«Les anticorrida ne parviennent pas à se faire entendre»
Libération
Le matador espagnol Juan José Padilla lors d’une corrida à la Féria de Nîmes, le 17 mai. (Photo Pascal Guyot. AFP)
Geneviève Gaillard, députée PS des Deux-Sèvres et auteure d’une proposition de loi visant à interdire la tauromachie en 2010, revient sur les derniers incidents entre les pro et anticorrida.
Chaque année, la saison des ferias réanime l’affrontement entre aficionados et opposants à la tauromachie. L’été 2013 n’a pas fait exception, plusieurs incidents marquant même un nouveau degré de crispations entre pro et anticorrida. A Rion-des-Landes (Landes), de violentes échauffourées à la suite d’une action d’ampleur des associations antitaurines ont fait plusieurs blessés dont un grave, le 24 août, mobilisant 70 gendarmes et captant l’attention des médias.
A lire aussi notre reportage à Rion-des-Landes
Le 5 septembre, à Amélie-les-Bains (Pyrénées-Orientales), une campagne en ligne menée par les groupes opposés à la corrida a abouti, sur demande de la préfecture, à l’annulation de la dernière partie du spectacle, la fameuse «embolada». Cette pratique consiste a faire partir des feux d’artifice de l’animal, afin de simuler l’image d’un «taureau en feu». Le même jour, à Dax (Landes), deux conseillères municipales, membres d’Europe Ecologie-Les Verts, étaient violemment critiquées par le reste de l’équipe municipale pour avoir témoigné leur soutien sur Facebook aux manifestants de Rion-des-Landes. Gabriel Bellocq, le maire socialiste de Dax, a même estimé que les deux élues avaient «franchi la ligne jaune».
Une abolition de la tauromachie en France semble toutefois difficilement envisageable. En septembre 2012, le Conseil constitutionnel avait tranché une question prioritaire de consitutionnalité déposée par les anticorridas en leur défaveur. A cette occasion, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, avait apporté son soutien à la tauromachie, «une culture qu’il faut préserver». Pourtant, un an plus tard, les associations, à l’instar du Comité radicalement anticorrida (Crac), veulent croire à un «effet Rion-des-Landes».
Geneviève Gaillard, députée (PS) des Deux-Sèvres et maire de Niort, est une figure de la lutte contre la tauromachie en France. Vétérinaire de profession, elle a déposé, sans succès, une proposition de loi anticorrida en 2010 qu’elle entend représenter prochainement à l’Assemblée. (Photo Assemblée nationale)
Au vu des derniers événements, pensez-vous qu’il y ait un changement dans les attitudes face à la corrida ? Un durcissement des positions ?
La polémique revient chaque été, au moment des corridas, c’est lié à l’actualité. Les pro et les anti s’affrontent, pas nécessairement physiquement d’ailleurs. C’est vrai que cette année, en toile de fond, il y a une montée en puissance de personnes qui sont anticorrida et qui ne parviennent pas à faire entendre leur voix. Même si l’on voit des villes qui se désengagent, on est toujours privé d’un débat national, alors que la plupart des Français sont opposés à cette pratique.
Comment jugez vous les actions musclées des anticorridas, comme à Rion-des-Landes ?
Je ne légitime pas les comportements extrêmes. En revanche, je comprends l’agacement des gens qui souhaitent un vrai débat et n’y ont pas droit. Une vraie discussion, c’est tout ce que je souhaite, et c’est pour cette raison que j’ai rédigé une proposition de loi, en 2010, pour permettre d’avancer.
Cette proposition de loi n’a pas été soumise au vote, faute de signatures. Est-ce un combat que vous poursuivez ?
Il est prévu que je remette cette proposition de loi en examen à l’Assemblée prochainement. Mais avant cela, il faudrait que je trouve plus de parlementaires dans le groupe socialiste qui partagent mon point de vue. Or, entre la dernière et la nouvelle législature, le nombre de parlementaires ouverts à ce débat a diminué. Beaucoup d’entre eux n’osent pas en parler. Ils viennent me dire en privé : «Je suis opposé à la corrida, mais vis-à-vis de ma circonscription, je ne peux pas signer».
Qu’est-ce qui les en empêchent ? Des intérêts économiques, électoraux ?
Les ferias et les corridas générent dans certaines villes beaucoup d’animation, que les élus ont peur de voir cesser si la corrida est supprimée. Je pense que les arènes peuvent accueillir autre chose que le spectacle cruel qu’est la corrida, comme les arts du cirque par exemple. Dans une société comme la nôtre, déjà très violente, a-t-on besoin d’un spectacle basé sur le sang et la mise à mort ? Cela me gêne qu’on puisse emmener des enfants assister à une telle manifestation de cruauté envers les animaux de manière légale. Et je suis aussi gênée que de l’argent public soit investi dans ce genre de chose.
Certains élus sont amenés à considérer au nom de la «tradition» que la corrida est un art dont il très difficile de se détacher. Mais en y regardant de plus près, on voit que c’est purement et simplement une mise en scène de la cruauté pour satisfaire les instincts primaires.
Peut-on parler d’un lobby pro-corrida à l’Assemblée ?
Certainement. On a d’ailleurs eu, quelque que soit l’alternance, des ministres pro-corrida. [Philippe Martin, ministre de l’Ecologie, fait partie du groupe des 55 députés qui disent soutenir activement la corrida, ndlr.]
C’est toujours un débat passionnel, qui traverse les partis. A droite comme à gauche, il y a des pro et anti, ce qui rend la mobilisation difficile du fait de la structuration de la vie parlementaire. Je ne cache pas qu’au parti socialiste, il y a un manque de convergence à ce sujet. A droite, Muriel Marland-Militello [députée des Alpes-Maritimes entre 2002 et 2012] a connu les mêmes difficultés que moi à présenter une proposition de loi à l’hémicycle.
Si l’abolition paraît difficile à obtenir, a minima, que demandez-vous ?
J’aimerais déjà qu’on dépassionne le débat en disant simplement : c’est une tradition en train de s’éteindre et qui n’est pas du meilleur apport sociétal, donc essayons de résoudre le problème. Une première victoire serait d’interdire l’accès aux arènes des enfants. Ensuite, on pourrait aller vers la corrida portugaise, qui est mieux perçue car il n’y a pas de mise à mort publique. D’ailleurs, de nombreuses villes et pays ont commencé à limiter les pratiques de la corrida, qui sont multiples.
De manière générale, la France a pris du retard pour ce qui est du droit des animaux. Selon moi, l’animal a une utilité sociétale et je n’aime pas qu’on en fasse n’importe quoi. Je suis loin d’être une «extrémiste» sur ce sujet, mais la corrida est emblématique d’une certaine cruauté. Je suis allée moi-même assister à une corrida, pour éviter de parler de ce que je ne connais pas. Et en tant que vétérinaire, je peux vous dire que c’est terrible. On dit que si les torreros sont bons les animaux ne souffrent pas, mais j’ai du mal à y croire.
Partager la publication "«Les anticorrida ne parviennent pas à se faire entendre»"