Accueil de réfugiés syriens: la France à la traîne

MEDIAPART
08 septembre 2013 |

Sur fond de divisions des pays membres du G20 réunis à Saint-Pétersbourg, le seuil des deux millions de Syriens fuyant leur pays a été franchi, selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Avec les 4,25 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays, selon les données du Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires, le nombre d’habitants contraints de partir de chez eux en raison de la guerre atteint une proportion dramatique : 30 % des 21,4 millions de résidents.

« Ce tragique afflux ne semble pas près de s’arrêter», indique le HCR qui prévient que davantage de personnes sont en route vers l’exil. Au jour le jour, environ 5 000 Syriens cherchent refuge à l’étranger. Cette tendance représente une « hausse spectaculaire » de près de 1,8 million de personnes en douze mois, soit une forte accélération au cours des dernières semaines, insiste le HCR, qui souligne que beaucoup des exilés traversent les frontières avec pratiquement pour seul bagage leurs vêtements du jour. L’Unicef vient d’annoncer que plus de la moitié des deux millions de réfugiés ont moins de 18 ans, évoquant la « pire crise humanitaire depuis le génocide rwandais ».

Depuis le début du conflit, les pays limitrophes sont les plus hospitaliers. À la fin du mois d’août, 720 000 personnes ont trouvé refuge au Liban, 520 000 en Jordanie, 464 000 en Turquie, 200 000 en Irak et 111 000 en Égypte. Les capacités d’accueil de ces pays ayant atteint leurs limites, une réunion de crise s’est tenue à Genève le 4 septembre avec le HCR et des représentants des gouvernements concernés. Dans un communiqué commun, ces hauts responsables dénoncent l’« escalade » liée à l’utilisation d’armes chimiques et exhortent les pays du G20 à « surmonter » leurs différends. Chargé de coordonner l’action humanitaire, le HCR se plaint de n’avoir reçu que 47 % des contributions financières indispensables pour répondre aux besoins de première urgence.

Le camp de réfugiés de Zaatari en Jordanie, le 18 juillet 2013. © ReutersLe camp de réfugiés de Zaatari en Jordanie, le 18 juillet 2013. © Reuters

Dès cet été, le haut-commissaire de l’agence, Antonio Guterres, a tiré la sonnette d’alarme, appelant l’Europe à se montrer plus accueillante. À Vilnius, en Lituanie, le 18 juillet, il a fait part de sa « préoccupation » à propos de « graves insuffisances ». Car si les pays de l’Union européenne (UE) ont demandé à la Turquie, au début de la guerre, de garder ses frontières ouvertes pour laisser passer les réfugiés, ils n’en ont pas moins maintenu fermées les leurs.

Frontex, l’agence européenne chargée des contrôles aux limites extérieures, n’a pas desserré la pression, si bien que les réfugiés arrivant par leurs propres moyens en Europe risquent d’être refoulés ou de se retrouver dans un centre de rétention en Grèce, où le taux d’acceptation des demandes d’asile est proche de zéro. Pour échapper à la surveillance, les réfugiés mettent leur vie en danger. Au milieu du mois d’août, une centaine de Syriens et d’Égyptiens ont navigué sur une embarcation de pêche de 16 mètres de long. Celle-ci s’est ensablée à 20 mètres des côtes siciliennes, entraînant le décès de six passagers, dont les corps ont échoué non loin de la ville de Catane.

Dans l’UE, deux pays sortent du lot : l’Allemagne et la Suède, qui hébergent à eux seuls près des deux tiers des 40 000 Syriens ayant déposé une demande d’asile en Europe depuis le début de la crise.

Dans le cadre d’un programme de protection temporaire, 5 000 autres sont attendus outre-Rhin. Identifiés par le HCR au Liban, un premier groupe d’une centaine d’exilés doit rallier Beyrouth à Hanovre par avion à la mi-septembre. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) intervient actuellement pour dispenser des examens médicaux et des cours de langue et d’« orientation culturelle ». Une fois arrivés à destination, ils devraient être logés dans un centre d’accueil à Friedland pendant six semaines, avant d’être répartis dans différentes régions. Ces personnes sont admises pour motifs humanitaires, jusqu’à ce qu’elles soient en mesure de rentrer chez elles ou de trouver d’autres solutions durables. La Suisse et l’Autriche viennent respectivement de donner le feu vert à 500 réfugiés. Quelques autres pays ont proposé leurs services, comme la Suède, la Norvège et les Pays-Bas.

