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Algérie: Bouteflika réélu, c’est «la victoire des affairistes et de l’informel»

 

Mediapart.fr

18 avril 2014 | Par Pierre Puchot

 

Des partisans d'Abdelaziz Bouteflika fêtent sa victoire, dans la nuit du jeudi 17 au vendredi 18 avril, à Alger.
Des partisans d’Abdelaziz Bouteflika fêtent sa victoire, dans la nuit du jeudi 17 au vendredi 18 avril, à Alger. © Pierre Puchot

Abdelaziz Bouteflika a remporté l’élection présidentielle avec 81,53 % des suffrages, contre 12,18 % pour son rival, l’ancien premier ministre Ali Benflis. Comment envisager désormais l’équilibre du pouvoir en Algérie ? Et que penser de l’absence des forces islamistes ? Entretien avec le politologue Ahmed Rouadjia, enseignant chercheur à l’université de M’sila.

De notre envoyé spécial en Algérie. Abdelaziz Bouteflika a remporté l’élection présidentielle du 17 avril avec 81,53 % des suffrages, contre 12,18 % pour son rival, l’ancien premier ministre Ali Benflis, ont annoncé les autorités algériennes dans une conférence de presse organisée vendredi 18 avril à Alger. Le taux de participation annoncé était de 51,70 %.

Au lendemain de cette parodie de scrutin, où il suffisait de se rendre dans un bureau de vote pour constater des effractions tout au long du processus de vote (lire ici notre article), Alger donnait l’impression de connaître un vendredi (le premier jour du week-end) comme les autres, malgré les quelques coups de Klaxon et un dispositif sécuritaire renforcé. Fort de ce calme retrouvé après une campagne tendue, le pouvoir algérien s’est même octroyé le luxe d’annoncer le rachat de 51 % des parts de l’opérateur téléphonique Djezzy, après plusieurs années de négociations. Un rachat qui coûtera 2,643 milliards de dollars aux contribuables algériens.

Non sans humour, le journal en ligne Tout sur l’Algérie intitulait ce vendredi son éditorial : « L’Algérie comme sur des roulettes », en référence au président algérien, qui s’est présenté en fauteuil roulant pour aller voter le 17 avril. Comment expliquer le succès d’un homme et d’une famille, qui parviennent une nouvelle fois à s’imposer à la tête de l’État algérien, pour le quatrième mandat consécutif ? Comment envisager désormais l’équilibre du pouvoir en Algérie ? Et que penser de l’absence des forces islamistes durant toute la campagne ? Entretien à chaud avec le politologue Ahmed Rouadjia, enseignant chercheur à l’université de M’sila, et directeur du laboratoire d’études historiques, sociologiques et des changements sociaux et économiques.

 

Vendredi 18 avril, à Alger.
Vendredi 18 avril, à Alger. © Pierre Puchot

Mediapart : Comment analysez-vous cette nouvelle victoire d’Abdelaziz Bouteflika ?

Ahmed ROUADJIA : Cette élection est la conséquence logique de la consolidation et du triomphe du clan de Bouteflika, au détriment de tous les autres. Ce triomphe, le clan du président à la chaise roulante le doit au soutien discret, mais efficace, que lui ont toujours apporté certaines puissances étrangères, les États-Unis, la France, l’Espagne, le dotant ainsi d’une légitimé à l’international. Mais aussi la caste locale des affairistes, des corrompus et de l’informel, qui ont tous intérêt à ce que l’État algérien demeure faible pour qu’ils puissent, eux, faire appliquer les lois du pays selon leurs propres intérêts. Un État faible, une justice bananière et servile envers l’exécutif, une monnaie de singe – le dinar –, dévaluée et inconvertible, voilà qui arrange tout à fait ces groupes d’intérêts.

À défaut d’être objectif, essayons d’être au moins impartial : Bouteflika n’a pas inventé la corruption en Algérie ; il l’a seulement encouragée de manière implicite et concrètement consolidée, et c’est déjà assez. Il ne s’est pas entouré seulement d’hommes médiocres, mais aussi de personnages corrompus pour qui l’intérêt de la nation algérienne, et de l’État, est le cadet de leurs soucis : Chakib Khalil, l’ex-ministre de l’énergie et des mines, congédié sous la pression interne, notamment des services secrets de l’armée (DRS), à la suite du scandale de Sonatrach (société nationale de pétrole) où ils ont découvert que plusieurs milliards d’euros avaient été détournés par le biais des contrats de gaz, de commissions occultes, et de surfacturation, etc.

Cette enquête a mis en cause également d’autres hauts responsables cooptés et choyés par Bouteflika, comme le ministre des travaux publics, Ammar Ghoul, d’obédience islamiste (MSP), que la justice soupçonne d’avoir détourné plusieurs millions d’euros grâce au chantier de l’autoroute est-ouest. Malgré une enquête bien ficelée du DRS, les personnes mises en cause n’ont pas été entendues par la justice : Chakib Khalil a quitté l’Algérie non pas en catimini, mais la tête haute, pour regagner les États-Unis. Quant à Ghoul, il a conservé son poste. Seuls les seconds couteaux ont été condamnés pour l’heure : Mohammed Méziane, P-DG de la Sonatrach, l’un de ses fils, et le secrétaire général du ministère des travaux publics.

Comment qualifier ce scrutin ?

Ce scrutin comporte sans nul doute une foule d’irrégularités, mais aussi une part de vérité sociologique en faveur du président malade : cette part de vérité, c’est la peur du vide, la crainte du retour à la décennie noire, le besoin de sécurité « paternelle » qui a poussé quantité de petites gens à donner leur voix à celui-ci. La seconde vérité, d’ordre politique celle-là, réside dans le fait que le clan qui a appuyé la candidature de cet homme, gravement atteint dans ses facultés, a utilisé tous les moyens matériels et symboliques dont dispose l’État : publicité et propagande grâce aux grands médias, comme la télévision, la logistique administrative, la promesse de récompenses, et l’intimidation directe ou indirecte exercée à l’endroit des électeurs qui seraient tentés de voter en faveur de l’un des adversaires du président sortant.

Comment imaginez-vous la nouvelle répartition des pouvoirs au cours du quatrième mandat ?

Elle sera déterminée, pour partie, par les rapports de force engendrés par la victoire du président Bouteflika sur son rival principal, Ali Benflis, qui a toujours ses appuis au sein du FLN, et pour partie en fonction de « l’équilibre régional » qui a toujours été, depuis l’indépendance, pris en compte comme un des critères principaux de répartition des pouvoirs entre les différents clans censés représenter leurs wilayas respectives.

«Même dissous, le FIS demeure un acteur important»

Comment expliquez-vous la dynamique Benflis, qui a mené une campagne efficace après dix années de silence, jusqu’à réunir des meetings de 5 000 personnes, là où le FLN-RND ne faisait pas salle comble ?

