Roms: la vocation de Manuel Valls

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« Les Roms, ils n’ont pas vocation ! » Ce jugement tranchant, entendu au détour d’une rue parisienne, est d’autant plus éloquent qu’à première vue, il ne semble pas avoir de sens : on a vocation (ou pas) à quelque chose. D’ordinaire, la vocation, c’est d’être appelé quelque part par quelqu’un. Or les Roms « n’ont pas vocation » ; autrement dit, ils n’ont vocation à rien, et personne ne les appelle.

Bien entendu, ce n’est pas de notre faute, ni même de notre fait : c’est ainsi. Ces gens-là sont comme ça. C’est, sinon dans leur nature (nous ne sommes pas racistes !), du moins dans leur culture. Manuel Valls le déplorait déjà le 14 mars dans Le Figaro, l’insertion « ne peut concerner qu’une minorité car, hélas, les occupants des campements ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu’ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution. »

Si la traite est leur vocation, comment les Roms pourraient-ils vivre au pays des Droits de l’homme ? Ne les détournons pas de leur vocation ! La misère, c’est leur culture ; comprenons qu’ils y soient attachés, et ne les en détachons surtout pas. C’est d’ailleurs ce qui fait la différence entre « eux » et « nous » : pour notre part, nous n’aimerions pas vivre dans les ordures et les excréments, parmi les rats, au bord des routes ; ce n’est pas dans notre culture. Mais c’est la leur – la culture de la pauvreté. Ils y sont chez eux. Manuel Valls en tirait les conséquences le 24 septembre sur France Inter : « Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres, et qui sont évidemment en confrontation. » C’est donc pour leur bien que nous les harcelons et les expulsons – mieux, par respect pour eux et pour leur culture.

 

De fait, qu’entend-on, presque chaque jour, comme une rumeur médiatico-politique qui enfle à l’approche des élections municipales ? Le ministre de l’intérieur ne cesse de marteler, depuis des mois, que les Roms ont vocation à retourner en Roumanie ou en Bulgarie. Il dit mieux : « Je partage les propos du premier ministre roumain quand ce dernier dit “Les Roms ont vocation à rester en Roumanie, ou à y retourner”. » C’est donc que le chef du gouvernement parle à Bucarest comme le ministre de l’intérieur à Paris, qui lui-même emprunte l’expression à l’ancien président de la République française, Nicolas Sarkozy, et à ses ministres successivement en charge de l’immigration et de l’identité nationale – Brice Hortefeux, Éric Besson, Claude Guéant. Et c’est le mot, venu d’en haut, qui descend désormais dans la rue.

Toutefois, à l’époque, on distinguait encore, parmi les immigrés, ceux qui avaient vocation à rester en France, et ceux qui avaient vocation à partir. Rappelons-nous aussi la distinction, qui choquait tant sous Nicolas Sarkozy, entre « immigration choisie » et « immigration subie », de travail et (pour l’essentiel) familiale. Sous Manuel Valls, les Roms basculent entièrement du côté de l’immigration subie – d’ailleurs, on les empêche de travailler, pour mieux le leur reprocher ensuite. Aujourd’hui, 25 septembre, sur BFM TV, Manuel Valls est clair : l’insertion est « illusoire » ; « c’est une minorité », cela concerne seulement « quelques familles ». Bref, « les Roms ont vocation à rester dans leur pays, et à s’y intégrer – là-bas. »

En parlant ainsi, Manuel Valls ne désigne pas seulement la vocation des « autres » (les Roms), mais aussi la « nôtre » (les Français) : « nous ne sommes pas là pour accueillir ces populations. » Mais pourquoi sommes-nous là – et qui est ce « nous », dès lors que c’est le ministre d’un gouvernement élu par la gauche qui s’exprime ? Quelle est la vocation de la gauche au pouvoir ? « Être de gauche, c’est refuser la misère. Être de gauche, c’est refuser les bidonvilles où s’entassent des familles. (…) Être de gauche, c’est refuser l’exploitation de la misère et de gamins (…) par des mafias. » La gauche française refuse donc la misère, les bidonvilles, l’exploitation – en France ; elle les renvoie « là-bas ».

 

Et l’Europe ? Car ne l’oublions pas, nous aurons au printemps 2014, après les élections municipales, les européennes. En 2010, dans le sillage du discours de Grenoble, Viviane Reding, commissaire européenne à la justice, aux droits fondamentaux et à la citoyenneté avait fait scandale en se déclarant scandalisée par une directive française visant spécifiquement les Roms, soit un groupe qui n’est pas défini par la nationalité, mais (fût-ce implicitement) par la race : « J’ai été personnellement interpellée par des circonstances qui donnent l’impression que des personnes sont renvoyées d’un État membre juste parce qu’elles appartiennent à une certaine minorité ethnique. Je pensais que l’Europe ne serait plus le témoin de ce genre de situation après la Deuxième Guerre mondiale. »

Ironie des choses : c’est elle qu’on accusait alors de « déraper » (le président français n’hésitait d’ailleurs pas à renvoyer cette commissaire européenne à sa nationalité luxembourgeoise…). On n’entend plus guère l’Union européenne sur ce sujet, qui concerne pourtant sa définition même. La même Viviane Reding le répète pourtant aujourd’hui sur France Info – même si c’est avec davantage de prudence : « Nous avons des règles européennes qui ont été signées par la France, des règles sur la libre circulation des citoyens européens. Et ce ne sont pas des Roms, mais des individus. C’est sur décision d’un juge qu’ils peuvent être évacués, s’ils ont fait quelque chose qui va contre les lois de l’État en question. »

 

En France, au moment même où la majorité gouvernementale veut effacer le mot race du droit, voire de la Constitution, le gouvernement mène donc une politique de la race à l’encontre des populations roms. La preuve ? Ces déclarations de Manuel Valls, le 24 septembre sur France Inter, qui se veut rassurant à propos de l’ouverture imminente de l’espace Schengen, au 1er janvier 2014, aux Roumains et aux Bulgares : « Ce qui est actuellement en discussion, et pas décidé, c’est seulement une ouverture partielle limitée aux seuls aéroports. C’est une mesure qui faciliterait la vie des hommes d’affaires, sans autres conséquences. » Le plus remarquable est que de tels propos passent inaperçus, ou presque. À l’approche des élections municipales, l’émulation avec l’UMP de Jean-François Copé et le FN de Marine Le Pen joue à plein. Le résultat, c’est la fin de l’Europe – ou plutôt, la fin d’une Europe construite après la Deuxième Guerre mondiale contre la « race », et la vérité assumée d’une Europe des marchés. Oui aux hommes d’affaires roumains, non aux Roms. Et c’est la gauche gouvernementale qui porte actuellement cette responsabilité historique. Telle est la vocation de Manuel Valls.

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Texte publié sur lemonde.fr mercredi 25 septembre 2013.