« On ne nourrit pas l’injustice en la dénonçant mais en la taisant. »
Kerry James
La proposition de résolution visant à lutter contre l’antisémitisme n° 2403, dite « Résolution Maillard », du nom du député Sylvain Maillard du parti politique La République en Marche,
est un texte ambigu et très controversé.
Suite à de nombreux débats, l’Assemblée Nationale avait décidé de repousser l’examen de la proposition de résolution qui devait avoir lieu le 29 mai 2019, pour être de nouveau présenté le 12 novembre 2019. Suite aux votes des députés, cette proposition a été acceptée le 03 décembre 2019.
Qu’est-ce qu’une résolution ?
La résolution de l’Assemblée Nationale est un acte par lequel l’Assemblée émet un avis sur une question déterminée. Cette résolution est de faite, non contraignante. Elle est prévue par l’article 34-1 de la Constitution.
Cette proposition de résolution qui vise à assimiler l’antisionisme à l’antisémitisme, est intervenu après la déclaration du Président français, Emmanuel Macron, lors de la cérémonie marquant le 75eme anniversaire de la rafle du Vel D’hiv en 2017. Lors de cet événement, il présente l’antisionisme comme la forme moderne de l’antisémitisme.
La définition de l’antisémitisme retenu par la proposition de résolution est celle proposé par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) comme étant une certaine perception des juifs, pouvant s’exprimer par de la haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme sont dirigées contre des individus juifs ou non-juifs et/ou leurs biens, contre les institutions de la communauté juive et contre les institutions religieuses juives.
C’est sur cette définition de l’antisémitisme que la résolution s’appuie pour consacrer l’antisionisme comme la forme moderne de l’antisémitisme, notamment sur la perception qu’il est possible d’avoir à l’encontre de l’Etat d’Israël en ce qu’elle constitue une collectivité composée de citoyen juifs, ce qui pourrait exprimer une haine à leur égard.
Mais il peut être dangereux d’assimiler ces deux notions uniquement parce qu’un groupe d’individus l’utilisent à mauvaise escient. La solution ne serait-elle de se tourner vers l’éducation des citoyens, ou encore vers un débat, plutôt que de pénaliser une forme d’expression à l’encontre de l’Etat Israélien ?
C’est d’ailleurs l’avis de Jean Michel Blanquer, Ministre de l’éducation qui affirme sur Franceinfo le 18 février dernier, qu’il n’est « pas pour aller dans une course permanente vers la pénalisation des choses qui nous déplaisent ».
Une définition de l’antisémitisme par l’IHRA qui tend à assimiler antisionisme et antisémitisme
Une définition restrictive au regard de la définition du racisme
Cette définition s’avère être restrictive au regard de la définition du racisme dans le sens où, comme le relève la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), elle définit d’une manière spécifique l’antisémitisme contrairement aux autres formes de racisme.
En France, la loi PELVEN énonce une définition globale et prévoit que le racisme « est une provocation à la discrimination, la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personne en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance, à une ethnie, une race ou une religion déterminée. ».
Le fait de définir spécifiquement cette forme de racisme reviendrait à nier la lutte contre toutes les formes de racisme et les hiérarchiser.
En France, la conception traditionnelle juridique qui prévaut est que la lutte contre le racisme est universelle même si chacune des formes de racisme est différente en fonction de leurs histoires. C’est pour cela que l’adoption de la résolution est aussi controversée car cela reviendrait à dénier le caractère universel de la lutte contre le racisme.
Beaucoup se prononce à l’encontre de cette définition, à l’image de la CNCDH, qui dans son avis consultatif de 2018 alerte sur le fait d’opérer une pareille distinction ce qui reviendrait à ouvrir la boite de pandore et donc la porte à une possible spécialisation du racisme, ce qui impliquerait une disparition de l’essence même de ce terme.
Un appel a d’ailleurs été lancé par 127 intellectuels juifs pour voter contre cette résolution la considérant comme hautement problématique, peu claire et imprécise, et ce malgré les onze exemples de situations prévues par l’IHRA.
La création d’amalgames entre critiques d’Israël et antisémitisme
La nature des insultes racistes et antisémites est extrêmement choquante. En effet, les citoyens français ont pu être témoin de la violence de ces propos, dans une vidéo montrant un groupe d’individus proférer des insultes antisémites dont certaines antisionistes à l’encontre écrivain, Monsieur Alain Finkielkraut en 2019.
Ce même groupe d’individus a été condamné par la justice française pour les propos tenus, ce qui nous invite à nous demander si la création d’un délit propre à l’antisionisme est-elle bien nécessaire. En effet, la justice, en condamnant la personne qui a proféré ces insultes, disposait déjà d’une base juridique suffisante pour relever que dans les flots d’insultes, se cachaient en réalité des propos antisémites et a donc condamné le suspect à deux mois avec sursis.