La dynamique Benflis n’est pas sortie ex nihilo. Elle est le résultat d’un travail de sensibilisation, conduit de longue haleine auprès de la population par l’intermédiaire de ses partisans qui disposent d’appuis et de relais dans les 48 wilayas du pays. C’est cette dynamique de Benflis qui a poussé Bouteflika à prendre à témoin ses hôtes (le ministre espagnol des affaires étrangères, Lakdar Brahimi…) pour dire tout le mal qu’il pense de son concurrent ! Ali Benflis n’a certainement pas tort lorsqu’il dénonce au soir de ce scrutin, depuis son quartier général, « une opération de fraude à grande échelle ». Notons que le taux de participation aurait été, selon le ministère de l’intérieur, de 51,70 %, bien inférieur au taux enregistré en 2009, et qui était de 74,11 %. C’est à peu près le seul que l’on peut conserver en tête, les autres sont fantaisistes.

Des partisans d'Abdelaziz Bouteflika fêtent sa victoire, dans la nuit du jeudi 17 au vendredi 18 avril, à Alger.
Des partisans d’Abdelaziz Bouteflika fêtent sa victoire, dans la nuit du jeudi 17 au vendredi 18 avril, à Alger. © Pierre Puchot

Les mouvements islamistes ont été pratiquement absents des débats. Le MSP et Ennahda ont choisi d’intégrer le front du boycott. Comment expliquez-vous cette stratégie ?

Ces deux mouvements, en particulier le MSP, à l’origine issu des Frères musulmans, ont fait partie de « l’alliance présidentielle » jusqu’à mi-mandat. Son ancien dirigeant, Abu Jarra Soltani, s’était vu octroyer le poste de ministre d’État jusqu’à son retrait du gouvernement en 2011. Leur discrétion au cours de la campagne électorale s’explique par le fait que ces deux partis se sont disqualifiés aux yeux d’une bonne partie de leurs sympathisants traditionnels, en raison de leurs accointances avec le pouvoir en place et de leur implication dans les affaires de corruption.

Leurs divisions internes ont abouti à leur éclatement, lequel a donné lieu à la naissance des factions. Cela ne favorise pas le débat d’idées, ni l’éclosion d’un véritable projet politique en leur sein. En boycottant les élections, ces deux partis entendaient dissimuler aux regards du peuple l’indigence de leur programme politique et économique, programme qui ne leur permet pas, dans le cas d’une compétition électorale, de recueillir le nombre de suffrages requis pour leur permettre de compter dans l’arène politique.

Ces partis islamistes n’ont aujourd’hui qu’une audience populaire limitée, et n’ont absolument pas le vent en poupe comme naguère le Front islamique du salut (FIS). Ses partisans éprouvent d’ailleurs une forte répulsion envers le MSP et Ennahda, qu’ils qualifient de « suppôt » du pouvoir.

L’arrestation d’Ali Belhadj (l’ancien chef du FIS) devant le siège du conseil constitutionnel lors du dépôt des candidatures en mars a été symbolique de cette absence. Que reste-t-il aujourd’hui de l’influence du Front islamique du salut (FIS) en Algérie ?

Ali Belhadj n’en est pas à sa première arrestation par les services de sécurité. Chaque fois que le pays traverse une période critique, et que le régime se met à sévir contre les manifestations populaires, Ali Belhadj sort aussitôt de son silence pour dénoncer avec vigueur les errements du régime en place. Lui et ses partisans n’ont jamais été absents de la scène politique, et c’est seulement le verrouillage des grands médias publics et le « black-out » dont ils sont l’objet qui donnent l’impression qu’ils ont disparu.

En vérité, le FIS, même dissous, demeure une réalité politique avec laquelle le régime devrait compter à l’avenir. L’appel du pied fait en leur direction par le candidat Benflis témoigne de leur poids dans la société algérienne, de leur enracinement au sein des couches déshéritées. Ali Belhadj bénéficie d’une grande popularité non seulement auprès des salafistes purs et durs, mais aussi parmi les personnes qui ne partagent pas ses convictions extrémistes. Ceci en raison de ses prises de position constantes, invariables, à l’égard du régime, prises de position qui le font passer pour « un homme de principes », courageux et « incorromptible ». Ce sera à n’en pas douter un acteur des années à venir.

Le droit de vote pour les étrangers résidents, c’est urgent

Mediapart

Après la cuisante défaite municipale, « bien malin qui peut dire si la gauche (…) sera un jour à nouveau majoritaire » au Sénat. « Il reste donc très peu de temps », analyse Jérémy Robine, docteur en géopolitique, « pour que le droit de vote des résidents étrangers non communautaires soit voté dans les deux chambres et soumis au référendum ». Il en appelle à la mobilisation de tous.


Aucune défaite électorale n’a une cause unique, surtout une raclée de l’ampleur de celle subie aux récentes élections municipales par la gauche, pourtant menée par celui qui voulait inventer la « gauche durable ». Dans ce type de scrutin, il est bien difficile de faire la part des facteurs relevant des différents niveaux géographiques. Le mécontentement peut bien entendu être local ou national, mais aussi porter sur des enjeux d’ordre régional, européen ou même mondial. En outre, la victoire de François Hollande en 2012 était en partie fondée sur le rejet de Nicolas Sarkozy, et il paraît compliqué de mesurer quelle proportion des suffrages perdus l’auraient été de toute manière. Combien de ses électeurs de mai 2012 voulaient en finir avec la vulgarité de l’ancien président, sans pour autant espérer le changement promis ni soutenir le projet de François Hollande ? Et donc sans intention particulière de voter pour les listes socialistes aux élections suivantes, ni peut-être de voter tout court ? Ainsi, les comparaisons générales de voix perdues ont peu de sens, même lorsqu’on mesure les pertes depuis les élections municipales de 2008, car Nicolas Sarkozy était alors au pouvoir et le PS dans l’opposition. Il y a cependant des séries locales qui révèlent des faisceaux d’explications. C’est le cas dans les quartiers populaires.

Lors de toutes les élections municipales récentes, les électeurs de ces territoires ont massivement adopté un comportement électoral (vote ou non vote) fondé sur des enjeux de politique nationale. Ce constat va de pair avec celui de larges mouvements d’un scrutin à l’autre : mobilisations et démobilisations d’ampleur, qui en général favorisent ou pénalisent les candidats de gauche. Il est ainsi possible d’affirmer que la part des enjeux locaux dans les attitudes électorales diminue avec le niveau moyen d’insertion socio-économique des habitants d’un territoire, de même que leur participation aux scrutins locaux. Et lorsque les habitants des quartiers populaires participent fortement à une élection locale, c’est pour en faire une élection nationale. Ils votent alors massivement à gauche pour sanctionner la droite au pouvoir, d’autant plus lorsqu’elle assume une ligne politique agressive à leur encontre. A contrario, ils s’abstiennent lorsque la gauche au pouvoir les a déçus. Or la gauche les déçoit, à chaque fois.

