront annoncés fin janvier.

Comment financerez-vous votre projet sans vendre le siège de l’institution, comme l’avait prévu l’équipe précédente ?

Ce projet de vente était hypothétique, et le financement du projet n’était pas calé.

Que proposerez-vous aux patients ?

Nous allons faire des efforts pour raccourcir les délais, rendre notre offre de soins plus lisible. L’accueil est tout sauf accessoire. Et, pour eux, régler sera plus facile et plus rapide. Nous nous ferons ainsi mieux payer. Nous ne devons plus courir après eux par des lettres de rappel pour quelques dizaines d’euros, qui, mis bout à bout, font pour nous des dizaines de millions.

Plus généralement, nous nous réjouissons d’accompagner cette extraordinaire évolution qui fait que les malades ne sont plus seulement un contre-pouvoir mais deviennent un nouvel acteur à part entière. L’éducation thérapeutique devient l’une de nos missions et c’est un formidable progrès pour les patients comme pour les équipes qui les soignent.

 Laetitia Clavreul
Journaliste au Monde

Un Nobel d’économie flingue le virage «scandaleux» de Hollande

Dans la foulée de la conférence de presse de François Hollande, le gouvernement a assuré le service après-vente du virage économique du chef de l’Etat. «La politique de l’offre n’est ni de droite ni de gauche, elle est aujourd’hui nécessaire», assure ainsi Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, dans Les Echos.«L’idée que la gauche c’est dépenser, est dépassée (…) Nous avons d’emblée mené une politique réformiste, il nous faut maintenant entrer dans une nouvelle étape», ajoute Pierre Moscovici, ministre de l’économie dans Le Monde. Une nouvelle étape qui s’annonce justement désastreuse, rétorque Paul Krugman, dans une tribune au vitriol publiée ce matin par le New York Times.

Le prix Nobel d'économie Paul Krugman plaidait pour sa part vendredi dans le New York Times pour des mesures de relance supplémentaires. Pour lui, la politique économique de M. Obama risque de connaître le même sort que les Alliés en Italie en 1943: l'enlisement, faute de renforts.Le Prix Nobel d’économie 2008 rappelle ainsi qu’il ne s’était pas attardé sur le cas français depuis qu’il était devenu clair que François Hollande «n’allait pas rompre avec l’orthodoxie des politiques d’austérité destructives à l’œuvre en Europe» qui conduisent pourtant «à des résultats désastreux» depuis quatre ans. Mais les derniers choix présidentiels représentent selon lui quelque chose de «scandaleux»: embrasser «des politiques économiques de droite pourtant discréditées». «Oui, des conservateurs sans coeur et butés ont mené la politique, mais ce sont des politiciens de la gauche modérée, mous et brouillons qui les ont encouragés et leur ont facilité la tâche», torpille Krugman. (Photo AFP)

«Effondrement intellectuel»

La conférence de presse de François Hollande le plonge dans un profond sentiment «de désespoir». Car, en reprenant littéralement à son compte l’erreur pourtant depuis longtemps démystifiée de Jean-Batiste Say selon laquelle «c’est l’offre qui crée la demande», le chef de l’Etat adopte, selon Krugman, une doctrine discréditée. Le signe, selon lui, de la faillite de la (centre) gauche européenne.

Krugman n’a jamais été un grand fan de François Hollande. Mais il a parfois pris la défense de l’Hexagone, comme après la décision «idéologique» de l’agence Standard & Poor’s de dégrader la note de la France une nouvelle fois, en novembre 2013. Il saluait alors le choix élyséen de «d’équilibrer son budget en relevant les impôts au lieu de sabrer dans la protection sociale». Et rappelait au passage que la France avait une meilleure performance de PIB par habitant que celle du Royaume-Uni, ainsi qu’une dette publique largement inférieure.

C’est un Krugman désabusé qui rappelle désormais : «Quand Hollande est devenu le président de la seconde économie de la zone euro, certains d’entre nous espéraient» qu’il aurait pu prendre des positions non orthodoxes. Las«il est au contraire tombé dans la posture habituelle, une posture qui se transforme désormais en effondrement intellectuel. Et c’est ainsi que la seconde grande dépression de l’Europe va continuer».

