Villeneuve, les leçons d’un vote
Mediapart
« Nous aurons à tirer toutes les leçons de ce scrutin et du second tour et du premier tour ». Dimanche soir, François Hollande en visite en Jordanie a sobrement commenté l’élection législative de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), l’ancien fief de Jérôme Cahuzac, remportée par l’UMP face au Front national. Le candidat du PS, Bernard Barral, avait été éliminé au premier tour. Mediapart tire les trois leçons majeures du scrutin.
Le FN en conquête
53,76% contre 46,24%. 18.000 voix contre 15.600. Dimanche, le candidat de l’UMP Jean-Louis Costes l’emporte clairement. Par rapport au premier tour, et avec le soutien du PS qui avait appelé à « faire barrage sans ambiguïté » à l’extrême droite, le candidat UMP double quasiment ses voix (+ 9.000 voix) . Mais sur son seul nom, Etienne Bousquet-Cassagne, le candidat du FN, arrive à en grappiller 7.000.
Au premier tour, il avait déjà progressé de 1000 voix par rapport aux législatives de 2012, alors que le PS s’effondrait (-15.000), et que le candidat de l’UMP, déjà en lice l’année passée face à Jérôme Cahuzac, perdait 3500 voix.
Certes, le premier comme le second tour auront été marqués par une forte abstention (54,28% le 16 juin, 47,53% ce dimanche) et les bulletins blancs et nuls ont été particulièrement nombreux (15% au second tour). Mais malgré sa défaite, le FN gagne plus de 8000 voix en un an et se hisse très haut. Etienne Bousquet-Cassagne, jeune candidat de 23 ans très peu connu, réunit même 2000 voix de plus dans cette circonscription que Marine Le Pen au premier tour de la dernière présidentielle.
Les résultats du 1er et du 2nd tour sur le site de la préfecture du Lot-et-Garonne.
Au premier tour, le frontiste l’avait emporté dans huit cantons sur quatorze. Au deuxième tour, il ne gagne que dans trois cantons ruraux (Laroque Timbaut, Monclar et sans doute Sainte-Livrade, dont le résultat n’était pas en ligne dimanche soir). Mais il fait quasiment jeu égal avec le candidat de l’UMP dans quatre autres. Dont Villeneuve-sud, canton urbain dont Jérôme Cahuzac fut conseiller général: par rapport aux cantonales de 2011, le FN y gagne dix points en deux ans. Malgré l’appel au Front républicain, le candidat du FN ne manque que de 247 voix (sur 16700 inscrits) pour l’emporter à Villeneuve-sur-Lot, commune ou il était arrivé en tête au premier tour…
« Bond de vingt points du FN en une semaine. Le PS sort des écrans radar. Alarme !!! », s’inquiète sur Twitter Gaël Brustier, docteur en sciences politiques, auteur de Voyage au bout de la droite (Mille et une nuits, 2011) et ancien conseiller d’Arnaud Montebourg.
C’est aussi ce qui était arrivé dans l’Oise, lors de la législative partielle de mars. L’UMP et le FN s’étaient qualifiés pour le second tour. L’UMP l’avait emporté de seulement 800 voix. Au premier tour, le Parti socialiste s’était effondré: si l’UMP avait vu filer 5 500 voix, le FN un peu moins de 4 000, le PS avait perdu les deux tiers de ses suffrages (lire notre article).
S’il n’a pas gagné un troisième siège à l’Assemblée nationale, le FN assurait dimanche soir avoir remporté une « victoire idéologique » et « politique ». Pour Michel Guiniot, directeur de campagne du candidat frontiste, et monsieur élections du FN, ces résultats « confirm(ent) la très forte explosion de notre électorat » et « démontr(ent) que nous sommes en marche vers le pouvoir ». « L’électorat est prêt à basculer, aux municipales nous gagnerons des villes », a promis Bousquet-Cassagne.
Dans un long communiqué, Marine Le Pen a salué une « progression spectaculaire du Front National » et raille une « UMPS (qui) n’arrive plus à mobiliser l’électorat pour empêcher le Front National de gagner des suffrages ». « Il y a quelques années, lorsqu’il parvenait à se qualifier au second tour d’une élection, le FN stagnait en nombre de voix », désormais, il parvient « à doubler ses voix et à engranger plus de 20 points entre les deux tours », se réjouit la présidente du FN.
