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L’affaire Taubira ou la rencontre de l’impensé colonial et du néolibéralisme

Mediapart.fr

24 novembre 2013 | Par christian salmon

Si Christiane Taubira est attaquée, c’est qu’elle résiste à la crise de souveraineté qui mine la politique. C’est aussi parce qu’elle trace une diagonale audacieuse entre les deux blocs qui arraisonnent le débat public, le souverainisme xénophobe nourri au racisme colonial et le mondialisme néolibéral.

«Pourquoi Christiane Taubira cristallise les haines », titrait presque innocemment Le Monde du 8 novembre 2013 sur une pleine page. Oui, c’est vrai : pourquoi Taubira cristallise-t-elle la haine d’Anne-Sophie Leclere ? Cette candidate FN affirmait sur son site internet qu’elle préférait la voir avec ses semblables « dans les branches de son arbre plutôt que de la voir au gouvernement ». Pourquoi la garde des Sceaux cristallise-t-elle les haines des catholiques de l’institut Civitas, opposants à la loi sur le mariage pour tous, qui manifestent dans les rues de Paris aux cris de : « Y a bon Banania, Y a pas bon Taubira » ?

Il doit bien y avoir une raison pour qu’une enfant de onze ans lance sur son passage en joignant le geste à l’insulte : « Elle est pour qui la banane ? » « Franchement, je suis incapable de vous dire ce qui a pu lui traverser l’esprit. Elle a dit “guenon” comme elle aurait pu dire “girafe” », relativisent les parents qui s’étonnent de l’écho qu’a reçu dans les médias l’« espiègle » apostrophe de leur fille. « Ce n’était en rien prémédité », proteste la mère, qui a pourtant emmené sa fille à ce qui ne mérite pas le nom de « manifestation » mais plutôt celui de « lynchage » : « La banane n’a pas été apportée sciemment pour provoquer la ministre », affirme-t-elle. Ah ! C’était juste pour le goûter ? Nous voilà rassurés. D’ailleurs la petite est « née aux Antilles », et a vécu « la moitié de sa vie en Outre-mer et en Afrique », renchérit le père en guise d’excuse, comme si les blagues racistes étaient incongrues sous les palétuviers.

Christiane Taubira (Reuters)Christiane Taubira (Reuters)

Les attaques contre Christiane Taubira ne constituent pas seulement une faute morale et une transgression de nos soi-disant « valeurs » républicaines qu’il suffirait de sanctionner par un sursaut républicain. Ou par un surcroît de morale, comme si cette république exemplaire ne s’était pas illustrée il y a moins d’un siècle en organisant des zoos humains en plein Paris, exhibant les populations des colonies à des spectateurs qui leur lançaient des victuailles. Cette violence symbolique, qui n’a d’égale que la violence réelle de la conquête coloniale, n’était pas gratuite que l’on sache. Si elle se plaisait à animaliser les populations des colonies, c’était pour légitimer l’entreprise civilisatrice de la colonisation.

Plutôt que de pousser des cris d’orfraie devant la résurgence du racisme, nos républicains vertueux feraient mieux de s’interroger sur cet impensé colonial qui, faute d’être analysé, hante la société française et s’exprime à nouveau depuis dix ans à visage découvert. Ce fut la loi de février 2005 évoquant, dans sa première mouture, les « aspects positifs » de la colonisation ; le discours présidentiel de Dakar sur l’homme africain « qui n’est pas entré dans l’Histoire » ; la création du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale ; le débat sur l’identité nationale, dont L’Identité malheureuse, le dernier livre d’Alain Finkielkraut plébiscité par les médias, est à la fois le navrant symptôme et une piqûre de rappel.

Loin de disparaître de l’inconscient (ou de la conscience) collectif, la « racialisation des esprits » et « l’animalisation de l’autre » sont les composantes indissociables de toute politique identitaire… Elles sont congruentes avec un effort de redéfinition de l’identité nationale, de réarmement national, l’accent mis sur une identité vécue comme inquiète ou menacée.

C’est un régime de signes qui détermine un certain langage, un certaine forme d’humour qui stigmatise, infantilise, animalise les autres qu’ils soient noirs, roms, étrangers. L’historien Pap Ndiaye, auteur de La Condition noire (Calmann-Lévy), attirait récemment l’attention sur le retour d’un « racisme biologique, fortement racialisé, avec des références animalières banales à l’époque coloniale… qui relèvent d’un registre qui semblait avoir disparu après la Seconde Guerre mondiale et la décolonisation » (lire ici notre article sur ce livre).

Si on répète à bon droit que le racisme n’est pas une opinion mais un crime et que, comme l’a affirmé François Hollande à Jérusalem, « il n’y a pas de différence entre les paroles et les actes racistes », c’est que la parole raciste n’est pas seulement une parole attentatoire, un défi ou une insulte. C’est ce que les théoriciens du langage avec John Searle appellent un « speech act », c’est-à-dire une parole qui agit, un acte performatif qui a le pouvoir de réaliser ce qu’il énonce.

La parole raciste exclut de « l’espèce humaine », comme l’a rappelé Christiane Taubira, celui ou celle qu’elle animalise. Ce n’est pas une blague, c’est un scalpel qui permet depuis l’aube de la colonisation de tracer la frontière entre humains et esclaves, colons et colonisés, civilisés et sauvages. Et lorsque l’insulte se met en scène au travers des expositions coloniales et des zoos humains, le racisme devient une performance collective. C’est une cérémonie et un rituel. Sa fonction ? Redéfinir les contours de la communauté nationale.

Déconstruire le racisme

Jean-Marie Le Pen a accusé Christiane Taubira d’être « antifrançaise » reprenant la rhétorique de l’anti-France utilisée par la droite et l’extrême droite en France depuis l’affaire Dreyfus. Quant à Marine Le Pen, elle a euphémisé comme à son habitude mais en s’exprimant cette fois en sociologue : « Taubira a d’abord été indépendantiste guyanaise, c’est un élément essentiel dans sa construction politique. » Mais qui s’interroge sur « la construction politique » de Marine Le Pen, nourrie au lait de la xénophobie et du ressentiment colonialiste, les deux mamelles de l’ultra droite française ? Qui se demande dans les médias ce que signifie la reconfiguration du paysage politique opérée par les « Le Pen » à partir non plus de l’axe droite/gauche mais de la polarité patriote/mondialiste apparue à la faveur de l’affaire Dreyfus ?

C’est pourquoi il ne suffit pas de s’insurger contre le racisme, il faut le déconstruire. Il faut lui opposer non pas seulement des « valeurs », des manifestations et des concerts de SOS racisme, mais un travail patient de déconstruction qui consiste à défaire l’imaginaire colonial, son bestiaire, ses imageries, ses plaisanteries et à rendre contagieux un autre état d’esprit. Il faut opposer à l’imaginaire colonial des symboles, un récit, une histoire commune. Comme le fait par exemple en ce moment même l’exposition « Kanaks » au musée du Quai Branly (lire ici notre article sur cette exposition).

Exposition temporaire : "Kanak, l'art est une parole". Du 15 octobre 2013 au 26 janvier 2014Exposition temporaire : « Kanak, l’art est une parole ». Du 15 octobre 2013 au 26 janvier 2014 © musée du quai Branly, photo Gautier Deblonde

C’est ce que réussit Christiane Taubira lorsqu’elle fait adopter en 2001 la reconnaissance des traites et des esclavages comme crime contre l’humanité. Mais surtout lorsqu’elle bataille en 2013 à l’Assemblée pour défendre son projet de loi sur le mariage pour tous en démasquant l’imaginaire biologiste qui hante la droite. Elle fait sortir le débat sur le mariage pour tous du ghetto de la « norme biologique » dans lequel la droite voulait l’enfermer pour en faire l’enjeu d’un combat pour l’émancipation humaine, rappelant au passage que c’est toujours le droit des minorités qui trace l’horizon des nouveaux droits pour tous… On se souvient de sa formidable réplique aux députés UMP qui invoquaient les « lois naturelles »:

« Vous avez la fascination du naturel, du biologique et de la génétique ! (…) Vous faites revenir avec vénération et fascination les lois naturelles, revenant au temps de Lamarck et de l’évolutionnisme…. Il y a longtemps que les Lumières ont imprégné la réflexion philosophique et scientifique ! Il y a longtemps que l’on sait ce qu’est l’environnement social et culturel ! Et vous, vous en êtes encore aux lois de Mendel, qui travaillait sur les petits pois ! » Au cours de ce débat exemplaire, Taubira a démasqué la droite ; elle a mis fin à cette imposture qui veut que la droite se prétende depuis trente ans, moderne, transgressive et même « révolutionnaire » quand il s’agit de s’attaquer au droit du travail ou de déréguler la finance… Pour une fois la droite était renvoyée à son archaïsme, à ses fantômes biologistes, à ses fantasmes d’exclusion : biologisme. Petits pois de Mendel.

