Retour sur le Grenelle des violences conjugales

En 2019, plus de 150 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint, victimes de violences conjugales.

Afin de lutter contre cette forme particulière de violence, le gouvernement a lancé le 3 septembre dernier un Grenelle des violences conjugales.

Le 25 novembre dernier, le Premier Ministre, Edouard Philippe, a annoncé la clôture du Grenelle et 30 mesures pour lutter contre les violences conjugales.

Si cette démarche est louable et a permis de sensibiliser l’opinion publique sur la réalité de ces violences et le nombre de femmes victimes, ces mesures restent largement insuffisantes.

Il convient de revenir sur les principales mesures annoncées par le gouvernement:

 

Sur les aspects de protections des femmes victimes de violences

Le gouvernement promet une batterie de mesures visant à protéger les femmes victimes de violence.

 

Une libération de la parole et une meilleure prise en charge des plaintes

Le gouvernement prévoit la diffusion d’information à propos du numéro d’urgence 39/19 et l’ouverture d’ici 2021 de 80 postes supplémentaires d’intervenants sociaux dans les commissariats et gendarmeries, une prise en charge médico-sociale renforcée, une meilleure prise en charge des enfants témoins de ces violences quotidiennes.

Si cette démarche est louable, les moyens financiers sont insuffisants pour mettre en oeuvre une telle politique.

 

« Le 29 juillet dernier, le gouvernement annonçait la création du « Fonds Catherine » d’un million d’euros uniquement destiné aux associations locales de lutte contre ces violences.

Un budget qualifié « d’énorme » par la secrétaire d’Etat, mais qui reste cependant insuffisant selon certaines associations, comme le collectif de lutte contre les violences faites aux femmes #NousToutes qui réclame 1 milliard d’euros pour obtenir une réponse suffisante contre ces violences.

Selon le Haut Conseil à l’Egalité, le budget actuel consacré aux violences conjugales atteindrait 79 millions d’euros.

Source: blog de Médiapart :

« Grenelle des violences conjugales, retour sur la première rencontre »

du 29 octobre 2019

 

Le bracelet anti-rapprochement

Ce dispositif, qui permet de géolocaliser et maintenir à distance les conjoints et ex-conjoints violents par le déclenchement d’un signal en cas de franchissement du périmètre prévu, a fait consensus au sein de l’hémicycle.

Le gouvernement souhaite mettre en place ce dispositif dès le début de l’année 2020, en s’inspirant du modèle espagnol notamment.

Le projet de loi prévoit la généralisation du dispositif pouvant être décidé tant par le juge pénal que le juge civil, sous réserve que le conjoint ou ex-conjoint violent y consente. En cas de refus, d’autres mesures pourraient alors être envisagées (la détention provisoire, l’absence d’aménagement de peine en cas de condamnation, avis immédiat au Procureur de la République si le refus est effectué devant le Juge aux Affaires Familiales etc).

 

L’ordonnance de protection et le téléphone grave danger, des mesures renforcées

L’ordonnance de protection est un instrument juridique introduit dans le code civil en 2010. Elle permet aux femmes victimes de violence d’obtenir une protection judiciaire pour elles et leur enfant, délivrée par un Juge aux Affaires Familiales.

L’objectif affiché par le gouvernement est de généraliser l’utilisation de l’ordonnance de protection, ainsi que le téléphone grave danger, pour que ces dispositifs protègent plus de femmes victimes de violences.

 

Des centres d’hébergements non-mixtes

Une des questions fondamentales posées lors de ce Grenelle portait sur l’accueil des femmes victimes de violences conjugales. Cet accueil se doit d’être effectué en priorité dans des centres spécialisés. Des associations ont émis l’idée d’inscrire les femmes victimes de violences comme prioritaires dans leur demande de logement. Cette hypothèse a été rejetée par le gouvernement.

Toutefois, une avancée majeure est faite. Les femmes victimes de violences devront se rendre dans des centres spécialisés, à défaut de places, elles pourront être hébergées dans des centres généralistes non-mixtes afin d’éviter de côtoyer des hommes.

 

La volonté d’une justice plus protectrice

Une des grandes mesures dont se félicitent la plupart des associations est la fin de la médiation pénale comme alternative aux poursuites en cas de litige devant le juge aux affaires familiales.

D’autres dispositions législatives vont également être modifiées: les enfants n’auront plus à payer pour les besoins d’un père qui aurait assassiné leur mère.

Dans le même sens, l’autorité parentale sera retirée systématiquement lorsque les violences commises par le mari ont entraîné le décès de sa femme.

