Éditorial Par Denis Sieffert
– 17 avril 2014
Le temps du rassemblement
Il ne s’agit pas de nier les différences, voire les antagonismes, ni de prétendre les abolir. Il ne s’agit pas de fusionner, mais de rassembler.
Àla veille d’une manifestation plutôt réussie, samedi dernier, sur nos boulevards parisiens ensoleillés, deux députés écologistes ont publié dans le Monde une tribune en tout point intéressante. Les auteurs, Sergio Coronado et Noël Mamère, y approuvaient la décision de Cécile Duflot et de Pascal Canfin de ne pas participer au gouvernement de Manuel Valls. Ils y expliquaient pourquoi eux-mêmes, en s’abstenant, avaient choisi de ne pas accorder leur confiance au nouveau Premier ministre, et ils invitaient leurs petits camarades d’Europe Écologie-Les Verts à préparer « le jour d’après ». Enfin, ils plaidaient pour une « écologie populaire » qui échapperait au stéréotype du bourgeois-bohême, le fameux « bobo », plutôt mal vu du prolétaire et de l’agriculteur. Toutes propositions qui ne sont évidemment pas pour nous déplaire. Après quoi, Coronado et Mamère traçaient les contours d’une « gauche sociale et écologiste » qui, disent-ils, existe bel et bien « en germe » dans le pays.
Dans ce périmètre, ils recensaient « les déçus du hollandisme, notamment la gauche du Parti socialiste », mais aussi « les groupes et mouvements citoyens qui cherchent […] une traduction politique à leurs actions de terrain ». Seul bémol dans ce discours irénique, la flèche décochée à une gauche qui aurait « le sectarisme pour boussole ». Il se pourrait bien (mais je peux me tromper…) que cette saillie vise Mélenchon et peut-être même Pierre Laurent. La question est de savoir s’il s’agit d’une exclusion du Front de gauche du cercle vertueux de la « gauche sociale et écologiste », ou d’une invitation aux uns et aux autres à témoigner de moins de sectarisme. Mais, quoi qu’il en soit, et même si les emportements atrabilaires de Mélenchon peuvent parfois défriser, qui pourrait sérieusement prétendre au rassemblement en écartant le PCF et le PG ? Encore moins en ce lendemain de manif alors que le Front de gauche a fait une nouvelle fois la démonstration de sa capacité de mobilisation d’une gauche qui n’est pas « bobo ». Et si l’on veut faire souffler sur le pays cet « esprit de Grenoble », invoqué par Coronado et Mamère, il faut réunir tout le monde.
À Grenoble, les écologistes et le Parti de gauche sont allés ensemble à la bataille et l’ont remportée. Même lorsque les reproches sont fondés, ils doivent s’effacer devant la gravité des enjeux actuels. Nos deux écolos tribuniciens en citent un qui est de taille : le fameux traité transatlantique qui, disent-ils à juste titre, « fera tomber toutes les normes environnementales et sanitaires protectrices, et permettra à des multinationales d’attaquer les États devant les tribunaux ». Pour ne parler que de l’aspect écologique d’un problème qui est tout autant social. Et nous sommes à la veille d’un plan d’austérité qui ne dit pas encore son nom. Notre gouvernement socialiste étant irréversiblement engagé dans cette mauvaise voie, il en va de la survie de la gauche. Une opposition doit donc se dresser. Il ne s’agit évidemment pas ici de nier les différences, voire les antagonismes, ni de prétendre les abolir. Il ne s’agit pas de fusionner, mais de rassembler. Quelques élus écolos, des personnalités de la gauche du PS ont montré le chemin en manifestant samedi contre l’austérité, aux côtés des militants du PCF, du PG et du NPA. Pas sûr pour autant qu’ils soient tous d’accord sur le sort de la centrale de Fessenheim ou sur l’analyse de la crise ukrainienne. En cette année anniversaire, il ne devrait pas être déraisonnable de songer à une nouvelle « synthèse jaurésienne ». Certes, nous ne sommes plus en 1905. C’est l’écologie et le social qu’il faut aujourd’hui marier. Mais, par-dessus tout, c’est la démocratie qu’il faut revitaliser. Il est proprement insensé que notre pays ait deux discours, l’un à Paris, l’autre à Berlin. Nous venons encore de voir comment, en visite dans la capitale allemande lundi, Manuel Valls a dû se soumettre après avoir laissé entendre à l’Assemblée qu’il demanderait un sursis pour la réduction des déficits publics.
Il est impensable que la gauche – celle qui n’accepte pas la fatalité – renonce à des questionnements essentiels sur cette Europe, et sur d’autres grands sujets identitaires, comme la réduction du temps de travail, une fiscalité juste, la question de la croissance et les moyens de lutter contre l’endettement sans ébranler toute notre architecture sociale. On voit bien que, depuis quelques semaines, la colère gronde jusque dans les rangs du PS, que des intellectuels, des économistes bousculent les dogmes « européistes ». Il faut utiliser cette fenêtre de tir. Bien sûr, nous ne sommes pas naïfs au point de croire que tous les élus vont d’un coup se délier du fil à la patte qui leur assure un statut social – cette dimension de la politique n’est ni négligeable ni méprisable – et que les logiques d’appareil vont disparaître. Mais il faut au moins espérer que des lieux et des espaces permettent des rapprochements pour de vrais débats. Le moment l’exige et il nous semble qu’une certaine prise de conscience le permet.
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