Christiane Taubira a réussi à faire revivre une crédibilité perdue de la parole politique, une certaine « entente » des signes d’autorité et d’intelligence. Si elle est attaquée, c’est qu’elle résiste à la régression médiatique du politique. Non qu’elle résolve à elle seule la crise de souveraineté qui mine le politique. Mais parce qu’elle trace une diagonale entre les deux blocs qui arraisonnent le débat public. Elle est le visage audacieux de ceux qui livrent bataille au-delà des lignes de front, suivant une diagonale d’invention… Loin de « cristalliser les haines », elle est un révélateur, au sens chimique, de ce moment politique. Un atout et un reproche pour le gouvernement, son récit manquant. Elle est le visage de ce que la gauche pourrait être et qu’elle n’est pas.

Les attaques racistes contre Christiane Taubira ne sont pas fortuites. Elles sont tout à la fois un symptôme et un instrument : le symptôme d’un impensé colonial et l’instrument d’une décomposition/recomposition du champ politique longtemps structuré autour de la bipolarité droite/gauche. Cette bipolarité cède la place à un affrontement entre un souverainisme qui fixe et un mondialisme qui disperse ou égare…

D’un côté les souverainistes de tous poils, nostalgiques de l’État qui exigent une reterritorialisation de la puissance, la sortie de l’Euro, la résurrection des frontières… Bref, le retour à la maison. D’un autre les mondialistes, les nomades, qui abandonnent tous les attributs de la Nation et jusqu’au système démocratique, et confient la politique aux experts, aux marchés financiers, aux capitaux. D’un côté la resubstantialisation de l’État ; de l’autre sa dissolution ; d’un côté le volontarisme nationaliste, de l’autre la déconstruction néolibérale ; d’un côté la règle, de l’autre la dérégulation ; d’un côté la chimère nationaliste, de l’autre l’utopie mondialiste… Nous avons le choix entre nous pétrifier ou nous dissoudre. Ces deux fronts, ces deux machines sont face à face ; elles se regardent en chiens de faïence. Dualisme funèbre dans lequel se consume l’échec du politique.

Le boomerang de l’insouveraineté de l’Etat

Chaque camp a son pathos. Si vous faites un pas de côté par erreur ou par distraction, il vous faudra chanter à tue-tête l’hymne national et vous enrouler dans le drapeau national quand ce n’est pas le bonnet rouge et le Gwenn ha Du, le “kit” du Breton en colère, tant il est vrai que la régression comme la fuite en avant ne connaissent pas de limite. Vous vouliez défendre la nation, vous voilà patriote de canton…

Si vous penchez du côté des mondialistes, acceptez de vous dissoudre dans l’éther néolibéral, abandonnez toute singularité et plongez dans ce nouveau monde fort bien décrit dans les pubs de HSBC, la banque des comptes en Suisse et des aéroports, qui annonce rien de moins qu’un eldorado néolibéral dont « les investisseurs seront les explorateurs, où tous les marchés auront émergé, un monde merveilleux où les déchets seront source d’énergie, où même la plus petite entreprise sera multinationale… ». À l’instar des affiches géantes du patronat US en pleine crise des années trente qui vantaient la supériorité du mode de vie américain au-dessus des files d’attente des chômeurs…

À chaque camp son récit. D’un côté le retour à la maison. De l’autre la conquête du monde. D’un côté l’Hexagone comme unique horizon, de l’autre l’horizon sans limite. D’un côté la ligne Maginot, de l’autre un monde imaginaire… D’un côté un récit de guerre régressif ; de l’autre une épopée naïve sans frontières.

C’est désormais ce double front qui structure le débat politique… D’un côté les sédentaires zemourriens (de Éric Zemmour), de l’autre les nomades attaliens (de Jacques Attali). Depuis la crise de 2008, les attaliens perdent du terrain, les zemourriens capitalisent sur la crise, la peur du lendemain rameute les foules orphelines… Entre les « zemmouriens » favorables à un retour négocié à la maison avec armes et bagages, frontières et ancien franc, et les « attaliens » qui plaident pour un « élargissement » (des nations, de l’Europe, du monde même), il n’y a pas de compromis possible. Les uns sont tournés vers un passé illusoire, les autres louchent vers un avenir sans visage. Les uns et les autres s’accusent de tous les maux. C’est « l’anti-France ! » s’insurge les uns, allergiques à la diversité, extracteurs de quintessence nationale, en mal d’identité. « Ce n’est pas la France ! » s’indignent les autres antiracistes sincères, haltérophiles endurcis… Bref, une France fantasmée contre une France idéalisée. Deux mythologies, deux croyances : la source et le creuset, l’identité et l’altérité, la France des villages et des clochers contre l’Europe des marchés…

La seconde devait présider aux commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale comme une victoire sur les nationalismes, mais la première s’est invitée sous les traits de la petite Angevine de onze ans et de sa funeste banane comme un retour du refoulé colonial qui est venu contaminer le récit de la Grande Guerre.

Les insultes racistes dont est victime Christiane Taubira sont le symptôme d’une fusion dangereuse de trois séries de phénomènes hétérogènes que la droite décomplexée (et son double, l’extrême droite complexée) ont réussi à ré-assembler dans une splendide illusion : l’impensé colonial de la France, la politique néolibérale répressive à l’égard des étrangers, et l’insouveraineté de l’État.

Le 11-Novembre, sur les Champs-ElyséesLe 11-Novembre, sur les Champs-Elysées © (Elysée)

Depuis les manifestations contre la loi sur le mariage pour tous jusqu’à la jacquerie des bonnets rouges en Bretagne et les manifestations à venir contre la TVA ; des sifflets lors des cérémonies du 11-Novembre aux insultes racistes contre Christiane Taubira et aux coups de feu tirés contre Libération qui ont fait un blessé grave, c’est la même crise qui s’approfondit sous nos yeux ; non plus seulement l‘impopularité de tel ou tel homme politique, le discrédit de tel ou tel gouvernement, mais une crise de la souveraineté de l’État.

L’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral avaient contribué à brouiller durablement la répartition des pouvoirs entre les deux têtes de l’exécutif et exposé la fonction présidentielle à une télé présence de tous les instants, hyperprésence plutôt qu’hyperprésidence, qui a eu pour effet de banaliser la figure présidentielle et de décrédibiliser la parole publique sous le quinquennat précédent. Les mensonges d’un ministre du budget, responsable de la politique fiscale et garant de la justice des efforts demandés aux contribuables, ont achevé de décrédibiliser la parole publique. Comment éviter que le pouvoir de lever l’impôt, une des fonctions régaliennes de l’État, ne soit contesté après une telle faute.

Les manifestations qui se multiplient contre l’écotaxe et une nouvelle hausse de la TVA dépassent ainsi la simple défense d’intérêts catégoriels pour acquérir la signification d’une rupture du principe du consentement à l’impôt qui est la base de la souveraineté de l’État. Affaibli de l’intérieur par les affaires et la perte de crédit de la parole publique, l’État endetté est soumis de surcroît à la tutelle des marchés sur lesquels il emprunte et des agences de notation qui évaluent sa  crédibilité financière. La nouvelle dégradation de la note française par Standard & Poor’s n’a fait que confirmer ce discrédit.

En abandonnant le pouvoir de battre monnaie et le contrôle de ses frontières, l’État n’a pas seulement concédé des abandons de souveraineté, il a asséché le terrain symbolique sur lequel s’édifie sa crédibilité. La souveraineté fuit de partout : par le haut, au bénéfice de la Commission européenne et des marchés ; par le bas, au bénéfice des régions, qui aujourd’hui se soulèvent contre l’État comme la Bretagne qui fut le terrain d’élection des socialistes et le terreau de la hollandie. Effet boomerang de l’insouveraineté…

Une idéologie, la xénophobie néolibérale

Comment s’étonner alors que l’autorité de l’État n’apparaisse plus que comme une fiction trompeuse qu’on s’efforce de crédibiliser à coups de menton sécuritaires et de politique répressive à l’égard des Roms, des exclus et des étrangers. C’est ce qui donne à la politique néolibérale son caractère nécessairement répressif. Non pas pour protéger une population apeurée, menacée par les vagues migratoires et l’explosion de l’insécurité, mais pour faire acte d’autorité et recharger un crédit qui se dissipe de tous côtés.

