Paroles de députés socialistes: «C’est un immense gâchis, tout est anéanti»
Mediapart.fr
Ce sont des députés socialistes discrets, ceux qu’on ne voit pas à la télé. Ça ne les empêche pas d’avoir leur avis sur la politique du gouvernement et de François Hollande. Certains se sont abstenus lors du vote du 29 avril sur le plan Valls de 50 milliards d’économies. Paroles de députés que l’on n’entend jamais.
Parmi les 41 députés socialistes qui se sont abstenus mardi 29 avril sur les 50 milliards d’économie du gouvernement, il y a des élus de l’aile gauche du PS et des députés d’autres tendances qui s’abstenaient pour la première fois. Il y a aussi ceux qui, tout en ayant voté ce plan, se posent beaucoup de questions.
Ce lundi 12 mai, Manuel Valls a promis que les nouveaux foyers imposables allaient sortir de l’impôt sur le revenu, une revendication de nombreux députés très souvent interpellés à ce sujet par leurs électeurs. Et pour retisser les liens avec une majorité en colère, François Hollande pourrait bientôt recevoir les parlementaires pour une « opération papouilles », selon le porte-parole des députés PS, Thierry Mandon.
Chaque mardi matin, la centaine de parlementaires qui avaient signé l’appel des 100 pour un « nouveau contrat de majorité » au soir de la défaite des municipales vont se réunir afin d’infléchir la ligne du gouvernement. L’un d’eux, Christian Assaf, se dit même « prêt à discuter avec Mélenchon, mais sur un programme d’union ».
Mediapart a tendu le micro à des socialistes que les Français ne connaissent pas beaucoup. Ils ne courent pas les plateaux télé, ne sont d’ailleurs pas toujours à l’aise avec les caméras. Mais ça ne les empêche pas de dire leurs doutes.
Chantal Guittet (PS. Finistère). Sa circonscription est celle de l’ex-abattoir Gad (Lampaul-Guimiliau).
Votes précédents :
- TSCG (9 octobre 2012) : oui
- Accord emploi (9 avril 2013) : abstention
- Réforme des retraites (15 octobre 2013) : oui
- Discours de politique générale de Manuel Valls (8 avril 2014) : oui
- Plan de 50 milliards (29 avril) : oui
« La trajectoire n’est pas la bonne. Une politique de l’offre seule est profondément récessive. Je ne crois pas à la phrase de François Hollande, empruntée à l’économiste Jean-Baptiste Say, selon laquelle l’offre crée la demande. C’est faux. Devant les ministres il y a deux semaines, après l’annonce des mesures de Manuel Valls, j’ai parlé “brut de décoffrage” : j’ai ma liberté de parole, je ne suis pas du sérail. J’ai dit que reculer le plan pauvreté était inadmissible, que le projet de François Hollande, le discours du Bourget, ce n’était pas la politique de l’offre à tout prix. Il y a eu un virement, il faut bien l’admettre. Ont-ils raison ? Fondamentalement, je pense que non, même si l’économie n’est pas une science exacte.
« Avant le vote, j’étais le cul entre deux chaises, angoissée, ce n’est pas la première fois d’ailleurs. Je n’ai pas forcément passé une semaine tranquille. Ça m’a travaillé, ça me travaille encore. Je n’arrête pas de voir des gens qui ne mangent pas à leur faim, c’est insupportable, je me pose plein de questions sur les décisions que nous prenons. Mais j’ai voté pour. Je ne me voyais pas mettre le gouvernement en minorité, il y avait un risque. Et même s’il se trompe sur la trajectoire, celle des autres en face est pire encore.
