Occupation d’une onglerie à Paris : un nouveau LIP
Par Pascale Fautrier
Depuis le 3 février, quatre salariées chinoises, un chinois, et deux africaines, sans contrat, sans papiers, sans salaires, abandonnés par leur gérant disparu, ont décidé d’occuper leur boutique 24h sur 24, et de la gérer eux-mêmes. C’est la première fois que des travailleurs sans papiers chinois participent à un tel mouvement.
Soutenus par la CGT, le Maire du Xème et les sections locales des partis de gauche (surtout le Front de gauche et ses composantes), ils ont pu obtenir, mais seulement pour cinq d’entre eux, qu’un dossier de régularisation soit constitué par la préfecture. Leur aventure risquée se poursuit : allons leur rendre visite pour les aider de toutes les manières possible, pour se vernir les ongles, se couper les cheveux, les aider financièrement ou seulement causer.
La préfecture refuse de révéler l’identité du propriétaire des lieux que seul le gérant connaissait : leur situation est donc fragile. Interrogeons-nous au passage sur la collusion entre les services de police, la préfecture de police, le ministère de l’intérieur et les mafias qui organisent les réseaux de travail clandestin grâce à de vastes propriétés immobilières. Ce qui motive l’attitude de la préfecture, semble-t-il, c’est la peur de voir ce mouvement faire tâche d’huile : un vaste mouvement populaire et public de travailleurs sans papiers demandant leur régularisation mettrait le pouvoir public en difficulté. Les vraies questions risqueraient d’être posées, par exemple celle-ci : l’Etat n’est-il pas le complice actif de la mafia puisqu’il préfère protéger les vrais responsables de ces réseaux d’esclavage humain, plutôt que d’assumer ses responsabilités politiques de justice en dénonçant les vrais responsables et en légalisant les travailleurs sans papiers actuellement en situation d’esclavage? D’autres questions viendraient alors, tout naturellement, s’enchaîner à celle-ci : quelle est au juste la fonction de la police soi-disant républicaine, chère à Monsieur Valls, invité de Médiapart, en pleine offensive politicienne de séduction des électeurs de gauche : chasser le sans-papiers ou s’attaquer aux réseaux internationaux de mafieux? Une autre question s’ensuivrait, dont Monsieur Montebourg, tout nouvel ami de Monsieur Valls, connaît, j’en suis certaine, la réponse : y a-t-il une si grande différence de nature entre les réseaux « légaux » du capitalisme financier, prompt à s’évader fiscalement, et ces réseaux internationaux de propriétaires fonciers et de détenteurs de capitaux volatiles, habiles à blanchir l’argent d’où qu’il vienne, et par exemple de l’évasion fiscale? Alors quoi, la police, Monsieur Valls, et son armada de papiers d’identité, républicaine, vraiment ? Savez-vous, lecteurs de Médiapart, que cette institution de la carte d’identité obligatoire qui nous semble naturelle, date de l’entre-deux-guerres ; le premier carnet anthropométrique obligatoire a été imposé d’abord aux populations nomades, considérées comme dangereuses : les nazis allemands et les polices locales, notamment françaises, grâce à ces « papiers d’identité », allaient bientôt exterminer les Roms et tsiganes, envoyés dans les camps de la mort, en compagnie des Juifs, à qui l’on impose aussi, peu de temps après, de porter sur eux leurs « papiers ». Il reste à démontrer, Monsieur Valls, que l’administration policière donc, disais-je, et son obsession des « papiers », invention bien plus récente que la République révolutionnaire, soit bien honnêtement « républicaine »? Même le vieux Clémenceau hocherait la tête, dubitatif : celui qui parlait, à la fin de sa vie, n’est-ce pas, de l’inéluctable gouvernement des oligarchies. Votre police, Monsieur Valls, que vous qualifiez bien hâtivement de « républicaine », son vrai rôle, une fois levé le voile commode des fictions servies aux enfants et aux imbéciles (la dernière en date de ces fictions, chère aux néo-socialistes : le sentiment d’insécurité des « populations fragiles », comme si leur insécurité ne venait pas d’abord de leur état d’abandon social), le vrai rôle de la police soi-disant « républicaine » de Monsieur Valls, donc, ne serait-il pas de rendre visible le misérable crime des pauvres, pour mieux travailler à camoufler les crimes ramifiés des riches, autrement puissamment destructeurs de la dignité et des droits des personnes ? Quant à la soi-disant incapacité de l’état à régulariser les travailleurs sans-papiers : quand se demandera-t-on qui a intérêt, un intérêt immédiat, financier, sonnant et trébuchant, à nourrir dans l’opinion publique les sentiments xénophobes et sécuritaires, qui permettent aux nouveaux esclavages de nourrir les profits à défaut d’une fantômatique « production industrielle »? Quand l’Etat cessera-t-il fermement, sûrement, de se rendre complice de l’exploitation de la misère? Seule la régularisation des sans-papiers permettrait de penser qu’un pas est fait en ce sens.
Partager la publication "Occupation d’une onglerie à Paris : un nouveau LIP"