Des lycéens défilent à Paris le 17 octobre, contre l'expulsion d'élèves étrangers.Des lycéens défilent à Paris le 17 octobre, contre l’expulsion d’élèves étrangers. © Reuters

D’où ce visage de Janus des politiques ultralibérales, hostiles à toute régulation en matière économique et financière et animées d’une véritable passion de la réglementation quand il s’agit de la sécurité et de l’immigration. C’est qu’il s’agit moins de flatter l’instinct répressif des foules que de redessiner le champ d’un affrontement fictif en opposant une majorité silencieuse, dont les souffrances demeurent dans l’ombre, à des minorités assistés et hypervisibles qu’elles soient roms, étrangères, noires de peau.

Il ne faut pas chercher ailleurs l’inspiration de tous les discours de Grenoble, de Dakar et d’ailleurs, et leurs effets de légitimation du racisme et de la xénophobie ; il ne s’agit pas d’une dérive populiste mais d’une idéologie, que cette xénophobie néolibérale, un prisme déformant permettant de reconfigurer la société, en traçant une « frontière » entre les honnêtes contributeurs et les profiteurs du modèle social français, entre les insiders voués à s’intégrer et les outsiders qui n’ont vocation qu’à s’en aller. Cette construction fictive d’un ennemi (intérieur ou axe du mal) est la “masse de manœuvre” que l’État insouverain se donne pour manifester son pouvoir de police, dernier refuge régalien, dernier reflet de sa souveraineté perdue. C’est l’intrigue néolibérale qui nous maintient en haleine depuis trente ans.

Il y a donc une spirale périlleuse de l’insouveraineté où s’entraînent et s’enchaînent le refoulé raciste de l’histoire coloniale, la xénophobie néolibérale et l’impuissance politique à proposer des récits alternatifs. C’est là que ce qu’il faut bien appeler « l’affaire » Taubira prend tout son sens : pour paraphraser Lautréamont, elle réalise la rencontre fortuite de l’impensé colonial et du néolibéralisme sur la table de dissection de l’État impuissant.

La boîte noire :Christian Salmon, chercheur au CNRS, auteur, notamment, de Storytelling – La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits (2007, La Découverte), collabore de façon à la fois régulière et irrégulière, au fil de l’actualité politique nationale et internationale, avec Mediapart.

Début mai, il a publié chez Fayard La Cérémonie cannibale, essai consacré à la dévoration du politique. On peut lire également les billets du blog de Christian Salmon ici sur Mediapart.

Ses précédents articles peuvent être lus en cliquant ici

URL source: http://www.mediapart.fr/journal/france/241113/l-affaire-taubira-ou-la-rencontre-de-l-impense-colonial-et-du-neoliberalisme

« Marchons contre le racisme » le 30 novembre 2013 dans toute l’Aquitaine..

logo LDH

« MARCHONS CONTRE LE RACISME »

Le 30 novembre 2013 à Paris, en France et dans les Dom-Com

 

Un climat nauséabond s’installe dans notre pays. La garde des Sceaux, ministre de la Justice, Christiane Taubira, a subi ces dernières semaines des attaques racistes venues de temps obscurs que l’on croyait révolus. Les déclarations racistes d’une candidate du Front national, les invectives d’enfants, téléguidés par leurs parents, traitant la ministre de la Justice de « guenon », sont une souillure pour la République.

Ces propos attaquent frontalement des millions d’êtres humains originaires d’Afrique, des Caraïbes, des Amériques, de l’Océan indien, citoyens français ou non, et dont les aïeux ont été jadis martyrisés du fait de leur couleur de peau. Ils constituent une atteinte violente contre toutes et tous, car ils visent au cœur le pacte républicain.

Nous condamnons solennellement cette dérive raciste, de même que les actes et propos qui en ont permis la maturation. Nous n’admettons pas que des millions de personnes soient déniées dans leur humanité et leur citoyenneté, que ce soit en raison de leurs origines, de leur situation sociale, de leur culture, de leur religion… Nous ne supportons pas que des boucs émissaires soient désignés comme les responsables de nos maux et comme des menaces sur notre avenir.

Alors que la France doit affronter les énormes défis liés à la dégradation économique, au chômage et aux inégalités, face à ceux et à celles qui veulent aviver les souffrances sociales, les peurs et les colères, nous nous dressons pour affirmer avec force : la République n’a d’avenir qu’égale, solidaire et fraternelle.

C’est pourquoi nous appelons toutes celles et ceux qui ont à cœur les valeurs de l’humanité, toutes celles et ceux qui veulent opposer l’égalité et la fraternité aux visages hideux du racisme, à participer à une marche le samedi 30 novembre 2013 dans toute l’Aquitaine.

Comité régional Aquitaine

06 41 89 41 22

ldh-aquit-dr@orange.fr

 

 

Collectifdom – CM 98

Ligue des droits de l’Homme – Licra  – Mrap – SOS Racisme

CFDT – CFTC – CGT – FSU  – UNSA – Union syndicale SolidairesUEJF (Union des étudiants Juifs de France) – FIDL – UNEF – UNL – UFAT (Union Française des associations Tziganes) – R=(Respect) – EGAM – FNASAT – Banlieues du Monde – France Terre d’asile – Ni Pute Ni soumise – Collectif des écrivains nègres – Association ultramarine de France – Les amis du PPM en France – Haut Conseil des Maliens de France  – Association pour la Promotion de la Langue et de la culture Soninké (APS) – Association culturelle de musulmans de Drancy – Conseil de Coordination des organisations arméniennes – La Maison des potes – Mémorial 98 – Le Syndicat des Avocats de France (SAF) – Le Syndicat de la Magistrature – Les Marianne de la diversité – RESF – Fédération des Mutuelles de France – Mouvement pour la paix  – Fondation Copernic – SNES – FCPE – CIMADE – SNEP – SNUEP – DAL (Droit au logement) – Ligue de l’enseignement

 

 

 

Patrick Chamoiseau : « Les racistes n’ont plus de refuge »

http://wp.me/p21cdX-1ol

Taubira chamoiseau

 

Racisme : «C’est la France qui est visée»

TRIBUNE

Nous accusons la communauté extrémiste de porter atteinte à la France.

Quand une minorité se permet de couvrir un membre du gouvernement d’injures racistes, quand la mémoire de ceux qui ont combattu pour notre liberté est salie, quand un journal prête sa une à l’immonde, c’est la France qui est visée. La réponse est-elle à la mesure de l’affront fait à la nation tout entière ? Quand un tel tort est porté à la garde des Sceaux, c’est non seulement sa personne, mais aussi le peuple français qu’elle représente qui est injurié. Attaquer ainsi la ministre de la Justice, c’est porter deux fois atteinte au fondement même de notre République en méprisant la loi qui punit le racisme comme un délit, ainsi que la justice elle-même, qu’incarne pour nous tous Christiane Taubira. Insulter la garde des Sceaux, c’est rompre avec le pacte républicain et le réduire aux dimensions d’un extrémisme réactionnaire, imbécile et aveugle. Allons-nous laisser une minorité injurier impunément la France tout entière ?

Dans le silence actuel et dans la timidité des réponses à l’affront national qui nous est causé là, on ne peut nier qu’on devine une gêne profonde autrement inquiétante. Les Français attendent de nous, républicains engagés à gauche, de venir à bout des faux problèmes qui ont monopolisé le débat politique pendant les années Sarkozy.

Or, la responsabilité intellectuelle et politique revient à tous ceux qui se font les promoteurs d’une prétendue identité française malheureuse et en déclin. On évoque souvent, comme premier jalon de ce déclinisme, le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy. Mais qui a dénoncé son caractère anticonstitutionnel ? Pourtant, en soutenant que «la nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d’origine étrangère», l’ancien président de la République s’était affranchi de la Constitution qui dispose qu’en France il n’y a pas des Français et d’autre part des «personnes d’origine étrangère» ayant la nationalité française, il n’y a que des citoyens, sans origine, ni race ni religion.

Au-delà des bancs des hémicycles parlementaires et de la solidarité gouvernementale, la parole semble tétanisée autour des bananes brandies contre la garde des Sceaux. En assumant silencieusement la propagande de l’extrême droite, reprise subrepticement et à des fins électoralistes par une partie de la droite, c’est le pacte républicain qui est compromis. Valider les problèmes de l’extrême droite, c’est la légitimer, sans qu’elle ait besoin de se dédiaboliser.

