Présentation orale de la matinée de la journée d’étude : Nathalie TEHIO, 13 octobre 2018
13 octobre 2018 – LDH
Présentation orale de la matinée de la journée d’étude : Nathalie TEHIO
Nous avons le plaisir d’accueillir Jérémie GAUTHIER, qui nous fait l’amitié de venir de Strasbourg où il enseigne la sociologie à l’université et dont le livre co-signé avec Fabien JOBART (« Police : questions sensibles ») est paru en janvier 2018 ;
et Didier JOUBERT, commissaire général, chargé de mission auprès du directeur central de la sécurité publique.
Par son parcours professionnel, il a eu la chance d’avoir une vision globale de l’ensemble des pratiques policières sur le territoire national à travers les structures d’état-major et il a mis cette expérience à profit dans le cadre d’une thèse universitaire en droit sur le thème de : « Libertés, droit, désordres : les violences émeutières dans l’espace urbain, dynamique des phénomènes et organisation de la réponse sociale ».
Pénaliste de formation, je voudrais interroger le droit, les normes mais aussi la jurisprudence pour comprendre ce que doit être une police dans une démocratie.
Une démocratie exige tout d’abord que des garanties légales soient prévues contre l’arbitraire. Et plus une mesure est contraignante ou intrusive par rapport à la vie privée et plus elle doit être encadrée et prévoir des garanties.
C’est le cas pour les contrôles d’identité, le contrôle du titre de séjour des étrangers (CESEDA) la palpation de sécurité (CSI), la fouille (de ses vêtements ou de ses effets), la vérification d’identité au poste, l’interpellation, voire même la garde à vue qui, étant une mesure de privation de liberté, est la plus encadrée.
Ensuite, l’Etat de droit impose l’existence de recours à un juge : il faut que les personnes qui ont fait l’objet d’une mesure policière, disposent d’un recours effectif devant un juge. C’est une garantie essentielle : c’est le juge qui va contrôler si le policier (ou le gendarme) a respecté la loi.
Qu’en est-il ?
S’agissant des règles tout d’abord.
Je vais me limiter aux grands principes, notre devise républicaine, par exemple : Liberté, égalité, fraternité.
1/ Dans une démocratie, la liberté est le principe ; la contrainte policière doit donc être l’exception et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 précise même : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi » (article 9).
Les révolutionnaires se battaient contre les « lettres de cachet » du Roi, symbole de l’arbitraire, et contre la possibilité d’embastiller (14 juillet).
Les policiers doivent donc agir avec mesure et discernement.
S’agissant des contrôles d’identité, le Conseil constitutionnel a rappelé dès 1993, qu’ils ne devaient pas être généralisés, car il en résulterait une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et de venir de tout un chacun et il a donné mandat au juge judiciaire pour le vérifier. (1993 = Pasqua au ministère de l’intérieur, date des premières modifications de l’article 78-2 CPP pour élargir les possibilités de contrôles d’identité).
2/ Après la liberté, l’égalité entre les citoyens : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » (article 1er de la Déclaration de 1789). Article 1er de la Constitution : La France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Le code de déontologie de la police et de la gendarmerie (inséré dans le code de la sécurité intérieure) rappelle cette exigence à propos d’actes précis :
R. 434-16 : « Lorsque la loi l’autorise à procéder à un contrôle d’identité, le policier ou le gendarme ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler, sauf s’il dispose d’un signalement précis motivant le contrôle.
Le contrôle d’identité se déroule sans qu’il soit porté atteinte à la dignité de la personne qui en fait l’objet ». Rappel de la nécessité du vouvoiement, par ex.
Dans une affaire où un contrôle d’identité avait été pratiqué sur réquisition du Procureur dans un lieu donné visant les infractions de stups et terroristes, que le policier avait ainsi motivé : « individu de type nord-africain », la Chambre criminelle de la Cour de cassation a bien évidemment annulé les poursuites en découlant.
Cf Salah Abeslam en fuite vers la Belgique : 2 contrôles d’identité et au 2ème il a donné son adresse à Molenbeck ! Si on ne sait pas qui on cherche, on ne risque pas de trouver l’assassin ! Il n’est pas écrit sur la tête des gens : « terroriste » !
