Soirée débat

Voici le texte introductif proposé par un adhérent en introduction au débat que nous avons eu sur le thème de la laïcité ce 18 avril 2025.

Sur la laïcité et ses enjeux aujourd’hui

La laïcité, entendue comme la séparation entre l’État et les cultes et ses implications sociales et politiques, trouve ses origines dans la Révolution française. La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 énonce que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » Et la Constitution de l’an III (1795) déclare que « nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d’un culte. La République n’en salarie, ni ne subventionne aucun. »

Cette position sera remise en cause par la conclusion, en 1801, du Concordat entre le Directoire et le Pape Pie VII . Ce texte prévoit que archevêques et évêques sont nommés par le Gouvernement et que l’État assurera un traitement convenable aux évêques et aux curés. Un régime analogue sera peu après accordé au protestantisme et au judaïsme. Le Concordat restera en vigueur jusqu’à l’adoption par l’Assemblée nationale, le 9 décembre 1905, de la loi de séparation de l’Église et de l’État. Cependant, avant cette date, la laïcité aura enregistré au XIXe siècle certaines avancées, notamment du fait de l’adoption, en 1882, de la loi sur l’enseignement primaire, qui imposa la neutralité de l’école publique et l’abandon de l’éducation religieuse dans les écoles publiques.

La loi de 1905 assure la liberté de conscience des citoyens. Article 1 : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » Ce principe a acquis une valeur constitutionnelle avec la Constitution de 1946, réaffirmée dans l’article 1er de la Constitution de 1958.

La loi de 1905 promeut la neutralité de l’État à l’endroit des croyances et institutions religieuses. Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. …/… Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets [de l’État, des départements et des communes] les dépenses relatives à des exercices d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. » »

La loi de 1905 prévoit la création d’associations cultuelles, qui ont exclusivement pour objet l’exercice d’un culte et auxquelles sont transférés, avec toutes les charges et obligations qui les grèvent et avec leur affectation spéciale, les établissements publics du culte. Cette disposition sera étendue en 1907 à des associations loi de 1901 pas exclusivement cultuelles.

Enfin, la loi de 1905, dans son article 31, protège les citoyens contre les pressions dont ils pourraient faire l’objet eu égard à leurs convictions ou absence de convictions religieuses.

La loi de 1905 est une loi de liberté et de paix sociale.

On notera que l’Alsace et la Moselle, qui étaient allemandes lorsqu’a été votée la loi de 1905, demeurent sous le régime du concordat. Des régimes particuliers s’appliquent également à certaines collectivités d’outre-mer.

Hormis quelques tardives poussées de fièvre (notamment autour de la loi Debré de 1959 créant les établissements d’enseignement privés sous contrat avec l’état), les tensions autour de la loi de 1905 étaient retombées. Elles ont resurgi à la fin des années 1980 autour d’un certain nombre d’événements auxquels a été donné un fort retentissement médiatique et politique et dont la caractéristique commune est qu’ils portent sur le comportement des personnes de confession musulmane.

Deux affaires emblématiques

•   Le voile islamique à l’école;

En septembre 1989, à Creil, trois jeunes filles sont exclues de leur collège pour avoir porté en classe un voile dit islamique. Des situations de même nature sont observées dans d’autres villes. La presse donne à ces incidents un grand retentissement. En novembre 1989, le Conseil d’État, saisi par le ministre de l’Éducation nationale, affirme que le port du voile islamique, en tant qu’expression religieuse, dans un établissement scolaire public, est compatible avec la laïcité, et rappelle qu’un refus d’admission ou une exclusion dans le secondaire « ne serait justifié que par le risque d’une menace pour l’ordre dans l’établissement ou pour le fonctionnement normal du service de l’enseignement ».

En juillet 2003, Jacques Chirac, président de la République, crée une commission de réflexion « sur l’application du principe de laïcité dans la République ». Parmi beaucoup d’autres mesures, qui ne seront pas suivies d’effet, la commission recommande l’adoption d’une loi proscrivant le port par les élèves de l’enseignement public primaire et secondaire de signes religieux ostentatoires.

Le 10 février 2004, l’Assemblée nationale, puis le 3 mars le Sénat, votent à de larges majorités la loi sur les signes religieux dans les écoles publiques. Celle-ci dispose que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »

Les organisations féministes ont majoritairement exprimé leur soutien à la loi de 2004, considérant que les jeunes filles voilées étaient victimes du sexisme de leur milieu familial et que la loi les libérait de l’oppression.

En juin 2005, le Congrès de la LDH a adopté une déclaration « Promouvoir la laïcité. Combattre le racisme et l’antisémitisme. »  Ce texte indique notamment : « La loi sur le port des insignes religieux à l’école, en fait et dans la réalité contre le voile, a provoqué, au sein de la LDH comme ailleurs, de nombreux débats, voire de profonds désaccords. Nous réaffirmons que ce débat est légitime dès lors qu’il ne se réduit pas à des anathèmes et à des caricatures. Depuis la première manifestation de cette controverse en 1989, la LDH n’a jamais cessé d’affirmer son opposition à l’exclusion des jeunes filles voilées dès lors que tous les enseignements étaient suivis. La LDH maintenait ainsi sa confiance dans le dialogue et l’éducation aux valeurs de la laïcité.»