La démobilisation naît du constat que la gauche française continue de tenir pour marginales les revendications des immigrés post-coloniaux, de leurs descendants français et globalement de tous les habitants des quartiers populaires. L’enjeu est celui de la place de chacun et chacune dans la nation, et concerne de nombreuses mesures, souvent d’ordre symbolique, qui n’ont pas été prises. Quel amendement au récit national « officiel », et quelle part y tiennent les territoires anciennement colonisés et les mémoires des expériences et des luttes de leurs habitants ? Quelle importance donnée, dans les discours, au constat que la jeunesse des quartiers populaires est en grande partie vouée à la précarité ou à l’économie parallèle ? D’autres mesures attendues sont plus concrètes. La dignité de chacun et chacune est également respectée et protégée par la justice ? Les propos racistes qui fleurissent dans les médias sont-ils condamnés ? D’ambitieuses politiques de lutte contre la ségrégation et les discriminations raciales ont-elles été mises sur pied (notamment contre les contrôles policiers « au faciès », réalité indiscutable et infamante) ? La liberté de tous les cultes, même musulman, est-elle affirmée ? Et les étrangers non communautaires, qui vivent et travaillent là depuis si longtemps, ont-ils enfin voix au chapitre ?

À toutes ces questions, les réponses du gouvernement ont consisté en des signaux négatifs. Pas de grande commémoration de la Marche pour l’Égalité. Pas de récépissés de contrôle d’identité, pas de droit de vote aux élections locales pour les étrangers non communautaires. Ce sont des choix politiques, en grande partie ceux du nouveau premier ministre, et rien n’incite à imaginer que Manuel Valls s’apprête à changer de ligne politique. La démobilisation dans les quartiers populaires était méritée, elle va sûrement se poursuivre.

Pourtant, un cri doit être lancé pour le droit de vote. N’ayant pas la majorité des deux tiers requise pour faire adopter cette réforme constitutionnelle au Congrès, François Hollande a eu peur du clivage politique que susciterait un référendum. Mais désormais, il est acquis que le Sénat, majoritairement à gauche depuis 2011 et pour la toute première fois sous la cinquième République, reviendra sans doute à droite dès cette année. Bien malin qui peut dire si la gauche y sera un jour à nouveau majoritaire. Il reste donc très peu de temps pour que le droit de vote des résidents étrangers non communautaires soit voté dans les deux chambres et soumis au référendum. La responsabilité historique de François Hollande est donc engagée, mais aussi celle de tous les citoyens de gauche, et la mobilisation de chacun-e est nécessaire.

Il reste très peu de temps pour pousser François Hollande à honorer une si vieille promesse et à sortir des calculs vaseux sur les risques électoraux. Que devrait-on craindre de pire que la déroute récente du PS et les conquêtes du Front National ? Il reste très peu de temps pour contraindre le Président à assumer l’affrontement politique et à affirmer des valeurs. Pour le pouvoir, porter la réforme du mariage pour tous, elle aussi extrêmement clivante, allait de soi. Faut-il y trouver l’espoir que les socialistes ont des valeurs ? Ou ne doit-on y voir que le prix d’une forte mobilisation des gays, qui auraient su imposer leur revendication à un Parti socialiste réduit à l’état de réceptacle des mobilisations sociales ? Au PS et à François Hollande de donner la réponse. Engager et mener à bien la procédure de réforme de la constitution serait, au côté du mariage pour tous, ce que l’on retiendra du mandat de François Hollande. Sinon, un jour… dans dix ans peut-être, la droite réalisera cette promesse de François Mitterrand !

Jérémy Robine, docteur en géopolitique, Institut français de géopolitique / université Paris 8.

Affaire Morelle, plan d’austérité: les socialistes sont consternés

 

Mediapart.fr

17 avril 2014 | Par Mathieu Magnaudeix et Michaël Hajdenberg

 

Après l’annonce par Manuel Valls d’un plan d’austérité de 50 milliards, l’affaire Morelle a fait l’effet d’une bombe dans la majorité. Elle semble solder la « République exemplaire » que promettait François Hollande.

Ils ont été soufflés. Jeudi matin, les parlementaires de la majorité ont dévoré l’enquête de Mediapart sur Aquilino Morelle, conseiller spécial de François Hollande, qui est aussi un très proche du premier ministre Manuel Valls et d’Arnaud Montebourg. « Je suis abasourdi », dit ce député proche d’Arnaud Montebourg. « S’il a un peu de dignité, j’espère qu’il va démissionner dans la journée : il mouille directement une institution, l’Igas. Il mouille surtout son patron François Hollande », indique jeudi matin un pilier de l’Assemblée nationale.

« Si c’est vrai, c’est honteux, scandaleux, délirant », répond à Mediapart la présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Catherine Lemorton, « amie » d’Aquilino Morelle, connue pour sa lutte contre le lobbying des laboratoires pharmaceutiques. « Si la loi dit que ce n’est pas normal, il faut qu’il passe devant un tribunal. Si tout cela est vrai, c’est une double personnalité, c’est délirant ! Il est schizophrène ? C’est un comportement de caméléon. Je suis atterrée. Il défendait des choses devant moi, et puis dans son intérêt personnel, quand 12 500 euros tombaient, il ne voyait pas le problème ! C’est une claque dans la gueule. Je me sens vexée de n’avoir jamais rien senti. Je suis triste. »

« Un homme combattant les lobbies qui se fait en même temps rémunérer par eux… je suis déçue et consternée d’un tel manque de décence, surtout après l’affaire Cahuzac », s’alarme Barbara Romagnan, de l’aile gauche du PS. « Vous voyez une autre solution ? » s’interroge Gérard Bapt, expert des sujets de santé à l’Assemblée, lorsqu’on lui demande si le conseiller du président doit démissionner. Dans l’entourage de Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, on ne commente pas : « On n’a rien à dire sur Aquilino Morelle. » Une formule lapidaire, utilisée quelques heures plus tôt par le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll. « A. Morelle doit démissionner », a lancé jeudi après-midi le député Philipp Cordery, secrétaire national du PS à l’Europe, plus courageux que nombre de ses collègues.

À 12 h 50 ce jeudi, quelques heures après la parution de l’article de Mediapart, certains parlementaires ont reçu un email de l’Élysée, leur révélant en avant-première le contenu du message publié quelques heures plus tard sur Facebook par Aquilino Morelle. Ce message, dans lequel l’enquête de Mediapart est qualifiée d’« article à charge », a également été relayé par SMS. Pourtant, personne ne s’est vraiment bousculé dans la majorité pour défendre le conseiller du président, pas vraiment populaire auprès des parlementaires.

