8 mars : la grève des femmes dans le monde
Arrêter le travail tend à s’imposer comme mode d’action pour la journée internationale des droits des femmes. Lancé en 2017 en Argentine, le mot d’ordre de grève internationale a été repris dans une cinquantaine de pays, certains pour la première fois, comme en Belgique ou en Grèce. Petit tour du monde des mobilisations.
En France, environ 200 rassemblements ont été annoncés pour la journée du 8 mars, regroupant 15 000 manifestants selon les organisateurs. À Paris, 6000 personnes se sont rassemblées sur la Place de la République à partir de 15 h 40, heure symbolique à partir de laquelle les femmes travaillent gratuitement : l’écart de salaire avec les hommes est de 26 % inférieur en moyenne selon les associations. Si le rassemblement parisien est plus fournit cette année que le 8 mars 2018, il reste très en deçà de la mobilisation contre les violences faites aux femmes du mois de novembre, initiée par le mouvement Nous Toutes. À l’automne, 30 000 personnes à Paris, et 50 000 dans toute la France avaient défilé.
Pourtant, les femmes tuées sous les coups de leur compagnon ou ex-compagnon sont déjà au nombre de 30 depuis le début de l’année, selon le décompte de militantes féministes réalisé en épluchant la presse. Ainsi, le nombre de féminicides grimpe à un tous les deux jours en 2019, contre un tous les trois jours les années précédentes. Et ce, malgré qu’Emmanuel Macron ait promu l’égalité entre les hommes et les femmes au rang de grande cause nationale en novembre 2017. Le tout sans la moindre déclaration de Marlène Schiappa, pourtant secrétaire d’État chargée de l’égalité femmes-hommes.
En dehors de la capitale, 2500 manifestants, essentiellement des femmes, ont défilé dans les rues de Marseille. À Lille, elles étaient plusieurs centaines pour dénoncer les violences sexistes et réclamer comme dans toute la France l’égalité des salaires. À Toulouse comme à Grenoble : plus d’un millier. À Lyon, Montpellier et Strasbourg : quelques centaines. À Bordeaux, un cortège a fait le tour de lieux emblématiques de la violence faite aux femmes comme le palais de justice et le commissariat. À Paris, une manifestation de nuit suivant le rassemblement de l’après-midi a rassemblé environ 500 femmes.
Espagne
L’an dernier, cinq à six millions de femmes ont cessé le travail ou manifesté pour revendiquer une égalité effective entre les hommes et les femmes notamment sur la question des salaires. Cette année, pas moins d’un millier de rendez-vous ont été planifiés pour revendiquer la fin des violences sexistes et l’égalité salariale. Le travail domestique invisible a aussi été mis en avant, que ce soit pour les tâches ménagères ou les soins prodigués aux enfants et aux personnes à charge. Comme l’an dernier, le 8 mars a été une marée violette dans la péninsule.
S’il est difficile de comptabiliser pour l’heure le nombre effectif de grévistes sur l’appel à des débrayages de deux heures de l’UGT et des CCOO et à des appels de 24 h de la CGT et de la CNT, les rassemblements en journée ont regroupé des dizaines de milliers de femmes dans plusieurs villes. Les images publiées sur les réseaux sociaux de celui de Bilbao sont particulièrement impressionnantes. En soirée, les manifestations ont mobilisé plus encore que l’an passé. À Séville où Vox, un parti d’extrême droite très antiféministe, a fait son entrée au parlement régional en début d’année, 50 000 personnes ont manifesté au sein de trois cortèges convergeant vers le centre-ville.
Manifestation à Séville le 8 mars 2019À Madrid, les organisatrices du défilé annoncent un million de personnes, contre 350 000 selon la police, soit quand même le double de l’an passé. Toujours selon les chiffres des autorités, les cortèges barcelonais ont regroupé 200 000 manifestants. Les mêmes vagues féministes ont touché la plupart des villes espagnoles. Selon la presse espagnole, 4,91 % des agents de l’administration générale d’État ont cessé le travail toute la journée, et 5,99 % ont effectué un débrayage de deux heures. Cette journée de grève intervient un mois et demi avant les élections législatives anticipées du 28 avril où une percée du parti antiféministe Vox est pronostiquée.
Italie
L’association Non una di Meno appelait à une grève féministe le 8 mars pour lutter contre toutes les violences et discriminations dans la famille, au travail, dans la rue, les hôpitaux ou les écoles. Autres thèmes de la journée : les revenus et la liberté de choix des femmes dans un contexte d’attaques contre l’avortement et de retour aux valeurs de la famille. En effet, depuis l’arrivée au pouvoir de la Ligue, la pression contre les droits des femmes se fait plus pressante et les déclarations machistes se multiplient.
