Éditorial de POLITIS
Les enjeux d’une manif
On veut nous imposer une grille de lecture qui gomme définitivement l’antagonisme gauche-droite, et bannit le facteur social.
Les Français veulent l’union nationale et la gauche est germanophobe. Voilà, en tout cas, ce que l’on entend, et ce qu’on lit – et avec force répétition – depuis plusieurs jours dans les médias. Il n’est donc pas inutile de se pencher ici sur les mécanismes de ce qui s’apparente à une manipulation de l’opinion. C’est d’abord un sondage qui nous demande si, par hasard, les Français ne seraient pas favorables à un gouvernement d’union nationale [1]. Précisons que, de mémoire de politologue, on n’a pas souvenir que cette question récurrente ait jamais donné lieu à une réponse négative. D’où, son immense intérêt…
On peut ensuite s’interroger : qu’est-ce donc que « l’union nationale » ? C’est, nous dit-on à la fin, un gouvernement dans lequel entrerait François Bayrou. Le résultat n’est guère surprenant puisque le président du MoDem est la seule personnalité suggérée par l’institut de sondage qui ne soit pas membre ou proche du Parti socialiste. L’union nationale, ça ne pouvait donc être que lui. Avouez que c’est se donner beaucoup de mal pour en arriver là ! Mais pourquoi François Bayrou ? Sans doute parce que c’est déjà sa politique qui est appliquée par MM. Hollande et Ayrault. L’obsession de la réduction de la dette publique, l’orthodoxie budgétaire reléguant toute autre préoccupation à l’arrière-plan, c’est typiquement lui. C’est donc peu dire que François Bayrou est « hollando-compatible ». Ensuite, la machine médiatique s’est mise en mouvement. Magie de l’information, ou de la désinformation, des débats ont été aussitôt organisés sur le sujet, des ministres ont été invités à réagir, ainsi que tous ceux qui passaient à portée de micro. En quelques heures, une pure fiction était devenue un fait politique majeur qu’il convenait de commenter.
Mais, après tout, François Bayrou au gouvernement, ce n’est pas si farfelu. Il n’est pas impossible que l’on y songe en haut lieu. Allez même savoir si ce sondage ne participe pas de cette mise en condition. Le président de la République affirmerait son cap. Il couperait court au débat actuel, et enverrait paître l’aile gauche du Parti socialiste. Car l’opération sondage survient alors que le climat se tend sérieusement au sein de la majorité. Les critiques qui montent des rangs du PS ont d’ailleurs donné lieu ces jours-ci à un autre genre d’enfumage. Selon une méthode aussi grossière qu’inusable, les opposants à la politique d’austérité ont été accusés de germanophobie. Il y a quelques années, ceux qui s’opposaient à la guerre de George Bush en Irak étaient « anti-américains » ; et ceux qui s’opposent à la politique israélienne de colonisation des territoires palestiniens sont « antisémites »… Aujourd’hui, on voudrait nous faire accroire que Mme Merkel est attaquée en tant qu’Allemande, qu’elle n’est pas avant tout de droite, et qu’elle ne compte pas d’opposants dans son pays, ni d’alliés dans le nôtre. En vérité, il s’agit de nous imposer une grille de lecture qui gomme définitivement l’antagonisme gauche-droite, et bannit le facteur social. Ce déni politique est une vieille lune. Mais un simple remaniement constituerait un passage à l’acte. La réalisation ou non de cette opération, dont François Bayrou pourrait être évidemment la « cheville ouvrière » (disons plutôt « la cheville patronale »), dépend en grande partie de la pugnacité de la gauche du PS. Si les opposants rentrent dans le rang, plus besoin d’ouverture à droite. S’ils persistent, François Hollande va devoir choisir. Soit un vrai tournant de la relance, soit François Bayrou… C’est dans ce contexte qu’il nous faut parler de la manifestation du Front de gauche, dimanche prochain. Nous y serons, et voilà pourquoi. Nous pensons que plus que tout autre slogan, c’est l’affirmation de la gauche qui importe. Certes, toute la gauche ne sera pas dans la rue. Beaucoup de militants et de dirigeants Verts ne seront pas là, arrêtés, disent-ils, par les aspérités de langage de Jean-Luc Mélenchon, et parfois des désaccords profonds – que nous pouvons partager – avec le leader du Parti de gauche. Beaucoup de militants du PS seront absents ou en bordure de manifestation, un pied dedans, un pied dehors. Mais c’est l’idée de la gauche, son principe même et, comme nous avons essayé de le montrer ici, une vision sociale des événements qu’il s’agit de défendre.
À cet égard, la question de l’amnistie des syndicalistes condamnés pour des dégradations de matériel n’est pas secondaire. Les réactions de désespoir de salariés virés comme des malpropres après dix, vingt ou trente ans de dévouement pour une entreprise ne peuvent être comparées à aucune autre violence. L’amnistie, c’est prendre acte de ce qui devrait être une évidence : la violence sociale qui précipite au chômage des salariés, et dans la misère des familles entières, a des conséquences autrement plus dramatiques que quelques tags, des papiers froissés et des jets d’œufs sur les boucliers des gendarmes mobiles. Faut-il criminaliser ces vétilles quand les licenciements boursiers restent toujours impunis ? Dans cette affaire, comme à propos de la politique budgétaire, c’est donc bien la question du sentiment de l’appartenance à la gauche qui se joue. Nous verrons le 16 mai, lorsque s’ouvrira le débat à l’Assemblée sur cette question, qui est qui. Mais le premier test, c’est bien dimanche
[1] Sondage Ifop paru dans le JDD du 28 avril.
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