« Le FN a une réserve de voix qui correspond au nombre de votants pour Marine Le Pen à la présidentielle, et ces électeurs sont mobilisés », assure au contraire le secrétaire national du PS aux élections, Christophe Borgel. Une explication qui ne convainc pas tous les socialistes. « Va falloir essayer de comprendre comment le FN a pu gagner 7000 voix entre deux tours. Ça va pas être la faute de Cahuzac à tous les coups… », lâche sur Twitter le très “hollandais” Rémi Branco.
La semaine dernière, François Hollande avait vu dans l’élimination du candidat socialiste Bernard Barral une simple « séquelle de l’affaire Cahuzac ». Dimanche, plusieurs voix à gauche, encore choquées par l’effondrement du PS au premier tour, réclament une franche inflexion de la politique du gouvernement. Ségolène Royal prône ainsi une « profonde analyse et un sursaut politique ». Le think tank “La gauche populaire” exige un « aggiornamento du logiciel du PS (…) pour éviter de sombrer à notre tour dans la vague du populisme qui submerge les pays européens ».
« Quand l’action de la gauche se différencie mal de la politique de la droite, le FN bouscule les digues républicaines. Injuste, mais réel », tacle le député Christian Paul, proche de Martine Aubry. Dimanche, le ministre Arnaud Montebourg a une nouvelle fois mis en accusation la politique d’austérite européenne, reprochant au président de la commission européenne, José-Manuel Barroso, d’être le « carburant du Front national ».
L’échec du Front Républicain
« Ce résultat a été rendu possible par l’esprit de responsabilité et le sens républicain des citoyens et formations de gauche qui ont permis ce barrage », a réagi le PS. Une lecture très optimiste. Dans l’Oise, en mars dernier, le PS avait déjà appelé à faire barrage après l’élimination de la candidate socialiste, et le FN avait échoué de très peu. Idem ce dimanche, même si l’écart est un peu plus conséquent. Reste l’essentiel: le désistement « sans ambiguïté » annoncé par l’état-major local du PS dimanche dernier n’a pas empêché le FN de grappiller plusieurs milliers de voix.
De toute évidence, de nombreux électeurs de gauche ont encore une fois boudé les urnes ou voté blanc, refusant de faire barrage. « Les gens de gauche n’avaient pas forcément envie de voter pour Costes », fait remarquer le député et premier secrétaire du Lot-et-Garonne, Matthias Fekl, qui la semaine dernière défendait mordicus le front républicain. Pour de nombreux électeurs de gauche, le candidat UMP avait en effet tout d’un repoussoir: sous des dehors policés, il est proche d’un mouvement politique très droitier, compagnon de route du Mouvement initiative et libertés (MIL), héritier pacifié du SAC gaulliste.
« Entre le FN et une UMP en partie “buissonisée”, les barrières sont tombées, commente Fekl, amer. On voit se constituer autour de l’UMP un bloc néo-nationaliste pour lequel les électeurs de gauche ne voteront pas, et face auquel nous devons désormais constituer une nouvelle alliance progressiste ». Diagnostic partagé par le ministre Arnaud %ontebourg, invité dimanche soir de France Inter: « Les électeurs de gauche peuvent en effet considérer qu’avec une UMP qui se rapproche du FN, c’est exactement la même chose que le Front national. »
Dimanche soir, la polémique sur l’opportunité du front républicain a d’ailleurs démarré au quart de tour. Sur Twitter, de très nombreux responsables socialistes ont mis en doute la doctrine officielle du désistement automatique en faveur de l’UMP face au FN.
