INTOX. Il faut parfois se méfier des déclarations martiales… qui ne débouchent sur rien. Vendredi, Marine Le Pen est interrogée sur RTL à propos du programme que les nouveaux édiles FN mettront en œuvre : «Agir pour sauver la laïcité qui est en grande difficulté». Mais encore ? «Concrètement, dans les onze villes», lui demande l’interviewer ? «Nous n’accepterons aucune exigence religieuse dans les menus des écoles. C’est clair. Il n’y a aucune raison pour que le religieux entre dans la sphère publique ».

La déclaration est immédiatement comprise par les commentateurs comme la fin des menus de substitution offerts quand le porc est au menu. A Forbach, Florian Philippot, candidat malheureux n’avait-il pas promis un menu unique ? «Aucune obligation religieuse ne sera tolérée, notamment concernant le menu dans les cantines qui sera le même pour tous les élèves. L’information et la transparence seront la règle», détaillait-il dans son programme. Sauf que non. Suite à la bronca provoquée, le FN précise dans la foulée que Marine Le Pen a mal été comprise. Il ne s’agit pas d’interdire les menus de substitution. Florian Philippot corrige : «Nous sommes pour la laïcité, c’est-à-dire l’interdiction des interdictions… Nous sommes défavorables à l’interdiction du porc dans les cantines». Interrogée dimanche, la patronne du FN embraye : «L’idée de dire que je n’admets pas dans notre pays, la France, que le porc soit interdit des cantines, ça fait hurler. Où donc en sommes nous arrivés pour que le porc soit supprimé des écoles françaises». A la question : «Y aura-t-il des menus sans porc ?» Marine Le Pen confirme qu’il ne s’agit pas de les remettre en cause : «Il y a toujours le choix, c’est un faux débat.»

DESINTOX. Après deux jours de cafouillages, on comprend donc que l’action concrète du FN ne consistera pas à supprimer les menus de substitutions, mais à rétablir le porc dans les villes nouvellement conquises. Ce qui devrait se faire sans mal, vu que le porc n’y est pas interdit. Il suffit de regarder les menus des villes en question. Le mardi 1er avril, à Mantes-la-Ville (Yvelines), les élèves ont pu manger du porc sauce marengo. Le même jour, les cantines du Pontet (Vaucluse) proposaient une palette de porc à la diable. On retrouvait la même palette à la diable dans les assiettes scolaires au Luc (Var), le jeudi 3 avril, tandis que les élèves de Beaucaire (Gard) avaient droit à des chipolatas. La veille, les enfants d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) avaient eu un rôti de porc au jus (et du jambon deux jours avant). Aujourd’hui, à Fréjus (Var), c’est sauté de porc sauce colombo. A Cogolin (Var), demain, c’est jambon, tandis ce que Béziers (Hérault) servira une macaronade de porc…

Bref, l’interdiction du porc contre laquelle Marine Le Pen prétend être un rempart n’existe dans aucune des villes conquises par le FN, et quasiment nulle part ailleurs… Ces dernières années, seule une commune, celle de Séméac dans les Hautes-Pyrénées, a fait parler d’elle pour avoir retiré un temps le porc du menu en 2011. Un retrait temporaire. «La cantine était confrontée à des problèmes de surfréquentation et le cuisinier n’avait plus les moyens de faire deux services, avec un plat principal au porc et un de substitution», explique la direction générale des services de la ville. La commune a alors esquivé le problème en retirant les plats principaux au porc pendant … une semaine. Ce n’est pas un hasard si Marine Le Pen et Florian Philippot, pour illustrer cette supposée interdiction du porc, ont dû ce week-end aller chercher dans les archives pour exhumer une affaire de mousses au chocolat jetées à la poubelle pour cause de gélatine de porc au Havre… en 2012.

Rappelons la loi : rien n’exige des autorités locales la prise en compte des demandes religieuses. En 2011, une circulaire avait ainsi rappelé que «la cantine scolaire est un service public facultatif» et que «le fait de prévoir des menus en raison de pratiques confessionnelles ne constitue ni un droit pour les usagers ni une obligation pour les collectivités». «Il appartient à chaque organe délibérant compétent (conseil municipal pour le primaire, conseil général pour les collèges, conseil régional pour les lycées) de poser des règles en la matière.» La loi n’exige même pas les collectivités à mettre en place des plats de substitution les jours où le porc est au menu.

Pour autant, la grande majorité des communes tient compte des demandes des parents, et propose de tels menus de substitutions. C’est également le cas dans l’essentiel des villes conquises par le FN, comme on peut le voir sur les menus accessibles en ligne. Exemple à Beaucaire : «On sert du porc une ou deux fois par mois. Ces jours-là, à la place des chipolatas, il y a aura des saucisses de volaille. On essaie de faire en sorte que les assiettes se ressemblent  pour que les enfants ne se sentent pas discriminés», explique Valérie Martinez Arpin, responsable des affaires scolaire. A en croire Florian Philippot et Marine Le Pen, cela ne changera donc pas. Ce que confirme David Rachline, le nouveau maire FN de Fréjus : «La situation actuelle c’est qu’il y a du porc servi dans les cantines et des menus de substitution pour ceux qui n’en mangent pas et la situation à venir sera exactement la même.» En clair, le grand plan de sauvetage de la laïcité par le FN devrait se traduire… par un parfait statu quo dans les cantines scolaires.

Cédric MATHIOT et Amélie MOUGEY