Sortir de l’état d’urgence

En réaction à l’horreur des attentats, l’état d’urgence a été décrété par le
gouvernement, puis aggravé et prolongé pour une durée de trois mois. Nos
organisations ont immédiatement exprimé leurs craintes vis-à-vis de ce
régime d’exception ; ces craintes sont aujourd’hui confirmées par l’ampleur
des atteintes aux libertés constatées depuis quelques semaines. Nous
assistons à un véritable détournement de l’état d’urgence qui cible
également des personnes sans aucun lien avec des risques d’attentat. Ces
abus doivent cesser.
 
La volonté de se rassembler et de manifester ensemble a prévalu après les
attentats commis à Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de Vincennes, en janvier
2015. Elle prévaut encore. Or, depuis le 13 novembre 2015, les interdictions
visant les mobilisations sur la voie publique se multiplient. Manifester
n’est plus un droit, et les rares concessions accordées par les préfectures,
qui attendent souvent le dernier moment pour informer de leurs intentions,
entravent dans les faits son exercice.
 
Le ministère de l’Intérieur justifie tout cela par son incapacité à
sécuriser les parcours alors même qu’il autorise, dans le même temps, les
rencontres sportives et des événements tels que les marchés de Noël, qui se
tiennent sur la voie publique. L’interdiction des rassemblements et
manifestations entraîne la multiplication des arrestations, des gardes à
vue, des assignations à résidence, un fichage policier des militants, et,
pour quelques-uns,  des condamnations. Qui peut croire que cela soulage les
autorités ? 
La censure, ici, s’avère doublement contreproductive…
 
L’état d’urgence autorise par ailleurs des perquisitions sur ordre des
préfectures, de jour comme de nuit, en dehors de tout cadre judiciaire, sur
le fondement de fiches possiblement erronées, de dénonciations,
d’informations et de soupçons sujets à caution. Plus de deux mille six cents
intrusions discrétionnaires sont intervenues à domicile, dans des mosquées,
des commerces, interventions souvent violentes, sans qu’aucune mise en
examen pour terrorisme n’ait eu lieu. Rien n’indique qu’une telle frénésie
va s’arrêter, chacun peut en être victime.
 
Les assignations à résidence se multiplient sur la base de motifs aussi
vagues que la présence sur le lieu d’une manifestation ou le fait de «
connaître » tel ou tel individu. Ces graves restrictions sont appliquées,
sans distinction, et de manière massive, d’autant que les juridictions
administratives ont montré qu’elles s’en accommodent, quitte à ce que les
libertés en souffrent. Elles reprennent à leur compte toutes les allégations
du ministère de l’Intérieur et, comble de la démission, sont nombreuses à
considérer qu’il n’y aurait pas d’urgence à statuer sur l’état d’urgence.
 
L’état d’urgence et le climat de guerre intérieure alimenté par le
gouvernement contribuent au renforcement des amalgames et aux pratiques
discriminantes, notamment de la part des forces de police. Ce ne sont pas «
les terroristes qui sont terrorisés », ce sont des jeunes et des populations
victimes de l’arbitraire en raison de leur origine et/ou de leur religion
qui voient leur situation encore davantage fragilisée.
 
Reprenant à son compte les exigences de l’extrême droite, FN en tête, le
gouvernement s’engage honteusement dans une modification de la Constitution
visant à étendre la déchéance de la nationalité aux binationaux nés en
France. 
 
Ces multiples atteintes portées au contrat démocratique sont une mauvaise
réponse aux actes terroristes. Notre pays a été blessé, mais loin d’en
apaiser les plaies, l’état d’urgence risque de les exacerber en
appauvrissant notre démocratie, en délégitimant notre liberté.
 
Dans ces circonstances, nous appelons les pouvoirs publics à :

*       jouer leur rôle de garants de la défense des droits et des libertés
publiques ;
*       rétablir, sans délai, le droit plein et entier de manifester ;
*       cesser les perquisitions et les assignations à résidence arbitraires
et à agir dans le cadre de procédures judiciaires ;
*       mettre en place des garanties effectives de contrôle ;
*       lever l’état d’urgence ;
*       renoncer à une réforme constitutionnelle préparée dans l’urgence et
au contenu inacceptable.

