Pierre-Yves Bulteau : « On ne peut pas répondre à l’extrême droite par une simple riposte antifasciste »
Regards
Pierre-Yves Bulteau est journaliste et son livre tombe à pic. Édité en partenariat avec plusieurs associations et syndicats de gauche (CGT, FIDL, FSU, JOC, LDH, MRAP, Solidaires, UNEF, UNL), l’ouvrage déconstruit les thèses simplistes de l’extrême droite, et en premier lieu du Front national.
Regards. En ayant travaillé de façon minutieuse sur l’argumentaire et le discours de l’extrême droite, est-ce que vous attendiez à un tel résultat au premier tour des élections municipales ?
Pierre-Yves Bulteau. Ce n’est pas une surprise, car le Front national récolte ce qu’il a patiemment semé. Steeve Briois à Hénin-Beaumont n’est pas un parachuté, il occupe le terrain depuis les années 90. Vu la gestion passée, ça paraît logique qu’il soit là aujourd’hui. Mais j’analyse deux choses dans ce résultat : le vote du Sud de la France, qui s’appuie davantage sur l’héritage du père, Jean-Marie Le Pen, avec toute sa vieille rhétorique sur les étrangers et le sentiment de « ne plus être chez nous »… Dans le Nord du pays, je le considère davantage comme un vote de désespoir, un appel à l’aide. Ça confirme malheureusement l’intérêt de notre livre : on ne peut pas répondre aujourd’hui à l’extrême droite par une simple riposte antifasciste. Celle-ci est importante, mais pas suffisante. Il faut réaffirmer que les électeurs du FN seront les premières victimes de ses politiques et que les solutions économiques et sociales que ce parti propose ne peuvent les aider à sortir du marasme où ils se trouvent.
« Hénin-Beaumont représente toute l’imposture du FN »
Plus qu’une dénonciation, c’est presque un programme politique, cet ouvrage…
On l’a fait aussi dans une vraie démarche d’éducation populaire, d’où sa taille, sa forme et son prix. On voulait répondre et proposer, ne pas se contenter de dire que les gars du FN, ce sont des « méchants ». Plutôt réaffirmer les convictions sur l’importance des luttes collectives, de la fraternité et de la solidarité. L’exemple d’Hénin-Beaumont est là encore intéressant car il représente toute l’imposture du FN, qui se pose désormais comme le parti des ouvriers contre le capitalisme sauvage. Dans cette ville, en 2003, on assiste à la fermeture de Metaleurop, puis en 2006 à celle de Samsonite. Les salariés de cette entreprise se sont battus pendant des années pour faire condamner les actionnaires véreux, et sont allé jusqu’à Boston cette année pour assister au procès. Est-ce que le Front national a participé à ce combat ? Non, ce sont les militants de gauche et les syndicats qui ont travaillé et soutenu, parfois financièrement, les salariés. Le FN n’est pas dans la lutte sociale, malgré les discours. Ou alors sous condition de nationalité.
Le titre parle d’en finir avec les idées fausses de l’extrême-droite… Des idées qui ne sont pas l’apanage du Front national ?
D’abord le titre est un clin d’œil à cette déclaration de Marine Le Pen, qui menaçait de poursuites tous ceux qui accuseraient son parti d’être d’extrême droite ! Pour nous, il n’y a aucune équivoque à ce sujet. Mais parfois, le Front national n’a pas besoin d’être au pouvoir pour faire passer ses messages. Les expulsions, le discours sur les étrangers, la double peine qu’ils subissent etc… Ce sont aussi des actes politiques portés par la droite de gouvernement. Sans parler de Manuel Valls aujourd’hui, à gauche. L’extrême droite, ce sont aussi ces groupuscules nauséabonds, que Marine Le Pen tente de mettre à distance. Mais il ne faut pas se leurrer : le Front national, ce ne sont pas seulement les trois énarques type Martel ou Philippot qu’on cherche à nous vendre un peu partout sur les plateaux télés.
« En 2017, les élus FN seront légitimes pour dire : « On a géré les villes, on peut gérer le pays » »
Est-ce que ce « droit de réponse » au discours de l’extrême droite ne devrait pas être fait avant tout par les partis dit du « front républicain » ?
Il y a eu déjà eu des choses de faites, nous n’inventons rien. La plupart des partis ou des syndicats, à gauche en tout cas et même au PS, ont édité des textes ou des tracts à ce sujet. Mais je crois que fondamentalement, la classe dirigeante est hors-sol. Être contre l’extrême droite, ça paraît tellement évident qu’il n’y a plus à se battre contre ses idées. Et les structurations politiques nous montrent que la menace Front national est régulièrement agitée pour garder les manettes. Ils jouent à se faire peur, et c’est comme ça depuis vingt ans. Mitterrand a joué habilement, mais aujourd’hui ça leur a pété au visage. D’ailleurs si Jean-Marie Le Pen n’avait pas eu peur à l’époque des baronnies locales, il aurait écouté les Mégret et consorts. Mais au lieu de cela, le parti a choisi de faire de la politique nationale à l’échelon local. Depuis, le parti a compris la leçon et veut faire de la vraie politique locale. Et à mi-mandat, en 2017, ils seront légitimes pour dire : « On a géré les villes, on peut gérer le pays ». C’est terrible mais c’est une réalité : le Front national, et ça j’en suis convaincu, n’est pas un parti républicain mais il arrive à se crédibiliser en jouant selon les règles de notre République.
Il arrive que vous énonciez dans ce livre des idées qui sont aussi défendues par certains à gauche (critique de la représentativité politique, de l’Europe, etc…). Comment résoudre ce paradoxe ?
On a posé ces questions car elles font partie de la rhétorique de l’extrême droite. Moi-même pourtant, je dois avouer que j’ai parfois du mal à être un européen convaincu… Mais il est hors de question de laisser le FN nous confisquer ces sujets. L’Europe, telle qu’elle est, est largement perfectible et il faut la transformer. Or le Parti communiste, en faisant la gauche plurielle avec Jospin en 1997, a abandonné cette critique de la construction européenne. Réaffirmons notre désir d’une autre Europe : c’est sûrement un peu idéaliste, mais le débat doit avoir lieu sur ces questions-là aussi.
« Le truc de bistrot se retrouve légitimé dans les médias »
Vous vous retrouvez aussi à combattre des affirmations invraisemblables, du type « Il y a trop de noirs en équipe de France de football ». Pourquoi rentrer dans ce jeu-là ?
Effectivement, c’est stupide, anecdotique, tout ce que vous voulez. Mais si on décide d’en parler, c’est que ce genre d’idée est reprise à l’époque dans l’espace public par plusieurs personnalités, un philosophe, Alain Finkielkraut, et un élu PS important, Georges Frêche… Le truc de bistrot se retrouve légitimé dans les médias ! Et en plus, au cours de mon travail, j’apprends des choses, par exemple que l’équipe de France intègre un joueur de couleur dès 1931, ce qui en dit quand même long sur notre potentiel de tolérance ! Sans compter qu’il n’est jamais mauvais de rappeler des évidences : tous les joueurs de l’équipe de France, noir ou blanc, sont français…
Le plus gros mensonge du FN, selon vous ?
Pour moi, c’est ce vieux slogan, qui relie immigration et chômage. C’est le mensonge suprême, et pourtant notre génération a grandi avec ça. Ça permet de taper sur les immigrés tout en trouvant une solution à la crise. Facile, mais faux et archi-faux.
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