« On me dit “vous êtes rentrés dans le rang pour sauver votre siège”. Mais je ne suis pas entrée en politique pour avoir un siège. Je suis venue à la politique par hasard, j’étais professeur de gestion à l’université, on m’a dit pourquoi “tu ne vas pas aux législatives” ? J’ai trouvé ça loufoque, et puis dans cette circonscription de droite, j’ai mis en 2007 le candidat UMP en difficulté au second tour, ça n’était jamais arrivé. Et en 2012, j’ai gagné. Mais si je ne suis pas réélue en 2017, c’est la démocratie. De toutes façons, je suis contre le cumul des mandats dans le temps et dans l’espace.
« Il y a beaucoup de choses que je trouve étranges dans le débat politique. Par exemple qu’on ne parle que de 2017 et du retour de Sarkozy, jamais de la pauvreté et pas beaucoup de sujets importants comme les travailleurs détachés. Quand on parle de milliards, ça ne dit rien à nos électeurs. J’aimerais qu’on mesure les conséquences concrètes de ces économies pour les ménages, et ça s’adresse aussi aux journalistes.
« Maintenant, il faut Bac +5 pour comprendre un discours politique, c’est devenu trop compliqué. Il faudrait davantage former nos concitoyens au droit et à l’économie. Les lois sont devenues incompréhensibles. Notre travail à l’Assemblée nationale lui-même est d’un autre siècle. On n’arrive pas à mobiliser les médias sur les sujets de fond que nous suivons au Parlement.
« Nos concitoyens, eux, c’est sur des choses très concrètes qu’ils fondent leur jugement. La fiscalisation rétroactive des retraités ayant eu une famille nombreuse, par exemple (elle a été votée dans le budget 2014, ndlr), c’est choquant surtout que nous avons reculé l’âge de la retraite. La demi-part des veuves supprimée, je suis d’accord mais alors il fallait augmenter les petites retraites. Quand je rencontre des veuves, seules quinze dans la salle sont imposables mais toutes pensent que ce gouvernement leur a volé quelque chose ! Tant qu’on ne remettra pas la fiscalité à plat, on aura toujours ce genre de problèmes.
« Dès maintenant, on pourrait être plus radical sur certains sujets. On ne devrait plus tolérer par exemple les dépassements d’honoraires des médecins. On devrait revaloriser le salaire des enseignants, des greffiers, des infirmiers, etc. J’espère qu’une fois qu’on aura apuré les comptes du pays, il y aura une nouvelle répartition des richesses. »
Philippe Noguès (PS. Morbihan). Réclame une loi contre la sous-traitance anarchique des multinationales.
- TSCG : oui
- Accord emploi : oui
- Réforme retraites : oui
- Discours de politique générale de Manuel Valls : abstention
- Plan de 50 milliards : abstention
« Avant le vote du plan Valls, il y a eu des pressions assez phénoménales. Des collègues nous en voulaient. On nous menaçait d’une dissolution. Depuis mon élection en 2012, je n’avais jamais vécu ça.
« Si je me suis abstenu, comme sur le discours de politique générale, c’est parce que la politique de François Hollande ne correspond pas à celle pour laquelle il a été élu. Mes votes ont eu des impacts en Bretagne, où les “hollandais” sont très implantés. La fête de la rose de la fédération socialiste du Morbihan qui devait se tenir chez moi a été annulée dix jours avant. J’ai organisé à la place un repas républicain, il y avait plus de monde ! Nous avons créé un vrai espoir à gauche, chez les gens qui ne se sont pas déplacés aux municipales.
« Je n’imaginais pas qu’on en serait là au bout de deux ans de pouvoir. Je veux bien perdre en 2017, mais dans ce cas sur mes valeurs, pas sur une politique de droite. Je regrette par exemple d’avoir voté le traité européen à l’automne 2012 : je venais d’être élu, on nous a promis que ce serait “un oui exigeant”, on voit aujourd’hui sa traduction concrète : la rigueur d’Ayrault est devenue sous Valls une politique d’austérité. Dans le plan de 50 milliards, ce sont juste les mesures les plus à droite qui ont finalement été gommées.