Si Hollande perd, sinon un ami américain, du moins un intellectuel de gauche qui l’a (presque) soutenu, il se rapproche d’une figure mexicaine libérale – en l’occurrence Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE. L’organisation s’est fendue d’un communiqué pour saluer la mue du chef de l’Etat français, saluant des mesures «très encourageantes, tant par la détermination affichée que par le fond des mesures envisagées». L’OCDE appelle toutefois à «aller au-delà» de la baisse des charges pour «restaurer les marges», «financer l’investissement» et «redresser la compétitivité». La volonté de rationaliser l’organisation territoriale, elle, est perçue comme «un volet essentiel de l’assainissement budgétaire». Et l’institution n’hésite pas à préconiser «la réduction des dotations de l’État aux collectivités réfractaires aux fusions.» 

Christian LOSSON

Dieudonné joue sans autorisation

Un souci de plus pour Dieudonné. Le Monde a révélé que le théâtre parisien de la Main d’or, où l’humoriste se produit depuis 1999, n’est pas couvert par la licence de catégorie 1, obligatoire pour exploiter un lieu de spectacle. L’information avait d’abord été délivrée par Jean-Claude Elfassi, un paparazzo en lutte ouverte contre Dieudonné. Elle a été confirmée au Monde et à Libération par la direction régionale des affaires culturelles (Drac) d’Ile-de-France.

Dans le détail, cette licence ferait défaut à Bonnie productions, société titulaire du bail de la Main d’or et radiée du registre du commerce depuis septembre 2013. «La licence de Bonnie productions a expiré en février 2012 et n’a pas été renouvelée depuis», confirme-t-on à la Drac. Quant aux Productions de la plume, société gérée par la compagne de Dieudonné et qui produit ses spectacles, elle ne dispose que des licences de deuxième et troisième catégories, correspondant aux producteurs et diffuseurs de spectacles. Pas de la fameuse licence 1, qui permet d’exploiter une salle.

«Des investigations ont été lancées à ce sujet il y a quelque temps, poursuit-on à la Drac, sans préciser leurs résultats. Si elles confirment le manquement, la sanction peut aller jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. En revanche, la fermeture du théâtre n’est pas systématique. Plusieurs autres lieux de spectacles en Ile-de-France sont concernés par un problème similaire.» Du côté de la préfecture de police de Paris, on dit avoir «entendu parler» du sujet, sans plus de commentaires.

La licence de première catégorie est nécessaire «pour ceux qui assument l’entretien et l’aménagement des lieux de spectacle», précise le ministère de la Culture sur son site internet. Elle est attribuée «notamment sur justificatif d’avoir suivi une formation agréée sur la sécurité des spectacles».

Si ce manquement est confirmé, il pourrait être utilisé par les propriétaires du théâtre de la Main d’or, qui entendent faire vider les lieux à leur encombrant locataire. Ces trois cogérants d’une société immobilière parisienne, dont Libération avait révélé les intentions, refusent depuis tout contact avec la presse. Peut-être faute d’avoir, pour le moment, trouvé l’angle d’attaque adéquat : depuis le rachat du théâtre, en 2011, Dieudonné s’est régulièrement acquitté de son loyer de 10 000 euros mensuels. Et la radiation de Bonnie productions ne serait pas un motif suffisant pour rompre le bail, qui court jusqu’en 2019.

Jointe par Libération, l’avocate des Productions de la Plume n’a pas souhaité commenter ce nouveau rebondissement.

Dominique ALBERTINI

Le plan Sapin affole l’inspection du travail

Mediapart.fr

13 janvier 2014 | Par Rachida El Azzouzi

Malaise dans les sections de l’inspection du travail. Le « plan Sapin », vaste projet de réforme des services, qui sera débattu à la fin du mois au Parlement, ne passe pas dans les rangs d’une majorité des agents et des syndicats. Explications.« Alerte, vigilance, combat », « Casse de l’inspection du travail : le Medef en rêvait, le PS l’a fait », « La gauche peut être pire que la droite », « Non aux fourberies de Sapin »… Les relations entre les agents de l’inspection du travail et leur ministre de tutelle Michel Sapin ne s’améliorent pas. Dans les sections mais aussi sur la page facebook « Contre la casse de l’inspection », les tracts des syndicats se suivent et s’accumulent depuis des mois pour dénoncer le vaste projet de réforme du système d’inspection que le ministre du travail a lancé à son arrivée en 2012 pour « plus d’efficacité et de cohérence ». Avec toujours le même ton virulent.

