Catholiques intégristes, bonnets rouges, militants identitaires islamophobes, supporteurs de Dieudonné : un magma politique foutraque et anonyme appelle à manifester dimanche à Paris dans un grand «Jour de colère». L’événement, préparé depuis l’automne, compte près de 30 000 inscrits sur Facebook. Les organisateurs espèrent mobiliser une foule hétéroclite, réunie autour d’un mot d’ordre : «Hollande démission !» Pour parvenir à leurs fins, ils ont brassé très large. Sur son site, Jour de colère invoque pêle-mêle «le matraquage fiscal, la misère paysanne, le chômage, l’insécurité, la faillite de l’éducation nationale, la destruction de la famille, le mépris de l’identité française, les atteintes à la liberté et le déni de démocratie».

Très actifs sur Internet via une multitude de pages Facebook qu’on croirait clonées – «Hollande dégage !», «Hollande m’a tué», «Génération résistante», «Peuple français réveille toi !» – les têtes pensantes de Jour de colère s’appuient aussi sur des réseaux habitués à la mobilisation, des groupes identitaires aux catholiques intégristes. Le Printemps français de Béatrice Bourges, groupuscule en pointe dans la lutte contre le mariage gay, apparaît aussi à la manoeuvre. On est donc bien loin de «l’apolitisme» mis en avant par les organisateurs. L’appel de Dieudonné à se joindre à la manifestation a contribué au flou général. Ludovine de la Rochère, présidente de la Manif pour tous, a elle préféré tenir son mouvement éloigné de ce défilé. «Quand on se mobilise, on dit qui on est, et on revendique des choses précises», explique-t-elle à Libération.

Libération a recensé la soixantaine d’organisations qui appellent à manifester. Plusieurs caractéristiques communes en ressortent : défense des valeurs «traditionnelles» de la famille, dénonciation d’une fiscalité trop élevée, rejet de l’immigration et de l’islam. Inventaire.

La défense de la famille

Après avoir (re)découvert l’an passé les vertus des défilés dominicaux, les défenseurs de la famille hétéronormée et des «tous-petits» ont décidé de s’associer au Jour de colère. Plusieurs groupuscules très actifs contre la loi légalisant le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels appellent à manifester. Tel le Camping pour tous – qui avait entrepris de squatter les jardins du Sénat -, le Collectif des avocats libres, ou encore le Collectif Famille Mariage. Reconverti en un projet plus simple – «Abroger Taubira» – celui-ci a été fondé par Guillaume de Thieulloy, assistant du sénateur UMP Jean-Claude Gaudin (UMP) et figure de la cathosphère tradi. Prisonniers politiques, qui rassemble les témoignages des victimes de la «répression socialiste», viendra dénoncer «l’intolérable répression et à la naissance d’une police politique, rappel de sombres heures de notre histoire». Rien que ça. Dans la même lignée on retrouvera Solidarité pour Tous, qui aide les manifestants confrontés à la justice. En revanche, les Veilleurs, rejetons de la Manif pour tous adepte des chants scouts à la lueur des bougies, ont décidé de ne pas s’associer officiellement au Jour de colère.

Béatrice Bourges du «Printemps français» (photo Jean-François Monier. AFP)

Le Collectif pour l’Enfant, dont la porte-parole n’est autre que Béatrice Bourges, également à la tête du label «Printemps Français», sera aussi de la partie. N’oublions pas non plus les Gavroches et leur manifeste hommage à la littérature : «En ces temps troublés, le parallèle nous est souvent apparu entre Valls et Javert, Fantine contrainte de vendre son corps et les mères porteuses, les Thénardier et tous ces hommes corrompus qui pensent que tout peut s’acheter.» Les Enfants des terreaux (attention jeu de mot), un mouvement lyonnais, viendra prôner une «résistance énergique contre le système socialiste nauséabond qui détruit nos valeurs de civilisation». Même ambition chez Foutez-leur la paix et ses 214 fans Facebook, qui martèle que «la crèche est là pour garder les enfants et non pour les endoctriner».