Le fait est aussi que Christiane Taubira a endossé la fonction de garde des Sceaux avec une hauteur de vue qu’on avait presque oubliée, tant la pensée politique s’est perdue depuis trop longtemps dans la paresse des slogans et dans l’affolement des scoops. Cette exigence politique et morale qui est la sienne, et qu’elle suit depuis le début de son exercice, est devenue la cible de ceux qui s’appuient sur la paresse et la malhonnêteté intellectuelles pour prospérer. Sous les attaques racistes adressées à Christiane Taubira, on devine aussi cette haine populiste de la pensée et de la culture.

Les citoyens sont conscients – et parfois pâtissent – d’une mondialisation mal régulée et mal assimilée. Les avancées de la technologie, le rapport à la culture, notre conception de la laïcité façonnent l’identité d’un peuple, mais ne peuvent pas conduire à banaliser les racismes. L’heure est à l’élargissement des imaginaires politiques, des différences qui alimentent notre identité, pour qu’ils soient en mesure d’influer sur le cours du monde au lieu de le laisser aux serres des rapaces. La politique ne pourra insuffler un autre ordre au monde qu’en se situant à son échelle.

Il nous faut manifestement encore des efforts si nous voulons, non pas seulement nous dire républicains, mais l’être pour de bon, avec une identité assumée et sans racismes populistes et de complaisance ou mondains. Il n’y a plus de temps à perdre si nous ne voulons pas laisser repeindre notre drapeau bleu blanc rouge par une minorité extrémiste qui rêve d’enfermer la nation à l’intérieur des frontières étroites de son communautarisme illusoire et nostalgique d’un pays qui n’a jamais existé. Les racines de la France, unies dans leur diversité vivante, ne sont pas cette chose morte que moquait déjà Molière dans l’Ecole des femmes : une souche.

Christophe GIRARD maire du IVe arrondissement de Paris et Guillaume PIGEARD DE GURBERT professeur de philosophie

Alain Mabanckou: «L’arme contre le crétinisme raciste, c’est la création»

Mediapart.fr

19 novembre 2013 | Par Jean-Christophe Riguidel

L’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou s’insurge contre la glorification du raciste, celui que nous « fabriquons nous-mêmes en le laissant parader dans les allées de la courtoisie et de la tolérance, sous couvert d’une certaine liberté d’expression ».

L’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou, romancier et poète, est professeur de littérature francophone à Los Angeles (sa biographie à lire ici). Mediapart avait rendu compte de son dernier livre paru, Lumières de Pointe-Noire (Seuil) (à lire ici et notre vidéo sous l’onglet Prolonger de cet article). Dans cet entretien, il s’insurge contre la glorification du raciste, celui que nous « fabriquons nous-mêmes en le laissant parader dans les allées de la courtoisie et de la tolérance, sous couvert d’une certaine liberté d’expression ».

Mediapart.- En France, les attaques contre la ministre de la justice, Christiane Taubira, n’en finissent pas. Après le jet de bananes à Angers, les comparaisons avec un singe, une élue UMP a cru bon de diffuser un photomontage autour du thème de Y a bon Banania. Assiste-t-on à une recrudescence du racisme ? Comment l’expliquer ?

Alain Mabanckou.- J’ai le sentiment que nous sommes entrés dans une ère où le raciste devient aux yeux de certains un résistant, un courageux. Nous le fabriquons nous-mêmes en le laissant parader dans les allées de la courtoisie et de la tolérance sous couvert d’une certaine liberté d’expression. Le racisme a toujours existé en France – sans pour autant qu’on opère un amalgame –, mais il trouve aujourd’hui un terrain fertile pour se propager et se terrer derrière les principes abstraits qui sont censés être le socle de la Nation française. Le racisme n’est jamais aussi apparent que lorsqu’il y a un manque d’autorité au sommet de l’État. Comment expliquer par exemple que des propos similaires à ceux auxquels vous faites allusion n’aient jamais été proférés durant le règne de Nicolas Sakorzy, lui qui avait pourtant parmi ses ministres Rama Yade ou encore Rachida Dati ? La situation actuelle, me semble-t-il, reflète l’image d’une politique de la mollesse en France. Il n’y a qu’à voir comment le gouvernement gère la question en véritable mante religieuse…

Alain Mabanckou.Alain Mabanckou. © (dr)

Êtes-vous vous-même victime de racisme ? Considérez-vous que vous devez, en tant qu’intellectuel, vous faire le porte-parole des Noirs victimes de racisme ?

Me positionner en porte-parole de Noirs victimes de racisme serait une escroquerie à laquelle je ne voudrais pas céder. Chaque fois que notre existence en tant qu’être humain est remise en cause, l’indignation devrait aller de soi, peu importe l’origine de la personne qui est rabaissée. Je ne suis pas du genre à taxer quiconque de raciste parce que nous avons une dispute et que nous n’avons pas la même couleur de peau. Je suis par ailleurs conscient qu’il existe aussi un « racisme » entre Noirs malgré l’aberration d’une telle affirmation. Regardez comment on traite certains Haïtiens dans les départements d’outre-mer ou encore la condition pitoyable des Noirs dans le Maghreb, des Noirs qui sont pourtant algériens, marocains, égyptiens ou tunisiens !

J’ai subi certes des injustices, mais je ne les ai jamais justifiées par la couleur de ma peau, sans doute pour mieux les combattre par la seule arme qui est en ma possession et qui, elle, dépasse le crétinisme du raciste : la création. Le raciste ne crée pas, il détruit. Reléguer le Noir au stade de primate me fait immédiatement penser au fait que la plupart des pages sombres de l’histoire (génocides, colonisation, guerres tribales, etc.) ont souvent été écrites avec un vocabulaire de « l’animalité » pour rabaisser l’Autre et imposer la suprématie d’une pensée prétendument civilisée et civilisatrice. Souvenons-nous que pendant le génocide rwandais les Tutsis étaient traités de cafards ou de cancrelats et étaient massacrés comme tels…

Comment expliquer que les réactions de la classe politique et des intellectuels soient aussi peu audibles ?

Il y a comme une crispation générale lorsque la « couleur » est au cœur du débat. L’imaginaire occidental est alors ballotté entre le sentiment de la repentance, tel que décrit par Pascal Bruckner dans son Sanglot de l’homme blanc, et la gêne que pourrait engendrer la déconstruction de l’inconscient colonial sur la place publique. La classe politique n’échappe pas à ce dilemme et se dédouane le plus souvent en pointant du doigt l’extrême droite ou l’aile de la droite qualifiée de « dure ».

Les réactions des politiques sont au fond tributaires des enjeux électoraux, et surtout de l’air du temps. Il est sidérant de voir par exemple comment le gouvernement actuel semble prendre son temps devant ce qui constitue pourtant une atteinte grave non pas à une couleur de peau mais à la reconnaissance même des principes fondamentaux pour lesquels cette Nation a versé son sang. Ce sont ces mêmes « singes » à qui on a fait jadis appel pour renforcer l’Empire français, pour résister contre les Allemands lorsque, occupée, la France devait installer sa capitale ailleurs, notamment à Brazzaville, la capitale de mon pays d’origine…

Quant aux intellectuels, on leur accorde plus de pouvoir qu’ils n’en ont dans une société où la pensée devient spectacle et l’action une denrée plus que rare.

Quel doit être le rôle des écrivains noirs ? Doivent-ils rentrer dans ce débat ?

L’écrivain noir – cette expression m’agace souvent – serait-il le seul à porter le fardeau de la lutte contre le racisme ? L’indignation n’a pas de couleur, et il serait presque aussi raciste de laisser la réponse à une attaque contre les Noirs aux seuls écrivains noirs, tout simplement parce qu’ils seraient noirs, et donc accessoirement écrivains ! Le contexte actuel nous ramène loin derrière, comme si nous nous étions trompés de siècle : ce qui se passe de nos jours en France est, dans une certaine mesure, un anéantissement du combat que les écrivains de la négritude, et bien avant eux, les intellectuels africains américains, avaient mené avec détermination au péril de leur vie. L’atmosphère nauséeuse de ces jours-ci m’a fait penser aux vers du Cahier d’un retour au pays natal de Césaire, et leur retentissement est plus que d’actualité :

et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force
et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu’a fixée notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite

Dans votre livre Le Sanglot de l’homme noir, vous évoquez une tendance de l’homme noir à revenir sur ses malheurs et à en faire l’objet de son identité ?