Après deux ans d’un dialogue social rythmé par des grèves et des manifestations mais aussi les séminaires et les groupes de travail avec les syndicats (bien que tout semblait déjà plié selon une note interne dévoilée par la CGT Gironde en février dernier), le projet de loi tant décrié – que l’on peut consulter ici – sera présenté en conseil des ministres ce 22 janvier, puis débattu au Parlement la semaine suivante pour une entrée en vigueur dès le printemps 2014. Le calendrier est serré pour les syndicats les plus hostiles au projet (CGT, Sud, SNU, FO et CNT) qui l’estiment « dangereux » car « il porte atteinte à l’indépendance des agents et diminue les effectifs de contrôle pour renforcer la ligne hiérarchique ».

Michel Sapin
Michel Sapin © reuters

Ils espèrent parvenir à sensibiliser dans la dernière ligne droite des parlementaires contre cette réforme dite du « ministère fort » qu’ils ont rebaptisée réforme du « ministère mort ». Passée inaperçue dans le brouhaha médiatique, ce chamboulement inédit de l’organisation territoriale du corps de l’inspection du travail ainsi que de ses pouvoirs – derrière lequel se cache Jean-Denis Combrexelle, l’inamovible directeur général du travail sous la droite en poste depuis 2002 –, est « une mise à mort de l’inspection du travail française », accusent les syndicats. Ils organisent, à la veille de l’examen du texte devant l’assemblée, un grand meeting à la bourse du travail à Paris le lundi 27 janvier pour « alerter sur la casse » de ce qui constitue l’un des derniers remparts des salariés face au rouleau compresseur patronal.

Dissimulé dans le volumineux et complexe projet de loi relatif à la formation professionnelle, l’emploi et la démocratie sociale, qui prévoit également la suppression des élections prud’homales (lire ici notre article) et que le gouvernement veut voir voté au plus vite avant la trêve parlementaire de fin février en raison des municipales, le « plan Sapin » est massivement rejeté en interne. « Nous réclamions une réforme, de nouveaux moyens, de nouveaux effectifs, mais pas une mise à mort que même la droite n’aurait pas osé faire », confie un inspecteur du travail francilien « écœuré » qui espérait un doublement des effectifs tant les sections sont à flux tendu. La France ne compte encore qu’un inspecteur ou contrôleur du travail pour 10 000 salariés, un ratio fort médiocre qui laisse plusieurs longueurs d’avance aux délinquants en col blanc dans les entreprises…

© @dr

Pas une seule des organisations syndicales de l’inspection du travail n’a voté pour cette réforme lors du comité technique ministériel. La CFDT (17 %) et l’UNSA (14 %), qui représentent un tiers des agents, se sont abstenues. Les autres qui représentent deux tiers du personnel (CGT, FSU, SUD, FO, CNT, CFTC) ont voté contre. Non pas que la majorité des 700 inspecteurs et 1 500 contrôleurs du travail soient « rétifs  »au changement, c’est maintenant » », « corporatistes », comme le ministère peut les décrire, s’insurge Pierre Meriaux, délégué syndical SNU-TEFE-FSU. Mais parce que derrière le bel habillage – « renforcer les pouvoirs de l’inspection » –, et sous couvert d’une revalorisation de certains métiers et de quelques avancées, les syndicats voient dans cette réforme plusieurs attaques dangereuses à l’institution et à la fonction d’inspecteur du travail ainsi qu’une désorganisation du travail « pathogène, lourde de souffrance au travail ». « Des attaques jamais vues », disent-ils, depuis la création de cette institution il y a 121 ans – au départ pour protéger les femmes et les enfants avant de devenir un élément fondamental de la protection des salariés.

« On a tous expérimenté des pressions patronales sur des dossiers sensibles »

Plusieurs points de ce projet qui entend faire passer sans concours, mais selon un tri, 1 500 contrôleurs (agent catégorie B aux pouvoirs limités) en inspecteurs (agent catégorie A aux pouvoirs étendus) pour ne faire plus qu’un seul corps, une vieille antienne, les inquiètent. Certaines de leurs craintes ont été confirmées par le CNIT, les “sages” de l’Inspection du travail (comme ici ou là) qui ont demandé au ministère de revoir sa copie. Notamment le coup qui pourrait être porté à l’indépendance des contrôleurs et inspecteurs. Garantie par la convention 81 de l’Organisation internationale du travail (OIT), elle place ces deux corps de la fonction publique accessibles uniquement par concours à l’abri « de tout changement de gouvernement et de toute influence extérieure indue ».

