Marseille le 23 février 2024
Le 8 février, une vingtaine de marseillais·es, militant·es associatif·ves, avocat·es et personnes concernées interpellaient le Sénat sur le Projet de Loi « habitat dégradé » proposé par le gouvernement, pour porter 20 propositions2 issues de leurs expériences dans une ville particulièrement touchée par une crise des périls qui dure depuis cinq ans. Au même moment, la fédération DAL proposait ses propres amendements aux parlementaires. Nous faisons toutes et tous le constat d’un texte insuffisant en ce qui concerne la protection des occupant·es : une « occasion manquée » et des débats qui venaient jusqu’à valider des points que nous considérons dangereux comme la réglementation de la hauteur sous plafond autorisée, légalisant la location de dizaines de milliers de taudis.
Alors que le Sénat aura à se prononcer ces mardi et mercredi prochains sur le texte, nous souhaitons alerter les parlementaires et citoyen·nes et ce, même si ce texte prévoit quelques avancées techniques sur les procédures permettant la résorption de l’habitat dégradé. Nous appelons toutes celles et ceux qui se sentent concerné·es, à Marseille ou ailleurs, à interpeller les parlementaires en signant notre tribune du 8 février : https://bit.ly/lettreouverteLHI .
Des occasions à ne pas manquer
- Pour l’heure, le texte instaure un contrôle technique des bâtiments uniquement. Si cette avancée n’est pas négligeable, nous encourageons les parlementaires à agir au niveau du logement (par exemple via un contrôle technique du logement et un suivi ; voir nos propositions), afin de pouvoir anticiper des dégradations en cours et protéger les occupant·es de problèmes de décence et d’insalubrité ;
- Aucune mesure n’est prévue pour protéger les occupant·es du logement social, alors qu’ils et elles sont tout autant en première ligne que ceux et celles du parc privé ;
- Aucune mesure n’est non plus prévue pour renforcer la protection des occupant·es de bonne foi ou les propriétaires occupant·es, deux catégories très fragilisées et pour lesquelles les victoires que nous avons obtenues à Marseille pourraient inspirer des évolutions de la loi ;Les mesures actuelles permettant d’éviter les délogements forcés et illégaux sont très insuffisantes.
Des rejets d’amendements incompréhensibles
Aussi, des amendements que nous avions proposés ont été rejetés en commission alors qu’ils nous semblent relever de l’urgence :
- Définir dans la loi la notion de « logement adapté » pour le relogement après des évacuations d’habitats indignes, pour éviter les éloignements et l’isolement des ménages ;
- Obliger à ce qu’aucune réintégration dans un logement évacué ne puisse se faire sans respect des règles de décence et d’hygiène.
Nous ne comprenons pas pourquoi ces mesures de bon sens peuvent être rejetées.
Des alertes importantes
Nous sommes enfin très inquiets concernant :
- Le refus de définir la limite de la hauteur sous plafond à 2,2m : la Ministre Marie Lebec ayant même ironisé pendant les débats sur le fait qu’à 1,8m « [elle] passe ».
- Le retour en arrière en cours au Sénat qui restreint le délit de location d’un bien indigne aux seules situations où vulnérabilité des occupant·es est connue. A quel moment peut-on considérer que louer un bien indigne à quiconque est acceptable ?
- L’amendement adopté en commission au Sénat prévoyant la fin du « droit au retour » : les occupant·es délogé·es seront obligé·es d’accepter un relogement définitif au bout de 3 ans, perdant ainsi leurs droits à revenir dans leurs logements s’ils et elles le souhaitent, risquant ainsi d’être éloigné·es de leurs quotidiens (école, travail, vie sociale, soins, transports), des centres-villes, d’être confronté·es à des hausses de loyers…
- La possibilité facilitée de construire des ALGECOs pour pallier au manque de logements disponibles en cas de délogement. Si cette mesure peut être utile en cas de grandes catastrophes (comme des inondations), elle ne peut en aucun cas remplacer une véritable stratégie de relogement digne et adapté. Le texte actuel, levant l’obligation de permis de construire pour des constructions pouvant durer pendant cinq ans (!), pourrait conduire à parquer les populations les plus précaires dans des friches urbaines polluées, éloignées des services publics, transports, commerces, sans limitation de durée de relogement dans de telles conditions.
Sur l’ensemble de ces points, nous encourageons les sénateurs et sénatrices, ainsi que les député·es qui participeront à la Commission Mixte Paritaire, à étudier sérieusement ce sujet et à rencontrer les personnes concernées et leurs soutiens. Sans protection des occupant·es, aucune lutte contre les marchands de sommeil n’est possible : la peur du lendemain, de l’éloignement, d’une plus grande précarité resteront les atouts maitres des propriétaires indignes.
Sur les quatre derniers points évoqués, nous appelons particulièrement à un réveil : les citoyen·nes et médias doivent et peuvent s’en saisir pour alerter les parlementaires. Nous proposons à toutes et à tous de signer notre tribune du 8 février adressée aux parlementaires : https://bit.ly/lettreouverteLHI . Nous refusons que l’habitat dégradé et indigné soit renvoyé à des stratégies uniquement immobilières et techniques : ne pas protéger les occupant·es actuel·les, c’est vouloir rénover les logements sans nous, voire contre nous.
1 Liliana Lalonde, mère de Julien Lalonde, victime de l’effondrement de la rue d’Aubagne ; Jean-Baptiste Eyrauld, porte-parole de la fédération DAL , Kevin Vacher, membre du Collectif du 5 novembre – Noailles en colère ; Antonin Sopena, Ludivine Feral et Aurélien Leroux, avocats, Syndicat des Avocats de France ; Chantal Bourglan, avocate honoraire ; Fathi Bouaroua, co-président de l’Association Méditerranéenne pour l’Insertion par le Logement (AMPIL) ; AlizéeCoustets-Girardot, médiatrice sociale ; Sharon Tulloch, délogée pendant 1523 jours, autrice de “Un Voyage accidentel” ; Alieu Jalloh, association des usagers de la PADA ; Bernard Eynaud, co-président de la LDH Marseille ; Karima Berriche, Syndicat des Quartiers Populaires de Marseille ; Jérôme Mazas, paysagiste, mouvement citoyen “Nos Vies, Nos Voix” ; Haouache Djamila, Présidente de l’association de défense de locataires et membre du collectif d’Air-Bel, Conseil Citoyen 11/12 ; Charles Réveillère et Camille François, sociologues, membres du collectif d’Air-Bel ; Emmanuel Patris et Alima El Bajnouni, co-président·es d’Un Centre-Ville Pour Tous, Badra Delhoum, militante du SNAS CGT, Kader Attia, citoyen et militant associatif de l’insertion par le logement FUIQP Marseille, Association Droits et Habitats Marseille.
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