Sur Facebook, le racisme ordinaire du FN…

«Priez dans les rues, imposez-nous du halal, interdisez-nous le porc, prenez nos filles, dirigez notre pays… Tant que le Front national ne sera pas au pouvoir, vous avez tous les droits. Ouais, sauf que le Front national sera bientôt au pouvoir !», écrit Jean-Bernard Formé, tête de liste à Lorgues (Var) pour les prochaines municipales, sur sa page Facebook. Ce post, daté du 2 juillet dernier, se trouvait toujours en ligne jeudi 24 octobre.

Des propos qui viennent entacher la stratégie de Steeve Briois, secrétaire général du FN, et très proche de Marine Le Pen : son parti essaie à toute force de lisser son image, malgré les dérapages de ses candidats aux municipales sur les réseaux sociaux. Le 18 octobre, le FN a ainsi décidé de suspendre Anne-Sophie Leclere, candidate à Rethel (Ardennes), suite à la publication sur son profil Facebook d’un montage comparant la ministre de la Justice, Christiane Taubira, à un singe, révélé par France 2. Florian Philippot, vice-président du parti, a résumé l’affaire à une «erreur de casting».

Steeve Briois s’est alors fendu d’une note adressée aux secrétaires départementaux du parti. Il leur demande de redoubler de vigilance vis-à-vis des publications sur les réseaux sociaux des candidats de leur fédération. Le fait n’est pas nouveau : le FN avait fait face à la même situation en septembre. Il avait alors exclu le candidat François Chatelain, pour propos xénophobes tenus sur sa page Facebook (notamment un drapeau israélien en train de brûler avec inscrit à côté : «Ici, c’est la France.»). Ce qui avait déjà valu aux secrétaires départementaux un rappel à l’ordre de la part de Steeve Briois. Contacté à plusieurs reprises, ce dernier n’a pas répondu à nos appels.

«Stratégie de dédiabolisation»

«Les responsables du parti sont beaucoup plus attentifs à ce genre de dérapages depuis que Marine Le Pen est à leur tête», décrypte Sylvain Crépon, spécialiste de l’extrême droite, auteur de Enquête au cœur du nouveau Front national, (Nouveau monde éditions, 2012). «Cette utilisation des réseaux sociaux fait partie de leur stratégie de dédiabolisation», analyse-t-il. En dépit de cette tentative de toilettage en amont, certains profils Facebook de candidats aux municipales montrent qu’il y a encore bien du travail.

Propos islamophobes, ciblant le voile intégral ou le halal, sont toujours visibles, sous forme de posts ou de partage de photos, sur d’autres comptes Facebook de candidats têtes de liste pour le FN.

Capture d'écran Facebook réalisée le jeudi 24 octobre 2013 sur le profil de Julien Dufour, tête de liste FN.

«En fait, le Niqab, c’est le même principe que le pékinois, on ne sait pas ce qui est le devant et ce qui est le derrière… Elle est où la tétête ? Il est où le cucul ?» écrit ainsi Julien Dufour, tête de liste à Boulogne-Billancourt, le 13 avril 2012, en commentant une photo d’une femme intégralement voilée. Des photomontages de femmes intégralement voilées continuent également d’apparaître sur le profil Facebook d’Edouard Cavin, jeune tête de liste à Dijon (Côte-d’Or).

Capture d'écran, le mercredi 21 octobre, du profil Facebook de la tête de liste FN Sandrine Ligout.

Outre le voile, le halal est aussi la cible de certaines têtes de liste frontistes. Sandrine Ligout, tête de liste à Saint-Priest (Rhône), partage le 26 octobre 2012 la photo d’un agneau précédée de ces quelques mots : «Une petite pensée pour tous les pauvres petits moutons, qui seront sacrifiés aujourd’hui pour une « fête » organisée par des sauvages». Une «pensée» qui n’a pas été effacée, contrairement aux consignes du parti.

Fabien Engelmann, tête de liste à Hayange (Moselle), qualifie quant à lui de «barbarie islamiste» un projet d’abattoir halal à Guéret, en publiant une photo de vache dont seule la tête dépasse d’une machine. Certains commentaires, toujours accessibles, ont clairement une connotation raciste.

La non-modération des commentaires pourrait pourtant coûter cher aux candidats frontistes : le 18 octobre, le conseiller régional du parti en Languedoc-Roussillon, Julien Sanchez, a été condamné par la cour d’appel de Nîmes à 3 000 euros d’amende. Poursuivi comme «directeur de publication» de sa page Facebook, il avait laissé deux internautes y publier des commentaires racistes.

Jusqu’à un an d’emprisonnement

Les poursuites qu’ils encourent pour leurs propres publications sont loin d’être anodines. Pour «injure à caractère raciste», comme la comparaison d’une femme voilée à un Pékinois, «ils encourent une amende de 22 500 euros d’amende et six mois d’emprisonnement», détaille un avocat consulté sur le sujet. Pour «provocation à la violence, la haine et la discrimination raciste», comme le qualificatif «sauvages» pour évoquer les personnes qui pratiquent la fête de l’Aïd, «ils encourent 45 000 euros d’amende, et un an d’emprisonnement».

Interrogé sur les publications islamophobes des candidats, le chercheur Sylvain Crépon considère que ceux-ci «se prennent à tenir des propos que beaucoup de militants tiennent dans l’entre-soi frontiste. Sauf que l’entre-soi frontiste, sur Facebook, ça n’en est plus. Tout apparaît au grand jour».

«Le FN voulait utiliser Internet comme contre-média, pour se montrer tels qu’ils étaient, contre les médias « aux ordres » et les « vérités officielles », souligne-t-il. Mais quelque part, Internet se retourne contre le parti, qui ne peut pas contrôler toutes ses troupes sur la toile. Le FN est pris à son propre jeu», avance-t-il, rappelant le cas d’Alexandre Gabriac. Cet élu frontiste avait finalement été exclu du parti après qu’ont circulé sur Internet des photos de lui faisant le salut nazi, alors que Jean-Marie Le Pen était favorable à ce qu’il reçoive un simple «blâme».

Laura FERNANDEZ RODRIGUEZ