TRIBUNE LIBRE : G. Andrès de la section de Sarlat.

 

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Témoignage sur l’hôpital

 

 

AVEC MON BLAZE DE METEQUE…

 

De la santé publique et d’un mal sociétal

 

 

Mars 2012, week-end ensoleillé. Aupied de mon arbre, je pissais heureux, quand, soudain, se déclare une sévère hématurie (en d’autres termes : hémorragie urinaire), sans autre signe avant-coureur qu’une hypertrophie de la prostate, suivie depuis des années en urologie à la Pitié-Salpêtrière, à Paris.

 Donc, urgences de Sarlat, le lundi matin 10h30. La foultitude est considérable, l’afflux continu. Le sas d’accès, réservé aux pompiers, SMUR et autres ambulanciers, ingurgite un flot ininterrompu de véhicules convoyant toutes sortes de brancardés : accidentés de la circulation, victimes d’AVC, infarctus, ruptures d’anévrisme, péritonite… La petite porte, allouée aux piétons, connaît une semblable affluence de malades et éclopés divers, venus par leurs propres moyens ou avec l’aide de proches.

L’ambiance est à la surchauffe. Les deux équipes d’urgentistes – un binôme médecin-infirmier(-ère) en interventions extérieures (incessants allers-retours en ambulance!), l’autre exerçant dans le service – font assaut de compétitivité. Flexisécurité!? Les infirmières des admissions, celles des différents services d’étage, les aides-soignant(e)s, les brancardier(-ère)s de l’hôpital et ceux de l’extérieur s’efforcent tous, autant que faire se peut, en un ballet qui tient du mouvement brownien, de ventiler au mieux les patients entre salle d’attente (exiguë!) et les soins immédiats, entre lits disponibles en médecine générale et unités spécialisées, et, en cas d’absence de celles-ci intra-muros, vers l’établissement le plus proche qui en est doté.

Dans cet univers que je méconnais totalement, j’ai l’heureuse surprise de tomber sur Yvonne. Sans être des intimes, j’ai eu l’occasion d’apprécier sa jovialité et, outre son enjouement, je la sais professionnellement efficace. Après m’avoir enregistré aux admissions où elle se trouve de service, elle s’emploie à me rasséréner tout en me pilotant jusqu’à la salle d’attente. Elle réitérera plusieurs fois cette attention dans les trois heures à venir, avant ma mise en blouse de patient et mise au lit dans la petite pièce attenante à la salle de soins principale. Il est 13h30 environ, fin de son service et promesse de consultation prochaine en ce qui me concerne… J’attendrai encore deux heures et demie, le brouhaha ambiant perdant progressivement d’intensité.

 En revanche, l’immobilité a favorisé la croissance du bol – manque de chance! – de rétention d’urine qui, à deux litres et demi, Ovalie aidant, me transforme l’abdomen en ballon de rugby. Sur la touche jusque-là, soudain le branle-bas de combat s’empare de moi : électrocardiogramme (« L’ECG de votre mari est en  vrac », dit-on, rassurant! à mon épouse), échographie, scanner, pose de sonde dans la foulée.

 Dans la foulée également, à 21h30, l’acheminement (une heure de trajet) vers la clinique Francheville de Périgueux, dont les urologues assurent les vacations mensuelles de consultation à Sarlat, en l’absence d’unité spécifique locale. J’y serai parfaitement opéré, dans la semaine, d’un adénofibrome de la prostate. Sans douleur aucune, ni avant, ni pendant (péridurale), ni après, et sans, non plus, la moindre séquelle.

Réflexions annexes

 

Bémol toutefois : il y a quelque chose de l’abus de faiblesse dans le glissement de l’hôpital public au privé, même si, mais quelque peu à chaud! , il vous est demandé si vous préférez être opéré sur place ou repartir en ambulance quelque 500 kilomètres plus loin, vers votre urologue attitré – qui prend ses rendez-vous à tarif public hospitalier d’une année sur l’autre. Dans les deux cas de figure, il ne peut y avoir que rallonge pour la Sécurité sociale! Et le sacro-saint principe de la médecine libérale du choix non faussé et concurrentiel de son docteur par le patient n’en prend-il pas là un vieux coup? coût? Surcoûts pour l’assuré sous forme de double, voire de triple peine : dépassements d’honoraires, gonflement des cotisations en conséquence à la Sécu et aux mutuelles complémentaires, impôts consécutifs aussi pour creusement toujours amplifié du trou de l’assurance maladie…

 L’affluence record aux urgences de Sarlat est le marqueur de l’indéniable nécessité d’avoir un hôpital de service public de proximité. En vraie grandeur, pour un bassin de population de 65 000 habitants, hors prise en compte des pics de fréquentation saisonniers qui en multiplient notoirement le nombre et, donc, les besoins aux périodes de vacances.

 Cela implique non seulement de ne pas continuer à détruire ce qui reste de l’existant, en poursuivant la politique de démembrement du service public de santé, de législature en législature; mais, bien au contraire, de rétablir les unités supprimées, d’en offrir de nouvelles. Ce qui induit la conquête d’espaces et le bâti de nouveaux pavillons; un nombre de lits adéquat et des plateaux techniques spécifiques aux différentes offres de soins; des personnels qualifiés, sur postes pérennes et convenablement rétribués du haut en bas de la pyramide selon compétences. En effet, le recours systématique à des spécialistes vacataires, négociant des ponts d’or, non seulement creuse le déficit financier de l’établissement, mais instaure des inégalités salariales criantes entre personnels de même responsabilité professionnelle, et instille par là même un climat délétère dans les équipes.

