La Banque de France met le bitcoin en pièces
Libération
L’institution souligne les «dangers» de la monnaie numérique, dont la valeur et l’usage sont en plein essor.
C’est la rançon du succès: en plein essor, les monnaies virtuelles attirent désormais l’attention de très sérieuses institutions financières. Et leur jugement peut être sévère. Ce jeudi, c’est la Banque de France qui consacre une note aux «dangers» liés à la plus importante de ces devises numériques, le bitcoin. Verdict: celui-ci «présente peu ou pas d’intérêt pour une utilisation par les acteurs économiques, au-delà des aspects marketing et publicitaires, tout en les exposant à des risques importants».
Lancé en 2009, le bitcoin peut être utilisé pour réaliser des achats sur certains sites. Il est également convertible en monnaie officielle via des plateformes en ligne, à un cours fixé par l’offre et la demande. Celui-ci s’est envolé, passant de la parité avec le dollar en février 2011 à un bitcoin pour 1 000 dollars (735 euros) fin novembre 2013. Une volatilité de nature «spéculative» selon la Banque de France, qui souligne que «la valeur du bitcoin n’est adossée à aucune activité réelle».
De plus, «la convertibilité des bitcoins dans différentes monnaies ayant cours légal […] n’est garantie par aucun organisme centralisé. Les investisseurs ne peuvent récupérer leurs fonds en devise que si d’autres utilisateurs désirent acquérir des bitcoins». La Banque de France souligne aussi «l’absence de sécurité des « coffres-forts » permettant le stockage des unités de bitcoins» – les coffres en question étant installés sur l’ordinateur, la tablette ou le téléphone de l’utilisateur. Enfin, l’anonymat permis lors de la conversion en monnaie réelle «constitue un risque d’utilisation[des bitcoins]à des fins criminelles, de blanchiment ou de financement du terrorisme». L’institution préconise donc un encadrement des plateformes de conversion – par exemple l’obligation pour elles d’obtenir un agrément officiel.
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Ce réquisitoire coïncide avec les déclarations inquiètes de l’ancien président de la Réserve fédérale américaine (Fed) Alan Greenspan, qui a qualifié l’essor du Bitcoin de «bulle». Une monnaie «doit avoir une valeur intrinsèque, a-t-il jugé mercredi. Et il faut un grand effort d’imagination pour déterminer quelle est la valeur intrinsèque du bitcoin. Personnellement, je n’y suis pas arrivé».
En dépit de ces critiques, le bitcoin poursuit son essor. Son taux de conversion ne cesse de grimper, pour le plus grand bonheur des premiers acheteurs, qui peuvent réaliser de considérables plus-values. Fin novembre, la presse évoquait les malheurs d’un Britannique de 28 ans s’étant débarrassé par mégarde d’un vieux disque dur contenant 7 500 bitcoins. Achetés pour une bouchée de pain il y a plusieurs années, ceux-ci représentent au cours actuel la coquette somme de 5,5 millions d’euros.
Parallèlement, de plus en plus de commerces en ligne acceptent les règlements en bitcoins – le site bitcoin.fr en a répertorié un grand nombre, de la livraison de pizza à la parapharmacie, en passant par l’hôtellerie et les vêtements. La monnaie virtuelle a également reçu l’onction de plusieurs autorités financières. Tout en soulignant les «risques liés à la fraude», l’actuel patron de la Fed, Ben Bernanke, a jugé que les innovations de ce type «pouvaient être prometteuses à long terme», et représenter «un système de paiement plus rapide, plus sécurisé et plus efficace». En Allemagne, le bitcoin s’est vu reconnaître le statut de «monnaie privée» – une reconnaissance juridique qui permettra également sa taxation.
Récemment, cette devise 2.0 a même dépassé les frontières du numérique. Au Canada, une borne d’échange physique a été installée dans un café de Vancouver, permettant de recharger son compte bitcoin avec des dollars canadiens, ou de payer sa consommation en monnaie virtuelle via un téléphone. A Chypre, l’université de Nicosie a annoncé qu’elle accepterait à partir de la rentrée 2014 que les frais de scolarité soient réglés en bitcoins. Passant du rêve libertaire à l’institution monétaire, le bitcoin n’évitera sans doute pas la case «régulation».
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