Le «gel» de Manuel Valls est un acide : la preuve

 Mediapart.fr

18 avril 2014 | Par Hubert Huertas

 Officiellement c’est un «gel», dans la réalité c’est une amputation. Le «gel» des allocations et des retraites et le «gel» des salaires des fonctionnaires sont en fait un acide. Il ronge et rongera votre pouvoir d’achat. Explications et tableaux sur un plan d’austérité qui ne veut pas dire son nom.

Dans l’art de la guerre, on appelle ça un leurre. Une manière d’enfumer son adversaire. En matière de revenus ou d’allocations, on préfère parler de « gel », mais cela revient au même. Cette figure de rhétorique vise à faire croire qu’on ne touche pas aux salaires, tout en les baissant quand même. En présentant mercredi 15 avril son plan d’économie, et en annonçant son « gel », Manuel Valls s’est ainsi défendu de toute atteinte au pouvoir d’achat, mais il a taillé dans le vif. Ce qu’il présente comme une « non-revalorisation » est en fait une amputation.

Manuel Valls, à l'issue du conseil des ministres de mercredi, entouré des ministres concernés par son plan.
Manuel Valls, à l’issue du conseil des ministres de mercredi, entouré des ministres concernés par son plan. © Reuters

Officiellement, le « gel » consiste à ne pas tenir compte de l’inflation, donc à ne pas “revaloriser” les salaires. Dans les faits, cela revient à les dévaloriser. Un peu comme un pisciculteur laisserait mourir ses poissons dans des bassins qui fuient, parce que rajouter de l’eau lui reviendrait trop cher. L’avantage du « gel », c’est qu’il est anesthésiant, comme en petite chirurgie, quand un coup de vapeur glacé permet à un patient de ne pas avoir trop mal si on lui pose un point de suture. L’inconvénient, c’est que la douleur finit par se réveiller.

L’exemple le plus récent est celui du « gel du barème de l’impôt sur le revenu ». Mis en place sous le précédent quinquennat, et confirmé au début de l’actuel, ce « gel » avait permis aux gouvernements précédents d’annoncer qu’ils n’augmentaient pas l’impôt. Quand les feuilles sont arrivées dans les boîtes aux lettres, les contribuables ont mesuré l’écart entre le gel annoncé et le coup de chaud sur les finances familiales. Des dizaines de milliers de Français, exonérés jusque-là, ont dû acquitter d’un jour à l’autre l’équivalent d’un mois de salaire.

Le coup du « gel » annoncé par le premier ministre aura le même effet différé, mais qui n’en sera que plus cuisant. Certaines allocations seront « gelées » au moins jusqu’en 2015, et l’Association des paralysés de France estime par exemple que cette mesure aggravera la précarité des personnes handicapées. De même, les retraites seront « gelées » pendant deux ans, alors que la réforme n’avait prévu cette mesure que pour une durée de six mois.

Mais l’annonce la plus dure concerne les fonctionnaires, c’est-à-dire en premier lieu les enseignants, les agents hospitaliers, les policiers, les militaires, les juges… Leur salaire était déjà « gelé » depuis 2010, il le restera jusqu’en 2017. Sept ans de revenus rongés par l’inflation. Allez demander aux banques de vous accorder des prêts à taux zéro pour cent pendant un septennat, vous verrez leur réaction !

Les services de Manuel Valls précisent que « les règles d’avancement dans la fonction publique d’État » seront préservées. Cela veut dire, en langage clair, que les promotions obtenues par tel ou tel agent, donc sa progression de carrière, ne lui permettront plus d’améliorer sa situation, mais seulement de la maintenir à son plancher, puisque les bénéfices de l’avancement ne feront plus que compenser les pertes provoquées par le « gel ». Qui avance fait du surplace, et qui n’avance pas recule… Autant dire que les grilles de carrière de la fonction publique seront vidées de leur substance.

Un précédent existe à un tel phénomène. Dans l’audiovisuel public, le fameux “point d’indice” avait aussi été « gelé » pendant de longues années. Au bout d’une dizaine d’années, la situation est devenue tellement absurde, et tellement intenable, que les conventions collectives qui régissaient le travail des différents métiers ont purement et simplement disparu, certaines n’étant toujours pas remplacées, comme à Radio France par exemple…

Donc le « gel » n’est pas un gel mais un acide, aux conséquences lourdes à moyen terme, sur l’organisation des services et des emplois, et aux effets immédiats sur les salaires ou les allocations. Pour mesurer cet effet en termes de revenus mensuels, reportez-vous aux deux tableaux ci-dessous.

Le premier tableau, “Allocations et retraites”, calcule les conséquences du gel jusqu’en 2015. Le second tableau concerne les fonctionnaires. Il calcule les conséquences mensuelles de ce gel, de 2010 à 2017. Le calcul de la perte de pouvoir d’achat est effectué sur la base d’une inflation de 1,6 % (c’est-à-dire de la moyenne de l’inflation annuelle pour les années 2010, 2011, 2012, 2013, et 2014).

Exemple : Si votre allocation, ou votre retraite, est de 1 000 euros, vous perdrez 15 euros mensuels en 2014, 30 euros mensuels en 2015, et votre pension réelle (en euros constants) sera alors d’une valeur de 970 euros comparée à celle de 2013…

Exemple : Si vous êtes enseignant, et que votre salaire était de 2 000 euros en 2010, votre perte mensuelle annuelle est de 32 euros par mois, le cumul de ces pertes en sept ans sera de 224 euros par mois, et votre salaire réel (en euros constants), hors promotions, sera d’une valeur de 1 776 euros comparé à celui de 2010.