TVA : une victoire pour toute la presse (et pour ses lecteurs)
Mediapart
Grâce à votre mobilisation, celle de nos lecteurs, de la profession, d’élus et de personnalités, justice est enfin rendue à la presse en ligne. Le gouvernement a en effet décidé de mettre en œuvre dès maintenant l’égalité fiscale entre presse imprimée et presse numérique. Ce choix politique d’un même taux de TVA à 2,1 % pour toute la presse, quel que soit son support, est justifié au nom de l’égalité fiscale et de la neutralité technologique.
Cette décision a été annoncée, vendredi 17 janvier, à l’Hôtel Matignon, aux représentants des organisations professionnelles de la presse : SPIIL pour la presse en ligne, SPQN pour la presse quotidienne nationale, SPQR pour la presse quotidienne régionale, SEPM pour la presse magazine, FNPS pour la presse spécialisée. Lors de cette réunion interministérielle présidée par le directeur de cabinet du premier ministre, Christophe Chantepy, il a été précisé qu’une initiative législative sera prise en ce sens très rapidement, dont le dépôt sera accompagné d’une directive du ministère du budget à l’administration fiscale mettant en œuvre l’application immédiate du taux à 2,1 % pour la presse en ligne.
Dans un communiqué commun, l’ensemble des éditeurs de presse, en se félicitant de cette décision, a « salué le courage du gouvernement qui manifeste son souci d’une presse dynamique, pluraliste et inventive, qu’elle soit imprimée ou numérique » (télécharger ici le communiqué). Pour le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL), dont Mediapart est cofondateur, cette décision justifie le combat, engagé depuis sa création en 2009, pour une reconnaissance pleine et entière de la presse en ligne, à égalité de droits et de devoirs avec toute la presse. Aussi le SPIIL donne-t-il acte au premier ministre, Jean-Marc Ayrault, d’avoir pris ses responsabilités après tant d’années d’attentisme politique laissant planer une incertitude sur l’avenir de nos entreprises.
Cette avancée confirme le rôle pionnier de la nouvelle presse en ligne au bénéfice de toute la presse, dans la diversité de ses catégories et le pluralisme de ses orientations. Laboratoire sur les modèles économiques pertinents, comme l’est depuis le début Mediapart avec sa formule payante qui s’oppose avec succès à la destruction de valeur de la gratuité publicitaire, la presse en ligne indépendante est aussi un levier de transformation, de modernisation et de réforme de l’écosystème de la presse au bénéfice du public et, donc, de la démocratie.
Depuis son origine, la TVA dite super-réduite sur la presse (de 2,1 % en France, mais qui est même de 0 % en Grande-Bretagne) exprime une philosophie démocratique au bénéfice du pluralisme, de la diversité et de l’accessibilité de la presse, entendue comme un secteur aux enjeux politiques évidents, entre liberté d’information et liberté d’opinion. La décision du gouvernement français, semblable à celle prise en toute souveraineté sur le livre depuis 2012 (même taux de 5,5 % pour l’imprimé et pour le numérique), affirme la défense de principes constitutionnels et de lois fondamentales qui étaient remis en cause par la banalisation de la presse en ligne, ramenée à n’importe quel service commercial marchand.
Pour Mediapart, qui est parti en campagne sur ce terrain dès sa création en 2008 (lire ici mon premier article du 23 mai 2008 sur le sujet), cette question de la TVA portait, au-delà de son enjeu économique vital, la question de l’égalité de droits et de devoirs avec l’ancienne presse imprimée de cette nouvelle presse numérique que nous voulions à la fois inventer et imposer, bref construire durablement. C’est ainsi que nous avions obtenu le statut reconnaissant, en 2009, la presse en ligne comme une presse à part entière, relevant du périmètre de la CPPAP (Commission paritaire des publications et agences de presse). L’égalité fiscale était la conséquence logique de cette égalité juridique, aussi bien en droit administratif qu’en droit pénal.
Quand une révolution industrielle modifie radicalement la donne – éditoriale, économique, commerciale, culturelle, sociétale, etc. –, comme c’est le cas avec le numérique, il arrive que des pesanteurs, des archaïsmes et des conservatismes créent des situations de retard et de blocage. Le prétexte européen, qui fut longtemps opposé pour ne pas officiellement proclamer l’égalité fiscale aujourd’hui reconnue, en relève, ainsi que nous l’avions longuement et précisément argumenté dans un mémoire juridique du cabinet Lysias remis à Jacques Toubon, alors mandaté par la France auprès de Bruxelles sur le sujet (le télécharger ici et télécharger là un second mémoire remis il y a un an à l’Élysée).