Or la disparition des sections au profit d’unités de contrôles de 8 à 12 agents encadrés par un DUC dans la novlangue du ministère, un supérieur hiérarchique, qui, nouveauté, aurait lui aussi des pouvoirs de contrôle dans les entreprises, pourrait menacer leur indépendance et signer la fin de leur autonomie. « Jusque-là, explique Yann Dufour, membre du bureau national de la section “travail” de la CGT, une section (un inspecteur, deux contrôleurs, deux secrétaires intervenant en toute indépendance, dans un secteur géographique délimité) s’organisait comme elle le voulait, selon les opportunités, les urgences et les demandes des salariés, sans supérieur hiérarchique au-dessus d’elle ».

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Avec la nouvelle réforme qui coupe les agents des usagers en accentuant la programmation de leur activité en amont, c’est fini. « Les missions seront définies par le haut, par les exigences de la hiérarchie qui dictera  »quand il faut y aller”, avec le risque d’une inspection affaiblie dans la lutte contre les abus des employeurs, poursuit Yann Dufour. On a tous expérimenté des pressions patronales sur des dossiers sensibles au travers de notre hiérarchie partagée entre l’accompagnement et le contrôle des entreprises. Elle est là pour promouvoir la politique de l’emploi du gouvernement, vendre les emplois d’avenir, les contrats de génération. En temps de crise, de chômage et de licenciements massifs, elle préfère parfois fermer les yeux sur une infraction au code du travail pour ne pas se mettre à dos des patrons qui répliqueraient par du chantage à l’emploi. »

Pierre Meriaux du SNU-TEFE-FSU va plus loin, comparant le sort réservé par la gauche aux inspecteurs du travail à celui des juges d’instruction sous la droite : « Sarkozy a tenté de flinguer les juges d’instruction trop indépendants et il n’y est pas arrivé. Hollande va dézinguer les inspecteurs du travail pour les mêmes motifs, pour répondre aux demandes du patronat car il est devenu le président des entreprises, et il va réussir sans que personne s’alarme de ce nouveau recul social. » Conscient lui aussi, en trente ans d’inspection qu’en temps de chômage record, priorité est donnée par la hiérarchie à l’emploi plutôt qu’au contrôle de la bonne application du droit du travail.

Au ministère, ces craintes prêtent à sourire. « Le risque d’une perte d’indépendance est un élément fantasmatique. On est dans le délire. La convention de l’OIT sera respectée. Le DUC n’a qu’un rôle d’animateur pour que les agents jouent plus collectif. Il y a 750 sections actuellement en France et personne au-dessus d’elles n’assure leur coordination. Ce n’était pas efficace. »

On pointe aussi une frange de la corporation, « militante du statu quo qui n’aime pas le changement, plus attaché à son autonomie, son fonctionnement de profession libérale qu’à son indépendance ». Avant de vanter au contraire cette réforme du « ministère fort » qui « va révolutionner enfin l’inspection du travail française, fondre en un seul corps contrôleurs et inspecteurs, l’un des rares pays d’Europe en retard, et faire face aux enjeux d’un monde du travail qui s’est complexifié ». Une réforme acceptée « par la moitié des agents », tient-on à préciser, « en particulier, par les jeunes générations », ce que contestent les syndicats.

Des nouveaux pouvoirs ou des pouvoirs conformes aux exigences du patronat ?

Autre inquiétude des agents et des syndicats de l’inspection du travail : l’inexorable dépénalisation du droit du travail qui a cours en France, en raison de l’obsession du patronat d’échapper aux bancs des délinquants des tribunaux correctionnels, et ne plus voir le nom d’une entreprise affichée dans les journaux. À l’heure actuelle, les inspecteurs qui constatent des infractions ne peuvent que recourir à la voie pénale. Or, la moitié des procédures sont classées sans suite et celles qui aboutissent requièrent en moyenne deux ans. Le ministère souhaite donc que les agents puissent aussi imposer des sanctions administratives et financières plus immédiates. Il envisage également de recourir aux ordonnances pénales (procédures sans audience avec un juge au lieu de trois) pour accélérer les procédures. Sur le papier, c’est plutôt une avancée, gage de rapidité quand les tribunaux sont engorgés.