L’article de Mediapart a surtout assombri le moral de parlementaires chaque jour un peu plus consternés par le cours que prend le quinquennat de François Hollande. Car l’affaire Morelle rappelle à beaucoup les heures les plus sinistres de l’affaire Cahuzac. Elle semble enterrer définitivement les promesses de « République exemplaire », déjà mise à mal par le mensonge de l’ex-ministre du budget sur son compte suisse caché et le flou spectaculaire qui avait alors régné au sommet de l’État. Jeudi, sur Twitter, le député PS Sébastien Denaja a multiplié les messages pour réclamer, notamment, la réduction des salaires et primes de certains très hauts fonctionnaires.

D’autant que très récemment, d’autres nominations en cascade ont donné le sentiment d’être d’abord de simples faits du Prince : l’exfiltration au gouvernement d’Harlem Désir, son remplacement (sans vote militant) par Jean-Christophe Cambadélis, la nomination de Jean-Pierre Jouyet, l’ami du président, au poste de secrétaire général de l’Élysée. Celle de René-Pierre Lemas à la tête de la Caisse des dépôts. Ou encore la nomination à l’Inspection générale des affaires sociales (ce corps de hauts fonctionnaires auquel appartient aussi Aquilino Morelle) de Dominique Voynet, l’ancienne maire écologiste de Montreuil. Une promotion violemment dénoncée sur son blog par Claude Bartolone, ennemi juré de Voynet en Seine-Saint-Denis pour qui ce « golden parachute » est « un regrettable accroc à la République irréprochable que nos compatriotes appellent de leurs vœux ».

Vendredi matin, sur iTélé, Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, a demandé à Aquilino Morelle « une grande explication pour que l’on puisse y voir clair ». Il a estimé ne pas voir comment Aquilino Morelle «peut rester» conseiller de François Hollande si les révélations de Mediapart sur un conflit d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique sont vérifiées. «Il faut qu’il s’explique, il faut qu’il le fasse vite, qu’on puisse le juger sur pièces», a déclaré Cambadélis, jugeant manifestement insuffisant les réponses faites la veille par le conseiller.

Depuis la gifle des municipales et la nomination de Manuel Valls à Matignon, le climat dans la majorité est devenu franchement délétère. Alors que Manuel Valls avait promis d’associer davantage le Parlement, consacrant même au rôle des élus une partie de son discours de politique générale, il a annoncé mercredi sans les prévenir un plan de rigueur de 50 milliards d’euros, inédit par son ampleur et par le fait qu’il n’épargne ni les plus pauvres ni les classes moyennes. Juste après la nomination de Manuel Valls à Matignon, une centaine de députés PS avaient pourtant réclamé un nouveau « contrat de majorité » et un changement de cap de la politique européenne et budgétaire. Manuel Valls les avait reçus à Matignon, semblant être à l’écoute. Mais pour beaucoup, les annonces de mercredi ont fait l’effet d’une douche froide.

Jeudi, onze d’entre eux, représentant plusieurs ailes du PS, ont diffusé une nouvelle lettre à Manuel Valls. Dans ce texte, des aubrystes, l’aile gauche du PS, les proches d’Arnaud Montebourg et la « hollandaise » Laurence Dumont jugent « dangereux économiquement » le plan de 50 milliards d’économies. Ils mettent aussi en garde contre d’« inéluctables » « reculs sociaux et mises à mal des services publics », exigent des mesures supplémentaires pour le pouvoir d’achat, une « trajectoire plus crédible de réduction des déficits », et demandent à l’exécutif de réduire d’un tiers (de 30 à 20 milliards) les baisses de cotisations sociales des entreprises dans le cadre du pacte de responsabilité :

« Le climat est effroyable. On a l’impression d’être dans un tanker en train de couler. Et le problème, ce n’est pas notre sort : c’est toute la pollution que ce naufrage va provoquer », lance Barbara Romagnan, très inquiète, qui résume ainsi le sentiment de bien des élus socialistes.

En aparté, nombre de députés, de l’aile gauche aux plus modérés, n’hésitent plus à accabler François Hollande, un pas qu’ils ne franchissaient qu’avec des pincettes avant les municipales. Dès la semaine prochaine, la commission des finances de l’Assemblée nationale va examiner la trajectoire de réduction des dépenses publiques de la France, qui sera suivie d’un vote le 29 avril. Ce scrutin, qui aurait pu être anodin en d’autres circonstances, est loin d’être acquis. Sans concessions du gouvernement, certains envisagent de voter contre, tabou suprême dans une majorité longtemps hypercadenassée.

En juin, le vote du pacte de responsabilité risque lui aussi d’être explosif, et certains dans l’entourage du président de la République évoquent déjà une possible utilisation du 49-3. Ce vote bloqué serait interprété comme un passage en force du pouvoir.

Le «gel» de Manuel Valls est un acide : la preuve

 Mediapart.fr

18 avril 2014 | Par Hubert Huertas

 Officiellement c’est un «gel», dans la réalité c’est une amputation. Le «gel» des allocations et des retraites et le «gel» des salaires des fonctionnaires sont en fait un acide. Il ronge et rongera votre pouvoir d’achat. Explications et tableaux sur un plan d’austérité qui ne veut pas dire son nom.

Dans l’art de la guerre, on appelle ça un leurre. Une manière d’enfumer son adversaire. En matière de revenus ou d’allocations, on préfère parler de « gel », mais cela revient au même. Cette figure de rhétorique vise à faire croire qu’on ne touche pas aux salaires, tout en les baissant quand même. En présentant mercredi 15 avril son plan d’économie, et en annonçant son « gel », Manuel Valls s’est ainsi défendu de toute atteinte au pouvoir d’achat, mais il a taillé dans le vif. Ce qu’il présente comme une « non-revalorisation » est en fait une amputation.

Manuel Valls, à l'issue du conseil des ministres de mercredi, entouré des ministres concernés par son plan.
Manuel Valls, à l’issue du conseil des ministres de mercredi, entouré des ministres concernés par son plan. © Reuters

Officiellement, le « gel » consiste à ne pas tenir compte de l’inflation, donc à ne pas “revaloriser” les salaires. Dans les faits, cela revient à les dévaloriser. Un peu comme un pisciculteur laisserait mourir ses poissons dans des bassins qui fuient, parce que rajouter de l’eau lui reviendrait trop cher. L’avantage du « gel », c’est qu’il est anesthésiant, comme en petite chirurgie, quand un coup de vapeur glacé permet à un patient de ne pas avoir trop mal si on lui pose un point de suture. L’inconvénient, c’est que la douleur finit par se réveiller.