On notera que depuis l’adoption de la loi de 2004, le nombre des établissements d’enseignement privé musulmans s’est multiplié en France. Alors que l’on n’en comptait qu’un seul en 2000, il y a en a 120 en 2024, chiffre qui reste toutefois extrêmement faible en regard des 7200 établissements d’enseignement privé catholiques.

•    Affaire Baby Loup

Baby Loup est une crèche privée installée à Chanteloup-Les-Vignes dans le département des Yvelines. Madame Fatima Alif y est employée à partir de 1992 en qualité d’éducatrice de jeunes enfants exerçant les fonctions de directrice adjointe. Elle porte alors le foulard.

Madame Alif bénéficie en mai 2003 d’un congé maternité suivi d’un congé parental jusqu’au 8 décembre 2008. Au cours de cette période de congé, elle est informée par la directrice de la crèche qu’elle ne pourra plus revenir travailler avec le foulard qu’elle a l’habitude de porter. Madame Alif ayant refusé de retirer son voile à sa reprise du travail, elle se voit signifier son licenciement le 19 décembre 2008.

Il s’ensuit une kyrielle de procédures devant les prudhommes, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et l’égalité (HALDE), les Cours d’appel de Versailles et Paris, la Cour de cassation. Le 25 juin 2014, l’assemblée plénière de la Cour de cassation rejette le pourvoi de Madame Alif contre son licenciement. Ce dernier arrêt met fin à la procédure.

En avril 2013, la LDH avait cosigné avec la Ligue de l’enseignement et la Fédération nationale de la libre pensée un communiqué dans lequel ces organisations exprimaient leur accord avec l’arrêt de la Cour de cassation qui, cassant l’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles, avait invalidé le licenciement de Madame Alif.

Les trois organisations déclaraient l’arrêt de la Cour de cassation parfaitement justifié, « cette crèche privée [Baby Loup] n’étant pas chargée d’une mission de service public. » Elles ajoutaient : « C’est donc de façon juste et cohérente que la liberté de conscience des salariés est protégée avec comme limite principale la laïcité intangible du service public. Elle se décline en fonction de la nature des entreprises et non en fonction des options personnelles des employeurs. Une loi d’interdiction générale de port de signes religieux ne prendrait pas en compte la diversité des statuts juridiques et sociaux des établissements accomplissant une mission de service public, associatif, ou entreprise commerciale… ».

Au-delà de ces deux cas, le port du voile ou d’autres pratiques liées à l’Islam ont donné lieu depuis une quinzaine d’années à de multiples polémiques initiées par des partis et organisations de droite et d’extrême droite :

•   En 2010, Marine Le Pen s’indigne de ce que des musulmans, faute de disposer d’un lieu de prière, prient dans la rue.
•   En 2012, puis de manière répétée les années suivantes, des maires de certaines citées balnéaires émettent des arrêtés interdisant le port du burkini à la plage. Ces arrêtés ont été systématiquement cassés par le Conseil d’État.
•   En 2015, le Conseil municipal de Chalon-sur-Saône, arguant du principe de laïcité, avait imposé que dans les cantines scolaires il ne soit proposé qu’un seul type de repas à l’ensemble des enfants. Le Conseil d’État a jugé qu’il ne pouvait y avoir en la matière ni obligation, ni interdiction.
•   En 2019, un élu RN du Conseil régional de Bourgogne prend à partie une maman accompagnatrice d’enfants en visite au conseil au prétexte qu’elle porte un voile. Pourtant, dès 2013, le Conseil d’État avait précisé que les mères accompagnatrices ne sont pas des agents auxiliaires du service public et ne sont donc pas soumises au principe de neutralité religieuse. Cela n’a pas empêché le Sénat de voter à plusieurs reprises des projets de loi visant à interdire le port du voile aux accompagnatrices scolaires.  
•   En janvier 2025, Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, s’est de nouveau prononcé pour l’interdiction du voile lors des sorties scolaires et pour son extension à l’université. 
•   En mars 2025, le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Justice, se sont prononcés pour l’interdiction du port de signes religieux ostensibles lors des compétition sportives amateur.

Au-delà de ces événements, un fait majeur est l’adoption en 2021 de la loi confortant le respect des principes de la République, dite loi séparatisme.
La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

Plus encore que par les mesures qu’elle instaure, la loi du 24 août 2021 est importante par ses attendus.

Le 2 octobre 2020, dans un discours dans la ville des Mureaux, Emmanuel Macron avait annoncé la préparation de cette loi, déclarant : « Ce à quoi nous devons nous attaquer, c’est le séparatisme islamiste. C’est un projet conscient, théorisé, politico-religieux, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République, qui se traduit souvent par la constitution d’une contre-société et dont les manifestations sont la déscolarisation des enfants, le développement de pratiques sportives, culturelles communautarisées qui sont le prétexte pour l’enseignement de principes qui ne sont pas conformes aux lois de la République » ;

Et Gérald Darmanin, alors ministre de l’intérieur, présentant le projet de loi devant l’Assemblée nationale, affirmait : « Notre pays est malade. Il est malade d’un séparatisme dont le premier, le séparatisme islamiste, gangrène l’unité nationale. »

En pratique, les principales mesures instituées par la loi concernent la gestion des associations et la scolarisation de enfants.