Mais plus que des nouveaux pouvoirs, les opposants à la réforme voient là « des pouvoirs conformes à la volonté du patronat », « une forme de nouveau cadeau de François Hollande au Medef en toute discrétion » après l’accord sur la flexibilisation du marché du travail il y a un an ou la suppression des prud’hommes à venir. Aujourd’hui, les agents de contrôle peuvent demander directement à l’employeur de régulariser des situations d’infractions (paiement d’heures supplémentaires, mise en conformité d’équipements de travail, etc.). Ils peuvent également, s’ils le jugent utile et efficace, relever les infractions constatées par voie de procès-verbal, les adresser au procureur de la République, qui va choisir s’il poursuit les auteurs des infractions considérées ou pas.

© @dr

« Demain, l’autorité administrative, c’est-à-dire le directeur régional du travail, qui n’a rien d’indépendant, pourra transiger avec les contrevenants pour des contraventions et délits punis d’une peine d’emprisonnement inférieure à un an – ce qui constitue une énorme part des peines prévues en cas d’infractions. Cela signifie, très concrètement, que le directeur régional proposera aux employeurs une amende transactionnelle pour régler le litige : pas de passage en correctionnelle pour le patron délinquant ! » s’alarme Benoît Verrier, inspecteur du travail et syndicaliste Sud.

Une accusation que le ministère réfute en bloc : « Le régime des sanctions ne change pas. Les agents continueront à signaler au procureur les infractions qui relèvent du pénal. Ce dernier donnera suite ou pas. Mais plutôt qu’un classement sans suite, nous préférons une sanction financière. » « Il vaut mieux une sanction six mois après les faits que trois ans. Cela n’a pas de sens. Notre organisation ne tenait plus. Il fallait une révolution », abonde un directeur régional du travail sous couvert d’anonymat.

Sur son blog (ici et), Gérard Filoche, membre du bureau national du parti socialiste, et ancien inspecteur du travail – qui a marqué les esprits en avril dernier avec ses larmes de colère après les aveux de Jérôme Cahuzac et la signature de l’accord sur l’emploi “flexibilisant” un peu plus les salariés –, partage les mêmes craintes que la majorité du corps de l’inspection. Il voit dans cette réforme « la mort d’un métier, d’une institution, une cassure historique ». « C’est triste, écrit-il, de voir tant de compétences, d’expérience du droit du travail et des entreprises, bafouées et méprisées de la sorte. Et par un ministre de gauche que toute l’inspection attendait. C’est aussi la fin de la défense du droit du travail pour des millions de salariés. C’est pour cela que les agents sont médusés et dans une colère noire. »

Au moment même où le monde du travail va de plus en plus mal, où salariés et syndicalistes ont besoin de ces garants du code du travail honnis des patrons dans les entreprises, le plan Sapin vient accentuer le malaise et le mal-être qui règnent dans les services. Malmenés par la RGPP (la réforme générale des politiques publiques), puis la MAP, « la RGPP de gauche », essorés par l’avènement du « faire mieux avec moins », la pression des chiffres, impuissants devant le démantèlement du code du travail depuis trente ans, dont le dernier grand coup fut porté avec l’accord sur l’emploi il y a un an, les agents du ministère du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle sont à cran.

Sous pression, ils alertent régulièrement sur leurs conditions de travail qui ne cessent de se dégrader au fil des années faute de moyens suffisants, d’effectifs, de pouvoirs. « Le suicide de deux de nos agents, Luc Béal-Rainaldy et Romain Lecoustre (reconnus accident du travail), en 2011 et 2012 est encore dans toutes les têtes. Cette nouvelle réorganisation pathogène ne peut qu’engendrer ce type de drames, des dépressions, des suicides tout en détruisant un service public de proximité important pour les salariés, les précaires », lâche une inspectrice sous couvert d’anonymat.

Elle craint d’être désormais « cantonnée par sa hiérarchie à l’emploi, l’hygiène et la sécurité, qu’on lui demande de laisser de côté les salaires, les conventions collectives, la protection des délégués, la durée du travail, tout ce qui fait le quotidien de l’exploitation des salariés ». Et comme nombre de ses pairs de la fonction publique, acquis à la gauche, elle regrette amèrement d’avoir voté François Hollande aux deux tours : « Ce n’est pas le président des salariés mais des patrons. »

Une désillusion criante dans les services de l’inspection du travail, où la promotion du jour de l’an de la Légion d’honneur (à retrouver ici) de Michel Sapin n’est pas passée inaperçue. Aucun syndicaliste, seuls des hauts gradés de l’administration, des DRH ou des chefs d’entreprise, ont été promus. « On ne s’attendait pas à y retrouver Xavier Mathieu, le leader des Continental, mais quand même, pour une promo de ministre de gauche ! » se désole un vieux routier de l’inspection et du syndicalisme, qui voit là « une nouvelle preuve du virage pro-patronal » du gouvernement socialiste.

