Dieudonné: sous le vacarme, un hold-up
Mediapart.fr
C’est encore une semaine Dieudonné… En annonçant son intention d’interdire ses spectacles par circulaire, alors qu’il dispose déjà de l’arsenal juridique pour le faire sans vacarme, Manuel Valls a saturé l’espace médiatique. Pourtant, par-delà les postures, ce qui est en jeu n’est pas la provocation bruyante du « fantaisiste » antisémite : c’est son hold-up sémantique silencieux.
Au-delà de son usage politique, l’affaire Dieudonné c’est l’affaire Taubira, mais à l’envers. D’un côté un raciste emblématique, qui se sert de sa couleur, et de l’autre une victime du racisme, qu’on veut réduire à ses pigments. Entre eux deux, la société française, qui s’interroge, et se demande si elle doit ouvrir les yeux, ou détourner la tête.
Au lendemain des premières agressions subies par la ministre de la justice, un grand silence avait suivi. Même chose avec Dieudonné. Depuis des mois, voire des années, on constate un embarras, face à « l’humoriste antisémite », et à ses provocations de plus en plus décomplexées. Dans les deux cas les appels à ne pas trop en faire se justifient par la prudence et le sens de la mesure. Dénoncer les extrémistes, ou les enfants d’extrémistes qui ont comparé Christiane Taubira à un animal, aurait, paraît-il, donné de l’ampleur aux dérapages de quelques isolés. Et interdire les sketches de Dieudonné lui ferait de la publicité en le transformant en victime.
Il faudrait se taire de crainte de faire du bruit…
Dans les deux cas, ceux qui s’en prennent aux fondements de la République en profitent donc pour s’emparer du droit républicain. Les ennemis de la ministre ont invoqué la « liberté de manifester ». Et les fournées de spectateurs venus voir Dieudonné pour casser du juif en chœur, revendiquent la liberté de rire et d’aller au spectacle !
Dans les deux cas, l’agresseur s’est transformé en victime. C’est tout juste si les défenseurs de Christiane Taubira, qui ont fini par se lever, n’ont pas été accusés de complicité avec les délinquants, ou d’accointances antifrançaises avec les indépendantistes de Guyane. Et c’est à peine si Dieudonné ne se plaint pas d’un racisme anti-Noir exercé par ses « dénonciateurs ».
Car les anti-Dieudonné seraient membres du «Système », et lui serait le révolté, l’homme libre, celui qui mène la lutte « antisystème » ! Ainsi, le pire dans ce retournement, parce que le plus insidieux, n’est pas que le cloaque en vienne à dénoncer l’eau trouble, mais l’espèce d’OPA lancée avec succès sur les symboles et le vocabulaire, c’est-à-dire le patrimoine commun.
Et ce n’est pas une première : la frange extrême des opposants au « mariage pour tous » a déjà coiffé, l’année dernière, le bonnet phrygien de 1789, en se réclamant du printemps 68 ! Dans le même esprit, Dieudonné nous fabrique une épidémie de quenelles au nom de la lutte antisystème ! Dieudonné, Anelka, et ceux qui les imitent ne seraient pas des racistes, mais des damnés de la terre, des prolos, des militants persécutés par « le système » !
Quel système ? Celui de la précarité ? Celui des bas salaires ? Celui des faibles contre les forts ? Celui des milliardaires du foot ? Non, « le système », comme s’il n’y en avait qu’un, et comme si sa simple évocation avait le pouvoir de transformer un régressif en progressiste. Il est là, le danger Dieudonné. Pas dans le vacarme que provoquerait ou non son interdiction, pas dans les circulaires à grand spectacle, mais dans le silence d’un hold-up sémantique, qui ferait passer, sans qu’on s’en aperçoive, un facho pour un illuminé, et sa vessie pour une lanterne.
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Sur Dieudonné, récidiviste en ignominie, Mediapart a déjà publié plusieurs articles.
Le 31 décembre 2008 :
Dieudonné, ce pitre qui ne fait pas rire, par Edwy Plenel
Militant antiraciste devenu propagandiste antisémite, Dieudonné ne fait plus rire. Vendredi 26 décembre 2008, au Zénith, il a atteint des sommets d’ignominie en distinguant par un «prix de l’insolence» le négationniste Robert Faurisson, acharné à nier la réalité du génocide dont ont été victimes les juifs d’Europe. Mais s’indigner face à cette provocation, recherche explicite du scandale, ne suffit pas, pas plus que le recours à la justice. Encore faut-il se donner les moyens véritables de faire reculer cette renaissance d’une idéologie criminelle, sur fond de vide politique, de misère sociale et d’ignorance abyssale. La suite ici
Et le 2 juin 2009 :
Il y eut l’affiche de la liste dite « antisioniste » présentée en Île-de-France aux élections européennes de juin 2009 par Dieudonné. Il y eut, en décembre 2008 au Zénith, le barouf antisémite du prétendu « comique » en l’honneur du révisionniste Faurisson. Ces deux manifestations s’inscrivent comme le reflet ténébreux d’une aversion fatale : celui qui la ressent l’attribue à ceux qu’elle vise. Une telle haine, aussi nauséabonde qu’instructive, mérite une visite guidée, qui occupe le XXe siècle et culmine – dans la bassesse – en avril 1944. La suite ici
Ce dernier article a été mis à jour et se trouve désormais ici sous le titre Dieudonné ou la haine antisémite toujours recommencée.
La boîte noire :Hubert Huertas, jusqu’alors responsable du service politique de France Culture, vient de rejoindre Mediapart. Voici son première article même si nos lecteurs connaissent bien son blog : il est à lire (et écouter) ici. Et à relire ici un précédent billet annoncant son départ de France Culture pour Mediapart.
URL source: http://www.mediapart.fr/journal/france/060114/dieudonne-sous-le-vacarme-un-hold
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