« Je suis entré au PS en 2006. Pour les législatives 2012, j’ai été choisi par les militants contre le candidat officiel. Je ne suis pas un apparatchik, j’ai été élu pour la première fois en 2012 après 35 ans de carrière dans le privé.
« Ces abstentions m’ont libéré. Maintenant, j’ai envie de faire comme je l’entends, avec la conscience de ma responsabilité. Je vais travailler sur les textes budgétaires à venir. Je ne songe pas encore à quitter le groupe PS. Mais pour l’avenir, je ne m’interdis rien. Si j’ai un jour le sentiment d’être face à un mur, si on n’arrive pas à infléchir la politique de l’intérieur, il faudra peser d’une autre manière et restera cette solution de sortir du groupe. Cela traverse l’esprit de plusieurs députés, c’est clair. Attend-on du groupe majoritaire qu’il soit un troupeau de moutons bêlants ? Le président doit se préoccuper de sa majorité. On est vraiment au bout de cette Cinquième République où le seul qui détermine la politique est le chef de l’État. »
Florent Boudié (Gironde), “hollandais”.
- TSCG : oui
- Accord emploi : oui
- Réforme des retraites : oui
- Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
- Plan de 50 milliards : oui
« J’étais au “club Témoin” de Jacques Delors et François Hollande pendant mes études à Sciences-Po Bordeaux dans les années 1990 : c’est dire si je suis “hollandais” de longue date. Cette ligne sociale-démocrate me correspond. Mais le discours de politique générale tenu par Manuel Valls aurait dû l’être dès 2012. Nous serions déjà passés à une autre phase du quinquennat. S’il y a un échec, c’est de ne pas avoir mis à profit la campagne présidentielle pour tenir un discours de vérité. Ce quinquennat risque d’être très déséquilibré, avec une seule phase de rigueur ponctuée de mesures de justice sociale.
« Les municipales ont été un électrochoc. Ça nous a porté un coup au moral. Des élus avec un très bon bilan se sont fait bananer. Les ravages sont profonds. Il y a une déception sur le rythme des réformes, sur l’exercice du pouvoir et aussi une demande de justice sociale. Mais nos concitoyens veulent aussi moins de dépenses et plus d’efficacité. Il est paradoxal de dire qu’ils veulent plus de gauche alors que c’est la droite et l’extrême droite qui profitent de nos faiblesses actuelles.
« Nous n’avions pas assez mesuré l’impact de la hausse de la fiscalité. En septembre 2012, Jean-Marc Ayrault a dit que 9 Français sur 10 ne seraient pas touchés par les hausses d’impôt, c’était le contraire ! Puis il y a eu la hausse de la TVA début 2014, qui avait été balayée d’un revers de la main pendant la campagne. C’est là que le système s’est grippé dans l’opinion. Sans compter ces “couacs” qui ont montré un problème profond d’exercice quotidien de la responsabilité publique.
« François Hollande n’avait pas un programme « étincelant » comme il dit, mais il avait donné, au Bourget notamment, le sentiment qu’il ferait ce qu’il avait promis. Nous avons fait le non-cumul, la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé tôt, etc., mais tout ça s’est effacé. Le plan de 50 milliards d’économies, je l’assume pleinement, tout comme la réforme des collectivités territoriales, la plus ambitieuse jamais essayée. Maintenant, il va falloir courber l’échine pendant au moins six mois. Les défaites (européenne, sénatoriale) vont s’ajouter à l’impopularité.
« Dans cette situation, nous ne devons pas paraître divisés. Nous ne sommes pas à la veille d’un congrès du PS. Parmi les 41 abstentionnistes, beaucoup ont voulu sincèrement sonner l’alerte mais d’autres avaient des stratégies plus personnelles, ça m’agace. Nous ne sommes pas là pour être des godillots, il faut des débats, mais dans la Cinquième République, la rébellion parlementaire est inutile. Chacun à notre niveau, nous sommes tous de petits caporaux : nous assumons collectivement la responsabilité. »
Suzanne Tallard (Charente-Maritime). Proche de l’aile gauche du PS tendance Marie-Noëlle Lienemann.
