EDITORIAL du Délégué régional de la LDH-Aquitaine
La démocratie d’opinion contre la responsabilité politique : en nommant Manuel Valls premier ministre, François Hollande fait un choix contraire aux leçons des municipales. Là où une demande de gauche et de justice sociale s’est exprimée, le président brandit le discours d’ordre, de sécurité et de libéralisme : celui-là même qui a organisé la descente aux enfers de la gauche.
Vingt-quatre heures après une déroute électorale historique (plus de 150 villes perdues par le PS), François Hollande a donc pris acte de la sanction de ses deux premières années de présidence. Les rites de la Ve République sont immuables. Institutions obligent, le président a mécaniquement sacrifié son premier ministre fusible. Jean-Marc Ayrault, renvoyé de Matignon, portera seul la responsabilité de la défaite. Autre rituel : les seules enquêtes d’opinion auront décidé de l’identité du nouveau locataire de Matignon.
Manuel Valls, 51 ans, accède enfin à ce poste de premier ministre tant espéré. Il retrouve un Matignon où il avait débuté il y a vingt-cinq ans comme conseiller technique de Michel Rocard… Il reste à en expliciter le choix et les conséquences politiques lourdes qu’il entraîne. Car à ce stade, la promotion du ministre de l’intérieur apparaît comme un exact contresens par rapport aux enseignements de ces deux tours de municipales. Triomphe de la démocratie d’opinion, du story-telling et de l’habileté communicationnelle, cette nomination allégera peut-être la pression subie par François Hollande. Mais ce choix et les débats qu’il va déclencher dans toute la gauche peuvent aussi offrir dans les mois qui viennent l’opportunité de vrais éclaircissements et d’une forte recomposition à gauche.
Avant-dernier de la primaire socialiste de 2011, avec 5,63 % des voix, peu populaire chez les militants socialistes, Manuel Valls est également l’un des grands sanctionnés de ces municipales. Et c’est le premier contresens de cette nomination. Celui que l’on a présenté durant des années comme l’homme fort du département de l’Essonne a été ces deux dimanches électoraux le recordman de l’abstention. En troisième position sur la liste socialiste d’Évry, préfecture du département, Manuel Valls n’aura en rien convaincu ni mobilisé l’électorat de la gauche. L’abstention au premier tour à Évry a été de 61 % ; au deuxième tour, elle est de 59 %. Et son successeur, Francis Chouat, l’emporte avec 50,55 % des voix.
De cette ville nouvelle et populaire, dont il a été maire de 2001 à 2012, Manuel Valls n’aura en rien fait un laboratoire, ni en termes de démocratie locale et d’innovation citoyenne, ni en termes de développement économique. En revanche, dans ce département englouti dans les affaires locales, où clientélisme et marchés publics suspects prospèrent, le nouveau premier ministre s’est retrouvé accroché dans plusieurs dossiers (retrouvez ici, là ou encore ici nos différents articles).
Outre une abstention historique, ce scrutin municipal a été sans surprise marqué par un nouveau décrochage des quartiers populaires, de nouveau installés durablement aux marges de la vie républicaine. À la demande sociale, de justice et de lutte contre les inégalités qui s’est massivement exprimée lors de ces municipales, François Hollande répond par un message d’ordre et d’autorité que Manuel Valls a tant tenu à incarner depuis le ministère de l’intérieur. C’est le deuxième contresens de cette nomination.
Il n’a échappé à aucun électeur que le « vallsisme », cocktail de discours sécuritaire et de stigmatisation des populations étrangères, mélange d’activisme et d’immobilisme réformateur, n’aura en rien endigué depuis deux ans la montée en puissance du Front national. Le FN vient d’emporter une douzaine de villes, dont une – contre les socialistes – dès le premier tour ; il compte plus de 1 200 conseillers municipaux, un résultat sans précédent.
Depuis la place Beauvau, Manuel Valls n’aura servi à rien dans l’indispensable lutte contre l’extrême droite. En procédant à des expulsions massives de Roms, en multipliant les déplacements spectacles à Marseille sur la sécurité, en mettant en scène un duel personnel contre Dieudonné au mépris des libertés publiques, en faisant la réclame d’une laïcité étriquée devenue machine à exclure, Valls n’aura cessé d’arpenter les chemins ouverts par Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux. Pire, il a durablement placé au cœur même du débat public des thématiques légitimant l’agenda développé par le parti d’extrême droite.
