Roms : Valls attise la colère des associations.
Libération
14 mars 2013 à 17:48
Récit Alors que le ministre de l’Intérieur redit son intention de poursuivre les expulsions des campements illicites, les associations demandent au Premier ministre de reprendre la main sur le dossier.
«Ce n’est pas une interview, c’est un article commandé dont je pense le plus grand mal.» Laurent El Ghozi ne décolère pas après la lecture de l’entretien accordé par Manuel Valls au Parisien, ce jeudi, dans lequel le ministre de l’Intérieur martèle son message de fermeté à l’encontre des Roms. Membre fondateur du collectif Romeurope, El Ghozi redoute une accélération des expulsions des campements illégaux à l’issue de la trêve hivernale. Depuis le mois de décembre, 19 terrains ont été évacués, selon le décompte du collectif. Une vingtaine d’autres seraient dans le collimateur des autorités, qui recensent 400 campements «illicites» sur le territoire.
«Plus que jamais les démantèlements sont nécessaires et se poursuivront, il en va du respect de la loi et de la sécurité de leurs résidents», assure Manuel Valls. Qui n’oublie pas d’ajouter que ses services procéderont «avec humanité, sans abandonner l’accompagnement social, l’objectif de scolarisation des enfants et, quand c’est possible, l’accès à un logement et au monde du travail». Un vocabulaire soigneusement choisi, et qui permet au ministre de l’Intérieur de rester dans les clous de la circulaire interministérielle du 26 août.
Signée de la main de sept ministres après un débat animé au coeur de l’été, celle-ci fixait les modalités d’évacuation des installations illégales. Elle insistait notamment sur la nécessaire «logique d’anticipation et d’individualisation» et «l’établissement, chaque fois que possible, d’un diagnostic et la recherche de solutions d’accompagnement».
Ayrault appelé à la rescousse
Six mois plus tard, les associations spécialisées en tirent un bilan mitigé. «La circulaire est appliquée de manière hétérogène, juge Jean-François Corty, directeur des missions France de Médecins du Monde. Dans certaines villes, comme Lyon et Strasbourg, les choses se sont calmées. Mais en Ile-de-France et à Marseille, on assiste encore à des expulsions sans aucune préparation en amont.»
Laurent El Ghozi redoute que les propos de Manuel Valls ne «décomplexent les gens peu coopératifs». Un passage l’a particulièrement irrité. «En se retranchant derrière le Premier ministre roumain, Valls explique que les Roms auraient « vocation à rester en Roumanie, ou à y retourner ». C’est complètement faux !», s’insurge-t-il. «Nous terminons actuellement un diagnostic sur un terrain francilien, où vivent environ 250 personnes. Il s’avère que la moitié des habitants vivent en France depuis plus de dix ans, et sont donc régularisables. Deux tiers des enfants sont scolarisés. Et la plupart des familles n’ont plus aucune attache en Roumanie. Qu’on le veuille ou non, elles feront leur vie en France.» Jean-François Corty, de son côté, rappelle que les Roms «restent des citoyens européen. S’ils le souhaitent, ils ont tout autant le droit de venir travailler en France que des Allemands ou des Espagnols».
Unanimement, les associations déplorent une forme de privatisation du dossier par le ministère de l’Intérieur. Elles viennent même d’adresser un courrier à Jean-Marc Ayrault pour lui demander de reprendre la main. «La circulaire du 26 août est interministérielle et globale, appuie Laurent El Ghozi. Valls ne fait pas cette politique tout seul. Nous espérons pouvoir faire le point avec le Premier ministre sur sa mise en oeuvre.»
«La position de Valls favorise tous les dérapages racistes»
Les acteurs associatifs déplorent aussi les tensions que pourraient provoquer les déclarations de Manuel Valls sur le terrain. Ces derniers mois, les altercations avec les riverains de campements illégaux se sont multipliées. Les expulsions se déroulent dans un climat de plus en plus tendu. «La position de Valls favorise tous les dérapages racistes, même s’il s’en défend, regrette Laurent El Ghozi. Un article comme celui-ci va redonner à tout le monde le sentiment que les Roms doivent partir.»
Jean-François Corty s’inquiète de la «mise en danger» des Roms, des personnes «en situation d’hyper-précarité». «Les destructions répétées des campements, sans alternative de relogement, cassent le travail des associations, explique-t-il. Les réseaux de solidarité s’amenuisent. Cette gestion au coup par coup, où chaque commune se refile la patate chaude, ne fait que repousser les problèmes.»
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