- TSCG : abstention
- Accord emploi : oui
- Réforme des retraites : abstention
- Discours de politique générale de Manuel Valls : abstention
- Plan de 50 milliards : abstention
« C’est l’injustice sociale qui motive mes votes. La réforme des retraites fait travailler les gens jusqu’à 67 ans : c’est impossible. Toucher les petites retraites, reculer le plan pauvreté, geler le point d’indice des fonctionnaires etc. : ces mesures prévues au départ dans le plan d’économies du gouvernement n’auraient même pas dû être proposées par la gauche. Manuel Valls est revenu dessus, c’est bien le moins.
« Mais sur le fond, le premier ministre n’a pas répondu à l’interpellation des cent députés dont je faisais partie. Le gouvernement mène une politique de droite atténuée. Donner des centaines de millions d’euros à la grande distribution sans contrepartie avec le crédit d’impôt compétitivité (CICE), c’est une injustice sociale flagrante aux yeux, par exemple, des petits retraités, et je crains que nos concitoyens ne s’en souviennent.
« Quand je me suis abstenue sur la déclaration de politique générale de Manuel Valls, avec dix autres socialistes, je m’attendais à ferrailler avec les militants. Ils m’ont dit “ne t’excuse pas”, ils m’ont même remerciée. Certains m’ont dit que notre vote les avait dissuadés de rendre leur carte du PS. Les européennes ? On connaît déjà le résultat. Le PS sera en troisième position, on va reculer, on le sait, comme on a perdu les municipales. Si le gouvernement avait mené une autre politique, on n’en serait peut-être pas là.
« Avec le gouvernement, nous sommes désormais dans un rapport de force. Ça me désole, mais c’est ainsi. La politique menée devrait être en accord avec les promesses de François Hollande : redresser la France dans la justice, le message de la campagne présidentielle, je suis à 200 % pour. Nous continuerons, au sein de la majorité, à travailler pour démontrer qu’une autre politique est possible. La façon dont le gouvernement accueillera nos propositions décidera de nos votes.
« Je suis militante socialiste depuis 2002 et la défaite de Jospin. J’étais élue locale, je me suis dit alors : “faut y aller”. Le PS n’était pas en grande forme… aujourd’hui, je veux croire que ce parti reste ma maison. Je reste car j’ai l’espoir de le faire bouger. Je suis très triste. J’ai reçu une lettre d’une personne que je connais bien, me disant : “Suzanne, je ne voterai plus jamais socialiste.” C’est le genre de courrier qu’on n’oublie pas. Je sais que pour une personne qui m’écrit, il y en a cent qui pensent ça. Je me demande si nous n’avons pas déjà perdu 2017. »
Geneviève Gaillard (Deux-Sèvres). Maire de Niort battue aux municipales.
- TSCG : oui
- Accord emploi : oui
- Réforme des retraites : oui
- Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
- Plan de 50 milliards : oui
« Les municipales ont été une violence, un choc. Il y a beaucoup de raisons à une telle défaite : le PS local qui a soutenu mes adversaires, les travaux dans le centre-ville, le fait que les écologistes et le PG soient partis seuls, cette fausse rumeur partie de l’extrême droite selon laquelle je faisais venir des hordes de populations noires dans ma ville. J’ai aussi été une victime du genre : quand elle prend des décisions, une femme est forcément autoritaire, alors qu’un homme, lui, est courageux.
« Et puis, bien sûr, il y a la politique nationale. Les électeurs nous ont passé des messages : “gauche et droite c’est pareil”, “Hollande a fait des promesses qu’il n’a pas tenues”, “vous faites la même politique que Sarkozy”. Des gens de gauche nous ont dit que certaines positions, par exemple celle du premier ministre actuel sur les Roms, les ont choqués.
