Après l’échec de la COP-25 : revue de presse

Publié sur courrierinternational  Publié le 16/12/2019 – 06:02

Changement climatique

Échec “préoccupant” pour la COP25

Malgré deux jours de prolongations, les près de 200 pays réunis à Madrid pour le sommet de l’ONU sur le climat n’ont fait aucune avancée notable, accouchant d’un texte final d’une “grande faiblesse”. Un échec “préoccupant”, s’alarment les associations de défense de l’environnement.

“Il est temps d’agir”, claironnait le slogan de la COP25, qui s’est achevée dimanche à Madrid. Las ! Le sommet a été un “bide”, déplore Le Soir“un échec pour le multilatéralisme et pour le climat” qui s’avère “très préoccupant pour l’avenir”.

Pour El País“les négociateurs n’ont pu se mettre d’accord que sur un appel timoré aux pays à faire des efforts plus ambitieux en matière de changement climatique”.

“Bien qu’il ait été prévisible, compte tenu d’un contexte international très compliqué, le piètre résultat, obtenu après des heures de négociations stériles, aggrave le décalage entre les gouvernements du monde et la science, quant à la crise du climat et la nécessité d’agir de façon urgente”, estime le quotidien espagnol.

Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, s’est d’ailleurs déclaré “déçu” par le résultat du sommet, rapporte The Hill. “La communauté internationale a raté une occasion importante de faire preuve d’une plus grande ambition en matière d’atténuation, d’adaptation et de financement de la crise du climat”, a-t-il ajouté.

La ministre chilienne de l’Environnement et présidente du sommet, Carolina Schmidt, a elle aussi estimé que les résultats obtenus à Madrid – où avait été délocalisé le sommet en raison de la crise au Chili – étaient “clairement insuffisants”, relève La Tercera.

“Le monde nous regarde et les accords conclus ne sont pas suffisants pour aborder la crise du changement climatique avec l’urgence nécessaire, a-t-elle estimé. C’est triste de ne pas être arrivés à un accord final, car nous en étions très proches.”

Même les règles du marché du carbone, toujours pas formellement établies depuis les accords de Paris, n’ont pu faire l’objet d’un accord et devront être remises sur la table des négociations lors de la COP26, en novembre prochain à Glasgow.

“Certains observateurs ont rejeté la responsabilité du mauvais résultat sur les États-Unis, le Brésil, l’Argentine, l’Arabie Saoudite et les principales compagnies de pétrole, de gaz et de charbon, qui ont sapé l’ambition climatiqueobserve El Mundo. Ils ont également montré du doigt le Canada, le Japon et l’Inde, pour ne pas avoir soutenu les pays les plus vulnérables face au changement climatique.”

Le quotidien espagnol de centre droit relaie la déception d’associations comme Greenpeace, qui considère “inadmissible que les entreprises pollueuses aient imposé leurs intérêts au sommet”, ou le WWF, qui déplore que “les pays les plus pollueurs aient séquestré la COP25.

The Guardian cite pour sa part Jamie Henn, directeur de la stratégie du site 350.org, qui qualifie de “sidérant” le “décalage entre ce que la COP promettait et ce dont elle a finalement accouché”. Le signe, selon lui, que “l’esprit même des accords de Paris vacille”.

Sur son compte Twitter, la jeune militante suédoise Greta Thunberg a promis samedi que la mobilisation de la rue ne faiblirait pas d’ici à la COP26“La science est claire, mais la science est ignorée, écrit-elle. Quoi qu’il arrive, nous n’abandonnerons pas. Cela ne fait que commencer.”

Publié sur reporterre.net   16 décembre 2019 / Hervé Kempf (Reporterre)

Climat : c’est notre mode de vie qu’il faut négocier

L’échec de la COP25 à Madrid témoigne d’un système diplomatique en crise. Aujourd’hui, face au péril climatique, l’humanité n’est pas unie. Plusieurs grands pays refusent le défi de la coopération. L’enjeu est, plus profondément, notre mode de vie dans les pays riches;

La sinistre conclusion de la COP25 à Madrid, dimanche 15 décembre en début d’après-midi, n’est pas un échec de plus de la diplomatie environnementale. Elle signe un échec plus grave encore, celui de l’idéal des Nations unies, l’idéal d’une société humaine capable d’être solidaire et de trouver ensemble la voie pour faire face à ses problèmes communs.

Les faits ? Ils sont simples, comme Reporterre vous l’a raconté depuis quelques jours et toute la matinée de dimanche. Les quelque 200 États représentés à Madrid à la 25e conférence de la Convention des Nations unies sur le changement climatique (COP25COP signifiant Conference of parties) ont échoué sur tous les dossiers discutés : élever le niveau des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, renforcer le financement de l’aide aux pays les plus pauvres pour leur permettre de faire face au changement climatique, et avancer dans la mise au point d’un système d’échanges d’émissions (dit « marché du carbone », au demeurant très critiquable dans son principe). Cet échec intervient alors que depuis l’Accord de Paris signé en 2015 lors de la COP21, les recherches scientifiques montrant la gravité de la crise climatique se sont encore accumulées, soulignant l’accélération du phénomène, et que dans de nombreux pays, les effets du changement climatique sont maintenant sensibles (l’Australie, par exemple, subit en ce moment même une nouvelle vague de chaleur extrême).