La possibilité de déroger au secret médical fait également partie des correctifs apportés par le gouvernement. Jusqu’à présent, les médecins qui dénonçaient aux autorités des faits de violences conjugales pouvaient se voir eux-mêmes mis en cause pour violation du secret médical. Dorénavant, sous une procédure strictement encadrée juridiquement, les médecins pourront déroger au secret médical s’ils estiment que la vie de la femme victime de violence est en danger imminent.

Tous ces éléments apparaissent comme des correctifs de lois préexistantes.

La grande nouveauté annoncée par Edouard Philippe tient aux aspects pénaux abordés lors du Grenelle.

 

La notion d’ « emprise conjugale », une définition des violences psychologiques ?

Le Premier ministre annoncé l’inscription dans le code pénal de la notion d’emprise conjugale comme étant « la prise de possession d’un membre du couple par l’autre, de manière progressive et implacable, et qui s’apparente à un enfermement à l’air libre ». Edouard Philippe a ajouté :« on va dire aux femmes qu’elles ne sont pas à l’origine de ce qui leur arrive mais qu’elles en sont victimes et on peut traiter les violences psychologiques comme les violences physiques ». 

Les violences psychologiques sont une notion non juridique encore mal encadré par le droit. Elles  sont très mal reconnues par la justice. En droit, les violences psychologiques au sein du couple sont reconnues comme un délit depuis 2010. Ce délit n’a cessé d’être renforcé avec les modifications législatives récentes (pour l’étendre notamment aux faits commis en présence de mineurs).

Au sens de l’article 222-33-2-1 du code pénal, le fait de « harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des propos ou comportement répétés ayant pour objet ou effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni:

  • de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail
  • et de 5 ans et de 75 000 euros d’amende lorsqu’ils ont causé une incapacité totale de travail supérieur à huit jours ou ont été commis alors qu’un mineur était présent et y a assisté »

Ainsi, inscrire le terme d’ « emprise conjugale » dans le code pénal apparaît plus comme un symbole plus qu’une nécessité juridique, les faits entrant dans le champ d’application de l’article 222-33-2-1 du code pénal. Des outils juridiques existent déjà.

 

Le « féminicide » dans le code pénal ?

 

Le « féminicide » est un terme apparu dans les années 1970 sous l’influence de la doctrine féministe anglo-saxonne. La notion est ensuite théorisée en 1992 et renvoie au latin cide « qui tue » et femina « femme ».

Un terme politisé

La notion développée par Russel et Radford va plus loin dans la notion de « féminicide ». Le terme est employé pour mettre en avant l’aspect patriarcal des rapports homme/femme. Le « féminicide » devient alors un outil de maintien et de domination masculine.

Toutefois en son sens premier, le « féminicide » renvoie au fait de tuer une femme parce qu’elle est une femme. La tendance a faire diverger le sens premier du terme « féminicide » est éminemment politique.

Le terme « féminicide » possède en lui-même une part de partialité et une forme de jugement a priori. Il laisse supposer une forme de sexisme, voire de misogynie. La qualification de « féminicide » repose sur une construction sociale qu’il convient de déconstruire.

 

Un terme qui porte atteinte au principe d’égalité

Le « féminicide » ne vise à s’appliquer qu’en faveur des femmes. Une seule catégorie de population est donc visée par cette notion. Un traitement différent sera donc appliqué entre les hommes victimes de violences conjugales et les femmes victimes des mêmes faits.

Cela porte atteinte à un certain nombre de droits et libertés protégés par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales.

 

Une protection juridique suffisante

Juridiquement, le terme « féminicide » n’apparaît pas dans le code pénal . En effet, des dispositions pénales actuelles permettent déjà d’appréhender cette notion.

En ce sens, l’article 222-4 du code pénal dispose:

 » le meurtre est puni de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’il est commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ».

L’article 132-80 du code pénal prévoit également que:

 » dans les cas respectivement prévus par la loi ou le règlement, les peines encourues pour un crime, un délit ou une contravention sont aggravées lorsque l’infraction est commise par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime, y compris lorsqu’ils ne cohabitent pas.

La circonstance aggravante prévue au premier alinéa est également constituée lorsque les faits sont commis par l’ancien conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. Les dispositions du présent alinéa sont applicables dès lors que l’infraction est commise en raison des relations ayant existé entre l’auteur des faits et la victime ».

Les faits pour lesquels une femme est tuée par son mari sont donc qualifiés juridiquement d’homicide volontaire avec circonstances aggravantes tenant à la relation entre la victime et l’auteur.