« Je fais partie des députés qui avaient signé la lettre pour une autre politique. Je ne suis pas sûre que cette politique de l’offre qui oublie la demande donne autant de résultats qu’on le dit. C’est vrai, la gauche doit évoluer, le monde a changé, on ne peut plus raser gratis. Mais j’aurais aimé que François Hollande soit plus offensif sur l’Europe, qu’on n’enterre pas la réforme fiscale, qu’on lance la réforme territoriale sans tous ces atermoiements. Dans les mois à venir, la suppression de la majoration retraites pour les parents de familles nombreuses va être calamiteuse, tout comme les effets de la suppression de la demi-part pour les veuves. Je suis pour une Sixième République, on n’en entend plus parler, c’est dommage. J’étais députée sous Jospin, on était mieux traité. Il paraît que ça va changer.
« Fallait-il voter le pacte Valls ? J’ai hésité, jusqu’au dernier moment. Mais je ne voulais pas mettre le gouvernement en difficulté. Je ne suis pas sûre que les électeurs trouveraient leur compte si la droite revenait au pouvoir. J’ai la faiblesse d’être collective et loyale. Je ne quitterai pas le PS, où je suis depuis trente ans. Pour faire quoi ? Le Front de gauche, c’est non. Les écolos ? C’est autant le bordel chez eux que chez nous. Je préfère travailler de l’intérieur. Mais pourquoi le PS n’écoute-t-il pas plus les gens qui ont des choses à dire, les économistes atterrés ou Pierre Larrouturou, le fondateur de Nouvelle Donne ?
« Parfois je me dis que tout ça est un immense gâchis. On avait tout, les régions, les départements, les communes, vous vous rendez compte du tabac qu’on aurait pu faire ? Tout est anéanti. Et on peut même aller encore plus bas. Pour 2017, je pense que tout est possible. Y compris changer de candidat. Mais qui peut dire aujourd’hui quelle sera la situation à ce moment-là ? »
Stéphane Travert (Manche). Député de Flamanville (aile gauche du PS, tendance Hamon)
- TSCG : abstention
- Accord emploi : non
- Réforme des retraites : abstention
- Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
- Plan de 50 milliards : abstention
« C’est parce que les leçons des municipales n’ont pas été suffisamment tirées que certains d’entre nous se sont abstenus sur le plan d’économies. Je suis d’accord pour être pragmatique, parler aux entreprises. Mais ça n’empêche pas d’avoir des convictions de gauche et de parler à notre électorat. Aux municipales, ce sont bien souvent trente ans de travail militant qui ont été mis par terre.
« Nous avions rassemblé notre camp à la présidentielle. Mais aux municipales, la gauche ne s’est pas déplacée et la droite s’est beaucoup mobilisée. Notre électorat est déstructuré, les gens sont déçus et rejettent la classe politique. Nous devons désormais reconstituer notre base électorale en poussant le curseur. La population ouvrière de Flamanville, les petits retraités, c’est à eux que je m’adresse sur le terrain. Nous devons expliquer ce que nous faisons, même si on n’y est pas toujours aidé quand des gens comme Cahuzac, ou récemment un conseiller du président de la République, viennent détruire le travail militant et trahir l’idéal de République irréprochable.
« Pour les européennes, je fais campagne pour que notre camp se déplace. En 2005, j’ai milité pour le “non” au référendum, et dans mon département il l’a emporté largement. C’est difficile d’expliquer ce que fait l’Europe, dont les fonds soutiennent pourtant des secteurs importants dans ma circonscription, comme la pêche.