Troisième contresens, le nouveau premier ministre n’aura cessé ces deux dernières années d’incarner les renoncements, voire les reniements des socialistes au pouvoir. D’abord en jetant au panier la promesse d’instaurer un dispositif de lutte contre les contrôles d’identité au faciès, par l’instauration de récépissé. Ensuite en renvoyant aux calendes grecques cette autre promesse emblématique : le droit de vote des étrangers aux élections locales. Enfin en se mettant en travers de toute nouvelle évolution de la loi sur la famille et en s’opposant à l’ouverture de la PMA (procréation médicalement assistée) aux couples de lesbiennes.
Un œil sur les sondages, convaincu d’une droitisation rapide de la société française, Manuel Valls aura transformé ce qui pouvait sembler à certains une position originale au sein du PS en un facteur de blocage et d’échec d’une gauche parvenue au pouvoir et aussitôt oublieuse de ses engagements et des bases de son électorat. Ces deux dernières années, campé sur une position d’autorité, préférant stigmatiser les juges et sa collègue Christiane Taubira, il a rejoué ce vieux scénario écrit par Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy d’une justice laxiste contre une police républicaine. Il s’est également bien gardé de toute incursion sur le terrain social. Sauf lorsqu’il s’était employé à tailler en pièces la proposition de loi sur l’« amnistie sociale » visant à effacer les condamnations subies ces dernières années par des délégués syndicaux ou représentants de salariés.
« L’hyper-Valls ou la faiblesse du hollandisme », écrivait il y a quelques mois Lénaïg Bredoux pour mieux souligner le contraste entre l’activisme d’un ministre de l’intérieur se mêlant de tout et un couple Hollande-Ayrault fonctionnant dans la confusion, incapable de donner une lisibilité à leur action. En installant Manuel Valls à Matignon, François Hollande ne fait pas seulement la courte échelle à un communicant hors pair, ambitieux et toujours soucieux de ses seuls intérêts. Il prend le risque de devoir abandonner un peu de ces pleins pouvoirs dont bénéficie le président de la République.
Sont-ils en désaccord pour autant ? Rien ne le laisse penser, et surtout pas sur l’essentiel. Ayant toujours revendiqué des engagements de politique économique sociale libérale, ayant plaidé lors de la primaire socialiste pour une « règle d’or » budgétaire et la TVA dite sociale, Manuel Valls ne trouvera aucun mal à défendre le pacte de responsabilité engagé par Hollande et qui reprend en fait bon nombre de ses propositions (voir ici notre vidéo).
Dès dimanche soir, les ministres poids lourds du gouvernement n’avaient d’ailleurs laissé aucun doute sur la poursuite de la même politique économique. Pour Pierre Moscovici, cette débâcle municipale « est le prix du courage d’avoir engagé de grandes réformes ». Pour Michel Sapin, il était exclu d’engager « une politique de zigzags, il faut affirmer la continuité ». Même cap donc, ignorant la demande sociale qui s’est fortement exprimée dans les territoires et villes de la gauche ces 23 et 30 mars.
« Si Manuel Valls est sincère politiquement, s’il n’a pas menti aux Français et qu’il défend toujours la ligne de la primaire pendant laquelle il s’est revendiqué de Tony Blair, c’est une catastrophe qui ne peut pas résoudre les problèmes des Français. L’homme n’est pas en question, mais sa politique l’est », nous déclarait dimanche soir Pascal Durand, ancien dirigeant d’Europe Écologie-Les Verts et tête de liste aux prochaines élections européennes. Les écologistes tiendront-ils cette position répétée ces dernières semaines qu’ils n’intégreront pas un gouvernement dirigé par Manuel Valls ? Ce sera le premier test de la majorité présidentielle.
Le deuxième sera le choix fait par Christiane Taubira d’être, ou non, ministre d’un Manuel Valls qu’elle n’a cessé d’affronter. Le troisième sera la réaction du parti socialiste et, surtout, de ses parlementaires. Essorés par les municipales, ils ont en perspective des élections européennes qui s’annoncent catastrophiques, un Sénat qui devrait rebasculer à droite et des élections régionales qui promettent de nouvelles défaites.
