La droite réac fait plier le gouvernement

 Mediapart.fr

03 février 2014 |

 Au lendemain d’une manifestation de la Manif pour tous, le gouvernement a cédé. La loi famille, initialement prévue pour avril, ne sera pas déposée avant 2015. Quant à la procréation médicalement assistée, le président du Comité consultatif national d’éthique estime qu’il devrait rendre son avis sur le sujet « d’ici un an ». Une nouvelle illustration du désintérêt de François Hollande pour les questions de société. 

Reculer pour mieux se renier. Face à la mobilisation de la droite réac, le gouvernement a choisi de renoncer à plusieurs de ses engagements : il a annoncé lundi qu’il s’opposerait à la PMA dans la future loi famille, elle-même en passe d’être purement et simplement enterrée. Et même sur la question du genre, l’exécutif est sur la défensive.

La chronologie des faits, lundi, est confondante : après les manifestations massives de la Manif pour tous, c’est d’abord Manuel Valls qui sonne la charge et annonce, en lieu et place des ministres concernés et du premier ministre, que le gouvernement s’opposera à tout amendement incluant la procréation médicale assistée (PMA) pour les femmes seules et les couples de femmes. Le patron des députés socialistes Bruno Le Roux s’agace et dément. Mais quelques minutes après, Matignon est contraint d’embrayer pour confirmer les propos du ministre de l’intérieur.

Les services du premier ministre vont encore plus loin et infligent un véritable camouflet à Dominique Bertinotti. Vendredi encore, dans un entretien à Mediapart, la ministre déléguée à la famille jurait que sa loi famille, promise depuis plus d’un an et demi, serait examinée en conseil des ministres en avril, après les municipales, puis par l’Assemblée au second semestre 2014. Las, Matignon annonce lundi qu’il abandonne toute loi famille en 2014. Une annonce qui sonne comme un enterrement définitif de ce projet de loi qui devait, entre autres, accorder un statut au beau-parent, créer de nouveaux outils juridiques pour faciliter la vie des familles recomposées ou faciliter le recours à l’adoption simple.

La droite peut triompher ; la « Manif pour tous » a remporté une victoire.

La PMA était une promesse de campagne de François Hollande – elle ne figure pas parmi les 60 engagements mais le candidat s’y était dit favorable à plusieurs reprises. Surtout, sa majorité s’est fortement mobilisée sur le sujet à l’occasion du débat sur le mariage pour tous : le groupe socialiste à l’Assemblée y était favorable, soutenu par le très hollandais Bruno Le Roux. Mais face à la mobilisation des anti (déjà !), Jean-Marc Ayrault avait tordu le bras de sa majorité pour l’empêcher de déposer un amendement PMA dans le projet de loi de Christiane Taubira. En échange, il avait promis qu’elle figurerait dans la loi famille.

Mais cette position a à peine tenu un mois. Fin janvier 2013, juste avant une manifestation de la « Manif pour tous », François Hollande prenait ses distances avec son premier ministre et avec la promesse de la PMA : c’est lui qui a demandé que soit d’abord consulté le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et annoncé que le gouvernement suivrait son avis. Son président Jean-Claude Ameisen a annoncé lundi à Mediapart que sa décision n’interviendrait sans doute pas avant un an.

Pour la majorité, c’est une nouvelle pilule difficile à avaler. « Le débat sur la PMA n’est pas clos. Cet engagement de campagne devra être tenu dans le quinquennat. Attendons l’avis du CCNE », veut croire le secrétaire national du PS aux questions de société, Marc Coatanéa, qui a réagi sur Twitter. Le président du groupe PS, Bruno Le Roux, pris de cours lundi matin par les annonces de Manuel Valls, espère désormais que la loi famille sera votée avec la PMA, après l’avis du CCNE. « Différer un texte où il n’y avait pas la PMA est une bonne décision », a-t-il dit sur Twitter.

Mais d’autres ne cachent pas leur déception. « Bien sûr, il ne faut pas heurter, brusquer. Mais être de gauche, c’est être toujours aux avant-postes de l’ouverture des droits, dans la conquête du progrès. Nous ne l’assumons pas forcément », déplore pour sa part le député PS Thomas Thévenoud, un proche d’Arnaud Montebourg. « La position du PS a été fixée il y a plusieurs années, le groupe PS a voté très majoritairement pour la PMA fin 2012, et leur conviction n’a pas changé, rappelle Patrick Bloche, président PS de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée. J’espère qu’il y aura un dialogue constructif entre le gouvernement et sa majorité. » Le député de Paris regrette par ailleurs « l’amalgame » fait par Matignon et Manuel Valls entre la PMA et la gestation pour autrui (GPA). « Ce sont deux débats très distincts, ce n’est pas opportun de les lier. » « Les femmes espagnoles viendront avorter en France, et les femmes françaises iront en Espagne faire une PMA », résume un député PS, abasourdi.

Pour EELV, il s’agit d’un « recul inacceptable qui loin de calmer le jeu, ne peut que galvaniser les mouvements réactionnaires et conservateurs qui manifestent contre l’égalité ». Même tonalité chez les associations mobilisées sur ce dossier, comme Osez le féminisme qui dénonce un « véritable bal des renoncements » ou le collectif Oui oui oui, qui a tenu lundi à « féliciter les socialistes de leur lâcheté ».

Valls, « vice-premier ministre »

En réalité, ces cafouillages invraisemblables en disent long sur la radicalisation d’une partie de la droite, mais aussi sur le gouvernement, sa communication, son fonctionnement et sa ligne politique. Depuis le 17 novembre 2012 et la première grande manifestation des opposants au mariage pour tous, le gouvernement a dû faire face à la constitution d’un mouvement social à droite auquel il n’était pas préparé.