« Dans le nord-ouest, chez moi, Marine Le Pen est candidate pour le Front national. Elle met en avant des propositions qui ne vont pas dans le sens du rapprochement des peuples, de la cohésion sociale et républicaine. Elle n’a jamais vraiment pris position sur la question des travailleurs détachés, elle ne travaille pas au Parlement. C’est plus facile de dire comme elle le fait que l’Europe est la cause de tous les maux, d’en appeler à de vieilles lunes. Pour nous, la campagne n’est pas facile. »
Kheira Bouziane-Laroussi (Côte-d’Or)
- TSCG : oui
- Accord emploi : non
- Réforme des retraites : oui
- Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
- Plan de 50 milliards : abstention
« Les 41 abstentionnistes, on nous a traités de “djihadistes »… mais si nous nous sommes abstenus, c’est au nom du progrès social promis en 2012. Je suis économiste de formation, je connais l’entreprise. Mais le patronat français est un vrai enfant gâté : ce n’est jamais assez.
« Je l’ai dit à François Hollande : si vous voulez rapprocher les deux sensibilités de la majorité, il suffit que le pacte de compétitivité comporte des contreparties. On a déjà fait le CICE sans contreparties. Les grandes surfaces vont en bénéficier alors qu’elles ne sont pas soumises à la concurrence internationale, c’est un scandale. On demande aux Français de faire des efforts mais en face, il y a quoi ? Les 50 milliards d’économie vont se traduire par des réductions dans les collectivités, l’investissement public, la sécurité sociale. J’attends avec inquiétude de savoir où on va couper : les hôpitaux sont déjà en difficulté !
« Lors des municipales, les électeurs de gauche nous ont passé un message clair : “ce qui se passe au niveau national ne nous plaît pas”. Ils vont le redire aux européennes. Les Français sont prêts à faire des efforts, ils sont réalistes, même les plus modestes d’entre nous… mais si c’est juste pour satisfaire les 3 %, ça ne leur parle pas. Il nous faut un peu d’utopie, c’est ça qui manque ! Comment voulez-vous que les gens qui tirent la langue et cherchent du travail ne trouvent pas honteux de voir les salaires que s’octroient les grands patrons ?
« On a voté de belles lois, le mariage pour tous, l’égalité femmes-hommes, les avancées sur les stages… Mais tout ce travail n’est pas visible parce que la croissance n’est pas là et nos concitoyens tirent la langue. Et puis il reste beaucoup à faire pour améliorer le système éducatif, les retraites. On savait que ça allait être difficile, mais à ce point… J’ai parfois des moments de découragement, pourquoi le nier ? Mais je ne suis pas résignée. Les attentes des Français étaient très fortes, c’est difficile de les satisfaire. »
Jean-Patrick Gille (Indre-et-Loire). Spécialiste des questions d’emploi.
- TSCG : oui
- Accord emploi : oui
- Réforme des retraites : oui
- Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
- Plan de 50 milliards : abstention
« Quand vous êtes parlementaire sous la Cinquième République, vous êtes soit godillot soit trublion. Je ne suis ni l’un ni l’autre. Le vote du 29 avril était l’occasion de faire un vote sur le pacte de responsabilité, et nous avons saisi l’occasion. Nous avons dit que l’exécutif devait avoir un débat avec son Parlement, comme dans toute démocratie normale. Nous avons ce problème dans nos institutions d’un président de la République qui s’occupe de tout, la guerre au Mali, les sommets européens, la crise en Ukraine, le chômage, il répond à Bourdin à la radio et gère l’affaire Leonarda, ce n’est pas possible !
« Notre rôle, c’est aussi de représenter les électeurs. Leur demande est contradictoire ; ils veulent à la fois plus de gauche et qu’on aide les entreprises. C’est notre boulot de gérer les contradictions, sinon ça part en vrille.
« Je ne suis pas au RSA mais je ne vis pas sur l’Olympe non plus, je connais la vie des gens. Et en ce moment, ils ne se sentent pas représentés à gauche, même s’ils l’expriment souvent en nous disant qu’on est coupés de leurs réalités ou qu’on est des salauds. Globalement, les 60 propositions de François Hollande ont été tenues, mais à une exception majeure : la politique sociale et économique. On ne fait pas la grande réforme fiscale, à cause de Bercy comme d’habitude. On avait dit que le coût du travail n’était pas un problème majeur, avec le CICE on change de politique en quelques jours, par amendement. D’ailleurs, je n’avais pas voté “pour” ce jour-là.