Le casting Valls sans réorientation politique majeure, sans réengagements forts faits à un électorat de gauche qui a crié dans les urnes son mécontentement, amènera-t-il quelques parlementaires socialistes et écologistes à rompre ? C’est désormais l’un des principaux enjeux de la présidence Hollande. Il peut acter de la fin d’un PS épuisé, à l’image de la défunte SFIO molletiste, et augurer ainsi d’une recomposition d’ensemble de la gauche. Mais il faudra pour cela que bon nombre d’élus socialistes refassent cet exercice oublié depuis des années : de la politique.
http://www.liberation.fr/politiques/2014/03/31/municipales-2014-place-au-dechiffrage_991939
Un article d’une très grande rigueur qui donne une multitude de chiffres et de statistiques croisées qui permettent de se forger correctement une opinion sur la victoire toute relative de la droite aux élections municipales.
Transformer les inquiétudes en espoir commun
Le résultat des élections municipales revêt la dimension d’un désaveu profond, à la mesure des crises qui travaillent le pays et des angoisses qu’elles génèrent.
Ce désaveu vise le gouvernement en place et a pris massivement la forme d’une abstention exaspérée ou désabusée devant les engagements non tenus, les atermoiements et les revirements.
L’accroissement des difficultés rencontrées par des millions de personnes qui avaient placé tous leurs espoirs dans un changement a nourri l’idée d’une représentation politique insensible aux réalités de leur quotidien, et impuissante à résoudre les problèmes d’emploi et de justice sociale.
Au-delà, le résultat témoigne également d’une crise de confiance très sérieuse dans la représentation politique, voire même d’une sorte d’épuisement démocratique. En recherche d’efficacité, les citoyens se montrent sensibles aux discours de simplification, aux promesses abusives, aux solutions prétendument magiques, aussi séduisantes qu’illusoires et dangereuses.
Sur cette toile de fond, la droite réussit un double tour de force : ses divisions ne la pénalisent pas et elle réussit à apparaître comme force de renouvellement, voire de justice sociale, deux ans après avoir tant divisé les citoyens et rabougri les libertés. L’émergence du Front national – qui n’est pas liée à une quelconque progression en voix – crée, dans ce contexte, les conditions d’une redéfinition à hauts risques des lignes de partage entre droite et extrême droite.
La perspective d’un remaniement gouvernemental semble, dans ces conditions, inévitable ; elle ne suffira pas à rétablir la confiance des électeurs, à encourager la mobilisation des citoyens, à galvaniser les énergies du pays. Aux attentes, colères et impatiences, il s’agit de répondre vite, et clairement. Jusqu’à quel point les affichages présidentiels de plus de rapidité, de plus d’efficacité et de plus de justice sociale indiquent-ils une prise de conscience ? Et seront-ils, cette fois, suivis d’effets ?
Face au délitement social, civique et républicain qui accompagne la fragmentation sociale de notre société, la Ligue des droits de l’Homme réaffirme la pertinence et l’urgence de construire une société de solidarité, d’égalité des droits, de garanties effectives des libertés de chacune et de chacun ; une société où l’intelligence et le travail soient pleinement reconnus comme des facteurs de richesses. Et, ce faisant, de transformer les inquiétudes en espoir commun
Prix d’entrée : 6€
Par Stéphane Alliès
Quand ils se présentaient en autonomie des socialistes au premier tour, écologistes et Front de gauche se situent autour des 10 %, voire plus. A Grenoble, ils ont fini en tête, mais n’en tirent pas les mêmes enseignements.
Allegro, ma non troppo, dans la gauche non-socialiste. Au soir du premier tour des municipales, marquée par une abstention en hausse et une percée du FN, le Front de gauche, PCF et Parti de gauche (PG), comme les écologistes, se satisfont de leurs résultats, signe d’une meilleure résistance à la démobilisation électorale dans leur camp. Mais face à la déroute électorale du PS et à la probable reconquête de la droite, chacun tire des leçons bien spécifiques d’un scrutin fixant un nouveau rapport de force interne après deux années sans élections. Dans la morosité ambiante d’une action gouvernementale durement sanctionnée dans les urnes locales, les attentes de bouleversement politique dans la majorité de gauche sont bien fragiles, tant celle-ci est désormais minoritaire dans le pays.