L’idéal des Nations unies est en danger

L’échec de Madrid n’est pas un accident. Il signe l’échec de la construction diplomatique engagée depuis 1992 par les Nations unies. Année après année, le même scénario se répète, parsemé de succès (protocole de Kyoto en 1997, Accord de Paris en 2015) rapidement annulés par les blocages (dénonciation du protocole de Kyoto par les États-Unis en 2001, conférence de Copenhague de 2009, échec de Madrid en 2019). Et pendant ce temps, malgré les conférences — et malgré les multiples rapports du Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) — les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont continué à croître à une allure rapide, conduisant à un réchauffement déjà effectif de 1 °C par rapport à l’ère pré-industrielle, et rendant quasiment utopique l’espoir que ce réchauffement pourrait être limité à 1,5 °C.

Ce n’est pas seulement le système des COP Climat qui apparaît fondamentalement vicié, ou « voilé », comme on dit d’une roue de vélo. La construction même des Nations unies, ce bel idéal concrétisé au sortir du terrible drame qu’avait été la Seconde Guerre mondiale, est en danger. Car la négociation sur la question climatique est devenue la seule négociation véritablement planétaire. Et c’est bien normal : la question climatique et écologique est au fond la seule question qui concerne toute la société humaine, ses huit milliards de frères et de sœurs souvent en dispute. Trouver un langage commun, trouver des modalités d’action commune, trouver un système juste de répartition des efforts pour contrer la menace commune est devenue, en fait, la principale tâche des Nations unies, et les secrétaires généraux successifs de cette organisation l’ont bien compris.

Mais la tâche est impossible quand la principale puissance mondiale, les États-Unis, refusent purement et simplement de jouer le jeu de la communauté mondiale. Quand elle s’abstrait des Nations unies, annonce qu’elle refuse l’Accord de Paris, et vient même à Madrid pour contribuer à saboter le travail. La tâche est impossible quand un des plus grands États du Sud, le Brésil, vient avec le même objectif et quand son gouvernement, déniant la réalité du changement climatique, relance la déforestation de l’Amazonie. On pourrait aussi citer d’autres États, comme l’Australie, dont le gouvernement conservateur — alors même que le pays étouffe sous des incendies de brousse qui se poursuivent depuis des semaines et une chaleur record — défend bec et ongles la production maximale de charbon.

C’est notre mode de vie qui est à négocier

Aujourd’hui, face au péril climatique, l’humanité n’est pas unie. Plusieurs grands pays refusent le défi de la coopération. Il n’est pas indifférent qu’ils soient souvent — États-Unis, Brésil, Australie, Russie — des pays immenses et disposant de vastes ressources naturelles, si bien qu’ils sont imprégnés d’une perception physique du monde différente de celle de pays plus densément peuplés, et où l’espace est compté. Mais il est clair que, même si leurs opinions sont divisées et qu’une large partie des populations y comprennent la gravité de l’enjeu, la direction générale est au déni. La signification de cet état de fait est que les sociétés de ces pays riches ne veulent pas aller vers une transformation pourtant inévitable : « Notre mode de vie n’est pas négociable » reste leur slogan, pour reprendre la phrase attribuée à George Bush en 1992.

Cette réalité doit conduire le mouvement écologiste international à plusieurs constats :

  • les COP ne sont plus un enjeu central de la bataille à court terme ;
  • il faut accepter que la bataille climatique est vraiment un conflit, et pas seulement de mots et d’idées : parvenir à réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre suppose de poser nettement les oppositions et de désigner les ennemis. Ce qui signifie aussi, même si c’est désolant, que le chemin climatique ne sera pas consensuel, doux, serein ;
  • une leçon plus difficile est aussi à tirer des événements. Ce n’est pas seulement le vilain M. Trump, le vilain M. Bolsonaro, et les autres vilains qui bloquent la situation. Ils s’appuient sur des parts sans doute encore majoritaires de leurs populations. Et il est même probable que, dans des pays riches plus conscients du péril climatique, en Europe, pour faire simple, la très grande partie de la population n’a pas encore intégré que la réponse à la crise écologique passera par la sobriété, et par une réduction du niveau de vie moyen (même si la réduction des inégalités est un préalable à tout). Le mouvement climatique ne fera pas bouger vraiment les opinions si cette amère perspective n’entre pas dans la conscience commune. Il faut savoir dire et expliquer que c’est notre mode de vie qui est à négocier. Sans quoi les désastreux effets d’un changement climatique incontrôlé régleront nos hésitations.