Outre ces dispositions , le code pénal prévoit également une série d’incriminations visant à sanctionner les comportements entraînant des faits de violences, notamment:

  • les violences physiques (aux articles 222-8 et suivants du code pénal)
  • le harcèlement moral (à l’article 222-33-2-1 du code pénal)
  • les agressions sexuelles (à l’article 222-22 du code pénal)
  • le viol (à l’article 222-24 du code pénal)

 

Avec redondance, le gouvernement souhaite ajouter un arsenal répressif alors qu’il existe un encadrement juridique approprié à ce type de fait. Cette annonce d’Edouard Philippe s’apparente plus à une volonté de répondre aux nombreuses critiques de l’opinion publique sur la problématique des violences faite aux femmes qu’à une réelle réponse juridique pour faire cesser ce phénomène.

L’adoption du terme féminicide dans le code pénal n’apporte rien à la lutte contre les violences faites aux femmes.

La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a récemment affirmé que:

« l’introduction du terme « féminicide » dans le code pénal ne semble pas opportun pour la CNCDH, dans la mesure où elle comporterait le risque de porter atteinte à l’universalisme du droit et pourrait méconnaître le principe d’égalité de tous devant la loi pénale, dès lors qu’elle ne viserait que l’identité féminine de la victime »

Avis sur les violences contre les femmes et les féminicides, 26 mai 2016

 

Le Grenelle sur les violences conjugales, un bilan en demie teinte

Le succès historique de la manifestation du 23 novembre 2019 témoigne du fait que les violences sexuelles et sexistes ont aujourd’hui trouvé un écho inédit dans l’opinion publique.

Pour le gouvernement, le moment est donc venu de montrer qu’il entend prendre en compte le niveau d’exigence et de mobilisation qui s’est ainsi exprimé partout en France. Les annonces faites après le Grenelle des violences conjugales auraient dû être l’occasion de montrer qu’il s’agit bien de faire de cette question « une grande cause nationale », comme l’avait annoncé le candidat Macron.

Les propositions faites ce 25 novembre 2019 comportent certes des aspects positifs, mais elles restent très insuffisantes. Centrées sur un renforcement de l’arsenal répressif et sur quelques modifications législatives, elles reprennent parfois des mesures déjà existantes et, globalement, s’apparentent davantage à des corrections qu’à une révolution en profondeur des institutions, alors même qu’un récent rapport a mis en lumière les sérieux dysfonctionnements de la justice. On peut notamment regretter que ne soit pas évoquée la question des femmes d’origine étrangère victimes de violences. Il est pourtant indispensable que soient mises en place des dispositions qui permettraient de mieux appréhender toutes les situations de précarité administratives auxquelles celles-ci sont encore confrontées et que l’octroi de l’asile leur soit facilité.

Une fois de plus, le gouvernement s’est tourné vers un renforcement de la répression, en faisant peu de cas de la prévention avant que des violences ne soient commises. Sans tout un travail pluri-professionnel de prévention, le slogan « Pas une de plus » restera un vœu pieu.

La LDH demande que les moyens financiers nécessaires soient effectivement mobilisés pour former l’éventail des professionnels en contact avec les victimes, à commencer dans la police et la gendarmerie pour le moment crucial de la plainte. Il n’est pas nécessaire d’attendre les résultats d’un audit sur le sujet. De même, les moyens financiers importants sont nécessaires pour que la France tienne ses engagements au regard de la Convention d’Istanbul, notamment en matière de création d’hébergements dédiés aux femmes victimes de violences conjugales, de lutte contre les violences économiques ou pour rendre plus large et effectif le recours aux ordonnances de protection. Il convient également de prendre des mesures pour assurer la prise en charge des enfants témoins d’homicides conjugaux. Le soutien aux associations ne doit pas se faire en les mettant en concurrence, ni en leur donnant via l’Etat ce qu’on leur retire via les collectivités territoriales rendues exsangues. Enfin, la justice dans son ensemble doit avoir les moyens de fonctionner convenablement pour que les délais ne soient pas tellement longs qu’ils en deviennent dissuasifs.

Avec les 360 millions de crédits annoncés, on est loin d’un budget de rupture et du milliard d’euros demandé par les associations féministes. S’il y a, dans les annonces du gouvernement, un certain nombre de mesures intéressantes et techniques, on attend encore un projet d’ampleur et transversal, qui se donne les moyens humains et financiers de ses ambitions affichées.

Communiqué du site national, 25 novembre 2019

La section de Nanterre rappelle qu’un

Centre d’Information du Droit des Femmes et des Familles  (CIDFF)

a son siège à Nanterre.

Cette association a pour objectif de sensibiliser sur les problématiques liées aux violences faite aux femmes. Des juristes sont à l’écoute et aident ces femmes à sortir de ce système de violence.

Pour plus d’informations, cliquer ici

 

Rédigé par Cannelle LUJIEN