URL source: http://www.mediapart.fr/journal/france/130114/le-plan-sapin-affole-linspection-du-travail

Les bobards de l’année

De l’immigration au mariage pour tous, du débat sur les Roms au «ras-le-bol fiscal», de l’opération dédiabolisation du Front national à l’inversion tant annoncée de la courbe du chômage… une année de politique, c’est aussi une année d’intox.

Depuis 2008, la rubrique Désintox s’escrime à traquer les bobards, petits et grands, que la classe politique, tous bords confondus, ne peut s’empêcher de débiter à longueur de discours, d’interviews et de débats. Les grands leaders sont évidemment toujours les plus ciblés, mais la multiplication des émissions politiques, notamment sur les chaînes d’information en continu, fait aussi émerger de nouvelles figures, moins connues mais pas moins sujettes à l’intox.

2013 n’a évidemment pas échappé à la règle et, d’Olivier Besancenot à Marine Le Pen en passant par François Hollande, Jean-François Copé, Jean-Luc Mélenchon et quelques nouvelles têtes comme Guillaume Peltier, Florian Philippot ou Najat Vallaud-Belkacem, nos politiques ont rivalisé de mensonges plus ou moins gros, plus ou moins osés, plus ou moins absurdes. Désintox les a rassemblés, bien mélangés, bien secoués… il en ressort ce best-of où pirouettes, ommissions et mauvaise foi font bon ménage. Vivement 2014.

Cachez ce chômage..

A force de prédire l’inversion d’une courbe du chômage qui n’a presque jamais cessé de croître (lire pages 16-17), la gauche a bien été obligée de faire diversion. En mars, le patron des députés PS, Bruno Le Roux, avait mis ces mauvais chiffres sur le dos de plans sociaux décidés sous Nicolas Sarkozy. Problème : en janvier 2013, les licenciements économiques ne représentaient que 2 à 3% des nouveaux chômeurs, un chiffre habituel, contre 25% pour les fins de CDD et 6% pour les fins d’intérim…

En mai, c’est Michel Sapin, le ministre du Travail, qui prenait le relais en affirmant que, s’il y avait environ 1 000 chômeurs supplémentaires par jour – chiffre souvent brandi par la droite -, ce n’était pas depuis l’élection de François Hollande, mais depuis cinq ans… Certes, en février 2008, Pôle Emploi avait enregistré un niveau de chômage historiquement bas, avec moins de 2 millions d’inscrits. Mais depuis, si la hausse a été continue – aujourd’hui, plus de 3 millions -, elle ne s’est pas faite à vitesse constante… A l’époque où Sapin s’emporte, on comptait environ un millier de nouvelles inscriptions par jour depuis mai 2012. Mais, sur les quatre années précédentes, et donc sous Sarkozy, on n’en comptait «que» 620.

En octobre, Najat Vallaud-Belkacem faisait mieux en assurant que c’est le gouvernement socialiste, dont elle est la porte-parole, qui a inversé la tendance en passant de 1 000 à 250 chômeurs par jour depuis l’élection de Hollande. Un chiffre qui n’est vrai que… depuis mars 2013.

A lire pour en savoir plus : Bruno Le Roux charge les plans sociaux / Sapin compte 1 000 chômeurs par jour depuis… cinq ans / 250 chômeurs par jour, le doux rêve de Najat Vallaud-Belkacem

Roms et Schengen, la grande intox

Voilà une intox qui mérite, haut la main, la palme du plus gros bobard de l’année. Pendant plusieurs semaines, à l’automne, tout le monde l’a répétée en boucle, du Front national au gouvernement en passant par les journalistes. En plein débat sur les Roms, les uns et les autres brandissaient le même spectre : celui d’une entrée, au 1er janvier 2014, de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’espace Schengen, et donc, plus ou moins sous-entendu selon les voix, d’un déferlement de Roms en France à cette date. Le mensonge est à tous les étages.