L’exemple le plus récent est celui du « gel du barème de l’impôt sur le revenu ». Mis en place sous le précédent quinquennat, et confirmé au début de l’actuel, ce « gel » avait permis aux gouvernements précédents d’annoncer qu’ils n’augmentaient pas l’impôt. Quand les feuilles sont arrivées dans les boîtes aux lettres, les contribuables ont mesuré l’écart entre le gel annoncé et le coup de chaud sur les finances familiales. Des dizaines de milliers de Français, exonérés jusque-là, ont dû acquitter d’un jour à l’autre l’équivalent d’un mois de salaire.

Le coup du « gel » annoncé par le premier ministre aura le même effet différé, mais qui n’en sera que plus cuisant. Certaines allocations seront « gelées » au moins jusqu’en 2015, et l’Association des paralysés de France estime par exemple que cette mesure aggravera la précarité des personnes handicapées. De même, les retraites seront « gelées » pendant deux ans, alors que la réforme n’avait prévu cette mesure que pour une durée de six mois.

Mais l’annonce la plus dure concerne les fonctionnaires, c’est-à-dire en premier lieu les enseignants, les agents hospitaliers, les policiers, les militaires, les juges… Leur salaire était déjà « gelé » depuis 2010, il le restera jusqu’en 2017. Sept ans de revenus rongés par l’inflation. Allez demander aux banques de vous accorder des prêts à taux zéro pour cent pendant un septennat, vous verrez leur réaction !

Les services de Manuel Valls précisent que « les règles d’avancement dans la fonction publique d’État » seront préservées. Cela veut dire, en langage clair, que les promotions obtenues par tel ou tel agent, donc sa progression de carrière, ne lui permettront plus d’améliorer sa situation, mais seulement de la maintenir à son plancher, puisque les bénéfices de l’avancement ne feront plus que compenser les pertes provoquées par le « gel ». Qui avance fait du surplace, et qui n’avance pas recule… Autant dire que les grilles de carrière de la fonction publique seront vidées de leur substance.

Un précédent existe à un tel phénomène. Dans l’audiovisuel public, le fameux “point d’indice” avait aussi été « gelé » pendant de longues années. Au bout d’une dizaine d’années, la situation est devenue tellement absurde, et tellement intenable, que les conventions collectives qui régissaient le travail des différents métiers ont purement et simplement disparu, certaines n’étant toujours pas remplacées, comme à Radio France par exemple…

Donc le « gel » n’est pas un gel mais un acide, aux conséquences lourdes à moyen terme, sur l’organisation des services et des emplois, et aux effets immédiats sur les salaires ou les allocations. Pour mesurer cet effet en termes de revenus mensuels, reportez-vous aux deux tableaux ci-dessous.

Le premier tableau, “Allocations et retraites”, calcule les conséquences du gel jusqu’en 2015. Le second tableau concerne les fonctionnaires. Il calcule les conséquences mensuelles de ce gel, de 2010 à 2017. Le calcul de la perte de pouvoir d’achat est effectué sur la base d’une inflation de 1,6 % (c’est-à-dire de la moyenne de l’inflation annuelle pour les années 2010, 2011, 2012, 2013, et 2014).

Exemple : Si votre allocation, ou votre retraite, est de 1 000 euros, vous perdrez 15 euros mensuels en 2014, 30 euros mensuels en 2015, et votre pension réelle (en euros constants) sera alors d’une valeur de 970 euros comparée à celle de 2013…

Exemple : Si vous êtes enseignant, et que votre salaire était de 2 000 euros en 2010, votre perte mensuelle annuelle est de 32 euros par mois, le cumul de ces pertes en sept ans sera de 224 euros par mois, et votre salaire réel (en euros constants), hors promotions, sera d’une valeur de 1 776 euros comparé à celui de 2010.

Europe: tout est à refaire! «En direct de Mediapart» spécial jeudi 24 avril

Mediapart

C’est un «En direct de Mediapart» exceptionnel que nous vous proposons jeudi 24 avril, de 17 heures à 23 heures. Au menu de cette émission diffusée en streaming et en accès libre sur notre site: un entretien avec Daniel Defert; un débat sur le Rwanda; le retour sur notre enquête sur Aquilino Morelle. Et plusieurs débats sur l’Europe avec deux priorités: comment sortir de l’austérité? comment reconquérir la démocratie? Le détail du programme.

A un mois des élections européennes, «En direct de Mediapart» consacrera son grand débat (20h30-23h) à l’Europe. Mais avant… le programme complet

17 heures: le grand entretien

Joseph Confavreux interroge Daniel Defert. Ce philosophe, sociologue, légataire de Michel Foucault dont il fut le compagnon, a été le président-fondateur de la première association française de lutte contre le sida, AIDES. Il publie ses mémoires au Seuil.

18 heures: Rwanda, la responsabilité de la France

Vingt ans après le génocide des Tutsis, pourquoi la France s’arc-boute-t-elle à un déni brutal de son implication dès 1990 dans le conflit rwandais qui allait conduire au génocide.
Avec Patrick Saint-Exupéry, d’autres intervenants, Joseph Confavreux et Edwy Plenel

Retrouvez  ci notre dossier complet «Rwanda, vingt ans après le génocide»

19 heures: Retour sur nos enquêtes

L’affaire Aquilino Morelle, les laboratoires pharmaceutiques et la politique. L’après-municipales: Valls à Matignon, Hollande en son labyrinthe, décryptage d’une crise.
Animé par Frédéric Bonnaud avec la rédaction de Mediapart.

20h30-23 heures: Europe, tout est à refaire!

Animé par Frédéric Bonnaud et la rédaction de Mediapart.

  • 1.- BCE, Troïka, euro, relance: pour en finir avec l’austérité

Agnès Bénassy-Quéré, économiste, présidente déléguée du Conseil d’analyse économique, membre du groupe Eiffel pour une communauté politique de l’euro.
Liêm Hoang-Ngoc, eurodéputé socialiste et économiste, co-auteur d’un rapport d’enquête sur les mesures de la Troïka.
Paul Jorion, économiste, chercheur en sciences sociales.
Laura Raim, journaliste indépendante, co-auteure du livre Casser l’Euro (Editions Les Liens qui Libèrent, avril 2014).

  • 2.- Reconquérir la démocratie

Pervenche Berès, eurodéputée socialiste française, présidente de la commission Emploi et affaires sociales du parlement, chef de file pour la campagne du PS en Ile-de-France.
Isabelle Durant, eurodéputée belge du groupe des Verts, vice-présidence du parlement européen.
Stathis Kouvélakis, maître de conférences en philosophie politique au King’s College de Londres, membre du parti grec Syriza.
Constance Le Grip, eurodéputée française UMP, candidate en Ile-de-France (4e position).
Rui Tavares, eurodéputé portugais, ancien élu du Bloco de Esquerda, désormais membre du groupe des Verts.