Ce livre a été mal compris – surtout par ceux qui ne l’ont pas lu, si je puis me permettre ce non-sens. Je n’ai jamais demandé aux Africains de faire table rase de leur passé, encore moins de tourner le dos au continent noir, comme certains sophistes ont essayé de le faire croire par des syllogismes tout aussi ignobles qu’abominables. Ce que je souligne dans Le Sanglot de l’homme noir, c’est ce « sanglot » que poussent ceux qui baissent les bras et expliquent leur infortune actuelle sous le prisme des tragédies que nos ancêtres ont subies dans le passé. En gros, disent certains, si nous ne réussissons pas c’est parce que nous sommes noirs, c’est parce que nos ancêtres ont subi l’esclavage et que nos pays ont été colonisés. On ne peut fonder une identité sur des lamentations, encore moins sur la couleur de peau. Le vécu, l’expérience, les échanges sont aussi des ingrédients qui nous forgent. Peu importe le lieu de ces échanges et la couleur de peau des gens avec qui ces rencontres se font.

Est-ce ce sentiment qui conduit autant d’Africains à désespérer du futur de leur continent ?

Le désespoir des Africains est lié à l’état actuel du continent : des monarques qui ont verrouillé le pouvoir et qui utilisent les richesses des nations comme si elles leur appartenaient, poussant du coup les populations à vivre dans des conditions d’indigence criarde. Lorsque les grandes puissances légitiment ces gouvernements, quoi d’étonnant à ce que les Africains désespèrent ? Qui sont les faiseurs des rois en Afrique ? Les anciennes puissances coloniales ! C’est pour cela qu’il est urgent de s’occuper de cela ici et maintenant et non de faire l’inventaire de nos malheurs…

L’homme noir a-t-il intériorisé l’idée d’une certaine malédiction ?

Je ne généraliserais pas un tel constat, mais il reste que nous devons combattre chaque préjugé avec virulence car il y aura toujours des pessimistes prompts à croire en la malédiction de l’homme noir. Frantz Fanon en parle avec justesse dans Peau noire, masques blancs, de même que James Baldwin dans La prochaine fois, le feu. Et ces deux auteurs sont, à mon avis, ceux qui ont le plus théorisé et décortiqué ce que certains appellent « la pensée noire » dans sa dimension la plus réactionnaire. Baldwin demande de refuser d’être défini par l’autre ; Fanon fustige le rêve de certains Noirs qui pensent que leur destin ne s’accomplirait qu’en devenant des Blancs, le summum de la réussite…

Considérez-vous que l’Europe a beaucoup contribué à la propagation des préjugés sur l’homme noir ?

L’histoire montre que c’est le Blanc qui a « inventé » le Noir et, en retour, le Noir a inventé le Blanc. Depuis l’époque dite de la « malédiction Cham », beaucoup ont continué à percevoir le Noir comme celui qui subit encore le châtiment biblique d’une descendance dont l’ancêtre aurait été maudit parce qu’ayant vu la nudité de son père ivre. Par ailleurs, les grands esprits européens n’ont-ils pas élaboré des théories sur l’infériorité du Noir, sur sa prétendue barbarie et sa sauvagerie atavique ? Ce sont ces théories prétendument « scientifiques » qui ont contribué à réduire le Noir au stade de l’infériorité, voire de sous-homme dont le salut ne passerait que par l’adhésion à la civilisation occidentale. Et même en cas d’adhésion, le Noir ne serait jamais à la hauteur du Blanc, la messe ayant été dite…

Faut-il réinventer un « existentialisme noir » pour ne pas être défini par l’homme blanc ?

L’existentialisme noir que je développe dans Le Sanglot de l’homme noir consiste à refuser d’être défini par les autres. Les termes avec lesquels l’Occident a défini le Noir sont chargés d’une signification dangereuse. Même lorsqu’ils sont apparemment respectueux, « politiquement corrects », leur sens profond relève d’une « pureté dangereuse ». L’existentialisme noir recommande à l’homme noir d’être celui qu’il voudrait être, d’accomplir cette volonté dans ses actes de la vie quotidienne et de ne pas larmoyer sur les vestiges du passé pendant que son présent se détériore sous ses yeux.

Craignez-vous une montée de la xénophobie en Europe, notamment en France ?

Je ne découvre pas la xénophobie en Europe. Dans mon pays d’origine, le Congo-Brazzaville, on a souvent houspillé les « Zaïrois », les Congolais d’en face, en les traitant de tous les noms d’oiseaux et en les accusant de manger le pain des pauvres Congolais. Il y eut d’ailleurs, à la fin des années 1970, une chasse aux « Zaïrois » pour les rapatrier chez eux ! Pensez aussi à l’attitude des Ivoiriens et leur théorie de « l’Ivoirité » qui n’est pas aussi éloignée du principe des « Français d’abord » que prône le Front national en France. Ils s’en sont pris aux Burkinabés et ont considéré certains de leurs propres compatriotes comme des étrangers tout simplement parce qu’ils n’étaient pas de la même ethnie. J’ai vécu plus de quinze ans en Europe, et cela fait longtemps que celle-ci a désigné – directement ou indirectement – l’immigré comme l’ennemi numéro un, la cause de ses malheurs. Ce qui est aggravant en France, c’est cette reconnaissance d’une liberté, d’une égalité et d’une fraternité sur le papier mais qui, dans la pratique, demeure lettre morte.

Considérez-vous que les discours d’Éric Zemmour et de Robert Ménard contribuent à cette banalisation de la xénophobie ?

Aux Français d’apprécier si ce sont ces discours qui incarnent désormais la nouvelle pensée française…

Comment est perçue en Afrique cette montée de la xénophobie en Europe ?

Les Africains ont longtemps cru que la tolérance était du côté des communistes, des socialistes, de la gauche en général. Mais depuis les déclarations de Michel Rocard, qui soulignait que la France ne pouvait plus héberger seule « la misère du monde », et la connivence de certains hommes de gauche avec l’extrême droite, la donne a changé : le xénophobe n’est pas dans un seul camp, il est opportuniste et va donc dans le sens du vent…

Éric Zemmour a qualifié les victimes du drame de Lampedusa d’envahisseurs. Que vous inspire ce type de déclaration ?

On ne tire pas des conclusions sur les conséquences, il faut toujours remonter à la source, à la cause. Ce drame a frappé des Somaliens et des Érythréens qui tentaient de gagner l’Europe en passant par cette île. Il nous faudra un jour nous interroger sur ce rêve éternel de l’Europe nourri par les Africains dans un monde où, à leurs yeux, le Nord symbolise encore le Pérou.

En tant qu’écrivain issu du continent et reconnu bien au-delà, pensez-vous que vous pouvez aider les Africains à changer de regard sur l’Europe et à arrêter de la considérer comme un eldorado ?

La condition de beaucoup d’Africains dans leur pays est si âpre que mettre en jeu leur existence devient parfois la seule solution. Partant de là, toute mise en garde devient un coup d’épée dans l’eau. C’est le sujet de mon premier roman Bleu Blanc Rouge, paru en 1998. J’ai le sentiment que la question n’a pas évolué. Beaucoup d’Africains qui vivent en Europe font en sorte de donner une image paradisiaque du Nord malgré leur condition de vie délicate. En cela nous devons aussi reconnaître notre propre responsabilité sans pour autant sous-estimer la détermination du migrant clandestin qui est persuadé qu’une galère en Europe serait forcément « meilleure » que celle qu’il vit dans son pays d’origine.

Vous vivez une partie de l’année en Californie où vous enseignez. Avez-vous le sentiment que les États-Unis ont un « rapport plus apaisé » à l’immigration, qu’ils se rendent davantage compte des apports des immigrés ?

Nous parlons d’un pays qui est un territoire de peuplement : les gens sont venus d’ailleurs pour s’y installer, pour créer l’Amérique que nous connaissons aujourd’hui. Cela n’a pas été sans heurts avec cette superposition « d’ethnies », pour reprendre une formule qui est souvent utilisée là-bas. L’immigration, lorsqu’elle est légale, est en soi une manière de renforcer la nation en ramenant chez soi ceux qui vont maintenir l’Amérique au rang de première puissance. Pourtant, même aux États-Unis, la question de l’immigration est devenue, elle aussi, un véritable enjeu électoral depuis quelques années. Dans les deux sens : soit on promet de régulariser les illégaux afin de racoler l’électorat hispanique, soit on renchérit comme certains républicains de la ligne dure dans la surveillance des frontières au point d’envisager même la construction de murs ! En somme, l’immigration est un levier dont se sert l’Amérique, mais aussi un instrument électoral qui n’est pas à l’abri des turbulences que connaît l’Europe actuellement.

