Affaire Bettencourt : l’étonnante volte-face du parquet de Bordeaux
Sud-Ouest
Le procureur général est intervenu pour qu’Éric Woerth ne fasse pas l’objet d’une réquisition de renvoi en correctionnelle, comme prévu initialement.
André Ride, procureur général près la cour d’appel de Bordeaux. (Archives claude petit/«sud ouest »)
Al’inverse des juges du siège, qui se prononcent en toute indépendance, les magistrats du parquet s’insèrent dans une chaîne hiérarchique. Dans les affaires sensibles, ils doivent soumettre leurs décisions à leurs supérieurs, qui parfois les amendent ou les infirment, même si les textes ne les y autorisent pas explicitement. Début mai, la substitut du procureur de Bordeaux, chargée de rédiger le réquisitoire du volet trafic d’influence des dossiers Bettencourt, a ainsi eu la désagréable surprise de voir ses conclusions totalement retoquées.
Alors qu’elle préconisait le renvoi devant le tribunal correctionnel de l’ancien ministre du Budget Éric Woerth et de l’ex-gestionnaire de fortune de la milliardaire Patrice de Maistre, ce sont des réquisitions de non-lieu qui en définitive ont été prises. La magistrate avait remis son projet de réquisitoire à son supérieur direct, le procureur de Bordeaux, Claude Laplaud, qui, dans un premier temps, avait semblé acquiescer. Mais, avant de le signer, il l’a transmis à André Ride.
Lettre de protestation
Selon nos informations, confirmées par plusieurs sources judiciaires, le haut magistrat a ordonné à son subordonné de faire machine arrière. De manière plutôt précipitée, le corps du texte n’ayant pas été modifié. « Cela saute aux yeux, on a simplement changé la fin », fait observer l’un des avocats impliqués dans la procédure.
L’affaire commençant à s’ébruiter, André Ride se défend en évoquant, semble-t-il ,une réflexion collective (1).
Au sein d’un palais de justice où les tensions s’exacerbent, l’argument ne convainc guère. Les trois juges d’instruction chargés des dossiers Bettencourt ont adressé le 14 mai dernier une lettre de protestation au président de la chambre de l’instruction. Jean-Michel Gentil, Cécile Ramonatxo et Valérie Noël critiquent sévèrement le communiqué de presse du parquet, diffusé quelques jours plus tôt, qui dévoile ces réquisitions de non-lieu.
« Inacceptable »
« Son contenu, destiné à rendre publique l’appréciation de M. le procureur sur le bien-fondé des charges retenues contre des personnes mises en cause, est inacceptable », soulignent les trois magistrats dans cette lettre, dont « Sud Ouest » a eu connaissance. De leur point de vue, l’article 11 du Code de procédure pénale a été foulé aux pieds. Ce dernier, s’il autorise les procureurs à rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure, prohibe tout commentaire.
« Le procureur ne se contente pas d’annoncer ses réquisitions. Il commente sa vision du dossier, s’agissant notamment des conditions d’embauche de Mme Florence Woerth au sein de la société dirigée par M. de Maistre et de la nomination de celui-ci dans l’ordre national de la Légion d’honneur », déplore la section du Syndicat de la magistrature du tribunal de grande instance de Bordeaux.
Le syndicat rappelle aussi que cette annonce survient dans un contexte marqué par « un déchaînement de déclarations insultantes à l’égard des trois magistrats instruisant l’affaire Bettencourt, visant manifestement à discréditer par avance tout ce qui pourrait conduire M. Woerth et M. Sarkozy à répondre d’une quelconque infraction devant le tribunal correctionnel ».
Habitué à la controverse
Le fait que Gérard Aldigé, le magistrat du parquet chargé de rédiger le réquisitoire sur le volet abus de faiblesse – le plus important du dossier Bettencourt – ait déserté le tribunal pour s’installer dans un bureau aménagé dans les locaux de la cour d’appel, à côté de celui du procureur général André Ride, inspire les plus vives inquiétudes au syndicat.
Aujourd’hui en fin de carrière, le haut magistrat n’est pas homme à être fragilisé par la controverse. Par le passé, il a essuyé plus d’un grain médiatique. Mis en cause pour son traitement des affaires des disparues de l’Yonne et de l’assassinat de Yann Piat alors qu’il était procureur à Auxerre et Toulon, il a effectué aussi un passage remarqué à la tête de l’inspection des services judiciaires de la chancellerie.
En 2008, après le suicide d’un mineur détenu, il avait convoqué en pleine nuit des magistrats lorrains pour les auditionner avant la venue de la garde des Sceaux Rachida Dati à Metz. À Bordeaux, où il a été nommé procureur général avant la défaite de Nicolas Sarkozy, il a retrouvé Alain Juppé, dont il fut le conseiller à l’époque où le maire de Bordeaux était Premier ministre. Tout comme Éric Woerth, d’ailleurs.
(1) André Ride n’a pas souhaité répondre hier à nos questions.
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