Réservez votre jeudi 24 avril, merci!

Roms: procès du riverain qui voulait «nettoyer» son quartier

Mediapart

|  Par Carine Fouteau

Le Parisien poursuivi pour avoir versé un liquide corrosif sur le matelas d’un couple d’origine rom vivant à la rue en bas de chez lui a comparu, lundi 7 avril, devant le tribunal correctionnel de Paris. Trois mois de prison avec sursis ont été requis.

En costume gris, petites lunettes cerclées, le prévenu se présente à la barre comme un homme qui n’a rien, ou pas grand-chose, à se reprocher. Son statut social, semble-t-il estimer, lui tient lieu de protection. De nationalité française, en cours de reconversion professionnelle, il met en avant « la manière dont il a été éduqué » et les grandes écoles qu’il a fréquentées. Souligne qu’il est « propriétaire » d’un appartement depuis dix ans. Avec assurance, il se définit comme un « humaniste », fait référence à ses « valeurs ». Et montre, par ses déclarations, une certaine obsession de la « propreté ».

Cet homme, âgé d’une quarantaine d’années, divorcé, sans enfant, résidant près de la place de la République à Paris, était entendu, lundi 7 avril 2014, par le tribunal correctionnel de Paris. Il est accusé d’avoir versé un liquide corrosif autour et sur le matelas d’un couple de nationalité roumaine d’origine rom vivant à la rue en bas de chez lui. Poursuivi pour faits de violence, il lui est en outre reproché d’avoir agi avec préméditation.

Avant l’audience, le prévenu a contacté plusieurs journaux, dont Mediapart, pour faire valoir ses relations avec des « hauts fonctionnaires » et des « professeurs de fac »« De gauche », a-t-il précisé. Déjà persuadé que ses « connaissances » étaient de nature à le disculper, il a réfuté les accusations de xénophobie, concédant tout au plus être « quelque peu maniaque de propreté ».

Les ennuis judiciaires commencent pour ce « riverain exaspéré », selon l’expression médiatico-politique consacrée, lorsqu’il est aperçu, un soir de janvier, à proximité d’un homme et d’une femme, sans domicile, installés sous l’auvent du bagagiste Rayon d’or de la rue du Temple, par deux bénévoles de l’association Autremonde. Ces deux-là connaissent les personnes qui passent la nuit emmitouflées sous des couvertures : depuis plusieurs mois, ils sillonnent le quartier en proposant du thé, du café et de la soupe aux sans-abri. Ils s’assoient à leur côté et discutent avec ceux qui le souhaitent. Plusieurs familles roms leur ont déjà parlé d’un homme qui les agresse en jetant sur eux un produit corrosif, une sorte d’acide, pensent-ils. Ce 16 janvier 2014, à une cinquantaine de mètres de distance, ils voient un homme, « une bouteille blanche à la main », à côté d’un couple, assis sur un matelas, manifestement « très paniqué ». Quelques jours plus tard, les victimes se décident à porter plainte, ce qui est peu fréquent chez des familles qui, le plus souvent, ne font pas confiance aux forces de l’ordre.

Le témoignage des maraudeurs est versé au dossier. À l’audience, la juge en lit des passages desquels il ressort qu’ils ont observé « de l’acide ou une substance corrosive ronger le matelas ». « Ce n’est pas la première fois » que de tels incidents se produisent dans le quartier, font-ils remarquer. Le « riverain » est identifié par les policiers qui font le rapprochement avec les diverses demandes d’intervention concernant la présence de SDF qu’il a formulées auprès du commissariat de l’arrondissement.

Arrivé dans la salle d’audience conduit par sa femme, main dans la main, le plaignant, malvoyant, décrit la scène, un interprète à ses côtés : « Je me souviens de la présence d’un homme qui a dit qu’il fallait qu’on dégage. Il criait. J’ai dit que nous ne pouvions pas partir maintenant car il n’y avait plus de place au 115 (numéro d’appel de l’hébergement d’urgence). L’homme a continué de crier. » D’après son récit, confirmé par la suite par l’intéressé, le « riverain » est parti, puis revenu, muni d’une bouteille. « Il a de nouveau crié. Je n’ai pas fait attention », poursuit-il. Jusqu’à ce qu’il sente « une odeur puissante qui pique le nez ». « J’ai entendu ma femme crier “non!” Elle a sauté hors du matelas. » Son mari l’a suivi. Devant les policiers, il a expliqué que le prévenu avait eu le temps de lui verser du liquide sur les pieds, mais qu’il avait pu retirer ses chaussettes avant d’être brûlé.

Les événements se sont déroulés différemment, selon l’accusé, qui reconnaît avoir répandu un produit. « Je voulais juste nettoyer le trottoir, se défend-il, car on a des problèmes d’excréments. » « Il existe des services de voirie pour ce genre de chose », remarque la juge. Pourquoi ne pas avoir attendu que le trottoir soit inoccupé pour le nettoyer, demande-t-elle. « Pour éviter que d’autres familles s’installent », répond-il.

Ce soir-là, selon sa version, il se promène dans le quartier avec son chien, et s’inquiète de constater une nouvelle installation. Il veut empêcher qu’« un groupe s’installe, puis deux, puis cinq ». Il remonte chez lui chercher la bouteille. Il redescend sans son chien avant de s’en prendre au couple. Il admet avoir versé un « demi-litre » de liquide, mais il conteste la nature du contenu de la bouteille. « J’ai utilisé un mélange d’eau de javel et de savon noir », assure-t-il, comme s’il s’agissait d’un moindre mal. « Ce mélange n’est pas corrosif », croit-il savoir. Lors d’une perquisition à son domicile, une bouteille de savon noir de marque Saint-Marc a été retrouvée.

La juge lui demande pour quel usage il garde ce type de produit chez lui. « Pour nettoyer le trottoir », insiste-t-il. « La présence en soi de ces personnes ne me pose aucun problème, mais tous ne sont pas respectueux de leur environnement », regrette-t-il, pour justifier son geste. « Je n’ai pas répandu de liquide sur les gens. Je vis au-dessus, il aurait suffi que j’en jette par la fenêtre », indique-t-il pour essayer de convaincre le tribunal qu’il n’a pas visé les personnes elles-mêmes. « J’ai simplement voulu (…) faire le ménage en bas de chez moi », résume-t-il, ajoutant que, d’après ses lectures, le produit utilisé a « des effets différents selon la nationalité des personnes ». Au bout du compte, il se dit « désolé d’avoir provoqué une vive réaction de la part des associations » et « désolé pour le symbole » dont il dit ne « pas avoir mesuré l’importance ».