Toujours sur l’éducation : Journée de retrait des écoles s’élève contre une éventuelle apparition de «la théorie du genre» dans les classe. Autre participant : le collectif France Audace, qui ambitionne de fédérer les associations catholiques du pays. Son président, François Billot de Lochner, est aussi à la tête de la Fondation de service politique. Ce think tank défendant les «racines chrétiennes» de l’Europe est financé par le Saint-Siège et proche de l’Opus Dei, selon les journalistes Caroline Fourest et Fiametta Venner. Bien que non affichés dans les soutiens, les membres de Civitas seront présents. Leur leader, Alain Escada se félicite de l’appel qui réunit «un souhait de coagulation, cette addition des mécontents qui a pour but d’affaiblir le gouvernement. C’est une formule qui nous convient mieux que la Manif pour tous qui était trop festive».

Alain Escada (photo damien Meyer. AFP)

Le «ras-le-bol fiscal»

La thématique du «ras-le-bol fiscal» réunit une bonne partie des manifestants, qui pourront défiler derrière une bannière dédiée. La gamme des couleurs sera bien représentée, avec les bonnets rouges nantais, les bonnets rouges frontaliers, les bonnets rouges 69 (qui acceptent «toutes les personnes qui sont en colère»), les bonnets blancs (opposés à la réforme des rythmes scolaires), ainsi que les bonnets gris, alias les Fonctionnaires en colère. Le groupe des Citrons facilement exploitables – un «collectif d’artisans et de commerçants albigeois» – soutient le Jour de colère, mais ne se rendra pas à Paris. A noter que les bonnets rouges canal historique – les Bretons opposés à l’écotaxe – ont finalement décliné l’invitation, le défilé ne correspondant ni à leurs «valeurs», ni à leurs «objectifs». En revanche, Tous ensemble contre l’écotaxe a lancé un appel à manifester.

Une banderolle accrochée sur un camion le 2 décembre 2013 à Croissy-Beaubourg dans le cadre du mouvement routier contre l'écotaxe.

Mouvement routier contre l’écotaxe en décembre 2013 (photo Kenzo Tribouillard. AFP)

Dans ce magma, une page Facebook résume le message : la révolte fiscale c’est maintenant. On retrouve aussi les Contribuables en révolte qui refusent de laisser «tondre sans bêler» et délivrent un message plus large : «anti-magouilles», «anti-immigration massive» et «anti-mariage gay». Des revendications proches d’une autre page Facebook qui use de la métaphore animalière, La révolte des vaches à lait. L’association Liberté et sécurité des frontaliers souhaite défendre les droits des frontaliers résidant en France et travaillant en Suisse. La présidente, Valérie Guée, est une proche de Claude Reichman, responsable du Mouvement pour la liberté de la protection sociale – qui incite à quitter la Sécu – et de la Révolution bleue (voir plus bas). Le plus persévérant reste le Rassemblement des contribuables français. Leur président, Nicolas Miguet avait tenté de se présenter à la présidentielle de 2012, mais n’avait pas obtenu les 500 signatures nécessaires.

Les militants d’extrême droite

Ce qui les regroupe, c’est la peur du «grand remplacement», c’est-à-dire la substitution de populations arabo-musulmanes aux Européens «de souche». Cette thèse a notamment été développée par l’écrivain Renaud Camus dans un ouvrage paru en 2011, et devenu une référence pour les milieux identitaires. L’homme, à la tête du Parti de l’In-nocence, a lancé un appel baptisé «Non à la substitution de population», ainsi qu’une pétition qui compte 2 789 signatures.

Autre personnalité en pointe sur ce sujet : Gérard Pince, à la tête de la Free World Academy, site sur lequel on peut lire sa crainte qu’un «nouvel âge de fer et d’obscurantisme [s’étende] sur un territoire qui ne sera plus la France». Sur le site la Révolution bleue de son ami Claude Reichman, il aligne ses propositions : rétablissement du droit du sang, prohibition de l’islam, interdiction de toute immigration en provenance des pays hors Union européenne, suppression des prestations sociales versées aux étrangers, entre autres. Autre membre de la Révolution bleue, Georges Clément, qui est aussi président de deux autres «comités» : le Comité de Lépante, opposé à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne et le Comité francilien de défense du franc. Reconquête Républicaineinsiste également sur la thèse du «grand remplacement».