"Manif pour tous", dimanche 2 février
« Manif pour tous », dimanche 2 février © Nicolas Serve

Il n’en est pas à l’origine et c’est bien l’UMP qui, par calcul électoraliste, en est la première responsable. Mais les hésitations de l’exécutif ont également contribué à alimenter la machine folle de la droite réac. Elles relèvent à la fois d’erreurs de communication : les polémiques sur le genre à l’école l’ont démontré, comme lorsque le ministre de l’éducation nationale Vincent Peillon reprend l’expression de « théorie du genre », ou que Najat Vallaud-Belkacem, la ministre des droits des femmes, semble parfois bien seule à défendre ses textes. La semaine dernière, alors que des mouvements aussi disparates que la Manif pour tous et Farida Belghoul dénonçaient les ABCD de l’égalité instaurée par les deux ministres, plusieurs de ses collègues du gouvernement savaient à peine de quoi l’on parlait.

Ainsi Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, rencontré vendredi, semblait-il complètement dans le flou : « Dans les discussions sociétales, les couches populaires ont des représentations qu’il est difficile de faire évoluer. On n’a pas forcément les mots, le discours qui va avec. Cela ne date pas d’aujourd’hui… Et puis on ne peut pas tout faire tout le temps. C’est compliqué. Et si l’on en fait trop, on nous reproche de délaisser le social. »

Une autre ministre du gouvernement, sous couvert d’anonymat, confiait de son côté en début de semaine dernière, à propos de la PMA : « Hollande a raison, ce n’est pas notre engagement. Et puis moi je l’ai toujours dit : un couple de lesbiennes qui veut un enfant, elle peut le faire naturellement ! Ce n’est pas à la loi de gérer ça, cela va trop loin. » Une troisième enfin soufflait son exaspération à l’encontre de Vallaud-Belkacem, accusée d’avoir privilégié les coups de communication au risque de piéger l’ensemble du gouvernement. Ambiance.

Ces prises de position rappellent en tout cas furieusement les débats qui agitaient le PS quand il était dans l’opposition. Comme beaucoup de formations politiques, il n’a pas échappé à la règle qui veut que les sujets de société, l’égalité homos-hétéros ou l’égalité femmes-hommes ou les discriminations de couleur et d’origine, soient jugés périphériques.

« Les sujets de société, ce sont les sciences molles de la politique. Ce ne sont pas des matières nobles comme l’économie, le budget ou la défense… Ils sont donc laissés à ceux que ça intéresse, témoigne Laurence Rossignol, porte-parole du PS et ancienne secrétaire nationale aux droits des femmes. Pendant des années, j’ai entendu : “Tu nous fais chier avec tes trucs !” Et quand on discutait de ces sujets en bureau national, beaucoup d’hommes parlaient d’autre chose ou sortaient téléphoner ! » En 2008, 14 grosses fédérations socialistes avaient même demandé à ce que la nouvelle déclaration de principes du PS soit amendée pour enlever le terme de féminisme. Peine perdue. Mais elles avaient pu compter sur le soutien d’un certain François Hollande.

Le président de la République n’est pas contre plus d’égalité (la loi en cours d’adoption sur l’égalité femmes-hommes ou la mise en place de dispositifs sur la parité le montrent), mais il n’a aucune appétence particulière pour ces sujets, à part sur la fin de vie. Si elles provoquent de fortes contestations ou renforcent son impopularité, il n’a aucun mal à y renoncer, lui qui avait fait campagne sur l’apaisement de la société après cinq ans de sarkozysme. Les reculs, même officiellement provisoires, sur le droit de vote des étrangers, les contrôles au faciès ou, aujourd’hui, la PMA, l’attestent. « Tant qu’elle n’a pas fait de vagues, Vallaud-Belkacem a pu avancer… Elle avait carte blanche et le soutien de l’Élysée et de Matignon », dit aussi un pilier de la majorité.

En face, aucun poids lourd du gouvernement ne s’est franchement affirmé sur ces dossiers : Valls a bâti sa popularité sur la sécurité, Montebourg sur Florange et l’industrie mais Peillon, qui aurait pu s’imposer comme un contrepoids au conservatisme élyséen, peine à trouver sa place politique et médiatique. Même chose pour Pierre Moscovici. Quant à Jean-Marc Ayrault, s’il a laissé carte blanche à Najat Vallaud-Belkacem et soutient ses initiatives, il souffre toujours d’un déficit de conviction dans ses interventions publiques.

À tel point que c’est de nouveau Manuel Valls qui est monté au créneau depuis dimanche. Dans le JDD dimanche puis sur RTL lundi, où il a annoncé en avant-première le premier recul du jour sur la PMA. Certes, le ministre de l’intérieur est chargé de l’ordre public, et donc des manifestations, et il reçoit les alertes des préfets sur les mouvements d’extrême droite qui inquiètent légitimement le pouvoir en place. Mais une fois de plus, Manuel Valls est allé bien au-delà de son périmètre ministériel.

« Nos institutions évoluent… Il y a un vice-premier ministre. Le changement c’est maintenant ! », ironise un parlementaire socialiste, dépité. À chaque fois, le même mécanisme se met à l’œuvre : une politique publique devient une polémique ; Matignon peine à organiser la riposte, semblant souvent sous-estimer les mobilisations sociales contre sa politique ; quelques ministres vont sur les plateaux télé mais restent inaudibles car méconnus (par exemple, Dominique Bertinotti) ; Valls s’engouffre dans la brèche, va au feu et mord sur la ligne politique collective, avec l’accord de l’Élysée. Le ministre de l’intérieur est encore et toujours le symptôme de l’espace laissé vacant par ses camarades, et de leurs hésitations sur le fond.