Pour le 8 mars, le parti de Matteo Salvini a édité un tract concluant que les femmes ont « une grande mission sociale pour assurer le futur et la survie de notre nation ». Les organisatrices de la journée du 8 mars en Italie avancent le chiffre de 50 000 manifestantes à Rome et plusieurs milliers à Milan, Naples, Gênes, Bologne ou Palerme. Plusieurs syndicats minoritaires se sont joints à la journée en déposant des préavis de grève.
Belgique
Pour la première fois, les Belges ont été appelées à la grève à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes. Six mois plus tôt, le Collecti.e.f 8 maars se lançait dans son organisation recevant l’appui de deux des trois centrales syndicales du pays : la FGTB et la CSC. L’appel à la grève se veut total : grève du travail salarié, du soin, de la consommation et des études. Les organisatrices ignorent combien de femmes ont cessé leur activité dans tout le pays, mais le 8 mars au matin, une centaine de chercheuses et d’étudiantes de l’Université libre de Bruxelles ont arrêté le travail. Dans l’après-midi 15 000 personnes ont défilé à Bruxelles à l’appel de la Marche des femmes, des syndicats et du collecti.e.f 8 maars.
À Liège, la manifestation a rassemblé 1700 personnes, contre 200 l’an dernier. À Mons et Louvain, elles étaient environ 500. Un résultat au-delà des espérances des organisatrices de cette première grève. « Il n’y a pas eu de débrayages en entreprise », explique Selena Carbonero responsable régionale du syndicat FGTB. Pour elle, il s’agit d’une contamination bienvenue de la sphère privée en direction du monde du travail. Cependant, elle constate encore un décalage entre la culture de la grève des organisations syndicales faite de blocage d’usines, et celle des collectifs citoyens. « Nous espérons que l’année prochaine cela prenne plus d’ampleur avec une mobilisation plus importante des délégués et des représentants du personnel sur le terrain » avance Selena Carbonero, admettant que les organisations syndicales sont encore construites sur un modèle patriarcal.
Grèce
Pour la première fois, comme en Belgique, un arrêt de travail de trois heures a été observé vendredi dans de nombreuses administrations publiques de Grèce à l’appel des syndicats. « Les femmes gagnent 226 euros moins que les hommes dans le secteur privé, selon des chiffres de la sécurité sociale », a affirmé Argyri Erotokritou du Mouvement du 8 mars, lors du rassemblement athénien. Plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées dans la capitale pour dénoncer les inégalités de salaires et les violations des droits de l’homme dont sont victimes les femmes.
Turquie
Plusieurs dizaines de manifestations réunissant des milliers de femmes se sont déroulées dans le pays. Le nombre de femmes victimes de meurtres sexistes est passé de 210 en 2012 à 440 en 2018, selon l’association Nous ferons cesser le féminicide. À Istanbul, où le défilé était interdit, la police a utilisé des chiens, fait usage de gaz lacrymogène et de balles en plastique dans la soirée pour disperser une foule nombreuse. L’an dernier, la manifestation avait pu aller à son terme, malgré des slogans hostiles au gouvernement de l’AKP. Cette fois, comme au mois de novembre dernier, les féministes ont dû faire face à la répression. Dans trois semaines, les Turcs sont appelés à voter pour les élections municipales.
Algérie
Des appels de femmes à manifester pour leurs droits ont également eu lieu dans plusieurs villes d’Algérie, comme à Tizi Ouzou, Alger ou Oran, mais pas d’appel à la grève dans la mesure où le vendredi est une journée non travaillée. Cependant, cette journée a été dominée par les marches contre le 5e mandat du président Bouteflika qui ont vu descendre très massivement la population dans les rues de toutes les villes algériennes. À Alger, plusieurs centaines de milliers de personnes ont défilé l’après-midi. Même si les femmes ont été encore plus présentes dans les manifestations que les vendredis précédents, souvent spécifiquement en tant que femmes, la journée internationale des droits des femmes a été un peu noyée dans la masse.
Brésil
Fer de lance de l’opposition à l’élection de Jair Bolsonaro avec trois millions de femmes réunies sous le slogan unificateur « Ele Nao », « lui non », le mouvement féministe brésilien entend poursuivre son combat pour les droits des femmes et contre le fascisme. Pour le 8 mars, des milliers de femmes selon la presse brésilienne ont défilé dans les rues de São Paulo en mettant à l’honneur la figure de Marielle Franco, la militante féministe et élue noire des favelas assassinée par des paramilitaires à Rio de Janeiro le 14 mars 2018.
