Procès de la rue d’Aubagne : le problème de l’habitat indigne est toujours là.

Tribune européenne 31 octobre 2024

« Que s’est-il passé à Marseille le 5 novembre 2018 ? L’effondrement de deux immeubles, dans la très populaire et centrale rue d’Aubagne, a provoqué une onde de choc dans la seconde ville de France et des marches importantes ont rassemblé les marseillais·es bien au-delà des frontières urbaines et sociales qui fragmentent la ville. Les 8 personnes victimes de ce drame restent pour les marseillais·es les victimes de trop, la marque indélébile de la déliquescence de la gestion municipale sous l’ère Gaudin. Si certaines mémoires s’effilochent, le problème de l’habitat indigne, lui, est toujours là.

Six ans et deux jours après, le procès des mis·es en cause s’ouvrira le 7 novembre 2024 et durera six semaines avec, sur le banc des accusé·es, un panel très significatif de la systémie du mal-logement : propriétaires indignes, bailleur social, élu de la Ville, syndic, expert … Nous, acteurs et actrices de la lutte pour un logement digne, la justice sociale et l’écologie populaire, en France et en Europe, nous nous tiendrons aux côtés des familles de victimes et des marseillais·es mobilisé·es ces prochaines semaines pour réclamer justice et dignité.

De nombreux médias et responsables politiques de l’époque et d’aujourd’hui ont tenté de faire croire à une situation « particulière » à la cité phocéenne. Le procédé est classique mais fallacieux : la soi-disant exagération méditerranéenne ne masque que bien mal ce que les faits n’ont pas tardé à rappeler : l’indignité du logement est un problème aux multiples facettes, répandu dans la France entière. 

Quatre ans plus tard, l’effondrement de Lille faisait à nouveau un mort et d’autres, à Bordeaux ou Toulouse par exemple, nous alertaient du danger, heureusement sans faire de victimes. L’incendie de Vaulx-en-Velin et ses 10 mort·es, pour ne citer que celui-ci, viendra encore une fois plonger des centaines de voisin·es et de proches dans le deuil. A ces événements spectaculaires, il faut ajouter la dégradation lente mais sûre d’habitats anciens ou semi-récents, privés ou sociaux, où l’insalubrité détruit à petit feu la santé de leurs occupant·es. En France et selon la Fondation Abbé Pierre, ce seraient 600 000 logements et 1,3 millions de personnes qui seraient directement concernées par l’habitat indigne (l’insécurité, l’insalubrité, l’inconfort…), 4,1 millions qui seraient plus globalement mal-logées ou non-logées, 12 millions vivant en situation de précarité énergétique … Les situations ailleurs en Europe font enfin écho à celle française : 19,2 millions de personnes vivent dans un habitat indigne selon Eurostat et, d’après l’Organisation Mondiale de la Santé, l’insalubrité des logements entraîne plus de 100 000 décès chaque année en Europe. 

Plus les loyers et la précarité grimpent, plus des propriétaires indignes en profitent pour exploiter la misère ; plus l’inaction politique continue, plus le problème est mis sous le tapis ; plus la justice souffre, plus les marchands de sommeil sont tranquilles ; plus les personnes étrangères voient leurs droits bafoués, plus les réseaux criminels profitent de la situation ; plus les inégalités salariales perdurent et le service public dysfonctionne, plus les mères isolées se retrouvent en difficulté ; plus le dérèglement climatique se fait sentir, plus nos habitats se révèlent insuffisamment entretenus pour nous protéger : l’habitat indigne fonctionne ainsi comme un révélateur de notre incapacité à assurer à chacun·e l’accès à une vie digne. 

Nous ne manquons pourtant pas de propositions. Les associations et collectifs marseillais ont par exemple rédigé une « proposition citoyenne de loi « rue d’Aubagne » » pour mettre leur expérience au pot commun de la Nation : protection des habitant·es, mécanismes de contrôle et d’anticipation, aide aux petits propriétaires, nouveaux outils administratifs et judiciaires… Nous plaidons par ailleurs de longue date pour une régulation conséquente du marché et la création de nouveaux logements sociaux, afin de permettre à chacun·e de se loger. Si quelques efforts obtenus par nos organisations peuvent être soulignés, tel que le subventionnement de la rénovation énergétique ou le renforcement des peines contre les marchands de sommeil, les précédents gouvernements sont depuis trop longtemps restés immobiles. L’Etat laisse ainsi les collectivités territoriales seules au front de l’habitat indigne, avec des résultats mitigés selon leurs volontés politiques et leurs moyens.

