Retour au Parlement
On avait perdu l’habitude d’assister dans l’hémicycle à de vrais affrontements qui ont un sens pour nos concitoyens.
La rue est calme en ces premiers jours de juillet. La seule rumeur qui monte parfois jusqu’à nos oreilles de citadins vient des amateurs de football, « franco-français » ou « franco-algériens » – n’en déplaise à Marine Le Pen, au maire de Nice, Christian Estrosi, et à quelques autres, toujours dominés par les vieux démons. Au plan social, la grève de la SNCF est terminée, celle de la Société nationale Corse Méditerranée est, comme son nom l’indique, trop localisée pour plonger le pays dans la crise, quant aux intermittents, ils ne sont pas assez nombreux pour prendre la Bastille, ni même l’Opéra Bastille… Ce qui n’empêche pas leur combat d’avoir une forte portée symbolique.
Apparemment donc, la lutte de classes est en sommeil, anesthésiée par le sentiment d’impuissance et les opiacés sportifs. Et pourtant, le malaise est là, profond, incurable. Le nombre des chômeurs ne cesse de grimper, et la fameuse croissance, comme le Messie, ne vient jamais. Tant et si bien que, pour le gouvernement, il serait plus sage de cesser d’y croire pour retrouver un peu d’agilité d’esprit. Est-ce donc vraiment qu’il ne se passe rien ? Gare aux effets d’optique ! Car si la rue est calme, l’Assemblée nationale ne l’est pas, et les allées du pouvoir ne le sont pas non plus. On avait perdu l’habitude d’assister dans l’hémicycle à de vrais affrontements qui ont un sens pour nos concitoyens. Il y avait bien, de temps à autre, quelques incidents théâtralisés à l’excès, des claquements de porte pour un mot de trop. Du mauvais vaudeville, quoi. L’événement de ces jours-ci est peut-être là : il se passe quelque chose à l’Assemblée en rapport avec la vie des gens. Même le Sénat n’est pas insensible à cette conjoncture. C’est l’honneur des députés « frondeurs » du PS, des parlementaires Front de gauche et de quelques écolos (pas tous, hélas !) de faire revivre les palais de la République. La bataille parlementaire est rude, même si l’un des acteurs majeurs du débat, le Medef, n’est pas présent ès qualités. Il compte assez de relais dans l’hémicycle, à droite et à gauche, pour peser lourdement sur le contenu des séances, et même sur leurs rythmes.
Il ne se prive pas non plus d’intervenir par presse interposée. Dimanche, à la veille de la reprise du débat parlementaire, Pierre Gattaz et sept de ses acolytes adressaient au président de la République et au Premier ministre un appel aux accents comminatoires [1]. Le lendemain, il montait encore d’un cran, lançant à François Hollande et à Manuel Valls ce qu’il faut bien appeler un ultimatum : vous répondez « cette semaine à nos questions » ou bien nous boycotterons la conférence sociale des 7 et 8 juillet. Dans la forme, il y a quelque chose de pathétique à voir un président de la République et un Premier ministre traités de la sorte. À avoir tout cédé, notre couple exécutif a fini par rompre un équilibre essentiel qui est la condition même de son pouvoir. Ce n’est plus seulement un gouvernement « de gauche » qui a failli, c’est un État qui a renoncé à sa position arbitrale. Pierre Gattaz l’a compris. Il s’adresse désormais à ses féaux. Il « ne veut pas » entendre parler de cette histoire de pénibilité au travail, en tout cas, pas avant 2016. Il « veut » sur les trois prochaines années « des trajectoires de baisse du coût du travail ». Il « ne veut plus » quoi que ce soit qui renforce les contrôles ou les sanctions sur les entreprises ou sur les entrepreneurs. Il « veut », que dis-je, il exige des « réformes structurelles ». Le patron du Medef recense les « 25 verrous à lever ». On imagine après cela dans quel état serait notre droit du travail. Ce ton en dit long sur le rapport de force qui résulte des multiples renoncements de François Hollande depuis deux ans. C’est peu dire que la position du chef de l’État est inconfortable. En effet, s’il ne résiste guère à la pression du Medef, d’autres résistent pour lui. Car les députés « frondeurs » tiennent parole. Ils mènent une courageuse bataille d’amendements pour transformer le fameux pacte de responsabilité. Tout le contraire de ce qu’exige le Medef !
La sommation patronale a donc aussi un sens politique. L’exécutif est prié de se débarrasser, d’une façon ou d’une autre, de ces gêneurs. Et si l’on en croit les signaux donnés lundi soir [2], au cours du débat sur le budget rectificatif de la Sécu, le gouvernement ne va pas rester sourd à la menace patronale. Il semblait tout près d’imposer un vote bloqué pour faire taire la dissidence. Il ne faut donc pas s’y tromper, la bataille qui se mène au Parlement et dans les allées du pouvoir est lourde de toutes les violences sociales. Ce n’est rien de moins qu’un nouvel épisode de l’affrontement entre le capital et le travail. Dans la logique patronale, il s’agit de placer le salarié face à un choix infernal : renoncement à ses acquis sociaux ou chômage ? De sorte que, dans tous les cas, il est perdant. C’est l’essence même du credo libéral.
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