 
 
Paris, le 17 décembre 2015
 
Signataires :
AFD International, Agir pour le changement démocratique en Algérie (Acda),
Altertour, L’Appel des appels, Assemblée citoyenne des originaires de
Turquie (Acort), Association démocratique des Tunisiens en France (ADTF),
Association française des juristes démocrates (AFJD), Association France
Palestine solidarité (AFPS), Association Grèce France Résistance,
Association interculturelle de production, de documentation et de diffusion
audiovisuelles (AIDDA), Association des Marocains en France (AMF),
Association pour la reconnaissance des droits et libertés aux femmes
musulmanes (ARDLFM), Association des travailleurs maghrébins de France
(ATMF), Association des Tunisiens en France (ATF), Association des
universitaires pour le respect du droit international en Palestine (Aurdip),
Attac, Cadac, Cedetim, Centre islamique Philippe Grenier (CIPG), Centre de
recherche et d’information pour le développement (Crid), CGT-Police Paris,
Collectif 3C, Collectif des 39, Collectif CGT Insertion-Probation
(UGFF-CGT), Collectif Judéo Arabe et Citoyen pour la Palestine (CJACP),
Collectif Stop le contrôle au faciès, Confédération générale du travail
(CGT), Confédération nationale du logement (CNL), Confédération paysanne,
Conseil national des associations familiales laïques (Cnafal), Collectif
contre l’islamophobie en France (CCIF), Collectif des féministes pour
l’égalité (CFPE),  Collectif Memorial 98, Collectif des musulmans de France
(CMF), Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), Comité pour le
développement et le patrimoine (CDP), Comité pour le respect des libertés et
des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT), Commission islam et laïcité,
Confédération syndicale des familles (CSF), Coordination de l’action
non-violente de l’Arche (Canva), Coordination des collectifs AC !, Droits
devant !, Droit au logement (Dal), Droit solidarité, Emmaüs France, Emmaüs
International, Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme
(FIDH), Fédération nationale de la Libre pensée, Fédération des Tunisiens
citoyens des deux rives (FTCR), Femmes Solidaires, Filles et fils de la
République (FFR), Fondation Copernic, Fondation Danielle Mitterrand France
Libertés,  Genepi, Ipam, La Cimade, La Ligue de l’enseignement, La
Quadrature du Net, Le Gisti, Le Mouvement de la paix, Les Amoureux au ban
public, Les Céméa, Ligue des droits de l’Homme (LDH), Maison des potes,
Mamans toutes égales (MTE), Minga-agir ensemble pour une économie équitable,
Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap),
Observatoire international des prisons (OIP) – section française,
Organisation de femmes égalité, Osez le féminisme !, Planning familial,
Réseau d’alerte et d’intervention pour les droits de l’Homme (RaidH), Réseau
éducation sans frontières (RESF), Réseau euromaghrébin culture et
citoyenneté (REMCC), Réseau Euromed France (REF), Réseau Immigration
Développement Démocratie (IDD), SNPES-PJJ/FSU, Solidaires étudiant-e-s,
Solidarité laïque, Sud Intérieur, Syndicat des avocats de France (Saf),
Syndicat français des artistes interprètes (SFA), Syndicat de la
magistrature, Syndicat de la médecine générale, Syndicat national des arts
vivants (Synavi), Syndicat national des journalistes (SNJ), Syndicat
national unitaire interministériel des territoires, de l’agriculture et de
la mer (SNUITAM – FSU), SNJ-CGT, Unef, Union générale des fédérations de
fonctionnaires CGT (UGFF-CGT), Union juive française pour la paix (UJFP),
Union nationale lycéenne (UNL), Union syndicale de la psychiatrie (USP),
Union syndicale Solidaires, Union des travailleurs immigrés tunisiens
(Utit).
 
Associations locales et autres :
Asti 93, Collectif 07 stop au gaz et huile de schiste, Collectif BDS
Saint-Etienne, Collectif Justice & Libertés (Strasbourg), Collectif Maquis
de Corrèze, Collectif Romeurope 94, la revue Ecole émancipée, Espace
franco-algérien, Faucheurs volontaires de la Loire, la revue Inprecor, le
journal Regards, Réseaux citoyens Saint-Etienne, Vigilance OGM 18.