Asile et immigration: les orientations de la réforme Cazeneuve

Mediapart.fr

20 mai 2014 | Par Carine Fouteau

 Mediapart a consulté les avant-projets de loi sur l’accueil des réfugiés et le séjour des étrangers. Bernard Cazeneuve en présentera la version définitive fin juin. La procédure d’asile sera accélérée, les déboutés seront plus facilement expulsés, une carte de séjour pluriannuelle sera créée, ainsi qu’un « passeport talent ».

Manuel Valls les a initiés, Bernard Cazeneuve, qui a pris la suite de l’actuel premier ministre au ministère de l’intérieur, les défendra devant le Parlement. Réformant l’accueil des réfugiés et le droit au séjour des étrangers en France, les deux projets de loi attendus sur l’asile et l’immigration, les premiers d’envergure de la gauche au pouvoir, commencent à circuler, dans leur version temporaire, dans le milieu associatif. Plusieurs fois reportés dans la perspective des échéances électorales de 2014, ils doivent être présentés fin juin en conseil des ministres, après avoir été sousmis au Conseil d’État.

L’avant-projet de loi sur l’asile, daté du 6 mai 2014, comprend 27 articles en l’état. Il prévoit des changements importants dans l’examen de la demande, avec notamment l’accès des personnes à un avocat lors de l’entretien, et la possibilité pour l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) d’accélérer les procédures. En vue de leur expulsion, les déboutés du droit d’asile pourraient être assignés à résidence dans des centres d’accueil spécifiques « de préparation au retour ». Des délais abrégés de recours leur seraient appliqués.

 

S’inscrivant dans le droit européen, ce texte retranscrit trois directives (« qualification » du 13 décembre 2011, « procédures » du 26 juin 2013 et « accueil » du 26 juin 2013). Il se veut l’aboutissement d’une concertation, organisée en juillet 2013 par le ministère de l’intérieur avec les acteurs du secteur parmi lesquels des associations et des élus locaux. Il fait le constat d’un dispositif de l’asile à bout de souffle : l’allongement des délais d’examen (deux ans en moyenne au total), en partie dû à la hausse de la demande depuis 2007 (pour atteindre 66 251 en 2013), a pour effet d’engorger les centres d’hébergement (21.400 places) prévus pour les demandeurs d’asile et d’accroître les coûts liés aux allocations qui leur reviennent de droit.

À la sortie, l’enrayement est lié à la difficulté pour les personnes déboutées (76% en 2013) de quitter leur lieu de vie, où elles ont eu le temps de tisser des liens, et le territoire. Beaucoup restent en France, tombant dans l’illégalité. Après avoir rappelé que le droit d’asile est une « valeur fondamentale de notre pays », le ministre se fixe comme double objectif d’accélérer les procédures, tout en améliorant quelques-uns des droits individuels, et de garantir le « départ effectif » des étrangers dont la demande a été définitivement rejetée.

Le texte accroît les marges de manœuvre de l’Ofpra, dont l’indépendance est consacrée officiellement dans la loi, pour « dissuader » les demandes « manifestement » infondées. Les possibilités d’examiner rapidement tel ou tel dossier pour lui opposer une réponse négative seraient amplifiées. Le « pouvoir d’appréciation » de l’Office est renforcé, à la fois pour exclure (notamment les personnes originaires de pays considérés comme “sûrs”) mais aussi pour statuer prioritairement sur les dossiers remplis par des personnes vulnérables (mineurs, femmes enceintes, etc.). En application de la législation européenne, il est prévu que le demandeur puisse être assisté d’un conseil, au moment de l’entretien avec l’officier, et que la transcription de l’échange lui soit communiquée.

L’Ofpra, de son côté, pourrait exiger des pièces complémentaires, parmi lesquelles un certificat médical. Les demandes de réexamen risquent d’être écartées si elles sont estimées « manifestement dilatoires et formées dans le seul but de prolonger le maintien en France ». Le règlement de Dublin est réaffirmé : la demande d’asile ne peut être examinée que par un seul État membre de l’UE (en principe le premier que la personne a traversé physiquement). Si une démarche est engagée ailleurs, l’Ofpra peut refuser de se prononcer – le but initial étant d’éviter l’asylum shopping –, mais un recours en annulation doit néanmoins pouvoir être déposé. À la suite de condamnations de la Cour de justice de l’UE et de la Cour européenne des droits de l’Homme, les étrangers demandant l’asile en rétention ne seraient plus systématiquement placés en procédure dite accélérée, synonyme, le plus souvent, de rejet.

La Cour nationale du droit d’asile (CNDA), un temps menacée, conserve sa place d’autorité de recours. Il lui est fixé comme objectif de statuer dans un délai de quatre mois et, dans un certain nombre de cas (procédure accélérée, décision d’irrecevabilité et réexamen), de statuer « à juge unique » dans un délai d’un mois. Pour plus d’efficacité, l’aide juridictionnelle est affirmée comme étant de « plein droit ».

