Martin Hirsch : « L’AP-HP doit soigner tout le monde, sans distinction »

LE MONDE

| 18.01.2014 à 09h53 • Mis à jour le 18.01.2014 à 12h32 | Propos recueillis par Laetitia Clavreul

"Chez nous, un patient peut avoir accès aux plus grands spécialistes indépendamment de son origine et de ses revenus", s'enorgueillit le directeur général de l'AP-HP Martin Hirsch.

Martin Hirsch a été nommé en novembre 2013 à la tête de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour remplacer Mireille Faugère, remerciée par le gouvernement dans un contexte de tensions autour de l’avenir de l’Hôtel-Dieu, à quelques mois des élections municipales.

Réduction du déficit, inégalités d’accès aux soins, dépassements d’honoraires, projets : l’ancien haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté du gouvernement Fillon et ancien président d’Emmaüs livre sa vision du mastodonte dont il a pris la tête.

Plus de quinze ans après votre premier passage dans l’institution, en tant que directeur de la pharmacie centrale, avez-vous retrouvé la même AP-HP ?

Beaucoup de choses ont changé. A l’époque, il y avait une frontière entre l’administratif et le médical, avec du dédain des chefs de service pour ce qu’ils considéraient comme de vulgaires contingences. Aujourd’hui, le corps médical ne se désintéresse plus des questions d’organisation ni des questions financières et l’esprit est davantage collectif. Changements de mentalités auxquels la tarification à l’activité n’est pas étrangère.

Mais ce mode de financement ne doit pas nous détourner de l’essence même du service public hospitalier : soigner tout le monde, sans distinction, sans discrimination. Il ne faut pas confondre être une institution rentable et privilégier des malades plus rentables que d’autres.

Cette notion de service public hospitalier est-elle en danger ?

Ce qui me frappe, au contraire, c’est que, si elle n’est pas encore complètement dans la loi, elle est bien inscrite dans nos comportements. L’AP-HP ne trie pas ses patients. Elle s’honore autant de compter des Prix Nobel, des premières mondiales comme celle du coeur artificiel imaginé si patiemment par le professeur Carpentier, que de soigner des bénéficiaires de la CMU [couverture maladie universelle] et de l’aide médicale d’Etat. Chez nous, un patient peut avoir accès aux plus grands spécialistes indépendamment de son origine et de ses revenus. Cette situation est quasiment unique au monde.

Mais, il ne faut pas s’en cacher, nous devons reconquérir le principe d’égalité d’accès aux soins, afin que les délais pour les rendez-vous, les examens, les interventions soient les mêmes pour tous, indépendamment de la situation sociale, du réseau personnel et bien sûr des moyens financiers. C’est mon obsession que les délais de prise en charge soient les mêmes pour le PDG et pour le travailleur précaire. C’est, par exemple, l’un des enjeux de l’application du prochain plan cancer à l’AP-HP.

Que pensez-vous des dépassements d’honoraires ?

La loi prévoit une activité libérale à l’hôpital encadrée. Cela fait partie de notre équilibre. Mais il est hors de question qu’elle dévoie l’institution par des excès dans les tarifs, des abus dans l’orientation des patients, voire des fraudes. La réputation morale fait partie de notre capital, autant que les robots chirurgicaux sophistiqués. Je ne la laisserai pas ternir par des comportements irresponsables. Et je regrette que ma première sollicitation de l’Inspection générale des affaires sociales concerne un abus, d’une nature qui ne devrait pas exister à l’Assistance publique.

L’AP-HP accuse un déficit d’environ 70 millions d’euros. Vous parlez peu d’économies… Avez-vous le profil de l’emploi ?

Le bon profil ne serait en tout cas pas celui d’un comptable, pour conduire une institution aussi vivante, passionnée, humaine. J’ai maintenu l’objectif de retour à l’équilibre des comptes d’ici à 2016. L’atteindre n’est pas contradictoire avec des projets motivants et innovants. Au contraire. Nous vivons dans un pays où la réduction des déficits publics est une priorité, je ne vois pas pourquoi l’AP-HP n’y contribuerait pas.

François Hollande a déclaré qu’il fallait faire des économies sur les dépenses de santé. Comment le plus gros hôpital de France va-t-il y contribuer ?

La redondance des actes dont parle le président est une réalité. Quand on transmettra les radios ou les résultats de biologie au médecin traitant, on n’aura plus besoin de réaliser des actes trois fois. C’est source d’économies sensibles. Et nous pouvons restructurer sans renoncer, comme lorsqu’on regroupe les plateaux d’analyses biologiques spécialisées.

La ministre de la santé vient d’octroyer 20 millions d’euros à votre institution pour l’achat de matériel médical. L’AP-HP reste-t-elle une grande privilégiée ?

Non. Sinon Marisol Touraine n’aurait pas tenu cet engagement. Avant la création des agences régionales de santé, mes prédécesseurs allaient négocier avec le ministre de budget, et les hôpitaux de la région avaient les restes. Pour les fonds spécifiques, comme les missions d’intérêt général, nous nous taillions la part du lion. Tout cela est fini. L’AP-HP, forteresse autosuffisante, c’est aussi du passé. Mais nous devons encore améliorer notre relation avec les hôpitaux généraux et la médecine de ville. Nous devons par exemple veiller à transmettre les comptes rendus d’hospitalisation. Sinon, la coopération restera un voeu pieux.

La crispation politique autour de la restructuration de l’Hôtel-Dieu a valu son poste à Mireille Faugère, que vous venez de remplacer. Prendre des décisions à l’AP-HP est-il impossible ?

Peut-on prendre des décisions quand on est directeur de l’AP-HP ? La réponse est oui. Mais il est sûr que la neutralisation des pouvoirs, entre toutes nos instances, est une spécialité que nous devons oublier. Je me sens suffisamment libre et soutenu pour y échapper. Retrouver un rythme de décisions régulier, la maison ne demande que cela. Pour l’Hôtel-Dieu, le calendrier et la méthode pour élaborer un projet consolidé et plus fédérateur, incluant l’hospitalisation à domicile, seront annoncés fin janvier.

Comment financerez-vous votre projet sans vendre le siège de l’institution, comme l’avait prévu l’équipe précédente ?

Ce projet de vente était hypothétique, et le financement du projet n’était pas calé.

Que proposerez-vous aux patients ?

Nous allons faire des efforts pour raccourcir les délais, rendre notre offre de soins plus lisible. L’accueil est tout sauf accessoire. Et, pour eux, régler sera plus facile et plus rapide. Nous nous ferons ainsi mieux payer. Nous ne devons plus courir après eux par des lettres de rappel pour quelques dizaines d’euros, qui, mis bout à bout, font pour nous des dizaines de millions.

Plus généralement, nous nous réjouissons d’accompagner cette extraordinaire évolution qui fait que les malades ne sont plus seulement un contre-pouvoir mais deviennent un nouvel acteur à part entière. L’éducation thérapeutique devient l’une de nos missions et c’est un formidable progrès pour les patients comme pour les équipes qui les soignent.

 Laetitia Clavreul
Journaliste au Monde