Accueil des mineurs isolés étrangers : « saturation » ou « égoïsme » ?
Nouvel Obs
Le président du conseil général de Mayenne a mis fin à leur prise en charge. « Illégal », s’élèvent Valls et Taubira. « Barbare », pour France terre d’asile.
A Taverny, dans un centre d’accueil et d’orientation pour mineurs étrangers isolés. (Photo d’illustration). (MEHDI FEDOUACH / AFP)
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Il affirme avoir voulu « tirer la sonnette d’alarme ». Sa décision a fait l’effet d’un pavé dans la marre. Par un arrêté du 24 juillet, le président (UDI) du conseil général de la Mayenne, Jean Arthuis, annonçait que les mineurs étrangers isolés, ces jeunes arrivés sans attaches sur le territoire français et que le département a l’obligation de prendre en charge, ne seraient plus accueillis. Les répliques ne se sont pas fait attendre. Le préfet de la Mayenne a aussitôt épinglé « cet acte illégal », le Défenseur des droits s’est saisi de l’affaire. Quand Christiane Taubira et Manuel Valls sont montés au créneau, rappelant que « L’Etat ne saurait accepter de distinguer les mineurs accueillis en fonction de leur nationalité ».
« Egoïsme »
La question est épineuse et ne date pas d’hier. 8.000 jeunes étrangers isolés sont répartis à travers la France. « Leur géographie d’arrivée fluctue en fonction de la nature et de l’intensité des conflits », explique Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile. Ces derniers mois, les mineurs arrivent surtout d’Afghanistan, du Pakistan, du Mali, de Guinée ou de République démocratique du Congo. Beaucoup de garçons, dont la majorité ont entre 16 et 18 ans : nombre de filles tombent dans les filets de réseaux de trafics d’êtres humains – esclavage domestique ou prostitution – avant d’avoir pu parvenir jusqu’aux services sociaux.
Les départements déplorent régulièrement leur manque de moyens pour prendre ces jeunes en charge. Voilà deux ans, Claude Bartolone, alors président PS du conseil général de Seine-Saint-Denis, où le plus grand nombre de jeunes sont accueillis, lançait un appel à l’aide au ministre de la justice Michel Mercier : le 93 n’était plus en capacité d’accueillir dignement davantage. Mais le contexte a peu à voir : la Mayenne « n’accueille pas plus de 50 mineurs là où à titre de comparaison, la Seine-Saint-Denis et Paris en accueillent à eux seuls près de 2.500 », tacle aujourd’hui Stéphane Troussel, le nouveau président du conseil général de Seine-Saint-Denis, taxant son homologue Jean Arthuis « d’égoïsme ».
« On ne sait plus où les mettre »
« Nous sommes à saturation », justifie l’intéressé. Le sénateur et ex-ministre centriste renvoie la balle à l’Etat, et met en cause le manque de contrôle aux frontières face à des « filières d’immigration clandestines ». Et de s’étonner que les jeunes livrent pour la plupart des récits similaires : un voyage en avion accompagné d’un adulte qui les abandonne une fois les contrôles franchis. Ce jeudi, l’ex-ministre UMP Brice Hortefeux ne s’est pas privé d’enfoncer le clou et de tacler « un gouvernement aujourd’hui incapable de maîtriser les flux irréguliers ».
Selon Jean Arthuis, la Mayenne accueille aujourd’hui 57 mineurs étrangers – un chiffre qu’il dit être en constante augmentation – pour 19 places disponibles. « Les autres sont pris en charge par des associations de protection de l’enfance, certains ont fini à l’hôtel. Ca prend des proportions incroyables, on ne sait plus où les mettre », s’alarme un fonctionnaire du Conseil général. Pour lui, qui se demande si toutes ces personnes sont vraiment des mineurs, la circulaire Taubira a provoqué « un appel d’air ». Le document, daté du mois de mai, vise à davantage d’équité entre les départements en répartissant la charge des enfants, qui pèse surtout sur la région parisienne.
« Le chemin de la barbarie »
Du côté de France terre d’asile, l’argument de la saturation a du mal à passer. « Qu’ils ne viennent pas nous dire que la Mayenne est débordée », s’agace son directeur général Pierre Henry. Qui va jusqu’à dénoncer « une volonté, qui fait le jeu du FN, de déclencher la polémique autour de la question de l’immigration ». Pour l’association, qui rappelle que sur l’ensemble des mineurs pris en charge, seuls 3 % sont étrangers, leur nombre est stable depuis 10 ans. Et nul besoin de verser dans la guerre des chiffres : en plus d’être « discriminatoire », la mesure fait payer aux plus faibles le prix de querelles politiciennes. « S’attaquer aux enfants, c’est avancer sur le chemin de la barbarie », regrette France terre d’asile. « Ce sujet, grave, mérite mieux qu’une polémique », rétorque Arthuis. Un dialogue de sourd…
Sa décision polémique, le sénateur l’assume. Et se targue du soutien de l’Assemblée des départements de France qui, au lendemain de la publication de l’arrêté, a réclamé la création d’un fonds national d’intervention pour soutenir les Conseils généraux dans leur mission de prise en charge des mineurs étrangers isolés. Les langues vont se délier, espère-t-il, et d’autres présidents de conseil généraux vont faire entendre leur voix. Un rendez-vous a été fixé à la chancellerie le 22 août. « Je reviendrais sur ma décision si le gouvernement prends les mesures nécessaires », lance-t-il tel un ultimatum. Depuis la publication de l’arrêté, deux jeunes Congolaises sont arrivées en Mayenne, où elles se sont vu refuser l’accueil.
Audrey Salor – Le Nouvel Observateur
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