En matière d’hébergement, un schéma national, décliné par région, géré via un fichier informatique, serait mis en place sous la direction de l’Office français de l’immigration et l’intégration (Ofii) afin de répartir les demandeurs sur le territoire en fonction des places disponibles. En cas de refus des personnes, les conditions d’accueil seraient retirées. En cas de rejet définitif de la demande d’asile (recours compris), elles pourraient être expulsées de leur logement. La gestion de l’allocation financière forfaitaire couvrant les frais de nourriture et d’habillement de base est également confiée à l’Ofii.

Les déboutés ayant fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) pourraient être assignés à résidence dans un « lieu d’aide et de préparation au retour » où leur serait délivré un « accompagnement spécifique », ce transfert permettant de facto de libérer des places dans les centres d’hébergement pour demandeurs d’asile. Ils se verraient appliqués des délais abrégés de recours contre la mesure d’éloignement les concernant, afin de faciliter leur départ de France.

La réforme du droit au séjour des étrangers sur les rails

Également promis de longue date par l’exécutif socialiste, l’avant-projet de loi relatif au droit au séjour des étrangers en France, dans une mouture susceptible d’être amendée, est pour l’instant constitué de 29 articles. Comme prévu par Manuel Valls, son objectif est de « sécuriser le parcours d’intégration » en créant une carte de séjour pluriannuelle et de contribuer à l’attractivité du pays en créant une carte destinée aux « talents internationaux ».

En matière d’accueil des immigrés au cours de leurs premières années en France, ce texte entend, dans le cadre du contrat prévu à cet effet, renforcer l’exigence de connaissance de la langue française, offrir une approche « plus concrète » des droits et devoirs de la République centrée sur l’organisation et le fonctionnement de la société et garantir l’accompagnement vers les services de droit commun.

Annoncé par François Hollande, étudié dans le rapport du député PS Matthias Fekl, un titre de séjour pluriannuel se substituerait à l’enchaînement des titres de séjour de quelques mois à un an. Il serait délivré au bout d’un an de résidence légale pour une durée maximale de quatre ans. Il devrait, selon l’exposé des motifs, permettre d’éviter les multiples passages en préfecture « vécus comme une contrainte et préjudiciables à la qualité de l’accueil et même à la lutte contre la fraude ». L’attribution de cette carte serait conditionnée à une exigence d’assiduité aux formations linguistiques et civiques prescrites par l’État. Elle ne serait pas considérée comme un « blanc-seing » : elle pourrait être reprise en cas de manquements à diverses obligations.

Les « talents » pourraient obtenir une carte spécifique – appelée « passeport talent » – d’une durée de quatre ans, en remplacement des divers titres existants, qui faciliterait l’arrivée de leur famille. Parmi les 10 000 étrangers potentiellement concernés, selon l’évaluation du ministère, sont listés les jeunes diplômés qualifiés, les investisseurs, les mandataires sociaux, les chercheurs, les travailleurs hautement qualifiés, les salariés en mission, les artistes et les étrangers « ayant une renommée internationale » dans les domaines scientifiques, littéraires, éducatifs ou sportifs.

Pour les étudiants, la réforme améliorerait l’adéquation entre la durée de la carte de séjour et le cursus d’enseignement suivi et simplifierait les changements de statut des titulaires d’un master qui voudraient accéder à un emploi correspondant à leurs compétences ou créer une entreprise.

En matière de reconduite à la frontière, le texte privilégie le recours à l’assignation à résidence, mesure moins coercitive que le placement en rétention. Mais les outils répressifs restent à disposition : l’autorité administrative pourrait ainsi recourir à la force publique, « si l’exécution de la mesure d’éloignement l’exige », pour assurer les missions d’escorte ou d’interpellation « directement liées à l’exécution d’office d’une procédure de retour ».

En cas d’enfermement, l’antériorité du juge des libertés n’est pas rétablie, mais, à la différence de ce qui a été mis en place lors du quinquennat précédent, le juge administratif saisi de la légalité de la décision de placement en rétention pourrait examiner la régularité des procédures d’interpellation et, le cas échéant, de retenue ou de garde à vue qui l’ont précédé. Une forme de recours « immédiatement disponible et effectif » serait de la sorte instituée. Pour lutter contre l’immigration irrégulière, le texte doublerait les amendes dues par les transporteurs, tandis que pour prévenir les fraudes, des échanges d’information pourraient être effectués. Quant aux ressortissants européens, ils pourraient être visés par une interdiction temporaire de circulation sur le territoire en cas d’« abus de (leur) droit de libre circulation » ou en cas de menace à l’ordre public.