La Cour de cassation a validé la condamnation d’un gendarme pour le délit d’atteinte arbitraire à la liberté individuelle par dépositaire de l’autorité publique : sur directive du préfet, il avait emmené au poste un syndicaliste, prétendument pour une vérification d’identité, et l’avait retenu tout le temps du passage en ville de M. Sarkozy, alors président de la République. Il s’agissait d’empêcher ce syndicaliste de manifester ses opinions sur la réforme des retraites.
Et dans le livre de M. Gauthier, il est expliqué par l’avocat qui a engagé la responsabilité de l’Etat pour des contrôles d’identité au faciès, c’est-à-dire discriminatoires comment la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a innové en facilitant la preuve de la discrimination : elle s’est fondé sur les travaux du CESDIP prouvant l’existence de tels contrôles (en général) et a admis qu’il suffise pour un contrôle en particulier d’apporter la preuve d’éléments suffisants étayant cette accusation pour obtenir réparation, à moins que l’Etat n’apporte la preuve contraire, c’est-à-dire l’existence d’un motif non discriminatoire.
Il existe donc un ensemble de règles tant de procédure pénale qu’administrative pour encadrer le pouvoir de la police.
Ensuite, l’Etat de droit implique d’avoir accès à un juge.
Les mesures les plus contraignantes doivent être contrôlées dès le début par un magistrat (c’est le cas de la garde à vue) mais il est évident que pour des mesures assez peu contraignantes, un contrôle a posteriori par le juge est normalement suffisant.
Tout le système de garanties par le code de procédure pénale repose, pour être effectif, sur la sanction de l’annulation.
Certes, elle intervient après, mais elle est censée avoir un effet dissuasif pour les policiers, donc de protection du citoyen.
Aucun policier, ni aucun magistrat n’a le temps ni l’envie d’effectuer du travail qui va être annulé ensuite, parce que les garanties procédurales n’ont pas été respectées.
Du coup, le policier va respecter les règles : cf. film policier où attente dans la voiture 6h pour perquisition.
En principe, cela fonctionne.
Mais il suffit de lire le rapport de l’ACAT sur les violences policières, les avis du Défenseur des droits ou de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (cet après-midi) pour comprendre que le droit ne permet pas d’enrayer les dérives.
En-dehors même des contrôles d’identité au faciès, des palpations sont subies dans des conditions tout à fait contraires à la dignité, voire violentes (cf l’affaire Théo), des interpellations sont effectuées avec une violence complètement disproportionnée.
Violences qui peuvent même concerner des citoyens simplement parce qu’ils sont contestataires (manifestants par ex. ; jeunes lycéens en réunion au lycée Arago, par ex., la LDH a ouvert à ce propos une commission d’enquête), alors même que les policiers sont de toute façon protégés par les infractions d’outrage et de rébellion.
Le rappeur MHD a diffusé le 5 octobre dernier une vidéo où on voit son frère être tabassé par des policiers dans ce qui semble être un contrôle de sécurité (rue Simon Bolivar 19ème).
Rien qu’en 2018, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France en 2018 dans 3 affaires (interpellation par technique du « pliage » d’un homme de 69 ans en état d’ivresse : il en est mort ; tir mortel sur une voiture en fuite tuant le passager ; condamnation de la France à payer 6,5 M d’euros à M. Ghedir, pour violation du droit à la vie et de l’interdiction de traitements inhumains du fait d’avoir, lors d’une intervention, fait usage de la force de façon disproportionnée, le laissant lourdement handicapé).
Donc, les sanctions existantes ne fonctionnent pas, ne permettent pas d’arrêter ces pratiques indignes d’une démocratie.
3/ Pourquoi ?
Il existe des raisons juridiques.
Depuis 2004, les lois successives dans le sens de toujours plus de pouvoir discrétionnaire aux policiers et toujours plus de contrôle de la population (et je m’inquiète de la future amende délictuelle pour usage de cannabis, qui laisse la porte ouverte au discrétionnaire policier). Les contrôles d’identité sont facilités par des lois permettant des contrôles aléatoires…qui favorisent le contrôle au faciès (cf. les élèves ciblés de retour d’un voyage scolaire à gare du Nord). Et il n’y a pas de traçage de ces contrôles s’ils ne débouchent pas sur des poursuites.