« Et maintenant on nous parle d’exonérations massives dans le pacte de compétitivité, des exonérations qui ne sont jamais évaluées. Il y a une soumission à une doxa techno-libérale portée par Bercy. Ceux qui sont au sommet de l’État n’arrivent pas à résister. Est-ce l’effet de caste ? La promotion Voltaire ? En attendant, il y a un renoncement politique.
« Je suis pour la réduction des déficits, pour des comptes sociaux à l’équilibre pour maintenir notre protection sociale, voire des gels temporaires de progression des retraites ou du salaire des fonctionnaires. Mais à la longue, c’est récessif. Et puis quelle efficacité de la politique dans laquelle on s’engage ? Total et Sanofi, qui affichent des profits conséquents, vont recevoir des chèques très importants dans le cadre du CICE.
« Quant à l’exonération totale des charges sur le Smic (annoncée par Manuel Valls dans son discours de politique générale, ndlr), c’est la fausse bonne idée par excellence. On donne 10 milliards d’exonérations supplémentaires sur les entreprises, c’est l’équivalent du budget de la politique de l’emploi en France, hors la formation professionnelle ! Et ça revient à dépenser 45 000 euros par emploi créé. Ça fait cher ! Pour créer 200 000 emplois, autant faire des aides ciblées attribuées aux entreprises qui ont embauché des salariés supplémentaires pour éviter les effets d’aubaine ! L’argent englouti là-dedans ne sera pas mis dans la réduction des déficits ou dans les investissements. Sans compter le risque de créer des pièges à bas salaires. »
Catherine Beaubatie (Haute-Vienne)
- TSCG : oui
- Accord emploi : oui
- Réforme retraites : oui
- Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
- Plan de 50 milliards : oui
« Limoges, ma ville, était à gauche depuis 102 ans. Elle est passée à droite. Nous avons décroché de 26 points au premier tour. Dix points sont sans doute dus au contexte national. En plus des divisions, il y a aussi une certaine usure de la municipalité, une envie d’alternance. Mais au fond, tous les socialistes ont perdu car Limoges est une ville emblématique du socialisme. Nous devons évidemment nous poser des questions.
« Après, on ne gagne jamais contre son camp : nous faisons des choix, nous devons les assumer. On peut débattre, mais à un moment il faut trancher et c’est la décision de la majorité qui s’applique. Comment peut-on accorder la confiance à Manuel Valls le 8 avril et s’abstenir moins d’un mois après ? C’est laver plus blanc que blanc et faire passer les autres pour des godillots. Je ne suis pas béate. Bien sûr, la militante socialiste que je suis a parfois envie de renverser la table.
« On nous dit “vous n’êtes pas allé assez loin sur la réforme bancaire, la fraude fiscale, la finance”. Je l’entends. Mais la France n’est pas seule au monde. Et puis il y a la dette et le déficit. Tant que nous avons ces boulets aux pieds, la confiance ne reviendra pas. Les Français sont inquiets, ils ont peur de l’avenir pour eux, leurs enfants, leurs petits-enfants et veulent du pouvoir d’achat en plus. Nous sommes dans une situation jamais connue de crise économique et nous devons gouverner le pays avec des Français désabusés et qui n’ont plus de repères. Je plaide pour une vraie réforme fiscale. Des gens à petits revenus sont imposés alors qu’ils n’auraient jamais dû l’être.