De haute lutte, les mobilisations populaires marseillaises qui ont fait suite au drame de la rue d’Aubagne ont prouvé qu’il était possible d’arracher certaines victoires : protection des habitant·es délogé·es, plan de rénovation, mise en œuvre du permis de louer … Il n’y a donc pas de fatalité : l’entraide mise en place entre citoyen·nes et leur intelligence collective ont fait avancer les choses. 

Les 2 et 3 novembre, à l’appel d’un collectif de 55 organisations marseillaises, nous dirons donc au pays et à l’Europe que nous sommes tous et toutes concernées par l’habitat indigne et par ce procès historique qui s’ouvrira. Nous nous retrouverons lors d’une première Journée nationale de lutte contre l’habitat indigne le samedi 2 novembre* et participerons à la “Marche pour la justice et un logement digne” le dimanche 3 novembre. »

Liste complète des signataires : 

Signataires de la tribune européenne : 

  • Marie-Hélène Baqué, sociologue, Université Paris Nanterre
  • Zad El Bacha, membre de London Renters Union (Grande Bretagne)
  • Joao Bulas Cruz, membre de Habita ! (Portugal)
  • Sabrina Bresson, sociologue, ENSA Paris Val de Seine, CNRS LAVUE
  • Nathalie Bazire, secrétaire confédérale de la CGT en charge des politiques publiques
  • Laurence De Cock, historienne et enseignante
  • Antonio Delfini, président de l’Atelier populaire d’urbanisme du Vieux-Lille
  • Sue Ellen Demestre, directrice de l’association “Collectif des femmes Dasovas” – Métropole de Lille
  • Amel Doghmane, présidente de l’Alliance Citoyenne – Justice Ensemble 
  • René Dutrey, Secrétaire général du Haut Comité pour le Droit au logement
  • Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du DAL
  • Camille François, sociologue, spécialiste des expulsions locatives, Université Panthéon-Sorbonne
  • Magali Fricaudet et Lilia Santana, Co-présidentes de l’AITEC
  • Romain Gallart, réseau APPUII
  • Thibault Godin, porte parole d’Alda – Pays Basque
  • Robert Guédiguian, cinéaste
  • Murielle Guilbert et Julie Ferrua, co-déléguées de l’Union Syndicale Solidaires
  • Pedro Martin Heras, membre de la Plataforma de Afectados por la Hipoteca-PAH (Espagne);
  • Cédric Herrou, Emmaüs Roya
  • Eddy Jacquemart, Président de la CNL
  • Paul Lacoste, membre de HALEM (Association d’Habitants de Logements Ephémères ou Mobiles)
  • Khedidja Mamou, architecte, sociologue, ENSA Montpellier, APPUII
  • Valérie Manteau, écrivaine
  • Mohamed Mechmache, co-président de la Coordination Pas Sans Nous
  • Oskar Mieczkowski, Cyprian Kraszewski et Maciej Pieńkowski, membres de Pomorska Akcja Lokatorska (Pomeranian Tenants Action, Pologne)
  • Stela Muci, membre de l’European Action Coalition for the Right to Housing and to the City
  • Emmanuel Patris, urbaniste, co-président d’Un Centre-Ville Pour Tous
  • Magali Payen, fondatrice d’On Est Prêt
  • Philippe Pujol, journaliste
  • Sebastian Schipper, membre de City for All Frankfurt (Allemagne);
  • Nathalie Tehio, présidente de la Ligue des Droits de l’Homme
  • Benoit Teste, Secrétaire général de la FSU
  • Djangou Traoré, Collectif des habitants du Franc Moisin, St Denis
  • Laurent d’Ursel, membre du Syndicat des Immenses (Belgique);
  • Kevin Vacher, sociologue, membre du collectif du 5 novembre
  • Florian Vertriest, collectif Alma-Gare, Roubaix
  • Nikolaos Vrantsis, membre de HARTA (Grèce)
  • Katia Yakoubi, association Adelphi Cité
  • Youlie Yamamoto, porte-parole d’ATTAC France
  • George I. Zamfir, membre de l’European Action Coalition for the Right to Housing and to the City