Son avocate, Marie-Cécile Nathan, lui emboîte le pas : « On peut regretter le caractère moralement désagréable de cette méthode », affirme-t-elle à propos du geste de son client, tout en demandant la relaxe. « Vous n’avez rien matériellement », estime-t-elle puisque ni les couvertures ni le matelas n’ont été saisis par les policiers. Ironisant sur « ces associations qui prennent contact avec les services de police », elle répète que le produit n’était pas corrosif. « S’il avait utilisé du jus de citron, ça n’aurait pas été considéré comme un produit dangereux », clame-t-elle. Elle considère par ailleurs que le caractère volontaire de l’agression n’est pas établi. Son client, assure-t-elle, est quelqu’un de « carré » qui « ne ferait rien à l’encontre de la loi ». Il a versé le produit à « bonne distance », martèle-t-elle.

Frôlant la condescendance, le prévenu se dit « ravi » que les victimes « aient pu trouver une solution de logement », après s’être déclaré « ennuyé » et même « très embêté » que la prise en charge des personnes à la rue par l’État soit défaillante.

Pas de quoi attendrir l’avocat de l’homme aveugle, Mehdi Mahnane, qui soutient que non seulement le produit déversé est « corrosif et dangereux » mais aussi, facteur aggravant, qu’il a été utilisé contre une personne « particulièrement vulnérable ». « Il n’appartient pas aux citoyens d’exclure librement, de chasser ces personnes avec des produits extrêmement dangereux », rappelle-t-il, soulignant que ces « violences » avaient pour but d’« impressionner vivement » et de « faire partir » les personnes visées. Trois mois de prison avec sursis et 1 500 euros d’amende ont été requis à l’encontre du « riverain ». Le jugement a été mis en délibéré au 12 mai.

Laïcité à l’école : le FN en fait tout un plat

INTOX. Il faut parfois se méfier des déclarations martiales… qui ne débouchent sur rien. Vendredi, Marine Le Pen est interrogée sur RTL à propos du programme que les nouveaux édiles FN mettront en œuvre : «Agir pour sauver la laïcité qui est en grande difficulté». Mais encore ? «Concrètement, dans les onze villes», lui demande l’interviewer ? «Nous n’accepterons aucune exigence religieuse dans les menus des écoles. C’est clair. Il n’y a aucune raison pour que le religieux entre dans la sphère publique ».

La déclaration est immédiatement comprise par les commentateurs comme la fin des menus de substitution offerts quand le porc est au menu. A Forbach, Florian Philippot, candidat malheureux n’avait-il pas promis un menu unique ? «Aucune obligation religieuse ne sera tolérée, notamment concernant le menu dans les cantines qui sera le même pour tous les élèves. L’information et la transparence seront la règle», détaillait-il dans son programme. Sauf que non. Suite à la bronca provoquée, le FN précise dans la foulée que Marine Le Pen a mal été comprise. Il ne s’agit pas d’interdire les menus de substitution. Florian Philippot corrige : «Nous sommes pour la laïcité, c’est-à-dire l’interdiction des interdictions… Nous sommes défavorables à l’interdiction du porc dans les cantines». Interrogée dimanche, la patronne du FN embraye : «L’idée de dire que je n’admets pas dans notre pays, la France, que le porc soit interdit des cantines, ça fait hurler. Où donc en sommes nous arrivés pour que le porc soit supprimé des écoles françaises». A la question : «Y aura-t-il des menus sans porc ?» Marine Le Pen confirme qu’il ne s’agit pas de les remettre en cause : «Il y a toujours le choix, c’est un faux débat.»

DESINTOX. Après deux jours de cafouillages, on comprend donc que l’action concrète du FN ne consistera pas à supprimer les menus de substitutions, mais à rétablir le porc dans les villes nouvellement conquises. Ce qui devrait se faire sans mal, vu que le porc n’y est pas interdit. Il suffit de regarder les menus des villes en question. Le mardi 1er avril, à Mantes-la-Ville (Yvelines), les élèves ont pu manger du porc sauce marengo. Le même jour, les cantines du Pontet (Vaucluse) proposaient une palette de porc à la diable. On retrouvait la même palette à la diable dans les assiettes scolaires au Luc (Var), le jeudi 3 avril, tandis que les élèves de Beaucaire (Gard) avaient droit à des chipolatas. La veille, les enfants d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) avaient eu un rôti de porc au jus (et du jambon deux jours avant). Aujourd’hui, à Fréjus (Var), c’est sauté de porc sauce colombo. A Cogolin (Var), demain, c’est jambon, tandis ce que Béziers (Hérault) servira une macaronade de porc…

Bref, l’interdiction du porc contre laquelle Marine Le Pen prétend être un rempart n’existe dans aucune des villes conquises par le FN, et quasiment nulle part ailleurs… Ces dernières années, seule une commune, celle de Séméac dans les Hautes-Pyrénées, a fait parler d’elle pour avoir retiré un temps le porc du menu en 2011. Un retrait temporaire. «La cantine était confrontée à des problèmes de surfréquentation et le cuisinier n’avait plus les moyens de faire deux services, avec un plat principal au porc et un de substitution», explique la direction générale des services de la ville. La commune a alors esquivé le problème en retirant les plats principaux au porc pendant … une semaine. Ce n’est pas un hasard si Marine Le Pen et Florian Philippot, pour illustrer cette supposée interdiction du porc, ont dû ce week-end aller chercher dans les archives pour exhumer une affaire de mousses au chocolat jetées à la poubelle pour cause de gélatine de porc au Havre… en 2012.

Rappelons la loi : rien n’exige des autorités locales la prise en compte des demandes religieuses. En 2011, une circulaire avait ainsi rappelé que «la cantine scolaire est un service public facultatif» et que «le fait de prévoir des menus en raison de pratiques confessionnelles ne constitue ni un droit pour les usagers ni une obligation pour les collectivités». «Il appartient à chaque organe délibérant compétent (conseil municipal pour le primaire, conseil général pour les collèges, conseil régional pour les lycées) de poser des règles en la matière.» La loi n’exige même pas les collectivités à mettre en place des plats de substitution les jours où le porc est au menu.

Pour autant, la grande majorité des communes tient compte des demandes des parents, et propose de tels menus de substitutions. C’est également le cas dans l’essentiel des villes conquises par le FN, comme on peut le voir sur les menus accessibles en ligne. Exemple à Beaucaire : «On sert du porc une ou deux fois par mois. Ces jours-là, à la place des chipolatas, il y a aura des saucisses de volaille. On essaie de faire en sorte que les assiettes se ressemblent  pour que les enfants ne se sentent pas discriminés», explique Valérie Martinez Arpin, responsable des affaires scolaire. A en croire Florian Philippot et Marine Le Pen, cela ne changera donc pas. Ce que confirme David Rachline, le nouveau maire FN de Fréjus : «La situation actuelle c’est qu’il y a du porc servi dans les cantines et des menus de substitution pour ceux qui n’en mangent pas et la situation à venir sera exactement la même.» En clair, le grand plan de sauvetage de la laïcité par le FN devrait se traduire… par un parfait statu quo dans les cantines scolaires.