Avez-vous été victime de racisme en France ou aux États-Unis ? Ou êtes-vous protégé par votre statut social, comme le suggère l’un des Africains de Paris à qui vous donnez la parole dans Le Sanglot de l’homme noir ?

Le racisme peut revêtir des formes plus subtiles lorsque vous avez un statut social « protégé », comme vous dites. L’acteur Denzel Washington et le Noir qui entretient un immeuble de centre-ville de Los Angeles ne subiront pas la même forme de racisme.

URL source: http://www.mediapart.fr/journal/france/191113/alain-mabanckou-larme-contre-le-cretinisme-raciste-cest-la-creation

Ma visite à Georges Ibrahim Abdallah en prison

Blog Médiapart

19 novembre 2013 |  Par Solange HANNA

 

Avec Georges, au parloir de la prison de Lannemezan.

 

Par Gilbert Hanna*

Récit de  ma première Visite à Georges Ibrahim Abdallah.

«On ne peut regarder un homme sans voir l’humanité entière. L’injustice dont est accablé un seul ne peut que frapper les autres»

Calum  McCann «Transatlantic»

 Le matin du Jeudi 17 Octobre 2013**, à 06 h du matin, direction Lannemezan. «Ting tang tung. France inter «Attention dans la vallée de la Garonne un brouillard épais». Un brouillard, Brr, qui lisse les choses, efface les contours mais donne le spleen pour la visite d’un prisonnier. Et quel prisonnier !

 Ah ! la belle autoroute A65, la plus chère de France, que le «privé» veut encore rentabiliser au nom de la sécurité, qui me pousse dans ce brouillard, qui enfume les esprits en même temps que le monde qui nous entoure. Direction  les grottes de Médous ; comme une prémonition me traverse l’esprit, les grottes de Médous….le fond du trou. Pensée trouble qui me vient à l’esprit en allant rendre visite à un homme «libre» en prison.

 Comment notre conscience collective peut-elle laisser un homme dans l’enfermement total, derrière un mur gris qui absorbe les saisons et lisse l’espace?

 Les préoccupations du moment ne sont pas seules en cause, c’est aussi la perte des valeurs  de ceux qui nous gouvernent qui ont, dans le brouillard, trempé et trompé la démocratie bourgeoise. Trempées aussi les solidarités humanistes dans les intérêts égoïstes des rapports internationaux. Pourquoi, diantre, le Président de la République, un socialiste qu’il dit,  n’a-t-il pas saisi la force des jugements pour ordonner sa libération?  Ah soumission quand tu nous tiens!

 Le soleil perce et inonde ma tête. La lourde porte s’ouvre pour m’enfoncer dans la lumière artificielle d’un parloir. Après un « Abrazo » long et chaleureux comme pour rattraper une longue attente…. Une pièce exiguë sert de parloir qui nous oblige à un Tango ( un pas en avant, deux pas en arrière) pour nous installer l’un en face de l’autre.  Désignant l’endroit, Georges, sans doute l’expression dérivée d’une amère dérision, s’exclame: «C’est un énorme acquis des luttes des prisonniers». 

 Notre première conversation tourne autour des luttes à l’intérieur de la prison et   s’oriente vers une analyse des plus précises sur l’évolution de l’univers carcéral en France tant en ce qui concerne les conditions de détention que les bâtiments et les détenus.

 J’ai trouvé entre ces murs uniformes, un homme libre, lumineux de sagesse  de tolérance mais ferme dans ces idées. J’ai discuté avec un révolutionnaire au fait de l’actualité des révolutions et contre révolutions. Il me cite Gramsci: « »L’ancien monde est en train de mourir, un nouveau monde est en train de naître, mais dans cette période intermédiaire, des monstres peuvent apparaître. »

 Pendant ce temps les deux «Boursouflés» de la République se «disputent», l’un pour le-tout prison, et l’autre  pour punir sans enfermer.

 Le brouillard m’envahit à nouveau. Un homme vit et lutte encore.

 On y est !!! Les réactionnaires ont privé pendant trente ans (30) les combattants arabes et palestiniens d’un atout majeur dans la lutte contre les obscurantistes américains et religieux.  

 A l’instar du dirigeant palestinien Marwane Barghouti pris dans les rets des Israéliens, l’Occident a privé les arabes progressistes d’un révolutionnaire d’une grande intelligence. Il en récoltera le prix en termes de djihadisme erratique généré par son meilleur allié, la dynastie wahhabite.

 Il a 62 ans, et «ils» tremblent, encore, de le voir sortir ! Combien de militants révolutionnaires, les régimes alliés de l’occident ont-ils éliminés pour asseoir sur notre route l’obscurantisme d’un épais brouillard?

  Depuis trente ans, il est derrière un mur gris des geôles françaises de Lannemezan.

 Quarante ans ont passé depuis l’étincelle déclencheuse de cette prise de conscience militante. Depuis lors, Ariel Sharon, le maître d’œuvre du siège de Beyrouth et des massacres des camps palestiniens de Sabra Chatila (1982) est depuis belle lurette  un légume encombrant , même pour les partisans du «Grand Israël» ; son successeur , Ehud Olmert, carbonisé par la relève militante des Palestiniens, le Hezbollah libanais, artisan de deux défaites psychologiques et militaires  de la puissance majeure du Moyen orient, et le djihadisme erratique des paumés de l’islam alimentés par les pétromonarchies se substituait au militantisme pro palestinien..

 En contrechamps, Georges Ibrahim Abdallah, la force de l’exemple et de la détermination, est désormais titulaire d’un doctorat en sociologie de La Sorbonne, polyglotte, maîtrisant parfaitement l’arabe, la langue du Liban et de la Palestine, l’âme de son combat, son territoire d’exil et son ressort énergétique, mais aussi le français, la langue de ses geôliers, l’espagnol, la langue d’Emiliano Zapata, de Che Guevara et de Salvador Allende, l’italien pour, grâce à  la beauté de cette langue, entonner «Bella Ciao» et bientôt le turc.

 Et la France…… ???  La France comme de juste réduite au rôle de sous-traitante carcérale du condominium israélo-américain impose à son personnel politique, la reddition, dans la pure tradition des républiques bananières.

   *Gilbert Hanna, Syndicaliste à SUD Solidaires 33, Président de la Radio la clé des ondes 90.10, animateur de deux émissions : tous les lundis , membre de Palestine 33 et du collectif 33 pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah à Bordeaux.

Contact au 06 78 59 23 50

 ** (52 ans jour pour jour du 17 Octobre 1961 massacre des Algériens à Paris.

De quoi, Madame Taubira est-elle la noblesse ?

Blog Médiapart

http://blogs.mediapart.fr/blog/marielle-billy/151113/de-quoi-madame-taubira-est-elle-la-noblesse

Les derniers attentats racistes contre Christiane Taubira n’ont pas seulement agi un discours d’exclusion et de dégradation, expression d’une « pensée mortifère et meurtrière » , il sont aussi le signe d’un état des choses encore plus grave.

Christine Taubira le sait, elle qui s’est gardée de se présenter comme la cible individuelle des lignes immondes de Minute, en ne portant pas plainte elle même ; elle sait que ce n’est pas elle qui est visée (en dépit  des apparences), mais qu’à travers elle, bien plus largement, ce sont « tous ceux qui lui [me] ressemblent« , « la famille humaine » qui sont violentés.

Elle a déclaré dans Libération de mercredi :  » Ces attaques racistes sont une attaque au cœur de la République. C’est la cohésion sociale qui est mise à bas, l’histoire d’une nation qui est mise en cause. […]  Des millions de personnes sont mises en cause quand on me traite de guenon. Des millions de gamines savent qu’on peut les traiter de guenons dans les cours de récréation! »

Comment expliquer qu’il ait fallu tout ce temps, depuis les premières attaques contre Chritiane Taubira, pour voir se réveiller une profonde protestation ? que comprendre derrière cette mollesse ? comment rendre compte de ce qui ressemble à une forme d’usure de la pensée et de la politique ?

Beaucoup de « crans » ont sauté depuis des années : on pense bien sûr aux agitations identitaires du gouvernement Sarkozy – rappelons ici que son conseiller P. Buisson a été journaliste à Minute et au Crapouillot – pensons à la médiatisation de plus en plus forte d’un discours xénophobe et essentialiste, porté au sein même du gouvernement de notre pays (N. Sarkozy, B. Hortefeux, puis M. Valls) puis relayé par divers « intellectuels ».

Si ces « crans » ont pu sauter si facilement dans notre pays, c’est que le terrain était propice, suffisamment défait, destructuré, et c’est là que j’en viens à ce qui me semble miner le terrain depuis des années et des années : je signifie ici l’usure inquiétante du niveau symbolique dans notre pays.

