Etrangers…
. et plus c’est la même chose
Immigration choisie et politique du chiffre, ça, c’était hier. Aujourd’hui, on organise « un maximum d’éloignements, mais dans un cadre transparent », dans une « approche qualitative ». Pour l’étranger qu’une loi très restrictive transforme vite en sans-papier, où est la différence?
Le refermement progressif de la mâchoire à broyer la vie des étrangers remonte déjà à un demi-siècle. De la Libération jusqu’au milieu des années 1960, la migration de travailleurs étrangers, surtout algériens et marocains, a été encouragée pour les besoins de la reconstruction et du développement de la France. Les services de l’Etat concernés par leur accompagnement étaient largement les mêmes que pour les autochtones: ministères du Travail, des Affaires Sociales, du Logement, de l’Education Nationale, de la Santé, de l’Economie et des Finances, de la Justice, de l’Intérieur, auxquels s’ajoutait le ministère des Affaires Etrangères. Aujourd’hui, de regroupements en réattributions, le ministère de l’Intérieur est pratiquement seul à la manoeuvre. Il en résulte que les migrants se retrouvent amalgamés malgré leur extrême diversité, et ciblés comme une population qui devient dangereuse par sa présence même. Comme l’a déclaré le ministre de l’Intérieur, « Qui, sinon les policiers et les gendarmes, pourrait assurer la régulation des flux migratoires ? »
Mieux encore, le ministère de l’Intérieur fait évoluer à sa guise la législation et la réglementation pour se faciliter la tâche. Nous reproduisons le communiqué sur la « dépénalisation » du séjour irrégulier publié par l’Observatoire de l’enfermement des étrangers. Dans un style un peu technique, il projète une lumière crue sur la technique de bonneteau qui prévaut ces temps-ci en ces matières.
PENALISATION DES ETRANGERS :
« TOUT CHANGER POUR QUE RIEN NE CHANGE » ?
Contraint de se plier aux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne, le gouvernement a fait adopter la loi du 31 décembre 2012 supprimant le délit de séjour irrégulier.
Une rupture avec la ligne de fermeté envers les étrangers en situation irrégulière ? Un pas vers plus d’humanité dans une logique de protection des droits fondamentaux ? Ce n’est malheureusement pas le cas.
– Pour pallier la suppression du délit de séjour irrégulier, des infractions demeurent ou sont mises en place. C’est ainsi que l’article L. 621-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prévoit toujours la répression de l’entrée irrégulière et que la loi du 31 décembre 2012, reprenant d’une main ce qu’elle donne de l’autre, introduit une infraction de résistance passive à une mesure d’éloignement ou d’assignation à résidence (nouvel alinéa 1 ajouté à l’article L 624-1 du CESEDA) : une façon de ne pas heurter de front la jurisprudence de la Cour de Luxembourg ;
– La garde à vue des étrangers, rendue impraticable du fait de la dépénalisation du séjour irrégulier, est remplacée par une mesure de retenue administrative qui en est la copie quasi conforme : les services de police peuvent continuer de remplir les centres de rétention et les salles d’embarquement en tout confort.
L’essentiel répressif étant ainsi préservé, ce même gouvernement aurait pu se montrer plus compréhensif dans le traitement des conséquences réglementaires et administratives de ce tour de passe-passe législatif. Il n’en est rien.
– Le décret n° 87-249 du 8 avril 1987 portant création du fichier automatisé des empreintes digitales (FAED) n’autorise que l’enregistrement de données destinées à permettre l’identification d’auteurs de crimes ou délits ; il est donc en toute logique devenu inutilisable pour identifier les étrangers en situation de séjour irrégulier. Qu’à cela ne tienne, le ministère de l’intérieur prépare un décret élargissant l’objet du FAED, qui permettra de continuer à traiter leurs empreintes comme s’il s’agissait de délinquants ;
– Les dépenses médicales et d’interprétariat engagées dans le cadre des nouvelles mesures de retenue administrative ne peuvent plus constituer des frais de justice, car ne se rattachant plus à la recherche d’auteurs d’infraction ; le ministère de la justice demandait donc que la logique budgétaire soit respectée et que le ministère de l’intérieur les prenne en charge. Matignon a pourtant tranché : ces dépenses continueront d’être imputées sur les frais de justice correctionnelle.
Ainsi, malgré la suppression du délit de séjour irrégulier, la pénalisation des étrangers continue d’imprégner la loi jusque dans ses moindres détails.
Les organisations soussignées dénoncent le double langage du gouvernement consistant à invoquer « l’humanité » à l’égard des étrangers – qui accompagne « la fermeté » comme une sœur jumelle dans sa rhétorique – tout en adoptant des mesures qui sacrifient la première à la seconde et renforcent sans cesse leur précarité.
Les organisations soussignées appellent le gouvernement à s’en tenir aux exigences de la Cour de justice européenne plutôt qu’à s’efforcer de les contourner. Elles lui demandent de tirer toutes les conséquences de la dépénalisation du séjour irrégulier et, notamment, d’abandonner son projet de décret de modification du FAED.
13 mars 2013
Organisations signataires :
Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), Comede, Emmaüs France, Fasti, Gisti, La Cimade, Ligue des droits de l’homme, MRAP, Revue Pratiques, Observatoire Citoyen du CRA de Palaiseau, Syndicat des avocats de France (SAF), Syndicat de la magistrature (SM), Syndicat de la médecine générale (SMG)
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