Devant l’accord de tous nos interlocuteurs (et notamment des parlementaires) sur la justesse de notre revendication et, en même temps, l’incompréhensible immobilisme politique des pouvoirs publics, nous avons donc pris, avec le SPIIL, nos responsabilités, en appliquant aux abonnements à Mediapart le taux légitime de 2,1 %. Défendre ce taux, c’est aussi défendre une presse numérique plus abordable pour ses lecteurs et refuser cet engrenage fatal d’une presse qui, à mesure que s’approfondissent ses difficultés, ne cesse d’augmenter ses prix. Inchangé depuis notre création il y a six ans, le prix de l’abonnement à Mediapart est aujourd’hui le plus bas de la presse quotidienne d’information politique et générale. Une presse démocratique doit rester une presse accessible au plus grand nombre.
Notre décision d’appliquer le taux à 2,1 % ne fut en rien une ruse et encore moins une fraude : en toute transparence, ce fut l’affirmation d’un combat et d’une exigence, dont la double légitimité est aujourd’hui reconnue, aussi bien par le gouvernement que par la profession. Tout comme sa totale indépendance économique (voir ici notre campagne « A qui appartient votre journal ? ») aide les journalistes à se battre, où qu’ils travaillent, pour défendre leur indépendance, les audaces entrepreneuriales de Mediapart aident tout le secteur professionnel à avancer dans l’invention d’un nouvel écosystème, plus vertueux et plus transparent, plutôt que dans la répétition des erreurs du passé, lesquelles ont aggravé la crise liée à la transition numérique. Avec le soutien des lecteurs et, donc, de l’opinion que permettent et facilitent l’horizontalité et la rapidité démocratiques d’Internet, nous faisons levier, pression et mobilisation, dans l’intérêt commun et pour le bien public.
C’est bien pourquoi il serait incompréhensible que les audacieux que nous sommes, et dont l’audace aujourd’hui profite à tous, soient lourdement pénalisés par une administration fiscale aveugle aux bouleversements numériques et à leurs enjeux aussi bien politiques qu’économiques. Résultat de la mobilisation suscitée, dans l’opinion et dans la profession, par des contrôles fiscaux discriminatoires visant les journaux en ligne qui appliquent d’ores et déjà ce taux légitime de TVA, parmi lesquels Mediapart au premier chef, cette victoire restera incomplète tant que cette menace pèsera sur nous, mettant en péril l’avenir de nos entreprises.
Aussi, lors de la réunion tenue à Matignon, les représentants du SPIIL ont-ils demandé avec insistance que la décision prise soit complétée par la suspension des contrôles et redressements fiscaux ayant comme motivation l’application, pour le passé, d’un taux de TVA à 19,6 % (passé à 20% depuis le début de l’année 2014) dont les pouvoirs publics conviennent désormais qu’il était injustifié.
Pour mémoire, un premier redressement de plus d’un million d’euros nous a déjà été signifié fin décembre 2013, de façon aussi expéditive que déloyale, en nous appliquant des pénalités de mauvaise foi jusqu’en 2010 alors même que notre combat a toujours été public. Si ce redressement était suivi de redressements similaires pour les années suivantes (2011, 2012, 2013), avec le même barème, les mêmes pénalités et, donc, la même injustice, c’est près de six millions au total que le fisc pourrait nous réclamer, soit plus que ce que nous a coûté le financement de Mediapart jusqu’à ce qu’il commence à devenir bénéficiaire ! Comme je l’ai expliqué dans un précédent billet (lire ici), sauf à brader son indépendance, Mediapart ne pourrait survivre à une telle ponction financière.
Président de la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, le député (PS) Patrick Bloche qui, avec d’autres parlementaires, a toujours défendu la juste cause de la presse en ligne, a déclaré au Monde, en accueillant « avec allégresse » l’annonce gouvernementale, que « s’il y a une loi, cela conduira l’administration fiscale à suspendre les contrôles fiscaux » (lire ici). Pour l’heure, hélas, nous n’avons aucune certitude en ce sens, le prochain rendez-vous avec les inspectrices du fisc étant fixé au 29 janvier. Nous allons évidemment tout faire, en usant de toutes les voies de recours possibles avec toujours la même transparence sur nos actions, pour obtenir cette assurance de ne pas être persécutés pour un combat dont chacun, aujourd’hui, peut constater la justesse et la légitimité.
Merci à tous, lecteurs, amis, collègues, élus et personnalités, de votre soutien sans lequel nous n’aurions pas réussi à transformer cette épreuve en victoire. Et merci à tous de bien vouloir rester vigilants tant que cette victoire ne sera pas pleine et entière.
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