 Pourtant, tous les acteurs croisés sont investis dans leur fonction. Aussi faut-il que le public reste géré par ses propres lois et ne soit pas gangrené par des « partenariats » public-privé dans lesquels systématiquement le premier casque et le second engrange, au détriment des personnels comme des usagers tant l’essence même, vitale, de la santé publique est appelée à nous confondre en cette dernière qualité! Et, donc, en dépit des glapissements du MEDEF et autres féaux du libéralisme, seul l’impôt… s’impose comme garant du service public, comme garant de démocratie. L’impôt, significativement progressif, indexé sur toutes les ressources, patrimoniales comme de revenus salariaux, rentiers, de « conseil » d’optimisation comme d’évasion fiscales ou autres magouilles encouragées à longueur d’antenne. Et non la financiarisation toujours plus croissante, phagocytaire de l’humain et du vivant, fossoyeuse du bien public, dont la charité, bien ordonnée par les nantis, taxe les plus pauvres au fil d’innombrables journées de l’éphéméride, consacrées au cancer, à la mucoviscidose, au SIDA, aux maladies de Parkinson et d’Alzheimer…

 … Ah! J’oubliais. En ce qui concerne les morts programmées sur le chemin de Périgueux, pour cause d’AVC, infarctus, rupture d’anévrisme, péritonite…, en cas de suppression des urgences, après celles des soins continus et de la chirurgie, on pourrait tout aussi bien s’employer à obtenir et programmer des actions en justice collectives d’usagers du service public à l’endroit de décideurs, qui mettent délibérément en danger la vie d’autrui par incompétence, carriérisme, népotisme, conflit d’intérêt… Afin d’éviter dorénavant le « responsable mais pas coupable » d’une Georgina Dufoix dans le scandale du sang contaminé; le placard doré d’un Mattéi à la tête de la Croix-Rouge, après le « serial killing » à la canicule; la remise de la Légion d’honneur à Roselyne Bachelot pour ses prouesses en matière de vaccins antigrippaux frelatés, et pour avoir pondu une loi  « détricotant systématiquement » le service public, comme a pu s’en vanter le MEDEF au début de la précédente législature, et dont le contenu, comme on voit, n’est pas remis en cause par la présente.

 De Toussaint-Louverture

 à Christiane Taubira

 A ne pas oublier non plus! Yvonne, à première vue est… black, d’un beau noir, profond, que je qualifierai volontiers de noir… foncé. Elle le porte très bien. Mère Courage parmi les Mère Courage de la tourmente infirmière, elle y ajoute une touche de Courrèges. « Peau noire, blouses blanches! » en somme, pour saluer Frantz Fanon.

 Aussi, lorsque je lis dans la presse un micro-trottoir de courageux anonymes obligeamment flattés par une plume sans recul critique, je me demande qui sert qui? qui se sert de qui? À moins que le papier ne soit « purement » bidonné.

 Que les cons-sonnent-antique (façon olifant) à vouloir stigmatiser tout un chacun et, particulièrement ici, tel ou tel chirurgien au motif que son patronyme est « un nom à consonance étrangère », c’est utiliser l’onomastique (science des noms propres de personnes) dans la même distorsion raciste que l’emploi de la physiognomonie pour hiérarchiser les différentes ethnies selon les traits du visage.

 N’en déplaise aux nostalgiques de la traite triangulaire et de l’esclavage; n’en déplaise aux ganaches des conquêtes coloniales ou à tel histrion refusant, à Dakar, le droit d’entrer dans l’histoire à l’homme africain; n’en déplaise aux soudards des guerres d’Indochine et d’Algérie…, des relents de Roncevaux à la Françafrique et Ouvéa en passant par Sétif, Guelma et Tananarive, et les piges es tortures de l’  « école française » auprès des dictatures du Brésil, du Chili et d’Argentine, jamais, au grand jamais, la couleur de peau du conquérant n’a valu brevet d’humanisme, de volonté civilisatrice.

 N’en déplaise aux fous de drapeaux,  « horriflammes », hymnes martiaux et autre quincaillerie de plastron et d’épaulette – autoproclamés nationaux, nationalistes, identitaires – , jamais, au grand jamais, la haine de l’Autre n’a valu quitus de patriotisme, de volonté libératrice. Si, selon la formule de Sartre, pour les uns « l’enfer, c’est les Autres », souvent, depuis la Révolution française, le paradis des Huns a pu en séduire d’autres : en 1792, à Koblenz, avec les émigrés de l’armée de Condé; en 1870, avec Bazaine, capitulant devant Bismarck pour lui livrer Paris; en 1939-1945, avec la division Charlemagne – coucou, le revoilà! – , division française incorporée aux SS.

 D’Angers à… Nabirat, le danger est dans la place. Vite, en urgence, un service contre le bacille de Yersin, contre la peste… brune!

Gilles Andrès*

Membre de la section de Sarlat.

* Français de deuxième génération, résolument et consonantiquement de souche étrangère – issu de père français né à Paris de parents espagnols, réformé, pacifiste et responsable départemental de la Résistance, « mort pour la France » à 31 ans, haché menu à la mitrailleuse après délation à la Gestapo, obligeamment relayée par de bons Français de souche de la Milice. Il aurait eu cent ans en janvier de cette année.