Un maire en Essonne barricade les Roms pour mieux les faire fuir.
Mediapart.fr
Pour faire fuir les Roms sans avoir à recourir à une expulsion en bonne et due forme, le maire UMP de Vigneux-sur-Seine a trouvé une nouvelle méthode : disposer des containers à l’entrée du terrain. Les familles sont parties d’elles-mêmes.
Le maire UMP de Vigneux-sur-Seine en Essonne a fait fuir une soixantaine de Roms de sa commune sans recourir à une expulsion en bonne et due forme. Comment s’y est-il pris ? Il les a barricadés ou plutôt parqués. En fait, le mot précis pour décrire ce qu’il a fait n’existe pas dans le dictionnaire. Des containers métalliques d’environ trois mètres de haut ont été disposés à l’entrée du terrain, occupé sans autorisation, de manière à empêcher le passage.
Le lieu, une usine désaffectée, étant ceint de part et d’autre d’un mur de pierre, les allées et venues sont devenues impossibles, sauf à se faufiler. Terrorisées à l’idée de se retrouver bloquées, les familles venues de Roumanie installées pour l’hiver à l’abri des murs de ce site industriel sont parties d’elles-mêmes. On pourrait parler, en quelque sorte, d’auto-expulsion. Le maire de Vigneux-sur-Seine n’est pas un inconnu, notamment des lecteurs de Mediapart. Lors de sa mandature, Serge Poinsot a mis en place un système visant à empêcher les gens du voyage d’acquérir des biens immobiliers, sollicitant pour cela des notaires et des policiers municipaux (lire l’enquête de notre confrère Karl Laske).
Le 4 décembre, donc, les Roms ont quitté leur refuge. Le jour même, dans sa « lettre du maire », diffusée à ses administrés, Serge Poinsot, revendiquant le soutien du député Nicolas Dupont-Aignan, s’auto-congratule. « Démantèlement du campement illicite des “Roms” : notre détermination les a fait partir ! » titre-t-il, avant de poursuivre : « Le 17 novembre dernier, je vous ai écrit pour vous faire part de mon exaspération de voir, une nouvelle fois, notre commune être la cible et la victime d’une implantation illicite d’un campement de populations “Roms” (…). Aujourd’hui (en gras), je suis heureux de vous annoncer que notre détermination et notre fermeté ont payé. Comme je m’y étais engagé auprès de vous, j’ai obtenu le démantèlement sans conditions de ce campement (…). Vous le savez, j’avais exigé du propriétaire une action prompte et résolue, multiplié les interventions auprès de la préfecture et des autorités judiciaires et surtout, sécurisé, avec des moyens réellement dissuasifs, les principaux points d’entrée du terrain pour prévenir toute arrivée massive. Je l’ai dit, je le rappelle et je l’assume : notre ville n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde, à devenir une zone d’accueil permanente et un dépotoir. »
Un « dépotoir », donc, contre lequel le maire a déployé des « moyens réellement dissuasifs ». Effectivement, cette technique, du jamais vu, a fonctionné.
Ce matin de décembre, le givre a recouvert la région parisienne. Cela fait six jours que les résidents précaires ont déserté. Ne restent que des traces de leur présence fugitive, des matelas, des couvertures, des réchauds, des baguettes de pain, des sachets de thé, des peluches. Les murs eux, sont toujours là, ces murs qui auraient pu retenir la chaleur quand les températures commencent à baisser.
Dès qu’il les a vus arriver, le 11 novembre, dans cette ancienne entreprise de retraitement de vieux papiers, située à quelques centaines de mètres de la gare SNCF, le maire n’a pas tardé à réagir. Campagne pour les élections municipales oblige, il a aussitôt informé les 27 000 habitants des dispositions qu’il avait prises. Le terrain étant privé, il indique, dans un premier courrier en date du 17 novembre, avoir « exigé » du propriétaire qu’il agisse « immédiatement » pour déposer plainte. Mais cela ne l’a pas empêché, pour aller plus vite et court-circuiter la procédure judiciaire, de prendre un arrêté municipal de « péril imminent », relevant de ses pouvoirs de police, lui assurant une mise à exécution rapide sans intervention d’un juge. Il vient en personne l’apposer sur les murs. La menace a suffi. Les forces de l’ordre ont à peine été sollicitées. Les « moyens réellement dissuasifs » ont produit d’eux-mêmes leurs effets.
