Israël: deux mois de manifestations citoyennes contre la corruption, la politique sanitaire et économique de Netanyahou

Israël : jusqu’où peuvent aller les manifestations anti-Netanyahou ?

Publié le 2 septembre 2020 sur Mediapart-le blog le cri des peuples

Les manifestations n’ont pas encore établi de lien entre les malversations de Netanyahou et la corruption systémique de la politique israélienne, dont l’occupation des territoires palestiniens constitue le cœur.

Par Jonathan Cook, le 2 août 2020

Source : https://www.jonathan-cook.net/2020-08-02/can-the-anti-netanyahu-protests-grow-into-a-larger-movement/

Traduction : lecridespeuples.fr

Israël est en proie à de violentes manifestations qui, selon les observateurs locaux, pourraient déboucher sur une guerre civile ouverte, un développement que le Premier ministre Benjamin Netanyahou semble encourager.

Thousands of protesters chant slogans and hold signs during a protest against Israel’s Prime Minister Benjamin Netanyahu outside his residence in Jerusalem, Saturday, Aug 1, 2020. Protesters demanded that the embattled Israeli leader to resign as he faces a trial on corruption charges and grapples with a deepening coronavirus crisis. (AP Photo/Oded Balilty)

Depuis des semaines, Jérusalem et Tel-Aviv ont été le théâtre de grandes manifestations bruyantes devant les résidences officielles de M. Netanyahou et de son ministre de la Sécurité publique, Amir Ohana.

Samedi soir, environ 13 000 personnes ont traversé Jérusalem en criant « N’importe qui sauf Bibi », le surnom de Netanyahu. Leurs appels ont été repris par des dizaines de milliers d’autres manifestants à travers le pays.

Le taux de participation n’a cessé d’augmenter, malgré les attaques contre les manifestants de la part de la police et des loyalistes de Netanyahou. A l’étranger, les premières manifestations d’expatriés israéliens ont également été signalées.

Les manifestations, qui se tiennent au mépris des règles de distanciation physique, sont sans précédent selon les normes israéliennes. Ils ont comblé le fossé politique béant entre une petite circonscription d’activistes anti-occupation – appelés de manière péjorative « gauchistes » en Israël – et le public juif israélien beaucoup plus large qui s’identifie politiquement comme étant au centre et à droite.

Pour la première fois, une partie des partisans naturels de Netanyahou est dans la rue contre lui.

Contrairement aux manifestations précédentes, comme un grand mouvement pour la justice sociale qui a occupé les rues en 2011 pour s’opposer à la hausse du coût de la vie, ces manifestations n’ont pas totalement évité les questions politiques.

La cible de la colère et de la frustration est clairement personnelle à ce stade, centrée sur la figure de Netanyahou, qui est maintenant le premier ministre israélien étant resté en poste le plus longtemps. Les manifestants l’ont rebaptisé « ministre du crime » d’Israël (jeu de mots entre Prime Minister / Crime Minister).

Mais ce qui alimente également les manifestations, c’est une atmosphère plus large de désenchantement, alors que les doutes grandissent sur la compétence de l’État pour faire face aux multiples crises qui se déroulent en Israël. Le virus a causé une misère sociale et économique incalculable pour beaucoup, avec jusqu’à un cinquième de la population active au chômage. Les partisans de Netanyahou dans les classes moyennes inférieures ont été les plus durement touchés.

Étant depuis longtemps entré dans la deuxième vague de l’épidémie, Israël a un taux d’infection par habitant qui dépasse même celui des États-Unis [au 3 août, Israël compte officiellement 74 102 cas (dont 47 551 actifs), et 546 décès, avec plus de 1 000 nouveaux cas détectés par jour ; ces chiffres n’incluent pas les territoires palestiniens, où il y a officiellement 12 541 cas et 84 décès]. L’ombre d’un nouveau confinement au cœur d’une mauvaise gestion du virus par le gouvernement a sapé la prétention de Netanyahou d’être « M. Sécurité ».

Les violences policières suscitent également des inquiétudes. Ces violences ont été mises en évidence par le meurtre en mai d’un Palestinien autiste, Eyad Hallaq, à Jérusalem.

Les répressions policières contre les manifestations, utilisant des escadrons anti-émeute, des agents d’infiltration, des policiers à cheval et des canons à eau, n’ont pas seulement souligné l’autoritarisme croissant de Netanyahou. On a également le sentiment que la police est prête à utiliser un niveau de violence contre les Israéliens dissidents qui était autrefois réservé aux Palestiniens.

Après avoir manipulé son rival de droite, l’ancien général militaire Benny Gantz, pour qu’il le rejoigne dans un gouvernement d’unité en avril, Netanyahou a effectivement écrasé toute opposition politique significative.

L’accord a brisé le parti « Bleu et Blanc » de Gantz, nombre de ses députés refusant d’entrer au gouvernement, et a largement discrédité l’ancien général.

Netanyahou se préparerait pour une nouvelle élection cet hiver, la quatrième en deux ans, à la fois pour profiter du désarroi de ses adversaires et pour éviter d’honorer un accord de rotation dans lequel Gantz devrait le remplacer à la fin de l’année prochaine.

Selon les médias israéliens, Netanyahou pourrait trouver un prétexte pour imposer de nouvelles élections en retardant davantage l’approbation du budget national, alors qu’Israël est confronté à sa pire crise financière depuis des décennies.

Et, bien sûr, éclipsant tout cela, il y a la question des accusations de corruption contre Netanyahou. Non seulement est-il le premier Premier ministre en exercice en Israël à être poursuivi en justice, mais il utilise son rôle et la pandémie à son avantage, notamment en retardant les audiences du tribunal.

Dans une période de crise profonde et d’incertitude, de nombreux Israéliens se demandent quelles politiques sont mises en œuvre pour le bien national et quelles autres ne visent qu’au bénéfice personnel de Netanyahou.

L’attention accordée par le gouvernement pendant des mois à l’annexion de pans du territoire palestinien en Cisjordanie a semblé constituer un geste visant à courtiser sa circonscription de colons, créant une dangereuse distraction qui a mis la lutte contre la pandémie au second plan.