Lettre 6 de la section LDH de Besançon
Après les manifestations des 14 et 21 janvier, que peut-on attendre du Conseil constitutionnel ?
Nous avons dit notre opposition à la loi asile immigration portée par le ministre de l’Intérieur G. Darmanin, soutenue par la droite et l’extrême-droite et adoptée après une procédure accélérée. Nous l’avons fait par des tribunes, l’explication de ce texte dangereux et honteux, des réunions publiques.
Nous l’avons fait également par des manifestations dont les plus importantes ont été celles du 14 janvier à l’initiative des personnes sans-papiers, les premières concernées et celle du 21 janvier à l’appel des syndicats, partis politiques de gauche, associations et de nombreuses personnalités se situant sur un arc politique large, comprenant notamment Jacques Toubon (ancien ministre de J Chirac et défenseur des droits).
La prochaine étape est la décision du Conseil Constitutionnel (CC) de ce jeudi 25 janvier. Que peut-on en attendre ? Comme son président Laurent Fabius l’a clairement exprimé lors de ses vœux, le CC n’est ni une chambre d’enregistrement des choix du parlement ni un écho de l’opinion. Autrement dit il n’est pas là pour valider les choix du gouvernement.
Mais son rôle n’est pas non plus de se faire le porte-voix des opposants au texte que nous sommes (rappelons-nous de la loi retraite). En effet le rôle du CC est de vérifier la conformité des lois avec notre Constitution.
Cela pourrait nous paraître rassurant dans le cas de la loi immigration. En effet, nous savons, éclairés par les juristes, que nombre des dispositions du texte sont inconstitutionnelles. Même le président de la République le sait qui a saisi le Conseil semblant compter sur ce dernier pour arbitrer des choix politiques.
A cet égard on ne peut qu’être préoccupé par ce président qui soutient et promeut un texte de loi qu’il sait inconstitutionnel. La base de l’Etat de droit étant que le droit soit respecté au premier chef par ceux qui nous représentent et sont censés le connaître.
Pourtant, force est de constater que si l’on convient bien que le rôle du CC n’est pas par principe de défendre les droits des étrangers, sa lecture de la Constitution au regard de cette question a été pour le moins évolutive et pas dans le sens que l’on souhaiterait.
A quelques exceptions près, il a presque toujours validé les choix du législateur qui n’a fait – presque – que rogner les droits des étrangers dans les 29 lois des 40 dernières années.
Par exemple à propos de l’enferment en CRA, pudiquement nommée la « rétention administrative », le juge constitutionnel disait en 1980 qu’elle devait être « brève ». Elle était à ce moment-là de 7 jours. Elle est passée à 10 jours, puis à 12, puis 32 pour être de 90 jours aujourd’hui. De même le CC a affirmé que la lutte contre l’immigration irrégulière participait de la sauvegarde de l’ordre public. Comme si les personnes fuyant la misère et les persécutions étaient responsables de nos maux ! Il en a même fait un objectif à valeur constitutionnelle. Or c’est la façon dont cette loi est présentée par le gouvernement. On peine à imaginer qu’il la rejettera en bloc.
Par ailleurs il ne se soucie pas – ce n’est pas sa mission – de la conformité des lois avec les Traités internationaux qui engage notre pays comme la DUDH de 1948 ou La Déclaration des Droits de l’Enfant.
Enfin, s’il revient sur un certain nombre de dispositions, il n’invalidera pas le texte dans son ensemble. Or c’est bien tout le texte qui pose problème. Il constitue clairement la victoire de l’extrême-droite en consacrant la préférence nationale et la remise en cause de l’État de droit.
Il porte une atteinte très grave aux droits des personnes étrangères, en situation « régulière » ou pas, à nos principes fondamentaux qui affirment l’égalité entre les êtres humains. Il compromet encore plus la solidarité et notre vie en commun.
Nous allons devoir nous mobiliser encore pour défendre l’égale humanité en manifestant, en refusant d’obéir, là où nous sommes, comme nous le pouvons. Des médecins ont dit qu’ils continueraient à soigner, des communes qu’elles compenseraient les aides étatiques non perçues, des citoyens qui continueraient à héberger/accompagner des personnes non pas tant « irrégulières » que des personnes dont on dénie les droits. Le recours devant le CC est l’une des façons d’agir. Il ne faut pas la négliger.
On peut espérer la remise en cause de certaines dispositions de la loi. Ce sera très insuffisant, mais ce sera quand même bon à prendre parce la vie des personnes étrangères sur notre territoire est déjà si difficile qu’on ne peut se permettre de mépriser les reculs sur les dispositions iniques que l’on pourrait obtenir. Et il nous faudra continuer pour donner une chance au pire de ne pas se produire.
Barbara Romagnan
Pour la section LDH de Besançon
21 janvier 2024
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