
Rencontre avec Olivier Mannoni mercredi 19 mars 2025 à 19h00 à Antony salle François Molé, place Devedjian – Réservation conseillée auprès de la librairie La Passerelle ou sur le site de l’événement
Traducteur de l’allemand, Olivier Mannoni a consacré dix années à la traduction de Mein Kampf : Historiciser le mal : une édition critique de Mein Kampf. A partir de cette expérience, il a écrit « Traduire Hitler » et « Coulée brune – Comment le fascisme inonde notre langue ». Dans ces deux essais, il alerte sur la dégradation du langage politique qui menace notre démocratie actuelle, tout comme elle avait concouru à l’arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne.
La LDH et la librairie La Passerelle à Antony se sont associées pour inviter Olivier Mannoni le 19 mars dernier. Répondant aux questions des organisateurs, Olivier Mannoni décrit son projet et propose une analyse riche et pertinente du langage politique.
Fallait-il vraiment traduire Mein Kampf ? Quel était votre projet ?
Olivier Mannoni – La question ne se pose pas en ces termes. Le livre avait déjà été traduit en français et publié en 1934 sous le titre Le procès Mein Kampf aux éditions Fernand Sorlot à l’initiative de l’Action française. L’Action française, antisémite et antiallemande, voulait faire connaître en France les intentions d’Hitler. Hitler, lui, ne voulait pas dévoiler ses plans et a fait interdire la diffusion du livre qui doit être pilonné. La LICA (ancêtre de l’actuelle LICRA) va aider l’Action française à en subtiliser 5000 exemplaires pour le diffuser auprès des décideurs, des politiques…
J’ai travaillé pendant 10 ans avec des historiens, des philologues. Notre projet, au-delà d’une simple traduction, visait à réaliser une édition critique pour dénoncer les mensonges et restituer le contexte. Dans Mein Kampf apparaissent les intentions bellicistes d’Hitler, le concept de « Lebensraum ». En revanche, pas d’annonce de ce qui deviendra la Shoah. Lors de sa sortie, le livre est étrillé par la presse, même la presse nazie. Le style est lourd et incohérent. Il s’agit d’un texte monstrueux mais qui a joué un vrai rôle en Allemagne. Il a permis à Hitler de se poser en intellectuel, de prendre la direction de son parti et même de devenir riche grâce aux droits d’auteur ! Le texte est peu lu en Allemagne pour la bonne raison qu’il est très confus et donc illisible. Il s’impose néanmoins comme le livre de la doctrine nazie, centrée autour de la figure du Juif qui tient tous les pouvoirs, tant économique que culturel, et s’infiltre dans la société grâce aux mariages entre juifs et aryennes.
Revenons à la langue…Quels parallèles faites-vous avec l’époque actuelle ?
Olivier Mannoni – La langue est illisible ! Les historiens ont souhaité restituer le livre tel qu’il était, ce qui a abouti à la traduction illisible d’un livre illisible. On peut cependant y trouver des blocs erratiques de haine qui nous donnent des indications sur le fonctionnement du régime. Et c’est là que des parallèles avec notre époque sont possibles. La structure du langage dans Mein Kampf est identique à celle utilisée par Donald Trump. De même, quand Hitler s’attaque au prénom des gens pour les en faire changer, comme cela a été demandé au linguiste Victor Klemperer, comment ne pas penser à Eric Zemmour réclamant que tous les hommes prénommés Mohammed choisissent un autre prénom ?
La langue des nazis se caractérise par la violence et la brutalité, notamment chez Goebbels qui désigne clairement les adversaires de l’Allemagne : les juifs, les chômeurs qui ne retrouvent pas assez vite du travail, les communistes, les socialistes, les professeurs, les artistes… La langue crée également un vocabulaire de la dissimulation destiné à masquer les actions des nazis qui pourraient leur nuire si elles étaient connues. Par exemple l’expression « Partis sans laisser d’adresse »désigne en fait des personnes déportées. Ce vocabulaire de la dissimulation a fonctionné. Un autre exemple pour illustrer le parallèle avec notre époque : aujourd’hui on parlera de « remigration » pour désigner des personnes renvoyées massivement dans leur pays d’origine.
Quand le langage politique a-t-il commencé à déraper dans notre pays ?
Olivier Mannoni – Il faut comprendre qu’à partir d’un certain moment, on décide de ne plus dire les choses mais de jouer avec le langage. Nicolas Sarkozy le premier s’y essaie. Pour contrer le Rassemblement national, il pratique la triangulation en utilisant les mêmes arguments. Il use également d’un vocabulaire violent, pré guerre civile, par exemple les célèbres « Casse-toi, pauvre con », ou « On va nettoyer des quartiers au karcher ». Il fait un grand usage du mot « identité » qui suggère une idée d’ethnie qu’il faudrait défendre. Or, il faut se rappeler que ce concept apparaît en 1940. Il n’est pas un héritage de la Révolution française qui elle, crée la notion de citoyen. Il est issu de Vichy.
Quid des dérapages complotistes ?
Olivier Mannoni – Un tract argumenté, mettant en cause l’augmentation du prix de l’essence a déclenché le mouvement des Gilets jaunes. Très vite, le mouvement a dérapé en raison du conspirationnisme. Autre exemple, pendant le COVID, le général retraité Delawarde, interviewé sur Cnews, évoque une minorité contrôlant la « meute médiatique ». Voulant des précisions, le chroniqueur Claude Posternak insiste : « Qui ? Mais qui ? ». Réponse : « La communauté que vous connaissez bien ». L’expression « Qui ?» est ensuite reprise sur des pancartes lors de manifestations pour désigner implicitement la communauté juive. Le langage politique est parti en morceaux. Il n’y a plus de dialogue démocratique. Or, on constate toujours que le langage précède les actes.
Pouvez-vous faire un focus sur le mot « Liberté » ?
Olivier Mannoni – « On ne peut plus rien dire » entend-on régulièrement à l’extrême-droite ! Détournant le principe de la liberté d’expression, l’extrême-droite utilise la diffamation pour tuer politiquement certaines personnes et souhaiterait ne pas être inquiétée pour cela. Pour l’extrême-droite, l’État de droit n’a pas à encadrer la force. C’est une négation de la République. Quand Donald Trump proclame « La loi fédérale, c’est moi », l’attaque passe par le langage. La parole ouvre les portes vers le pire.
Quel serait selon vous le discours adéquat pour contrer ces dérives langagières et les actes pouvant en découler ?
Olivier Mannoni – On peut déjà dénoncer cette dérive et s’en indigner. A cet égard, je rends hommage à Stéphane Hessel pour son essai Indignez-vous. Mais l’indignation ne suffit pas. La colère est récupérée et si on se contente de surfer de colère en colère, on va droit vers le populisme.
Ressources
- France Culture – 6 mars 2025 – Entretien avec Olivier Mannoni et Olivier Wievorka. Alors que l’Europe repense sa défense face à une Amérique qui se rapproche de la Russie, certains comparent 2025 à 1938. Ce parallèle a-t-il vraiment du sens ?
- Olivier Mannoni : « De Hitler à Trump, une diarrhée verbale excluante, raciste et brutale » – Politis, 13 novembre 2024
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