Qu’est-ce que j’entends par là ? Est symbolique un signe qui ne se désigne pas lui même, mais ne vaut que par sa polysémie : le symbole prend en charge toute une épaisseur de sens, il est aux antipodes du sens unique, du mot réduit et aplati  à sa plus simple expression. Voici pour éclairer mon propos les caractéristiques de tout symbole d’après Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, dans leur Dictionnaire des symboles (je surligne les éléments qui sont en lien direct avec mon développement) :

  1. Obscurité : le symbole dépasse l’entendement intellectuel et l’intérêt esthétique. Il est « un terme apparemment saisissable dont l’insaisissable est l’autre terme » (Pierre Emmanuel).
  2. Stimulation : le symbole suscite une certaine vie. Il fait vibrer.
  3. Verticalité : le symbole établit des rapports extra-rationnels, imaginatifs, entre faits, objets, signes.
  4. Hauteur : le symbole relève de l’infini, il révèle l’homme.
  5. Pluridimensionnalité : chaque symbole condense plusieurs faces, formes, sens, interprétations. Un personnage de Amadou Hampaté Bâ s’écrie : « Ô mon frère, apprends que chaque symbole a un, deux, plusieurs sens ». À la différence du code, univoque, le symbole est polysémique, intelligible selon le système de représentations dans lequel il s’inscrit.
  6. Constance. Le rapport entre le symbolisant et le symbolisé demeure. Par exemple une coupe renversée symbolise toujours le ciel, quelque forme qu’elle prenne, coupole, tente.
  7. Relativité. Malgré cette constance, les symboles varient, ils modifient leurs relations avec les autres termes, ils revêtent une grande diversité iconographique ou littéraire, ils sont perçus différemment selon qu’on est éveillé ou endormi, créateur ou interprète.

Or, le siège fondamental (mais pas unique) de la production symbolique est le langage ; que constate-t-on depuis longtemps ?  La langue politique s’affaisse, en écho avec un certain usage contemporain de la langue. Par quel processus ?

Quelques exemples pris dans la langue politique, mais largement relayés ailleurs :

Le discours mensonger : Il est établi que le propos énoncé (discours électoral, par exemple) est désormais totalement délié des actes (programme) qui seront posés ensuite ; songeons aussi aux déclarations d’un certain Cahuzac (les yeux dans les yeux) —> non seulement il y a mensonge, mais mensonge comme fonctionnement ordinaire.

Le discours vide, manquant : La politique a perdu la main sur l’économique – ce n’est jamais dit dans les paroles de ceux qui sont aux responsabilités – La situation économique est très difficile, pleine de risques ; pour tenter de faire face à cette guerre, chacun sent bien que ce sera très difficile – demain on ne rasera pas gratis, il faudra se retrousser les manches : pour tenter de gagner, il faut risquer de perdre – Ces paroles manquent, où que ce soit. Il en est de même au sujet de la contradiction entre les réalités écologiques et les « impératifs » économiques : abondance de discours, rareté de paroles politiques appelant à la réflexion collective.

Le discours répétitif : dans l’univers médiatique dominant, certains termes font florès, ils tournent seuls, sans que jamais l’on ne s’arrête pour s’étonner de leur sens, l’interroger – compétitivité, réforme structurelle, remboursement de la dette, croissance, PIB, etc …- Ces mots fonctionnent comme des allant-de-soi.

Le discours pauvre et grossier : songeons au « casse-toi … », mais aussi plus largement, à la grande vacuité de ce qui est dit, ajoutée au manque de « tenue » de ceux qui parlent en tribune. Ce n’est pas une affaire de courtoisie mais de respect qu’on porte au langage même, et à travers lui, aux hommes à qui l’on parle, à l’idée même que l’on se fait de l’être humain (repensons au point 4 cité plus haut !). Un exemple hors de la politique mais très ravageur : si un professeur se met à utiliser le même langage que ses élèves, un cran saute, et l’enseignant mine ainsi le terrain de son exercice (je songe à mon effroi lorsque j’ai vu le film Entre les murs, de L. Cantet, dont je rappelle qu’il a eu La Palme d’Or en 2008, signe fort !). On pourrait à ceci rajouter la pauvreté culturelle de nos hommes politiques… (ou bien : la culture comme affichage – c’était la fonction d’H. Guaino aurpès de N. Sarkozy -). La culture n’est plus vécue que comme « entertainment », produit de consommation qui signe une « disctinction ». La culture est aux antipodes de cette version consumériste : elle est ce qui infuse un pays, sa langue, son peuple, de nombreuses dimensions symboliques, elle est tout à la fois signe de reconnaissance, et puissance de projection créative.

Enfin, pensons aux effets de la forte tendance  « micro-trottoir » : surabondance de l’opinion diffusée partout, à tout instant…

Les discours agressifs : l’agressivité est très utile lorsqu’elle est signe de la vie qui se défend ; mais si elle s’attelle à la négativité, l’attaque, l’injure, dans une forme de jouissance, elle défait le langage, et dégrade tout à la fois l’émetteur, le langage et son destinataire. Cette agressivité abonde, y compris dans la bouche d’hommes politiques de tout bord. Faisons aussi le lien avec les débordements via le net : chacun s’autorise, les crans sautent un à un.

 

Tous ces éléments accompagnent le devenir néo-libéral du monde, son déchaînement financier, sa nécessaire hyper-consommation conjuguée avec la demande permanente du toujours plus vite, du toujours plus pratique : un des effets de ce processis est l’écrasement de la part symbolique de nous-mêmes. Mais gardons-nous de croire que le processus ne corrompt que « les autres » ; si nous ne sommes pas vigilants, ce processus envahit tout l’espace d’échange, défait la pensée.

Aujourd’hui Christiane Taubira nous pousse à ressaisir une part de notre noblesse massacrée : parce qu’elle est femme de conviction, de culture, femme qui porte haut la fonction du langage, la dimension symbolique de sa parole et de sa place, Christiane Taubira nous aide à nommer, à distinguer, à penser.

Se battre contre tout racisme aide à se relever.

Editorial de POLITIS

Par Denis Sieffert14 novembre 2013

L’heure du choix

Tous ont en commun de défier la loi et l’État, et de balayer les règles démocratiques de la contestation politique et sociale.

« Le fond de l’air est rouge », disait le cinéaste Chris Marker en 1977 dans une œuvre emblématique d’un temps encore imprégné d’illusions lyriques. Mais de quelle couleur est donc le « fond de l’air » aujourd’hui ? Bleu Marine ? Sombre ? Blafard ? Cet air-là, en tout cas, glace les os. La manifestation qui, lundi à Paris, est venue troubler les cérémonies commémoratives du 11-Novembre, au lendemain d’une extension des émeutes bretonnes, est révélatrice d’un climat détestable.

Il y avait là, principalement, des jeunes gens aux crânes rasés, venus invectiver le président de la République, mais aussi lancer des « À bas le Front national ! ». On connaissait les déçus du Parti socialiste qui se réfugient dans l’abstention. On connaît les déçus de la droite qui rejoignent l’extrême droite. Voici à présent les déçus du Front national, irrités sans doute par la trompeuse revendication de respectabilité du parti de Marine Le Pen. Mais ce qu’il faut surtout retenir de ce sinistre épisode, c’est que ces groupes s’enhardissent jusqu’à s’attaquer aux institutions et à tous les symboles du pays. De ces symboles, on peut évidemment penser ce qu’on veut, et n’avoir pas forcément le goût de les sacraliser, sans pour autant aimer voir des nazillons les couvrir de crachats. Mais il n’y avait pas qu’eux sur les Champs-Élysées. Parmi les manifestants, il y avait aussi des restes encore vivaces du « Printemps français », intégristes pas remis du vote en faveur du mariage homosexuel, et n’acceptant pas de plier devant la loi. Et il y avait des « bonnets rouges », à l’authenticité contestée par les dirigeants du mouvement breton, mais qui sont les « vrais » ? Tous ont en commun de défier la loi et l’État, et de balayer les règles démocratiques de la contestation politique et sociale. Les uns par idéologie ou par fanatisme, les autres de rage, pris dans une crise sociale sans issue. Ce sont évidemment les « bonnets rouges » qui nous intéressent le plus. Émeute ? Révolte ? Jacquerie ? On ne sait pas très bien quel nom donner à leurs manifestations. On hésite parce que se mêlent parmi eux des catégories aux intérêts souvent contradictoires : salariés de l’agroalimentaire embrigadés par leurs patrons, chômeurs, agriculteurs, gros ou petits, pêcheurs, éleveurs, chauffeurs routiers, salariés et patrons confondus, plus des régionalistes bretons, et des crânes rasés à l’affût de toutes les exaspérations. Cela donne, pour l’instant sur un petit périmètre, et sur nos écrans de télévision, des images d’insurrection. Images outrées sans doute, mais qui font leur effet.