Les juges disposent de cette capacité à interpréter, au cas par cas, les insultes antisionistes qui seraient en réalité de l’antisémitisme. Nul besoin de mettre en place une résolution associant ces deux notions, au risque d’empiéter sur la liberté d’expression et d’opinion lorsqu’il s’agirait de critiquer uniquement la politique sioniste de l’Etat d’Israël.
Une position bien affirmée par la LDH
La Ligue des droits de l’Homme combat fervemment l’antisémitisme car, rappelons-le, sa création intervient à la suite de l’affaire Dreyfus pour justement condamner l’injustice et le racisme qu’il a dû subir. Elle dénonce régulièrement toutes les insultes et attaques antisémites et s’efforce de sensibiliser le public face à toutes ces insultes racistes.
Néanmoins elle s’est également prononcée contre le projet de résolution Maillard, dans une lettre ouverte du 31 octobre 2019 pour plusieurs raisons et notamment le fait que la France se doit de protéger l’espace de la liberté d’expression et la liberté de critiquer la politique israélienne.
Communiqué de la LDH nationale – Cliquer ici
Les possibles répercussions de cette résolution
Au niveau interne : le délit d’opinion
Tout d’abord la résolution dite Maillard peut restreindre l’expression d’une opinion qui vise à dénoncer la politique colonialiste de l’Etat d’Israël ce qui peut s’assimiler à un délit d’opinion. En ce sens, en ce qu’elle constitue une restriction à la liberté d’expression, cela peut s’assimiler à un délit d’opinion.
Le délit d’opinion, n’est pas reconnu en tant que tel en France. Il peut être défini comme « la répression des idées ou des opinions qui mettent en cause les valeurs ou les idées jugées fondamentales par un société » (Patrice Rolland, du délit d’opinion dans la démocratie française).
La liberté d’expression est énoncée à l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) qui prévoit que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».
L’article 11 de la DDHC poursuit et précise : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi »
La liberté d’opinion et la liberté d’expression sont deux libertés qui sont intrinsèquement liées dans un régime démocratique comme le nôtre et une restriction à l’une de ces libertés ne peut se faire de façon anodine.
Il est vrai qu’il existe déjà des restrictions justifiées à la liberté d’expression comme le délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard de personnes à raison de leur appartenance ou non à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Les propos antisémites rentrent déjà dans cette catégorie de délit en ce qu’ils constituent une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, à l’encontre de personnes de religion juives.
De plus d’après l’historien Dominique Vidal, l’adoption de cette résolution pourra permettre de contrer en partie, le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanction), à l’encontre des produits importés d’Israël. Déjà, en 2015, la France avait condamné des personnes qui militaient au nom du BDS à l’encontre des produits importés d’Israël en assimilant ces actes à un délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence. L’affaire est pendante devant la Cour européenne des droits de l’Homme, et les requérants ont notamment invoqué le non-respect de l’article 10, en se fondant sur le principe de la liberté d’expression.
Au niveau de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’Homme
Au sein du droit de l’Union européenne, la Cour de justice de l’Union considère dorénavant, que les denrées alimentaires originaires d’un territoire occupé par l’Etat d’Israël doivent porter non seulement la mention du territoire israélien mais également la mention de la localité ou d’un ensemble de localités constituant une colonie israélienne à l’intérieur dudit territoire.
Cette nouvelle jurisprudence affirme que l’Union européenne prend en compte le droit international humanitaire conformément à l’article 3 du Traité sur l’Union Européenne, et considère que les consommateurs doivent pouvoir avoir conscience de la provenance des produits importés des colonies.
En ce qui concerne la protection offerte par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme dont la France est partie prévoit dans un article 10 que la « liberté d’expression qui englobe la liberté d’opinion, de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».
La Cour européenne des droits de l’Homme, dans une affaire CICAD contre Suisse du 7 juin 2016, (Requête n°17676/09) prévoit dans un point 55, que malgré la situation particulièrement compliquée au Moyen-Orient, on ne saurait restreindre le discours sur des questions d’intérêt général sans raisons impérieuses. Elle poursuit en constatant que les propos énoncés par l’auteur tels que « il est parfaitement vain de considérer qu’Israël est un Etat comme les autres, ses mains sont liées par la définition qu’il s’est donné à lui-même » n’étaient pas injurieux ou insultants pour le peuple juif.
On voit bien que les juges de Strasbourg ne considèrent pas ces propos comme étant antisémites, mais bien comme une critique de l’Etat Israélien, qui relève de la liberté d’expression.
La France, avec l’adoption de cette résolution qui fonde sa définition de l’antisémitisme sur l’IHRA pourra par la suite, si les éléments de la résolution sont repris dans un acte contraignant tel qu’une loi, la France pourrait s’exposer à une non-conformité de la Convention européenne des droits de l’Homme, et particulièrement en violation de l’article 10 de la Convention.
Retrouvez la lettre ouverte aux députés français de 39 ONG et associations françaises contre la proposition de résolution sur l’antisémitisme/antisionisme
Article rédigé par Lina ZEID
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