« Triste soirée suite à un premier tour dont la gravité ne doit pas être esquivée. Quant à l’automaticité du Front républicain, ça suffit!!! », lance le député Razzy Hammadi, proche de Benoît Hamon. Qui se prend illico une volée de bois vert du secrétaire national aux élections Christophe Borgel : « T’as raison la prochaine on laissera passer le FN ! Bref je reste pour faire barrage… ». « C’est beau comme du Copé, tacle aussi Mehdi Ouraoui, le dircab d’Harlem Désir. Et c’est quoi l’alternative ? Il faut être républicain pour tous et maintenir la digue. »
« Le Front républicain est mort, prenons-en acte ! », renchérit le député Alexis Bachelay. Suivi par Yann Galut, cofondateur de la gauche forte. « Tant que l’UMP court après le FN, les électeurs traîneront des pieds face aux consignes de vote des états-majors politiques appelant à faire front républicain », prédit Galut, qui tance la « dérive extrémiste d’une partie grandissante de l’UMP » sur « la ligne Buisson » et appelle à ne pas faire voter UMP face au FN « quand les candidats de l’UMP reprennent eux-mêmes les thèses que nous combattons ».
Le député Olivier Véran coupe la poire en deux: « Le front républicain fonctionne, sa fragilité inquiète. Combattons le FN tous les jours, demasquons son projet populiste, haineux, toxique ! ». « Ce n’est pas parce que le sens du « front républicain » est brouillé par les postures de certains UMP qu’il faut y renoncer. Au contraire. », réplique à son tour Rémi Branco, un “hollandais” canal historique.
Le PS doit-il alors faire évoluer sa doctrine? Le sujet devrait être abordé dès mardi au sein du bureau national du PS, et devrait continuer à faire parler dans les mois à venir. Car pour le parti au pouvoir, il y a urgence. La séquence électorale des partielles sporadiques, marquées par de fortes abstentions, est terminée. S’annoncent désormais des élections municipales à haut risque, où plane déjà le fantôme des municipalités FN de 1995. Depuis, jamais le FN ne s’était présenté dans une bonne dynamique nationale aux scrutins municipaux. En 2001, le parti d’extrême droite se remettait à peine de son implosion, après la scission du MNR de Bruno Mégret. Et en 2008, le sarkozysme alors triomphant avait siphonné son électorat.
En 2014, au soir du premier tour, l’hypothèse de triangulaires PS-UMP-FN, telles que les ont connues les villes de Toulon, Marignane, Vitrolles ou Orange en 1995, avant de basculer frontiste, devrait offrir de sacrés casse-tête pour le PS et sa direction de la rue de Solférino. De quoi le Front républicain pourrait-il alors être le nom, pour les socialistes, alors que la possibilité d’une droite s’alliant au FN dans certains endroits n’est pas à exclure ? Au début du mois, le conseiller spécial de Harlem Désir, Alain Fontanel, nous expliquait déjà qu’il faudrait « désamorcer en amont les municipales, afin d’avoir une stratégie claire dans quatre départements: Gard, Bouches-du-Rhône, Var et Vaucluse ».
C’était quand la direction du PS tentait de démêler le pataquès de Carpentras (lire notre enquête), où l’élection de Marion Maréchal-Le Pen, sur fond de Front républicain bafoué, continue de violemment diviser les socialistes locaux.
Aujourd’hui, l’évolution de la droite pourrait aider le PS à faire son aggiornamento. Craignant de conforter le discours du FN sur l’« UMPS », l’opposition semble avoir de plus en plus de mal à assumer ce type de discours « Je ne suis pas sûr que faire du “front républicain” une stratégie nationale soit une bonne idée, je me demande même si ça n’alimente pas, d’une certaine manière, la propagande du Front national qui veut mettre l’UMP et le PS dans le même sac – le “tous pourris” pour s’en dissocier », a réagi dimanche le maire de Bordeaux, Alain Juppé. « Ce soir le « Front Républicain » des socialistes a vécu… », commente Valérie Pécresse. Quant à Jean-François Copé, il a redit que cette « notion de front républicain » ne reposait sur « aucune réalité ».
UMP et FN se disputent le titre de 1er parti d’opposition
À l’occasion de la présidentielle de 2012, Marine Le Pen avait repris les électeurs qui avaient filé vers Nicolas Sarkozy en 2007 (lire notre analyse). Les législatives partielles de 2013, dans l’Oise comme dans le Lot-et-Garonne, montrent que FN et UMP sont désormais clairement au coude-à-coude pour le titre de premier parti d’opposition.