« Bien sûr, je ne vais pas vous dire que je suis à l’aise dans mes baskets quand je vois et que j’entends ce que nous disent les électeurs. Mais justement Manuel Valls a envie d’aller au bout des réformes économiques, de la réforme territoriale. Il a du courage. Nos concitoyens nous jugeront dans trois ans. »
Richard Ferrand (Finistère)
- TSCG : oui
- Accord emploi : abstention
- Réforme retraites : oui
- Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
- Plan de 50 milliards : abstention
« Je ne suis pas un gauchiste exalté. Mais avant de mobiliser 50 milliards d’euros, on peut quand même savoir comment cibler au mieux, surtout quand l’État n’a pas un rond ! Qu’on fasse le CICE, qu’on aide les entreprises, 1000 fois oui. Mais pourquoi en faire bénéficier la grande distribution, des assurances, les banques qui ne sont pas des entreprises de production ? Ça n’a pas de sens et on n’a jamais pu en débattre.
« Je veux bien entendre des arguments mais pas obéir à des ordres. Le contrat de majorité que nous demandions s’est transformé en ordre de mission. Et puis il y a ce fétichisme des 3 % de déficit, alors que même la Banque centrale européenne s’inquiète des risques de déflation ! Je m’inquiète de l’impact asthénique, récessif des mesures que nous prenons. On ne peut pas ajouter de l’injustice à l’inefficacité.
« Je me rappelle que j’ai été élu dans la continuité du discours du Bourget. Mais récemment, un électeur m’a dit “Quand Hollande au Bourget parlait de son ennemi, je ne pensais pas que c’était de moi qu’il parlait.” C’est vrai que François Hollande paraît désormais très déterminé dans sa volonté de mener sa politique, c’est assez courageux. Mais je ne n’oublie pas sur quoi nous avons été élus. En Bretagne ces derniers mois, il m’est arrivé de sonner le tocsin (Richard Ferrand s’était inquiété du climat social en Bretagne avant les Bonnets rouges, ndlr), je ne voudrais pas sonner le glas ! L’ADN de la gauche, c’est réduire les inégalités, pas « faire des gestes » de justice sociale. La gauche qui fait des gestes, c’est moi qui ai envie de lui en faire, des gestes. On ne peut pas continuer avec ces mesures qui ont abouti à rendre imposables des gens qui n’ont pourtant pas gagné un centime de plus.
« Pour les européennes, je suis assez inquiet. Parviendrons-nous à faire comprendre l’enjeu de cette élection ? Que desserrer l’étau européen peut nous permettre de travailler différemment ? Ça sent la rebelote après les municipales, même si le pire n’est jamais sûr.
« Je ne désarme pas. Après les municipales, rien ne peut être comme avant. Il faut que l’exécutif nous entende. Si le gouvernement veut que nous devenions les VRP de sa politique, il doit nous convaincre de la qualité de sa politique. Nous ne demandons pas de faire la révolution, nous demandons de discuter.
« Je n’ai pas envie de quitter le groupe PS. Je crois à l’intelligence collective des socialistes. C’est là que nous devons être féconds. Manuel Valls doit écouter et pas rejeter : nous voulons qu’il réussisse, avec nous tous ! François Hollande, mieux que quiconque, nous connaît très bien. Un bon manager utilise toutes les qualités de ses troupes. J’ai encore confiance dans notre exécutif, pourvu qu’il passe plus de temps avec ceux qui “sentent” et proposent qu’avec ceux qui « savent” et disposent… avec le succès que l’on sait.
« Mais je n’accepterai pas qu’on nous dise indéfiniment “vous devez voter ça”, et que face à nos réticences le gouvernement se contente de montrer les dents. Les esprits libres ont toujours nourri la force de la gauche. Les fan-clubs ont toujours fini en clubs fanés. »
La boîte noire :Huit entretiens ont été réalisés en face-à-face la semaine dernière à l’Assemblée nationale. Stéphane Travert et Richard Ferrand ont été questionnés au téléphone. Aucun entretien n’a été relu. Richard Ferrand a ajouté quelques précisions par courrier électronique.
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