Ultras, racistes et xénophobes défilent à Paris
Mediapart
26 janvier 2014 | Par Ellen Salvi et Nicolas Serve et Marine Turchi – Mediapart.fr
Des dizaines de milliers de personnes ont défilé à Paris dimanche à l’appel du collectif « Jour de colère ». Le cortège a été marqué par l’omniprésence de groupuscules d’extrême droite et ponctué de slogans antisémites, homophobes et antijournalistes.
Annoncée comme un grand rassemblement citoyen anti-Hollande, la manifestation à l’appel du collectif « Jour de colère » n’a pas eu l’ampleur des mobilisations contre le mariage pour tous l’année dernière (17 000 personnes selon la police, 160 000 personnes selon les organisateurs). Sur Facebook, 25 000 personnes avaient indiqué leur participation sur la page de l’événement. Dimanche, le mouvement était marqué par une omniprésence de groupuscules d’extrême droite. Il a été ponctué de slogans antisémites, homophobes et antijournalistes.
Le collectif avait annoncé un mouvement de « convergence des luttes », organisé sous huit bannières différentes : fiscalité, éducation-jeunesse, famille, identité nationale, chômage, respect des convictions religieuses, liberté d’entreprise, respect des libertés fondamentales. La première difficulté était de contenir dans un même cortège des associations antifiscalité, identitaires, catholiques intégristes, catholiques traditionalistes, anti-islam, des partisans de Dieudonné et des groupuscules d’extrême droite antisémites.
Dès le départ de la manifestation, place de la Bastille, l’une des organisatrices prévient, au micro : « Nous marchons à côté de gens qui n’ont pas les mêmes convictions que nous. Nous l’acceptons. Ce qui nous unit, c’est la volonté de changer le gouvernement. Nous sommes un mouvement patriote. » Le speaker qui lui succède chauffe la foule : « Je vous rappelle que c’est une manifestation pacifique, mais ce n’est pas une raison pour ne pas montrer votre colère ! (…) Les journalistes qui sont des collabos, nous n’en voulons pas ! » Il cible « les pourrisseurs de l’État » et « les médias », et invite les participants à dénoncer les « provocateurs envoyés par Valls ».
Pendant trois heures, de la place de la Bastille aux Invalides, des groupes hétéroclites défilent contre le mariage pour tous, le « matraquage fiscal », la hausse du chômage, l’immigration, pour la défense de la famille traditionnelle, de « la souveraineté et l’identité » de la France. Parmi les slogans, certains ciblent directement les membres du gouvernement et le président : « Najat à coups de batte », « Taubira casse-toi ! » et « Hollande au poteau, le peuple aura ta peau ». Mais les deux qui reviennent en boucle sont : « Hollande démission » et « journalistes collabos ».
Les organisateurs du collectif sont anonymes, mais les coïncidences avec le Printemps français, branche radicale de la Manif pour tous, sont troublantes, comme l’a démontré Mediapart. Dimanche, on pouvait voir un petit noyau s’affairer au départ de la manifestation, avec oreillettes et téléphones portables. On y retrouvait Frédéric Pichon, ancien leader du Groupe union défense (G.U.D.), figure du Printemps français et avocat de plusieurs manifestants antimariage pour tous prônant la radicalisation, recroisé une heure plus tard avec… un bonnet rouge.
Était aussi présent Axel Loustau, le trésorier du microparti de Marine Le Pen, à la tête d’une société de sécurité privée prestataire du FN en 2012. Ce proche de l’ex-chef du G.U.D., Frédéric Chatillon, a déjà été interpellé dans les manifestations contre le mariage pour tous en avril (lire notre article).
Dans le cortège, on croise un grand nombre de groupuscules gravitant à l’extrême droite : les Groupes nationalistes révolutionnaires (G.N.R.), le Front nationaliste, Terre et peuple, ou encore Yvan Benedetti, ex-FN et leader de l’Œuvre française, le groupuscule pétainiste et antisémite dissout en juillet après la mort de Clément Méric. Avec les Caryatides, il lance des « Hollande ça suffit, travail famille patrie ! », « La France aux français », « Français, réveille-toi, tu es ici chez toi ! », « Israël hors d’Europe ! », ou « On n’entend plus chanter Ariel Sharon ».
« Faurisson a raison, la Shoah c’est bidon », entend-on plus loin. Parmi les personnalités présentes, on trouvait l’écrivain Renaud Camus, théoricien du « grand remplacement » (théorie selon laquelle les Français seraient en passe d’être démographiquement évincés par des peuples non européens), l’essayiste Alain Soral, passé par le PCF puis le FN, aujourd’hui à la tête d’Égalité et réconciliation.
Quenelles, ananas et complotistes
Si Dieudonné est absent, pour cause de spectacle à Bordeaux, ses partisans sont très présents dans le cortège, brandissant des ananas et faisant des quenelles, deux symboles de la « Dieudosphère ». Nombre d’entre eux scandent d’ailleurs « Quenelle révolution ! ».
Des familles étaient aussi présentes, parfois avec des drapeaux « Manif pour tous » :
Une poignée d’amateurs de complots en tous genres se sont joints à la marche. Sur le boulevard Montparnasse, un homme distribue des tracts rappelant « la théorie des chemtrails », selon laquelle les traînées blanches créées par le passage des avions seraient composées de produits chimiques répandus par de mystérieuses agences gouvernementales. Non loin, certains hurlent « Francs-maçons en prison ! » tandis que d’autres brandissent des pancartes dénonçant la mainmise du CRIF ou du Club Bilderberg sur le pouvoir. Toute action gouvernementale a son explication alambiquée.