Pour la première fois, Jean-François Copé l’a d’ailleurs formulé clairement. Le « score élevé » du FN est un « avertissement sérieux », a-t-il estimé dans son intervention, dimanche soir. Avec une idée en tête, ramener les voix égarées dans le giron de la droite: « Les électeurs doivent savoir que s’ils veulent sanctionner la gauche, c’est vers l’UMP qu’ils doivent se tourner ». Et le patron de l’UMP de se lancer dans le jeu des sept différences entre UMP et FN. « L’UMP est un parti de gouvernement, dédié à l’action au service des Français. Le Front national n’est pas un parti de gouvernement », a-t-il assené, c’est « un parti qui est là d’abord pour symboliser les peurs, les indignations, les ras-le-bol, jamais pour proposer des solutions pérennes et crédibles », un parti inspiré par « la philosophie du rejet et de la peur ».
Tout en redisant qu’il « refus(ait) toute alliance électorale avec le Front national », Copé a dépeint la « droite décomplexée » qu’il entend incarner. Une droite « fière d’elle-même, qui assume un discours d’autorité, intraitable sur les questions d’insécurité, d’immigration, de montée des intégrismes sous toutes leurs formes », une droite qui défend « un discours de courage en matière de réformes », et « un discours de générosité sociale, mais sans complaisance avec l’assistanat ». En somme, une droite qui prétend combattre le Front national, tout en parlant comme lui. La stratégie n’a pas fait ses preuves aux élections de 2012…
Si son rival François Fillon voit lui aussi dans le score du FN « un avertissement pour l’opposition », il diverge sur la ligne à suivre. Pour l’ancien premier ministre, l’UMP doit rester « fidèle à ses valeurs » et fédérer « les forces de la droite et du centre » autour d’un « discours de vérité ».
Face à cette UMP scindée en deux, Marine Le Pen se réjouit d’une « victoire politique » et promet une « ascension vers le pouvoir » « sans doute plus rapide que ce que l’on pouvait imaginer ». Et pour cela, la présidente du FN continue de miser sur son discours de l’« UMPS », ce « système politique qui commence à prendre l’eau de toutes parts ». En s’appuyant sur les appels au front républicain lancés à l’entre-deux-tours, elle a dénoncé « l’élu d’un parti unique » et la « parfaite connivence des deux partis siamois quand il s’agit de défendre leurs intérêts électoraux et les postes qui vont avec ». Un discours que vont continuer à débiter ses candidats d’ici les municipales et européennes de 2014.
Leur profil a d’ailleurs de quoi inquiéter l’UMP – qui peine de son côté à trouver des candidats et songe à les recruter… par petites annonces –, mais aussi le PS, qui n’a pas su davantage procéder au renouvellement. Ainsi, à Villeneuve-sur-Lot, Etienne Bousquet-Cassagne, 23 ans, a été investi à la place de Catherine Martin, 56 ans, candidate historique du FN, jugée pas assez lisse, en contradiction avec la ligne de la prétendue « dédiabolisation » (elle voue un véritable culte à Jean-Marie Le Pen), et en trop bons termes avec Cahuzac, client de sa boutique de vêtements en centre-ville.
Mais le jeune frontiste investi était plus que le candidat d’une élection, puisqu’il est aussi le secrétaire départemental du FN. En cela, « il est représentatif d’une stratégie de renouvellement et de management des cadres impulsée par la direction nationale du FN, relève le chercheur Joël Gombin, doctorant en science politique au CURAPP (l’Université de Picardie-Jules Verne), qui étudie les votes FN dans le sud-est et dans le monde agricole. Cette stratégie vise selon lui « à écarter des cadres bien implantés et expérimentés mais pas nécessairement très soumis à la direction, et à les remplacer par des jeunes en phase ascendante, sociologiquement et politiquement plus proches de la direction, disposant de moins de capital politique propre, et donc plus disposés à suivre la direction » (lire notre enquête sur cette jeune génération du FN).
En un mot, les candidats frontistes sont toujours des marionnettes, mais ils sont désormais formés par la direction dans des « Campus bleu Marine », et totalement affiliés à elle. Loin d’une UMP scindée en deux, de la base au sommet.
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