Le maire s’arroge la responsabilité de la « sécurisation » des « points d’entrée », mais la responsabilité est partagée. Comme l’indiquent les inscriptions peintes sur les parois, les containers appartiennent à l’entreprise TER, dont le patron, Marcel Solarz, est le propriétaire des lieux. Quand le site a été barricadé, des camionnettes étaient garées à l’intérieur. Les occupants étant ferrailleurs, ils ont voulu sortir leurs véhicules, dont ils ont besoin pour récupérer les métaux. Tant bien que mal, ils sont parvenus à se dégager un passage. Le lendemain, la mairie a remis en place son équipement « dissuasif ». Elle l’a même solidifié en remplissant les bennes de sable et en les immobilisant définitivement à l’aide de cylindres et de blocs de béton. Quelques heures plus tard, une camionnette appartenant aux Roms, stationnée à proximité, a pris feu. L’insistance municipale a eu raison des Roms. « Je ne tolérerai pas une implantation “hivernale” de ces populations et j’utiliserai tous les moyens possibles mis à ma disposition de maire pour les faire partir. Il y en a assez de plier devant celles et ceux qui ne respectent pas la loi républicaine, se moquent de nos forces de police et s’amusent de nos faiblesses bien-pensantes », avait prévenu Serge Poinsot.
Dans ses deux missives, le maire insiste sur un autre élément : le campement semble à ses yeux faire tache dans ce « tout nouveau quartier » voué à se développer. Il ne le précise pas, mais une opération de vente en cours retient son attention : un promoteur immobilier, Antonio de Souza, à la tête de France-Pierre, avec lequel il entretient des relations privilégiées, est en train de racheter le terrain pour y construire plusieurs centaines de logements (à lire les enquêtes de Mediapart ici et là).
Le maire n’en est pas à son coup d’essai en matière de « chasse aux Roms », selon l’expression de l’un de ses opposants, Patrice Finel, élu au conseil municipal et candidat du Front de gauche en 2014. Ce dernier se souvient d’un précédent débat, qui avait abouti au vote d’une motion, au cours duquel les « squatteurs » désignés comme Roms d’un autre terrain, entre-temps délogés, avaient été accusés de « faire griller les cygnes et les poissons » des plans d’eau à proximité pour se nourrir. Plus encore que de véhiculer des préjugés, il reproche à l’équipe actuelle de refuser l’inscription à l’école des enfants de ces campements, ce qui est contraire à la loi.
« En période électorale, affirme l’élu de gauche, ce n’est pas évident de parler de cette question. Dans certains quartiers, les habitants sont à cran, ils en ont marre de voir les poubelles renversées et de trouver des gens dans leur jardin. Même si ça n’arrive qu’une fois, les rumeurs circulent. Le FN risque de faire un bon score si on laisse faire. » Lui qui a aménagé une roulotte pour son porte-à-porte a rodé son argumentaire: « Aux gens qui m’interrogent, je dis que c’est à l’État et à l’Europe de prendre leurs responsabilités. Nous, maires, nous ne pouvons pas nous retrouver seuls face à toutes ces difficultés. » « Concernant les Roms de l’usine, poursuit-il, il n’y avait pas de péril imminent, c’est faux. Les lieux étaient correctement tenus, c’était la misère, mais c’était propre. On aurait quand même pu les laisser passer l’hiver au chaud. Et après, on leur aurait demandé de partir quand les travaux de démolition auraient commencé. » À propos de la camionnette brûlée, il dénonce un « incendie criminel », qui s’ajoute, selon lui, au « harcèlement quotidien » des policiers municipaux pour les faire partir.
Un bénévole de l’Association de solidarité en Essonne avec les familles roumaines et roms (Asefrr) confirme cette pression policière régulière. Roland Blanchetière connaît les familles depuis trois ans et demi. Maintes fois expulsées, elles ont occupé plusieurs terrains en région parisienne avant de repérer cette friche à Vigneux-sur-Seine. Le militant accuse le maire de les avoir « pris au piège ». « On ne peut pas traiter les gens comme ça. Ils sont partis d’eux-mêmes, parce qu’ils ont eu peur pour leur vie et celle de leurs enfants », lance-t-il, tout en courant d’un campement à l’autre dans le département. Il a des nouvelles des « auto-expulsés ». Il se prépare à bientôt repartir de zéro avec eux dans une nouvelle ville.
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