L’épisode Valls-Dieudonné ? « Une manipulation pour punir Dieudonné d’avoir invité dans son théâtre le fils du juge Roche (ex-magistrat décédé en 2003 et mort, selon ses enfants, dans des conditions suspectes – Ndlr), assure Meresia, 36 ans, l’une des volontaires en charge de la quête. C’est pour ça et pour rien d’autre ! On nous cache tellement de choses… »
Les partis politiques étaient les grands absents de cette mobilisation. Le FN avait expliqué qu’il n’appelait pas à manifester, contrairement au SIEL, le parti souverainiste de Paul-Marie Coûteaux. Marion Maréchal-Le Pen a quant à elle fait marche arrière. Son collaborateur a indiqué à Mediapart mercredi qu’elle ne s’y rendrait finalement pas à cause de « l’environnement, l’appel des pro-Dieudonné, la crispation des échanges sur le web ». Sa fédération du Vaucluse, qui avait participé à l’organisation de « Jour de colère » en proposant des « tractages » et des relais locaux, a, depuis, effacé le billet sur son site.
Les habitués des manifestations contre le mariage pour tous, comme l’UMP Hervé Mariton, Christine Boutin ou le frontiste Bruno Gollnisch, étaient absents. Invitée dimanche dans l’émission « Le Supplément politique » de Canal Plus, Christine Boutin, farouche opposante du mariage pour tous, a indiqué qu’elle ne grossirait pas les rangs des marcheurs cette fois-ci : « Je ne veux pas participer à une manifestation qui peut dégénérer. Je ne suis pas certaine qu’il n’y aura pas de violence. » C’est donc de loin que la présidente du parti chrétien démocrate a suivi le mouvement. Sur son compte Twitter, elle s’est félicitée du succès rencontré par le premier « Jour de colère », tout en laissant entendre qu’elle ne manquerait pas le deuxième rendez-vous :
En tête de cortège, le groupe, réuni pour « crier (son) ras-le-bol face au matraquage fiscal du gouvernement », salue les identitaires qui tractent sur le trottoir. Rémi, un chef d’entreprise de 46 ans, se dit « apolitique ». Pourtant, « ça ne (lui) pose aucun problème de défiler avec des groupes extrémistes » parce que « ce sont les vrais Français qui sont dans la rue ». Même discours du côté de Marie, 24 ans, qui estime que « tout le monde peut marcher dans la rue, du moment qu’ils ne sont pas venus pour promouvoir leur parti » : « J’avais déjà marché contre le mariage pour tous l’année dernière. C’est toujours bon enfant comme ambiance ! »
À l’instar de la jeune femme, nombreux sont les manifestants interrogés ce dimanche par Mediapart, à avoir déjà manifesté l’an passé. Meresia n’est pas de ceux-là. Bonnet rouge sur la tête, gilet fluo des « volontaires » sur le dos, elle use de son sifflet en continu, mais consent à le retirer pour expliquer qu’elle manifeste contre « l’éducation nationale » : « C’est une priorité. Or, tout ce qu’on apprend à nos gamins à l’école aujourd’hui, c’est l’homosexualité. J’adore les homos, je m’éclate avec les gays, mais j’ai pas envie qu’on apprenne ça à mon petit de 5 ans. Je ne veux pas qu’on lui dise que c’est normal parce que ce n’est pas vrai. »
Si elles répètent qu’elles manifestent « contre le gouvernement », les personnes interrogées dans la foule ne motivent guère plus leur participation au « Jour de colère ». Christian, un retraité de 74 ans, qui a « toujours voté socialiste », avoue même qu’il ne sait « pas très bien ce qu’(il fait) là » : « Je voulais montrer mon mécontentement, mais je me retrouve au milieu de personnes dont je ne partage pas du tout les idées. Quand je suis arrivé, j’ai été un petit peu dérangé de voir qui était là, mais bon, je me dis que quelquefois, on dit bonjour à des gens qu’on n’aime pas… »
Parmi les contre-manifestants, une dizaine de militantes des Femen, venues aux cris de « les fachos au poteau ! ». « Femen salopes, bande de putes, la France aux Français », a répliqué la foule. Elles ont été évacuées par les forces de l’ordre.
Des antifascistes ont déployé une banderole près de la gare d’Austerlitz, sur laquelle on pouvait lire « Valls, Marine, Dieudo, tous fachos » :
La manifestation, ponctuée de plusieurs incidents (journalistes pris à partie, jets de pétards, fumigènes, bombes agricoles), a débouché aux Invalides, avec plusieurs discours d’anonymes sur l’estrade, venus défendre l’un des huit thèmes mis en exergue. « Nous ne sommes pas les putes de la République », « nous sommes gouvernés par des merdes », lance l’un d’eux au micro. À l’issue de la manifestation, Béatrice Bourges, porte-parole du Printemps français, a annoncé qu’elle entamait « une grève de la faim jusqu’à la destitution du président François Hollande », en précisant qu’elle allait camper au Champ-de-Mars, près de la tour Eiffel.
En fin de journée, des affrontements ont éclaté entre les forces de l’ordre et une centaine de manifestants restés sur place. Masqués pour la plupart, ces derniers ont lancé des projectiles (bouteilles, pétards, barres de fer, poubelles et fumigènes) contre les policiers qui ont répliqué par des tirs de gaz lacrymogènes. Dix-neuf policiers ont été blessés – l’un d’eux a reçu un pavé dans la mâchoire. Au total, 262 personnes ont été interpellées. Près de 250 ont été placées en garde à vue.
La boîte noire :Mise à jour: Cet article a été actualisé lundi matin avec le nombre total de personnes interpellées et de gardes à vue.
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