Cédric MATHIOT et Amélie MOUGEY

Hénin-Beaumont : la Ligue des droits de l’Homme expulsée par la mairie FN

C’est le premier geste politique de Steeve Briois, le maire FN d’Hénin-Beaumont. Il a suspendu la subvention accordée à la Ligue des droits de l’Homme, section Hénin-Carvin, et lui a prié de déguerpir du local municipal qu’elle occupait, pour cause d’opposition politique. Steeve Briois s’appuie pour se faire sur un arrêt du Conseil d’Etat, qui concernait, en 2002, la Licra à Draguignan. «Le Conseil d’Etat indique qu’il n’est pas possible de subventionner une association qui combat une formation politique dont l’existence est légalement reconnue», indique le communiqué de presse du Front national, qui conclut : «Que la bien-pensance s’y fasse : désormais la loi sera respectée à Hénin-Beaumont !»

L’argumentaire est juridique, mais on en retient surtout l’odeur de chasse aux sorcières. «On s’y attendait», confie Georges Voix, le délégué régional de la Ligue des droits de l’Homme. «C’est un hommage à la LDH pour sa lutte contre l’extrême-droite. La section d’Hénin-Carvin se bat contre l’implantation du Front national depuis quinze ans, en appelant à toutes les consciences républicaines.»

Le torchon brûle en effet depuis un moment entre les responsables frontistes et Alain Pruvot, le dirigeant de la section de la LDH sur le secteur. Pendant la campagne, Alain Pruvot avait appelé à «barrer la route» au FN, pour cause de «dangerosité». Briois avait répliqué en évoquant une «campagne de haine» anti-FN. Bruno Bilde, conseiller régional frontiste et proche de Marine Le Pen, estime que la LDH est une «association d’extrême-gauche qui, de plus, n’a aucun convention avec la mairie pour occuper les lieux.» Il s’insurge : «C’est illégal !», puis s’agace : «Nous avons été justement élus pour qu’on en termine avec ce système de copinage, avec le financement des associations amies.»

Georges Voix le rappelle : «La Ligue des droits de l’Homme est une organisation politique, mais non partisane. Nous ne combattons pas un parti, mais une idéologie.» Elle restera à Hénin-Beaumont, où elle a déjà trouvé un nouveau local. «Nous avions anticipé la décision. C’était une salle prêtée par la municipalité, elle pouvait donc la retirer», précise-t-il. Pas question de quitter la commune : la LDH vient de créer dans la municipalité un comité local de vigilance citoyenne.

Stéphanie MAURICE LILLE, de notre correspondante

Henri Emmanuelli : « Le PS n’existe plus »

Mediapart

03 avril 2014 |

 

Vidéo dans l'article.
Vidéo dans l’article.

Député PS, Henri Emmanuelli déplore « un coup de barre à droite », et plaide pour une autre politique économique en Europe et en France. Estimant que le PS est dans un « état comateux », il se dit favorable à un « congrès extraordinaire » ou une « démission du premier secrétaire ». Neuvième numéro d’Objections.

Député et président du conseil général des Landes, également président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, Henri Emmanuelli, l’une des grandes voix de l’aile gauche du Parti socialiste, dit les vives inquiétudes que lui inspire la situation politique au lendemain des élections municipales, à l’occasion d’un entretien avec Mediapart pour l’émission Objections.

Évoquant le choix de Manuel Valls comme premier ministre, il estime qu’il s’agit « d’un coup de barre à droite » à un « moment où il aurait sans doute fallu autre chose ». Selon lui, la décision d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) de ne pas participer au gouvernement est un événement politique important parce qu’elle entraîne « un rétrécissement de la majorité ». Ce coup de barre à droite lui apparaît si préoccupant qu’il réserve encore la position qu’il prendra lorsque le premier ministre sollicitera le vote du Parlement après sa déclaration de politique générale. N’envisageant pas de voter « non » pour rester fidèle à sa famille politique, il n’exclut pas de s’abstenir : « Moi, mon vote n’est pas acquis, je vais attendre de voir ce qu’il dit. »

Henri Emmanuelli s’insurge par ailleurs contre le fait que, plus que jamais, « toutes les décisions sont prises à l’Élysée » et que l’on vive en France dans « une sorte de monarchie républicaine » avec « des coups de force permanents, avec des lobbys qui agissent par pression ». « Il faut aujourd’hui bouger ces institutions : ce n’est plus possible ! » estime-t-il.

Mais surtout, le dirigeant socialiste plaide pour une autre politique, à l’échelle européenne, et une autre politique économique en France. Dénonçant « l’orthodoxie budgétaire » qui prévaut à Bruxelles, il estime que l’Europe serait mieux avisée « de se préoccuper de la déflation ». Et dans le cas de la France, il fait valoir qu’il plaide depuis longtemps pour une autre politique économique.

Mais ses critiques les plus acerbes, c’est à l’actuelle direction du Parti socialiste, emmenée par Harlem Désir, qu’il les réserve. Faisant valoir que les adhérents du PS n’ont jamais été consultés sur les orientations actuelles « qui sont regrettables » – « on ne leur a jamais demandé leur avis », dit-il –, il ajoute avec sévérité : « Le Parti socialiste n’existe plus, ni en attaque, ni en défense (…) Le Parti socialiste est devenu un parc à moutons. » Estimant que « le Parti socialiste est dans un état comateux » et que sur « le plan du rassemblement de la gauche, il n’a pas du tout joué son rôle », il plaide pour un sursaut : « Un congrès extraordinaire ou une démission du premier secrétaire ne me paraîtrait pas inopportun », conclut-il.

 

 

 

 

La perception des étrangers en France se dégrade

AU RAPPORT

Au lendemain de la percée du Front national aux municipales, le rapport annuel de la Commission consultative des droits de l’homme souligne que la population arabo-musulmane concentre les crispations.

Ce fut l’une des dernières «timidités» de Jean-Marc Ayrault à Matignon, selon le regret de Christine Lazerges, la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) : reporter après les élections municipales la remise du rapport annuel de la Commission, consacré à «la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie». C’est donc ce mardi, et non le 21 mars comme initialement prévu, que Christine Lazerges a remis son travail aux services du Premier ministre. Faute de conseiller de l’équipe Valls encore installé, et en raison du départ de ses prédécesseurs, la petite histoire retiendra que le deuxième document glissé dans une enveloppe et posé sur le bureau de Manuel Valls à Matignon aura été ce rapport de la CNCDH.

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http://www.liberation.fr/societe/2014/04/01/la-perception-des-etrangers-en-france-se-degrade_992287

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