Les associations ou fondations, qui demandent une subvention publique, doivent s’engager à respecter le caractère laïque et les principes de la République (égalité femme-homme, dignité humaine, fraternité…) dans un « contrat d’engagement républicain ».

La liste des motifs de dissolution des associations est augmentée. Les associations pourront se voir imputer des agissements commis par leurs membres, agissant en cette qualité, ou des agissements directement liés à leurs activités.

Les conditions de création et de gouvernance des associations gérant un lieu de culte prévues par la loi de 1905 sont revues. Ces associations cultuelles devront se déclarer auprès du préfet tous les cinq ans. Leurs obligations comptables sont renforcées. Les dons étrangers de plus de 10 000 euros et la cession de lieux de culte à un État étranger doivent être déclarés. Les associations mixtes (associations loi de 1901 qui gèrent un lieu de culte) voient leurs obligations, notamment administratives et comptables, alignées sur celles des associations cultuelles.

La loi renforce la surveillance des avantages accordés par les collectivités locales pour la construction de lieux de culte. Les communes et départements devront informer préalablement le préfet, avant toute garantie publique pour un emprunt destiné à la construction d’un édifice cultuel, ou la conclusion d’un bail emphytéotique.
En matière scolaire, la scolarisation des enfants dans une école devient obligatoire et l’école à la maison est soumise à autorisation préalable, et non plus à une simple déclaration.

La LDH s’est montrée très critique de cette loi. Dans un communiqué du 6 décembre 2021, elle déclarait :

La loi dite « séparatisme » impacte quelques-uns des principes fondamentaux de la laïcité. « Elle instaure un régime de double déclaration des associations cultuelles, la seconde devant être renouvelée tous les cinq ans, l’administration préfectorale pouvant rejeter ces déclarations. Se trouve ainsi substitué à un régime de liberté (encadré par une police des cultes) un régime de contrôle administratif, multipliant les ingérences dans la vie des cultes et mettant en péril un consensus largement réalisé. Cette multiplication d’entraves à la liberté de culte se traduit aussi par l’obligation faite aux associations cultuelles s’étant déclarées loi de 1901 de changer de statut, celles-ci étant pour la plupart des associations musulmanes ».

« Les tendances aux contrôles des cultes par l’état, à l’œuvre dans la loi dite « séparatisme », confirmées par les prétentions ministérielles voulant réglementer le contenu des prédications musulmanes, font écho aux articles 6 et 7 de la même loi sur le contrôle des associations. La laïcité devient un outil de contrôle amenant à une confusion du cultuel avec le sécuritaire alors que le cadre légal des associations se confond avec une surveillance de la vie associative plutôt que sa promotion dans un climat de liberté ».

« On ne sera pas surpris, dans cette ignorance laïque, que les idées d’extrême droite, de plus en plus partagées, pèsent. On voit des maires se saisir des « chartes laïcité », en instrumentalisant (et parfois aggravant), pour ce faire, les impératifs du « contrat d’engagement républicain », et en stigmatisant
essentiellement les personnes de confession et de conviction musulmanes ».

En résumé et pour conclure

•   Au prétexte d’une laïcité falsifiée et manipulée par les partis et organisations de droite et d’extrême-droite, les personnes de confession musulmane font en France l’objet de mesures d’ostracisation qui confinent au harcèlement
•   Ces mesures, s’ajoutant aux discriminations de nature raciste dont ces personnes font souvent l’objet du fait de la police et des employeurs et à leur ségrégation géographique dans des quartiers paupérisés1, les conduit à rechercher le soutien de structures communautaires
•   Ce repli communautaire contraint offre des conditions propices au prosélytisme de personnalités et d’organisations porteuses d’une interprétation intégriste de l’Islam 
•   A l’opposé d’une politique favorisant l’intégration dans la société française des personnes de confession musulmane, l’État aggrave la situation en brandissant le risque fantasmé d’une subversion des institutions républicaines et en légitimant les mesures discriminatoires à l’endroit des personnes de confession musulmane. 

Sources :

Jean Baubérot, Histoire de la laïcité en France, PUF, Collection Que-sais-je, 2013
Jean Baubérot, La laïcité falsifiée, La Découverte, 2014
Nicolas Cadène, En finir avec les idées fausses sur la laïcité, éditions de l’Atelier, 2023
Site de la LDH (https://www.ldh-france.org)
Site de la Vigie de la laïcité (www.vigie-laicite.fr)
Wikipedia, Affaires du voile islamique en France, consulté le 3 mars 2025
Wikipedia, Affaire Baby Loup, consulté le 3 mars 2025
Wikipedia, Loi confortant le respect des principes de la République, consulté le 3 mars 2025