D’une part, l’entrée de ces deux pays dans l’espace Schengen n’est absolument pas prévue pour le 1er janvier  : aucune date n’a pour l’heure été fixée, et elle pourrait même ne jamais avoir lieu. D’autre part, si, à l’avenir, ces deux pays entrent bien dans Schengen, cela ne changera rien à la liberté de circulation des Bulgares et des Roumains. Ceux-ci, Roms ou pas, sont déjà libres d’aller et venir au sein de l’Union européenne depuis que ces deux Etats y ont adhéré, en 2007, au même titre qu’un Français est libre de se rendre dans ces pays – avec la même contrainte : celle, au bout de trois mois, d’avoir trouvé un travail rémunéré pour pouvoir y rester.

En fait, si la date du 1er janvier 2014 a ainsi été brandie, c’est parce qu’elle verra la fin de certaines restrictions à l’entrée sur le marché du travail français des Roumains et des Bulgares. Mais il existait déjà de nombreuses procédures simplifiées, et il n’y a donc absolument aucune raison d’y voir le risque d’un déferlement massif de Roms.

A lire pour en savoir plus : Roms, libre circulation des contrevérités

Mariage et mensonges pour tous

Mariage pour tous contre manif pour tous… L’ouverture du mariage aux homosexuels, effective depuis mai, a tellement fait parler que le débat ne pouvait s’exonérer de quelques intox bien senties. Fervent opposant à cette loi, Henri Guaino s’indignait ainsi que l’on puisse «dénaturer» le mariage, une institution qui unirait les hommes et les femmes et réglerait les problèmes de filiation depuis 200 000 ans, c’est-à-dire depuis… l’apparition de l’homo sapiens. Le député UMP avait visiblement mal lu les anthropologues et archéologues sur lesquels il prétendait s’appuyer : ceux-ci parlent plutôt de 6 000 ou 7 000 ans, c’est-à-dire lorsque les hommes se sont sédentarisés et que les religions révélées sont apparues. Et bien malin celui qui peut dire quelle était la règle, en termes d’union, il y a 200 000 ans…

Intox plus classique, mais non moins absurde, du côté de Bruno Gollnisch. Le député européen du Front national cherchait lui à dénoncer les conséquences de ce projet sur l’adoption : «Soit un couple d’homosexuels masculin : l’un d’eux a quitté sa femme, a un enfant, et on le fait adopter par le compagnon homosexuel. Il est évident qu’en permettant cette adoption on contribue à rompre les liens avec la mère.» Du grand n’importe quoi, car ce genre d’adoption ne peut exister qu’à deux conditions : soit la mère est décédée ou a abandonné son enfant ; soit elle aura explicitement donné son accord sans pour autant renoncer à ses propres droits parentaux. Bref, soit les liens avec la mère demeurent, soit ils ont déjà disparu…

A lire pour en savoir plus : Henri Guaino convoque la préhistoire contre le mariage pour tous / Bruno Gollnisch, les gays et l’adoption

Quand le Front national réécrit son histoire

Pas d’extrême droite, le Front national ? En 2013, les cadres en charge de l’opération «dédiabolisation» ont décidé de réécrire les origines du parti. A la recherche d’une crédibilité économique, Marine Le Pen n’a pas hésité à renier la ligne libérale portée par son père pendant trente ans : «Nous n’avons jamais été pour des privatisations massives. Ça, c’est n’importe quoi.» Certes, en 2012, le FN en campagne avait opté pour une «gauchisation» de son programme économique, en dénonçant les pertes d’effectifs dans le service public, les privatisations massives et le gel des salaires. Mais si dans les années 70-80 le FN était un joyeux gloubi-boulga idéologique, Jean-Marie Le Pen s’affichait clairement néolibéral et antifiscaliste, avec pour modèle Ronald Reagan. Une ligne qui sera tenue jusqu’en 1995, lorsque le parti décide d’aller draguer un nouvel électorat : les ouvriers et les employés.

Plus osé, en octobre, la présidente du FN refuse d’admettre qu’à sa création le parti réunissait tout l’éventail de l’extrême droite. Elle va même jusqu’à affirmer que, en 1972, le parti nouveau-né avait recruté parmi les résistants de 1939-1945. Sauf qu’à l’époque le groupuscule néofasciste et raciste Ordre nouveau représentait la moitié des adhérents et bon nombre des dirigeants, parmi lesquels François Brigneau. A la tête du FN, on trouve aussi d’anciens SS comme Pierre Bousquet, et le député poujadiste Jean-Marie Le Pen. Et, s’il y a bien eu quelques résistants inscrits au FN (Roger Holeindre, Michel de Camaret, George Bidault – l’ex-président du Conseil national de la résistance est resté une semaine seulement), ils ont toujours été très minoritaires.