Les ligueurs doivent ainsi lutter avant l’adoption des lois, et après, œuvrer pour obtenir leur abrogation ou leur modification.
Une autre raison : Parce que l’annulation ne peut être prononcée que si on la demande au juge judiciaire et on ne peut la demander que si on est partie à un procès : donc, il faut être poursuivi.
La plupart des contrôles d’identité ne débouchent sur aucune poursuite, donc ne sont pas vérifiés par un juge.
Pour le contrôle du titre de séjour d’un étranger en situation irrégulière : ce n’est que s’il est placé dans un centre de rétention plus de 48h que le juge judiciaire va intervenir (cf. article 66 le juge judiciaire est gardien des libertés individuelles).
Avant 48 h, on ne peut saisir que le juge administratif, qui s’estime incompétent pour vérifier si le contrôle d’identité effectué respecte ou non les règles de procédure pénale. On a ainsi le temps de renvoyer les gens chez eux même si le contrôle a été irrégulier. (Changement de la loi pour rendre compétent le juge adm ?)
L’immense majorité des contrôles d’identité échappe donc à tout contrôle d’un juge : il n’y a pas de recours effectif.
4/ Mais pourquoi les forces de l’ordre ne s’autocensurent pas ?
Les policiers et gendarmes apprennent lors de leur formation les obligations du code de déontologie et, qu’en démocratie, force doit rester à la loi !
Que s’ils reçoivent un ordre manifestement illégal d’un supérieur hiérarchique : ils doivent désobéir !
Alors pourquoi ?
Et c’est la raison pour laquelle nous devons nous devons nous tourner vers les sociologues pour comprendre ces pratiques policières : quels sont leurs enjeux, quel type de population elles concernent, comment ces pratiques sont perçues par la population en général et celle ciblée et quelles conséquences en termes de légitimité de l’action policière peuvent-elles avoir ?Sur la coopération de la population au travail policier par exemple.
Ensuite, nous avons besoin de savoir si, au sein de l’Etat, en l’occurrence du ministère de l’intérieur, l’institution s’inquiète ou non des dérives : que prévoit-elle pour y remédier ?
Comment est-ce perçu de l’intérieur ? Comment les policiers vivent cette sorte de schizophrénie : on leur dit de respecter la loi, mais celle-ci leur laisse toujours plus de pouvoir discrétionnaire, comme une invitation à faire usage de la force mais ils risquent des sanctions si la preuve est rapportée qu’ils l’ont fait sans nécessité…Je me pose la question si le taux très élevé de suicide de policier ne serait corrélé à la perte de sens de leur métier…
Nous nous tournerons donc vers M. Joubert : il ne parlera qu’en son nom propre et non au nom de l’institution mais il pourra nous éclairer sur ces questions.
Pour conclure, la devise républicaine parle aussi de « Fraternité » (le CC vient de lui donner un contenu juridique dans une décision de mars 2018 à propos du « délit de solidarité », obtenue grâce à l’action de la LDH).
La journée d’étude s’intitule « police-citoyens : un enjeu pour la démocratie » et n’emploie pas le mot neutre de « population » car nous sommes solidaires, en fraternité avec tous ceux qui, citoyens ou non, étrangers en situation régulière ou non, sont en butte à des agissements policiers qui contreviennent à la démocratie.
Nous voulons agir et pour cela, il faut d’abord comprendre ce qui est en jeu.
Quelques textes sur la légitime défense et sur l’usage des armes par les policiers et les gendarmes :
Article 122-5 du code pénal :
« N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.
N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction ».
Article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure (Créé par LOI n°2017-258 du 28 février 2017 – art. 1) :
Dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent, outre les cas mentionnés à l’article L. 211-9, faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée :
1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui ;
2° Lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu’ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées ;
3° Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s’arrêter, autrement que par l’usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;
4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;
5° Dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsqu’ils ont des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes.