RATP: des Roms interdits de bus

 

Par Carine Fouteau

20 mars 2014 | – Mediapart.fr

 

Des Roumains de la minorité rom, munis de leur titre de transport, empêchés de monter dans des bus : plusieurs cas ont été signalés en région parisienne. L’un de ces passagers indésirables vient de porter plainte. La RATP assure avoir procédé à un « rappel au règlement » et le Défenseur des droits s’est saisi du dossier. 

Cosmin rentrait chez lui, à Champs-sur-Marne en Seine-et-Marne, après un rendez-vous à Paris dans les locaux de l’association des Enfants du canal où il suit une formation dans le cadre du service civique. Il attendait le bus 213 à la gare RER de Noisy-Champs, en direction de Lognes-le-Village un mardi de janvier, en fin d’après-midi. Il raconte qu’au moment où il s’apprêtait à monter dans le véhicule, le chauffeur s’est interposé pour lui interdire l’accès, alors même qu’il était muni de sa carte Navigo.

De nationalité roumaine issu de la minorité rom, Cosmin, selon son surnom d’emprunt, vit dans un cabanon situé dans un bidonville. Réflexe rare parmi ses compatriotes rétifs aux contacts avec la police, il décide de déposer plainte quelques jours plus tard. Selon son témoignage – assorti d’une copie de son titre de transport valide – que Mediapart a pu consulter, le bus était déjà en stationnement quand Cosmin, âgé de 23 ans, est arrivé à l’arrêt. Les portes étaient fermées. Le chauffeur ne les a ouvertes qu’à partir du moment où d’autres passagers se sont présentés. Cosmin était accompagné de deux collègues dans la même situation que lui. « Nous avons laissé passer (les autres passagers) et lorsque j’ai voulu monter dans le bus le chauffeur m’a dit en ces termes : “Les Roumains, ils vont à pied, ils montent pas dans le bus.” Je me suis expliqué avec le chauffeur en lui montrant mon pass Navigo, j’avais tout à fait le droit de monter comme tout le monde, mais le chauffeur ne l’a pas entendu comme ça. »

Le titre de transport valide du plaignant.Le titre de transport valide du plaignant.

La suite révèle les motivations du conducteur. « Le chauffeur de ce bus était agressif, indique Cosmin dans sa plainte, et il a dit en ces termes : “Je m’en fous, tu peux avoir deux pass Navigo, tu monteras pas dans mon bus.” J’ai de nouveau expliqué à ce chauffeur que c’était un bus de transport public, donc que j’avais le droit de monter dedans comme tout le monde. » Le chauffeur lui aurait alors rétorqué : « Le bus n’est pas public, vous, vous êtes sales, sales Roumains, j’aime pas vos visages, et je prends qui je veux dans mon bus. » Avant d’ajouter : « Sales Roumains, vous êtes comme les chiens. » Il aurait alors joint le geste à la parole : « Finalement, il était tellement énervé qu’il a fait descendre tout le monde du bus, il a fermé les portes et il est resté debout face à la porte. Finalement, nous sommes partis voyant (que) l’accès au bus serait impossible. »

Choqué par cette scène, Cosmin prévient son tuteur en service civique, François Loret, également membre du Collectif de soutien aux Roms du Val-Maubuée. Le lendemain, la direction de la RATP est alertée : le bénévole envoie un mail de protestation relatant l’enchaînement des faits. Il ajoute que cette pratique est « récurrente » de la part des agents « sur les lignes qui desservent le secteur du Val-Maubuée ». « Le fait de détenir un titre de transport ne suffirait donc plus à pouvoir utiliser les transports en commun, il faudrait maintenant pouvoir justifier d’une appartenance ethnique en conformité avec les pensées les plus malsaines de certains de vos personnels ? » s’interroge-t-il, prévenant que le Défenseur des droits a été saisi et qu’une plainte contre la RATP n’est pas à exclure « pour que cessent ces pratiques odieuses, discriminatoires et interdites ».

La réponse tarde à venir. Une semaine après les faits, François Loret se rend sur les lieux pour tenter d’interpeller les chauffeurs de la ligne « contre le racisme » et faire un appel à témoins. « Une famille rom est arrivée sur ces entrefaites. Et là, rebelote. Ils veulent monter dans le bus, l’accès leur est refusé », indique le bénévole. « Le chauffeur a vu que je le prenais en photo, poursuit-il, il a appelé les services de sécurité de la RATP qui, eux-mêmes, ont appelé la police, et au bout du compte, j’ai été contraint de supprimer la photo de mon appareil. »

L'appel à témoins diffusé à la gare RER de Noisy-Champs quelques jours après les faits.L’appel à témoins diffusé à la gare RER de Noisy-Champs quelques jours après les faits.

Ce n’est que le 1er mars qu’un mail signé d’une conseillère clientèle RATP arrive sur la boîte électronique de François Loret. Le « correspondant » de la ligne 213 a été mis au courant. « Un travail est en cours avec la mairie, les autorités et un rappel a été fait aux agents de la ligne », assure la chargée de clientèle. « Une surveillance importante est en cours en ce moment », ajoute-t-elle, concluant qu’elle « regrette cette situation ». Ce contact avec la RATP n’est pas le premier. Un an auparavant, le militant s’était indigné de l’habitude prise par des conducteurs de RER de klaxonner au passage de leur train au niveau d’un campement, depuis évacué, installé à proximité des voies.

Les « regrets » de la RATP n’empêchent pas les incidents de se poursuivre, selon François Loret, qui cite l’exemple d’une femme rom « qui s’est fait sortir du bus manu militari par le chauffeur » sur la même ligne, à l’arrêt de la gare de Chelles. Autre mésaventure signalée : le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, une habitante d’un autre bidonville de Champs-sur-Marne a expliqué au collectif de bénévoles qu’un agent de sécurité de la RATP, à La Défense, là où elle s’installe régulièrement pour jouer de la musique, a contrôlé ses papiers d’identité (ce qu’il n’est pas autorisé à faire) et les lui a confisqués (sans les lui rendre, y compris les jours suivants). « Nous sommes allés lundi au commissariat de Noisiel, les policiers en poste n’ont pas voulu prendre notre plainte, ils n’ont accepté qu’une main courante », indique François Loret, qui précise que le procureur a été saisi ainsi que, de nouveau, le service clientèle de la RATP.

Ces agissements à répétition ont fait réagir le vice-président du conseil régional d’Ile-de-France, Pierre Serne (EELV), chargé des transports et des mobilités. Dans un courrier en date du 10 mars adressé au P-DG de la RATP, Pierre Mongin, il dénonce les « faits graves » qui lui ont été relatés et demande des explications. Le Défenseur des droits, de son côté, a commencé à enquêter. Des attestations de témoins confirmant des propos à teneur discriminatoire voire raciste lui ont été adressées. Une fois obtenu l’aval du procureur de la République, il entend accéder aux bandes de vidéosurveillance.

À la CGT-RATP-Bus, on ne paraît pas étonné. « Nous avons des remontées d’un climat délétère dans certains dépôts. Les machinistes ne sont pas plus racistes que le reste de la population, mais on ne peut nier des dérapages », reconnaît un dirigeant du syndicat. « Une pétition anti-Roms, dénonçant l’insécurité supposée liée à leur présence, a circulé il y a quelques semaines. À la CGT, nous avons réagi auprès des agents en leur faisant remarquer que cet appel à signature était raciste. Les conditions de travail des machinistes sont difficiles. Nous sommes soumis au stress, aux incivilités, à la pression que fait peser l’entreprise. Mais quel que soit le contexte, rien ne justifie des comportements discriminatoires. Dans certains cas, le chauffeur peut demander à des passagers de descendre s’il considère qu’ils représentent une menace, un danger pour lui ou pour les autres passagers. Des personnes agressives, alcoolisées, armées ou transportant des objets trop encombrants peuvent se voir refuser l’accès. Mais encore une fois, rien ne justifie des propos racistes », indique-t-il. « Dans le cas évoqué sur la ligne 213, poursuit-il, si le chauffeur s’était senti menacé, il aurait dû prévenir la sécurité en activant ce qu’on appelle une “alarme discrète”. »

« Ces agissements seraient passibles de sanctions »

Sollicité par Mediapart à la mi-mars, le service de presse de l’entreprise ne conteste pas les faits. Et assure même avoir procédé à un « rappel au règlement », signe que l’entreprise attribue à la plainte un certain crédit : « Il apparaît très difficile de savoir avec exactitude ce qu’il s’est passé sur cette ligne. Une enquête est actuellement en cours et nous sommes à la disposition de ceux qui la mènent pour y répondre en toute transparence. En tout état de cause, les agissements évoqués, s’ils étaient avérés, seraient contraires aux valeurs et au code éthique de l’entreprise, ainsi qu’au règlement que se doivent d’appliquer les conducteurs de bus de la RATP. Ces agissements, encore une fois s’ils étaient avérés, seraient en conséquence passibles de sanctions. Un rappel relatif à l’application du règlement, à savoir le fait d’accepter à bord des bus tout voyageur muni d’un titre de transport valide, a d’ores et déjà été réalisé par l’encadrement du dépôt de bus concerné. »

Les cabanons dans lesquels vivaient Cosmin et la musicienne de la Défense à Champs-sur-Marne viennent d’être détruits par les forces de l’ordre. Aux aurores, jeudi 13 mars, CRS et policiers ont fait irruption sur leur lieu de vie et ont procédé à l’expulsion des habitants.

La RATP a été précédemment mise en cause en août 2011 lorsqu’une rame de tramway a été spécialement affrétée pour transporter des familles roms qui venaient d’être chassées de leur campement de Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, situé près de l’hôpital Delafontaine. Parti de la station Cosmonautes, le véhicule a circulé pendant quarante minutes sous escorte policière, des agents se situant le long du trajet pour empêcher les passagers de descendre. Les Roms avaient été dirigés jusqu’au RER E, à Noisy-le-Sec, en direction de Chelles ou de Tournan en Seine-et-Marne.

La boîte noire :Cet article a fait l’objet d’une enquête au cours du mois de mars 2014. La RATP a répondu à l’ensemble de mes questions concernant sa connaissance des faits relatés, sa réaction auprès des agents et les procédures existantes en matière d’accès aux bus. À ma demande, le service de presse s’est engagé à transmettre au(x) chauffeur(s) incriminé(s) mon souhait de recueillir leur version des faits. Il n’a pas été donné suite à cette sollicitation.