Le maire Louis Aliot est-il impliqué dans ce qui s’apparente à une censure ? Nous ne le saurons jamais.
Publié dans l’Indépendant le 21/09/2023
Pendant plus de dix ans, le photojournaliste catalan Jordi Borràs a travaillé sur les mouvements d’extrême droite en Europe au XXIe siècle. Il en a notamment fait un livre publié dans plusieurs langues, « Toutes les couleurs du noir » (chez Ara Llibres en 2022), et une exposition au Palau Robert de Barcelone en février 2023. Ses clichés ont été sélectionnés pour être projetés un soir au Campo Santo pendant la 35e édition de Visa pour l’Image. Mais la suppression de ses photos sur le Front National, dans une ville aux mains du Rassemblement National, l’a poussé à écrire une tribune pour dénoncer cet état de fait. Le fondateur et président du festival Jean-François Leroy réplique : « C’est une polémique débile et stérile. »
Photojournaliste free-lance et reporter dont le travail a été mis en lumière lors de ce 35e Visa pour l’Image, Jordi Borràs n’a jamais autant assumé son indépendance de regard et d’expression. Ce lundi 18 septembre 2023 dans une tribune qu’il a signée dans le média web catalan Nacio digital, militant pro-indépendance, il dénonce le retrait de ses photos sur le Front National le soir de sa projection sur les extrêmes droites en Europe. Sans parler de censure, ce qu’il trouve regrettable c’est la diffusion « d’un travail incomplet » décidé « de manière unilatérale. » Pourtant, « l’extrême droite existe. L’extrême droite est bien en France. En France, elle a été représentée par le Front National puis le Rassemblement National… »
Les trois photos de Marine Le Pen en meeting à Marseille affaiblissaient le sujet
Le mardi 5 septembre au soir, installé dans les gradins du Campo Santo, quelle ne fut pas la stupéfaction de Jordi Borràs. « L’incrédulité plutôt. Tout un mélange de sentiments en réalité », consent-il. Trois photos. Sur une cinquantaine de sélectionnées pour « Toutes les couleurs du noir. L’extrême droite au XXIe siècle », il n’y avait que trois photos sur le Front National dans son photoreportage. Aucune d’entre elles n’est apparue sur grand écran. « Sur le moment, nous n’étions pas sûrs de ce que nous avions vu avec mes collaborateurs, partage celui qui est aussi auteur de livres. Il n’y avait vraiment rien eu sur la France ? Sur l’Espagne, la Lettonie, la Pologne, l’Allemagne, la Suisse, oui. Mais rien sur la France ? Comme nous avions filmé la projection, on se l’est repassée. Ça a confirmé ce que l’on pensait. » Lui qui était « si content de participer à ce grand festival après plusieurs tentatives » a déchanté : « J’ai été déçu. Oui en France, il y a le Front national. Ce n’est pas rien. C’est évident. » « Les gens qui me connaissent savent très bien que je couvre le sujet de l’extrême droite partout. Personne n’a pensé que je l’avais oubliée en France. Cette omission est le fruit de la direction du festival Visa pour l’Image, se justifie le quadragénaire. Ce qui est grave, c’est que personne ne me l’a dit. »
« J’assume totalement, défend le fondateur et directeur de Visa pour l’Image, Jean-François Leroy. On ne montre pas en avance les sujets que l’on va projeter. Jordi Borràs a fait un excellent travail en profondeur sur l’ultra droite en Europe, violente et tatouée. Et les trois pauvres photos de Marine Le Pen en meeting à Marseille affaiblissaient le sujet. Il n’y a pas de censure et encore moins de complaisance. On ne peut pas me soupçonner de collusion avec le Front National… » « Quand j’ai su que j’avais été sélectionné pour être projeté à Visa avec le thème de l’extrême droite et la présence du Front National sur des photos, j’ai accueilli cela comme un acte de vaillance. Je l’ai fêté », confie Jordi Borràs. Celui-ci ne comprend toujours pas l’absence d’expositions à Visa du 1er octobre 2017 en Catalogne, jour du référendum d’autodétermination où des violences ont éclaté, et où selon lui « les meilleurs photojournalistes au monde étaient présents. » « Dans une ville comme Perpignan dirigée par Louis Aliot du Rassemblement National, mes photos sont un acte de revendication de la démocratie et de la justice. » « C’est une polémique débile et stérile », clôt Jean-François Leroy.
« Je voulais montrer que l’extrême droite, aussi protéiforme soit-elle, est un virus international, argumente encore le membre du groupe de journalistes baptisé « Ramon Barnils ». Ça peut nous infecter partout. Que l’on vive en Hollande, en Pologne ou en France, développe l’auteur des photos. Oublier Marine Le Pen, oublier une figure si importante de l’extrême droite européenne et mondiale, c’est cacher la réalité. Ce n’est pas logique. Elle est très influente. Moi je ne cacherai rien. Et aujourd’hui, je me défends. »
« Un leader messianique. Populiste »
« Pour moi, cette photo est importante. » Jordi Borràs décrypte sa photo de Marine Le Pen, en meeting à Marseille avant le premier tour de la Présidentielle, en avril 2017. L’une de celles qui n’ont pas été projetées au Campo Santo. « Esthétiquement, elle est belle. Mais qu’esthétiquement. Le contenu est clair », annonce celui qui a capté ce moment. Il se justifie : « On y voit Marine Le Pen comme un leader de masse. C’est un leader messianique. Populiste. Qui se laisse embrasser par le peuple. La main qui s’élève du public au premier plan, et celles de Marine Le Pen, semblent bien s’accorder ensemble. Elle est comme une déesse qui se laisse embrasser par ses suiveurs. » Que signifie cette attitude ? « L’attitude qu’adopte Marine Le Pen aurait pu être celle de Bonaparte. Là, elle incarne cette nouvelle extrême droite, celle qui a une idéologie très grande, qui occupe les institutions démocratiques européennes pour dynamiter la démocratie. »