Publié sur le site survie.org
Devoir de vigilance : Total mise en demeure pour ses activités en Ouganda
Les Amis de la Terre France, Survie, AFIEGO, CRED, NAPE/Amis de la Terre Ouganda et NAVODA [1], représentés par Me Louis Cofflard, Me Céline Gagey et Me Julie Gonidec, ont envoyé lundi 24 juin une mise en demeure à Total S.A. pour l’enjoindre :
- d’une part de combler les défaillances de son plan de vigilance actuel, qui ne comprend aucune identification des risques ni mesure spécifique concernant ses activités en Ouganda,
- et d’autre part de mettre en œuvre de façon effective ce plan de vigilance, notamment les mesures que Total prévoit déjà dans des documents relatifs à ses activités en Ouganda.
L’entreprise dispose d’un délai maximum de trois mois pour se conformer aux demandes de ces six organisations : au-delà, elles pourront saisir le juge pour qu’il ordonne à l’entreprise de le faire, le cas échéant sous astreinte financière. Cet outil juridique résulte de la nouvelle loi sur le « devoir de vigilance des multinationales » [2] promulguée en mars 2017, au terme de trois ans et demi de bataille législative pour mettre un terme à l’impunité des multinationales [3].
Pauline Tétillon, co-présidente de Survie, explique : « Total, symbole de la Françafrique qui accumule des casseroles dans de nombreux pays, va développer un méga-projet pétrolier qui se traduit par l’éviction de dizaines de milliers de personnes et des menaces graves sur l’environnement dans un parc naturel au cœur de la région des Grands Lacs. Pour nous, il est évident de chercher à l’en empêcher ».
Les quatre organisations ougandaises qui se sont jointes à la mise en demeure veulent saisir l’opportunité de cette procédure française pour défendre leurs droits. Cette loi permet en effet d’agir ici, en France, pour dénoncer les agissements à l’étranger d’une multinationale comme Total. L’enjeu est de mettre fin à l’impunité permise jusqu’à présent par le manque de lien de responsabilité juridique entre une société mère et ses filiales, sous-traitants et fournisseurs.
Pour Dickens Kamugisha, directeur d’AFIEGO, présent à Paris pour l’occasion, « La situation sur le terrain est dramatique, avec des milliers de personnes déjà privées d’accès à leurs moyens de subsistance, et aussi des dizaines de milliers d’autres bientôt affectées. Il est très difficile pour nous de défendre les droits des populations face aux injustices créées par des compagnies pétrolières comme Total qui continuent de s’associer à notre gouvernement. Notre système judiciaire ne nous permet pas de nous opposer à un géant comme Total. Les recours que nous avons déposés en Ouganda contre l’État et d’autres compagnies pétrolières n’aboutissent pas, et les ONG comme la nôtre qui défient ces intérêts économiques ont été attaquées et menacées de fermeture par le gouvernement ».
Juliette Renaud, responsable de campagne sur la Régulation des multinationales aux Amis de la Terre, conclut : « Nous nous sommes battus pendant des années pour obtenir cette loi contraignante pour les multinationales afin de défendre les communautés affectées. Aujourd’hui c’est une nouvelle bataille, judiciaire, qui commence : Total doit répondre de ses actes. Ce premier cas sera un vrai test pour voir si cette loi nous permet enfin de prévenir de nouvelles catastrophes humaines et environnementales. »
L’enquête de terrain des six organisations montre que ce méga-projet pétrolier implique :
- l’expropriation de plusieurs dizaines milliers de personnes qui ont déjà perdu ou perdront leurs habitations, leurs terres agricoles, leurs cultures, avec en échange des compensations clairement insuffisantes qu’elles sont contraintes d’accepter souvent sous des pressions et des intimidations ;
- des risques considérables pour la biodiversité et les ressources en eau, puisque le projet est situé en bonne partie au sein même du parc naturel des Murchison Falls, et comprend un réseau d’oléoducs qui passera sous le Nil et traversera des zones sensibles écologiquement dans une région à haut risque sismique ;
- un impact évident sur le climat, avec une production d’environ 200 000 barils/jours et le plus long oléoduc chauffé (à l’électricité) du monde, pour faire transiter du pétrole visqueux sur 1445 km jusqu’à un port de Tanzanie.
La collecte d’informations et de témoignages a été très difficile : nos partenaires qui enquêtent sur le terrain – dont un ressortissant français- subissant des pressions pour les empêcher d’accéder à la zone concernée et entrer en contact avec les populations affectées. Malgré tout, les six organisations sont déterminées à mener cette bataille juridique et appellent à les soutenir sur un site internet lancé pour l’occasion, totalautribunal.org
Un dossier de presse détaillant le cas est disponible ci-dessous :
[1] AFIEGO (Africa Institute for Energy Governance), NAPE / Amis de la Terre Ouganda (National Association of Professional Environmentalists), CRED (Civic Response on Environment and Development) et NAVODA (Navigators of Development Association)
[2] Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Disponible ici
[3] Cette loi est certes insuffisante, mais est malgré tout une première mondiale, qui sert d’appui à des mobilisations actuelles. Voir le rapport « Fin de cavale pour les multinationales ? » des Amis de la Terre France et ActionAid France-Peuples Solidaires , et le rapport « Loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre – Année 1 : les entreprises doivent mieux faire », publié en février 2019 par ActionAid France-Peuples Solidaires, Amis de la Terre France, Amnesty International France, CCFD-Terre Solidaire, collectif Éthique sur l’étiquette et Sherpa. Ce rapport comporte une section spécifique sur le secteur extractif, dans laquelle sont analysés les plans de trois entreprises extractives, dont Total.
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