À Brasília, 3000 femmes auraient pris part à la mobilisation selon une information relayée par l’AFP. À Rio de Janeiro, plusieurs milliers d’entre-elles ont participé à la mobilisation du 8 mars. Des manifestations ont également eu lieu dans d’autres villes comme à Porto Alegre. Plus de 11 000 femmes brésiliennes ont déclaré avoir été victimes de violences entre janvier et février de cette année, soit une augmentation de 19,9 % par rapport à la même période en 2018, a annoncé vendredi le gouvernement.
Asie
Selon The Guardian, des centaines de femmes ont défilé à New Delhi, en Inde, pour demander la fin des violences domestiques, des agressions sexuelles et de la discrimination sur le lieu de travail. À Jakarta, en Indonésie, plusieurs centaines de femmes et d’hommes portaient des pancartes appelant à la fin des pratiques discriminatoires qui mettent fin aux emplois lorsque les femmes tombent enceintes. En Corée du Sud, des femmes portant des chapeaux pointus, ont défilé contre une « chasse aux sorcières » des féministes dans une société profondément conservatrice.
Argentine
Un nouveau slogan est apparu dans les manifestations féministes en Argentine : « Nous sommes des filles, pas des mères », en référence à la jeune Lucia, une fillette de 11 ans violée par le compagnon de sa grand-mère à qui l’avortement a été interdit. Les manifestantes réclament toujours le droit à l’avortement, rejeté par le Sénat en août 2018, en cette journée internationale des droits des femmes. La question des violences sexistes occupe aussi une place importante dans les défilés, alors que 54 femmes ont été tuées depuis le début de l’année selon une ONG qui recense les violences de genre.
À Buenos Aires, au moins 300 000 personnes se sont mobilisées, regroupant toutes les générations de femmes. D’autres manifestations massives se sont déroulées dans la plupart des villes comme à Cordoba, Mendoza ou Rosario. C’est d’Argentine qu’a été initié l’appel international à la grève des femmes en 2017.
Allemagne
À Berlin, pas de grève des femmes puisque la municipalité a fait du 8 mars un jour férié. Pour autant, 10 000 personnes se sont rassemblées dans la capitale allemande. Dans les autres villes, les femmes ont été appelées à cesser le travail entre 12 h et 14 h, au moment d’une pause repas rarement prise par les travailleuses allemandes. Des rassemblements se sont tenus dans plusieurs villes allemandes comme à Cologne.
Dans le reste du monde
De façon non exhaustive, des rassemblements parfois assortis d’arrêts de travail à 15 h 40 ont eu lieu en Irlande, en Suisse, au Royaume-Uni, au Bangladesh, en Chine, en Irak, au Cameroun, au Soudan, au Kenya, au Burkina Faso, en Serbie, en Pologne, en Ukraine, aux Philippines, au Honduras, au Salvador, au Chili, aux États-Unis et au Canada.
Violences policières à Bordeaux, une manifestante blessée, quatre arrêtées à la marche féministe nocturne du 8 mars
13 mars 2019 sur le site reporterre.net
À l’appel du collectif 8 Mars Gironde, près de 800 femmes ont manifesté vendredi 8 mars soir à Bordeaux, Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, avec pour slogan « La rue est à nous ! ». L’idée pour les organisatrices était de marcher pacifiquement de nuit, pour se réapproprier l’espace public et dénoncer les violences faites aux femmes, raconte France Bleu. Au bout de quatre heures de marche, le bilan a pourtant fait état de quatre femmes arrêtées et une blessée par une grenade de désencerclement, lancée par les forces de l’ordre.
« La manifestation pacifique a dû faire face à une répression policière démesurée, rapporte le collectif dans un communiqué. Sur le cours Victor-Hugo, à 21 h 45, alors que le cortège manifestait depuis [une heure et demie] de manière pacifique, un camion de police est arrivé à l’arrière du cortège et trois policiers ont extrait de manière musclée l’une des manifestantes à la stupéfaction générale. La police a alors lancé une grenade de désencerclement avant de faire usage de bombes à poivre et de lacrymogène pour repousser les manifestantes. (…) Une manifestante est sévèrement blessée aux pieds par la grenade de désencerclement. »
Le cortège a ensuite rejoint l’hôtel de police pour demander la libération de la manifestante interpellée, laquelle a été relâchée vers 23 h 15. « Un peu plus tard, trois personnes quittant la manifestation sont interpellées et arrêtées sans raison devant le Musée d’Aquitaine alors qu’elles marchaient tranquillement sur le trottoir. (…) Les trois personnes interpellées sont placées en garde-à-vue et relâchées seulement le lendemain à 19 h », poursuit le communiqué, qui exige « l’abandon de poursuites injustifiées contre les femmes interpellées » et « que les responsables de ces violences institutionnelles soient dénoncés et jugés ».
- Sources : France Bleu et collectif 8 Mars Gironde
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