La France quant à elle reste mutique, malgré le soutien actif de François Hollande à une intervention militaire. À quelques exceptions près, seuls les demandeurs d’asile arrivant jusqu’en France sont autorisés à déposer un dossier en se présentant eux-mêmes en préfecture. Ce qui suppose d’avoir obtenu un visa en Syrie ou d’avoir franchi sans autorisation de nombreuses frontières internationales. Ce qui suppose, autrement dit, d’avoir surmonté énormément d’obstacles.

Des Syriens expulsés de la « Beer house » à Calais

Paris a compliqué la tâche aux éventuels postulants en rétablissant un visa de transit aéroportuaire à destination des… Syriens. Supprimé en avril 2010, ce document a été réintroduit en janvier 2013 afin de « lutter contre les détournements de procédure ». Alors que plus de 100 000 décès sont à déplorer, selon l’ONU, la priorité de la France semble être de déjouer les « faux » demandeurs d’asile. Sur place, le nombre de demandes augmente, mais reste faible.

Dès son ouverture, le camp a accueilli 2 000 tentes, le 31 juillet 2012. © ReutersDès son ouverture, le camp a accueilli 2 000 tentes, le 31 juillet 2012. © Reuters

Selon l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), 700 dossiers ont été déposés au cours du premier semestre 2013, soit le même volume que tout au long de l’année 2012. Le taux d’admission est très élevé : 92 % en 2012 et 95 % en 2013. Pour autant, la participation de la France à l’effort européen est minime. Le statut de réfugié a été accordé dans 60 % des cas. En application de la Convention de Genève, il a concerné principalement des militants politiques engagés contre la dictature qui ont obtenu une carte de séjour de dix ans. Les 40 % restants ont été éligibles à la protection subsidiaire qui prévoit la délivrance d’un titre de séjour d’un an renouvelable aux personnes vivant une situation de conflit généralisé et craignant pour leur vie ou celle de leur famille.

Aucune dérogation n’est prévue pour les Syriens, reconnaît Pascal Brice, le directeur de l’Ofpra, qui ajoute néanmoins avoir donné l’instruction à ses services d’accélérer la procédure d’examen. L’objectif est de ne pas dépasser trois mois de délai quand six mois en moyenne sont nécessaires. Selon lui, le petit nombre de demandes en France s’explique principalement par le fait que les réfugiés se dirigent, outre vers les États limitrophes, vers les pays comme l’Allemagne et la Suède, où les communautés syriennes, notamment kurdes, sont les plus fournies. Et renvoie au ministère de l’intérieur concernant la restauration du visa de transit et l’éventualité de la participation de la France à un programme de réinstallation car « ces questions relèvent de l’accès au territoire et donc de la décision souveraine de l’État ».

Dans un communiqué, Pierre Henry, le directeur général de France terre d’asile, peste contre les pays européens qui « ne se distinguent en aucun cas par leur prise d’initiative » et désigne particulièrement la France. Il rappelle l’existence de la directive sur la protection temporaire, adoptée en 2001 à la suite de la crise au Kosovo, et regrette que cet outil ne soit pas utilisé. Il fustige le choix de Paris non seulement de ne pas assouplir les conditions d’attribution de visas mais aussi de privilégier les « enjeux de sécurité ».

Médecins de monde (MDM), qui a ouvert des centres de soins en Jordanie et au Liban, reproche également à la France de n’être « pas au rendez-vous ». Ses équipes dans le Nord-Pas-de-Calais observent la présence de nombreux Syriens sur le littoral, qui « faute de facilités données pour obtenir l’asile », vivent dans des conditions de vie « indignes ».

Certains d’entre eux s’étaient installés dans un squat de la rue Mouron, à Calais. Mais, ce lieu, appelé « Beer house », a été expulsé par les forces de l’ordre le 5 septembre « sans diagnostic ni concertation », selon treize associations parmi lesquelles la Cimade, la LDH, MDM, Terre d’errance et Salam.