A lire pour en savoir plus : Marine Le Pen enterre le libéralisme à papa / Marine Le Pen tente de nettoyer le FN à la racine

Immigration : un flux de contre-vérités

A l’UMP, le discours des tenants d’une ligne dure sur l’immigration est rodé : la France est un eldorado pour étrangers. Quitte à s’arranger avec la vérité pour les besoins du récit. Ainsi, selon Jean-François Copé, les étrangers irréguliers seraient des privilégiés en matière de santé : les 220 000 bénéficiaires de l’Aide médicale d’Etat (AME) seraient seuls à avoir une couverture minimum gratuite. Or 4,5 millions de Français et d’étrangers en situation régulière bénéficient de la CMU-c, un équivalent de l’AME en mieux… Le président de l’UMP s’indigne aussi que le versement du RSA ne dépende d’aucun «minimum de présence sur le territoire». En réalité, il faut justifier d’un titre de séjour depuis au moins cinq ans.

Même refrain avec le député Hervé Mariton, pour qui un étranger n’aurait qu’à rester quelques mois en France pour toucher le minimum vieillesse ; une antériorité de résidence de dix ans est en réalité requise depuis 2011. Conséquence de ces supposées largesses : à en croire Brice Hortefeux, la France serait le pays d’Europe accueillant le plus d’immigrés. Or, quels que soient les indicateurs choisis, la France arrive derrière ses voisins – Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni.

Le FN n’est pas en reste : pour Marine Le Pen, 95% des étrangers qui vivent en France n’y travaillent pas. Or, en 2010, 59% des immigrés de plus de 15 ans et originaires d’un pays hors UE étaient en activité, contre 57% pour les non-immigrés.

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La bourrique de l’année

Le 3 juillet, Pierre Gattaz succédait à Laurence Parisot à la tête du Medef. Depuis, le nouveau patron des patrons le répète à chaque sortie : il faut que les charges sur les entreprises baissent de 100 milliards d’euros. Mais au lieu d’assumer ce chiffrage made in Medef, Gattaz clame qu’on le retrouve dans les textes du FMI, de l’OCDE, de la Cour des comptes et même dans le rapport Gallois. Evidemment, ce montant n’est dans aucune de ces publications ; et Louis Gallois – qui avait préconisé, dans son rapport d’il y a un an, une baisse de 30 milliards ramenée à 20 par le gouvernement – a même récemment considéré que cette requête n’était «pas très réaliste». Pas de quoi empêcher Gattaz de continuer à seriner son chiffre.

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Impôts : c’est pas nous, c’est eux !

En quête d’unité, l’UMP s’est au moins trouvé un sujet de consensus cette année : le «ras-le-bol fiscal». Quitte à user de ficelles un peu grosses, en oubliant par exemple les hausses d’impôts qu’elle a elle-même votées… Au printemps, Jean-François Copé pointait ainsi la baisse historique du pouvoir d’achat des Français enregistrée par l’Insee en 2012 et en imputait la responsabilité personnellement à François Hollande et à sa folie des impôts. Pas de chance : dans sa note, l’Insee avait détaillé les mesures fiscales qui avaient grevé le pouvoir d’achat. Et l’on y retrouvait 10 milliards d’euros de hausse d’impôts votées à la fin du quinquennat Sarkozy, contre seulement 4,1 milliards sous la présidence de François Hollande…

Pas de quoi décourager l’UMP. A l’automne, un chiffre a circulé dans les bouches des responsables de l’opposition, et même sur un tract : en dix-huit mois, la gauche aurait été responsable d’une hausse d’impôts de 50 milliards – 55 dans certaines versions. Un chiffrage fantaisiste. En réalité, entre l’élection de Hollande et la fin 2013, les impôts ont augmenté d’environ 30 milliards, le même montant que la hausse d’impôts décidée dans les dix-huit derniers mois du mandat de Sarkozy. Le hic est donc sur les 20 milliards restant : c’est selon l’UMP l’augmentation à venir en 2014, obtenue en oubliant par exemple les 10 milliards d’exonération d’impôts pour les entreprises. Le chiffre attendu est en réalité de 3 milliards d’euros de hausse. Moins spectaculaire.

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Cédric MATHIOT, Baptiste BOUTHIER, Sarah BOSQUET et Amélie MOUGEY