On ne peut adhérer à ce mouvement, ni en approuver les aspects les plus violents. On ne peut non plus ignorer les manipulateurs, de droite et d’extrême droite, qui opèrent en son sein. Mais pas davantage on ne peut ignorer la vraie colère de la plupart des manifestants. Qu’importe que leurs revendications soient contradictoires, pour des subventions mais contre l’impôt, et qu’ils aient été, des décennies durant, les instruments ou les profiteurs d’un productivisme aveugle qui les piège aujourd’hui. Ils expriment avec violence quelque chose que ressentent encore en silence beaucoup de nos concitoyens : un double sentiment d’injustice et d’impuissance. L’histoire est riche de ces périodes de confusion. Et c’est souvent l’impôt, quand il est excessif et injuste, qui sert de déclencheur. Il suffit pour s’en convaincre de relire le récit des émeutes de l’été 1788. Même colère fiscale et même confusion de populations hétéroclites. À l’époque, il s’agissait déjà de combler à marche forcée le déficit de l’État. Décrivant la situation vingt ans plus tard, Chateaubriand notait que « l’on était emporté vers des régions politiques inconnues »  [1], La Fabrique (2012).]]. Nul ne peut dire aujourd’hui où cela peut mener. Deux acteurs politiques et sociaux ont la responsabilité de nous sortir de cette confusion. En premier lieu, bien sûr, François Hollande lui-même. Il faudrait que le président de la République prenne une grande décision politique. Nous évoquions la semaine dernière l’urgente nécessité d’une réforme fiscale, claire, progressive et juste. Hélas, il n’en prend pas le chemin, coincé entre les colères qui montent de toutes parts et les injonctions des agences de notation et de Bruxelles qui l’exhortent à aggraver sa politique d’austérité. Il s’apprête même à augmenter la TVA, le plus injuste des impôts.

Le deuxième grand acteur politique et social qui peut redonner du sens à cette situation si confuse, c’est l’autre gauche et ce sont les syndicats. L’appel du Front de gauche à manifester le 1er décembre pour une « révolution fiscale » répond sans aucun doute à cette attente. Même s’il est bien tard alors que la contestation a pris d’autres voies. Mais c’est tout de même au président de la République que reviendra le dernier mot. C’est à lui de choisir ses interlocuteurs. C’est à lui de dire ceux qu’il écoute et ceux qu’il refuse d’entendre. Lobbies interlopes ou syndicats. Violents ou non-violents. Pour lui, voici venue l’heure du choix.

Manuel Valls nourrit la bête immonde

|  Par Philippe Marlière

Blog : http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-marliere/240913/manuel-valls-nourrit-la-bete-immonde

Manuel Valls est un personnage politique dont les idées sont insignifiantes à gauche. En effet, ce qu’il dit ou promeut est incompatible avec les valeurs d’égalité, de solidarité, de fraternité et de tolérance que porte la gauche.

J’ai récemment ébauché une analyse de son sarkozysme décomplexé[1] et j’ai décrit son conformisme politique qui s’inscrit dans l’air du temps « austéritaire » des droites réactionnaires[2].

Le ministre de l’Intérieur a beau porter les couleurs du Parti socialiste, tout dans ses propos et son action le marque à droite : une droite dure, celle des Sarkozy et Guéant avec qui il partage la même appétence pour les politiques économiques néolibérales (Valls confesse être un admirateur de Tony Blair) et pour les rodomontades répressives.

Si j’étais un militant de ce parti, je me garderais de confier à Manuel Valls la direction d’une section locale du PS, tant je redouterais que son action ne la déshonore. Peine perdue : Manuel Valls n’est pas à la tête d’une section socialiste, mais il dirige le ministère de l’Intérieur de la république française. C’est à ce poste extrêmement sensible, au sein d’un gouvernement de gauche, qu’il prolonge les politiques sécuritaires de MM. Sarkozy et Guéant.

Ce qui motive ce nouveau billet, ce sont les propos que Manuel Valls a tenus sur les Roms ce matin sur France Inter. À cette occasion, un pas supplémentaire a été franchi dans l’horreur et l’indignité. Renchérissant l’UMP et le FN qui font de la « question Roms » un thème majeur de la campagne municipale, le ministre de l’Intérieur a affirmé que l’intégration de ces populations est « illusoire » et que le « démantèlement des campements » et la « reconduite à la frontière » sont les seules solutions valables à ses yeux.

Manuel Valls avait pourtant mis en place des « villages d’insertion » en août 2012. Un an plus tard, Valls le conformiste choisit de chasser le Rom avec la meute et considère dorénavant qu’il s’agit d’une mesure « marginale », qui ne concerne que « quelques familles ».

Valls préconise la reconduite aux frontières des Roms, insistant sur le fait que ces populations « ont vocation à revenir en Bulgarie ou en Roumanie ». Il faudra rappeler au ministre de l’Intérieur qu’en janvier 2014, la Bulgarie et la Roumanie entreront dans l’espace de Schengen. L’expulsion manu militari de ressortissants d’États membres d’une zone de libre circulation des personnes n’est pas laissée à la discrétion d’un ministre parti à la chasse aux voix.

Mais il y a pire : Valls a affirmé, lors de cet entretien, qu’il existait une corrélation entre délinquance et présence de Roms, indiquant qu’il s’agissait là d’une « évidence ». Selon lui, le lien entre la « proximité des campements et les vols » ne faisait aucun doute. Il s’agit de l’évidence du préjugé raciste, de l’amalgame et de la pensée beauf, assurément, puisqu’aucune statistique nationale n’a jamais établi une telle corrélation. Manuel Valls a d’ailleurs reconnu qu’il n’en savait rien. Et pour cause : la police française ne peut pas relever les origines ethniques des délinquants. Les chiffres incriminant la population Rom n’existent donc pas.

Pratiquant un différentialisme culturel très en vogue dans le Front national depuis les années 80, Valls a conclu que « ces populations » ont « des modes de vie extrêmement différents des nôtres » ; les deux étant « en confrontation ». Manuel Valls a le « courage » de suivre l’extrême droite et la droite sarkozyste à la trace, voire de leur ouvrir le chemin. Quand Valls assène : « Les politiques de sécurité ne sont ni de droite, ni de gauche », il faut entendre : « Les politiques de sécurité en vogue sont de droite ; je suis donc de droite ».

En stigmatisant  de la sorte la population Roms, il se déporte sur la droite de Marine Le Pen qui est marginalement plus prudente que lui sur le plan oratoire. Anne Hidalgo a qualifié d’« indignes » des propos similaires sur les Roms de Nathalie Kosciusko-Morizet. Hidalgo a ajouté que « Paris a des valeurs, on ne stigmatise pas une population ». Son camarade Valls n’a pas ce type de scrupules. Comment va-t-elle réagir aux propos de son collègue ? Va-t-elle réagir ?

A la suite de cette énième sortie terrifiante de la part du ministre, trois questions méritent d’être posées et débattues :

1)      Faut-il rappeler à Manuel Valls, d’origine étrangère comme des millions de ses concitoyens, que la France est un pays d’immigration et un melting pot culturel et ethnique ? L’intégration n’est pas « illusoire », mais un fait, quand on s’en donne les moyens politiques.

2)      Des « indices » permettent de conclure à l’existence d’un discours vallsien qui est ethniquement différentialiste et culturellement intolérant. Ce type de discours est-il compatible avec les valeurs universalistes de la République française ?

3)      En Grèce les nazis d’Aube dorée, après avoir tenu dans un premier temps un discours d’exclusion raciste, sont aujourd’hui passés à l’acte. Depuis plusieurs mois, ils ratonnent et tuent des immigrés et des militants antifascistes en toute impunité. Dans le climat de crise généralisée en Europe, est-il responsable de la part d’un ministre de l’Intérieur de jeter en pâture une population fortement stigmatisée et rejetée ? Faudra-t-il attendre les premières ratonnades anti-Roms en France pour apporter une réponse à cette question ?


[1] http://www.politis.fr/Philippe-Marliere-Manuel-Valls-est,23443.html

[2] http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-marliere/230813/manuel-valls-le-conformiste

Twitter : @PhMarliere

1ère rencontres Emile Durkheim. Bordeaux vendredi 4 octobre 2013

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