Renaud Camus, autoportrait (Wikimedia CC)

Bernard Antony, ancien chef de fil de la tendance «nationale-catholique» au sein du FN, député européen d’extrême droite de 1988 à 1999 et fondateur de l’Agrif, participera à la manifestation pour combattre le «racisme anti-blanc et anti-chrétien». Autre participant : Alexandre Goldfarb, inscrit sur la liste du candidat divers-droite Franck Keller pour les municipales de Neuilly. Il est président de l’Observatoire du mensonge, média en ligne qui propose de dévoiler, à grands renforts de déductions hasardeuses, «ce que les autres médias ne disent pas», que ce soit à propos d’économie ou d’immigration. Le Réseau-Identités, en lien avec l’association Nationalité-Citoyenneté-Identité, viendra aussi «crier sa colère». Une colère qui se dirigera sûrement contre les étrangers, puisque le premier objectif de l’association est «de s’opposer par tout moyen légal à l’octroi du droit de vote aux étrangers non issus d’un pays de l’Union européenne». France Libre, de son côté, est en pointe dans le combat contre le «racisme anti-blanc», alors que la Ligue Francilienne est une déclinaison régionale des identitaires.

Les musulmans n’ont pas le monopole des théories de l’envahissement. Les francs-maçons aussi inquiètent plusieurs groupuscules, que ce soit les Génération patriotes présidées par Stéphane Lormenil, suppléant du FN Fabien Engelmann lors des élections législatives 2012 en Moselle, ou la Dissidence française, qui n’apparaît pas dans la liste des soutiens officiels, mais appelle bien à manifester. Vincent Vauclin, qui a créé ce mouvement en 2011 a une solution simple pour mettre fin à la «déroute» de la France : «faire appel à l’armée» pour faire «tomber le Régime».

La présence potentielle de supporteurs de Dieudonné a effrayé l’association anti-islam Résistance républicaine, qui a décidé de ne plus participer au Jour de colère. «Il n’est pas pensable que nous manifestions aux côtés de gens qui veulent islamiser la France et y imposer, pour une partie d’entre eux, la charia», a expliqué la présidente Christine Tasin. En revanche, l’organisation soeur Reconquête républicaine défilera.

Les objets non identifiés

Tous les participants ne réclameront pas le départ d’un président. Certains appelleront au retour d’un autre. «Nous exigeons la libération immédiate de Laurent Gbagbo», écrit Abdel Neki, le président du CRI Panafricain. L’Ivoirien se réjouit d’être présent dans la liste des soutiens : «C’est l’occasion rêvée pour parler de notre cause», s’enthousiasme-t-il. Sauf que les organisateurs ont depuis décidé de retirer le CRI de leur site. L’éventail d’associations, de collectifs, ou de groupes Facebook appelant à protester est très large. On y trouve des Don Quichotte modernes (le Collectif en colère contre l’éolien industriel), un lobby fermier (Les paysans c’est l’Avenir) dont la page Facebook est davantage garnie de photos de tracteurs que d’appel à manifester. Autres étrangetés : Move Human, une association «engagée dans la lutte contre les clichés et pour l’expression des jeunes», ou encore Au nom du peuple, qui demande «l’organisation d’un audit des justiciables victimes des dysfonctionnements» de l’institution judiciaire.

Symbolique de cette addition pour le moins éclectique, reste le mouvement qui sert à tout : la France à l’Unisson. «L’Association se donne pour objectif d’organiser des manifestations culturelles, festives et/ou sportives, mais aussi de veiller à la protection et à la conservation du cadre environnemental, patrimonial et humanitaire sur tout le territoire national.» Son président est Igor Kurek, un ancien candidat aux législatives 2012 dans les Alpes-Maritimes, pour le Rassemblement pour la France, le parti de Christian Vanneste.

Précision : les organisations «Papas en colère» et «Soutien breton» n’ont pas confirmé leur présence, bien qu’ils apparaissent dans la liste officielle.

Sylvain MOUILLARD, Margaux VELIKONIA et Patxi BERHOUET