Seule Grenoble semble représenter un espoir d’alternative crédible au PS (lire notre reportage). Dans cette ville de 160 000 habitants, la liste emmenée par les écologistes et soutenue par le PG et des collectifs citoyens a devancé de quatre points le PS (29,4 % contre 25,3 %). Un petit séisme dans la cité iséroise tenue depuis 1995 par le rocardien Michel Destot, qui avait décidé de passer la main, tandis que les écolos ont su faire fructifier localement leur forte implantation et leur présence dans l’opposition municipale. « Tout ce que nous avions dit autour de la nécessité de réinventer la gauche est en train de s’incarner dans ce résultat, s’enthousiasme la n°2 de la liste, la PG Élisa Martin. Notre score est important pour la gauche, et je dirais même pour la France. »
Pour Éric Coquerel, le secrétaire national du PG aux relations unitaires, « Grenoble, et bien d’autres villes où nous passons les 10 ou les 15 %, montrent qu’il n’y a pas une gauche, mais la gauche gouvernementale et celle qui la conteste. À chaque fois que nous avons fait une campagne très autonome, ça donne des bons résultats ». Selon ce proche de Jean-Luc Mélenchon, « la leçon du scrutin est que le PS est en chute libre et qu’il y a un espace pour une majorité alternative. Avec une stratégie nationale d’alliance de ce type, nos résultats seraient encore plus évidents ». Cette main tendue aux écologistes a aussi pour intérêt de sortir le PG de son tête-à-tête avec le PCF, avec lequel les relations se sont considérablement refroidies durant la campagne municipale. Pour autant, ce désir d’EELV et de transposition nationale de l’exemple grenoblois est tempéré par les écologistes eux-mêmes.
Ainsi, pour David Cormand, secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) aux élections, « Grenoble profite surtout de l’implantation ancienne des écolos. Comme à Rennes ou Nantes, nous y améliorons des scores précédents déjà bons, surtout parce que nous proposons de bons programmes locaux ». Lui ne croit pas à la réalité d’une « opposition de gauche » sur le plan national : « Nos bons scores démontrent que dans un moment d’“abstention sanction”, notre participation gouvernementale est comprise, les électeurs voient bien qu’on n’avale pas toutes les couleuvres, même si on nous en sert beaucoup. À chaque fois que nous sommes opposés à une liste PG, nous finissons devant elle. Et à chaque fois que la liste est emmenée par un PG, le score n’est pas très élevé. » Avant le scrutin, un eurodéputé rappelait combien un rapprochement de type grenoblois pouvait être délicat : « Comment on ferait aux européennes avec Mélenchon, sur le fédéralisme, la décentralisation, la laïcité ou les langues régionales ? »
Chez les communistes, on se félicite surtout d’avoir bien contenu les offensives du PS dans les ceintures rouges francilienne et rhonalpine (même si Bobigny et le Blanc-Mesnil risquent de passer à droite). Désireux d’être au cœur d’un infléchissement du pouvoir vers la gauche, et donc soucieux de ne pas rompre les ponts avec le PS, les communistes espèrent désormais conserver un maximum d’élus au soir du second tour. « La droite est surmobilisée, alors que le PS s’effondre, soupire Marie-Pierre Vieu, dirigeante du PCF. Mais cet effondrement ne crée pas d’afflux de voix vers le reste de la gauche. Il ne suffit pas de délégitimer le PS pour améliorer nos résultats. Donc il faut discuter, pour parvenir à réorienter vraiment l’action gouvernementale. » Elle espère aussi que l’on « revienne à la matrice originelle du Front de gauche, en oubliant les divisions pour avancer ». Pour celle qui a recueilli 14,5 % à Tarbes (mais où le maire sortant UMP a été réélu au premier tour), le modèle de Grenoble, où le PCF est allié au PS, n’en est pas forcément un : « On ne peut pas théoriser sur la situation nationale à partir de deux ou trois exemples locaux. La vraie question, c’est comment on rassemble le plus largement possible. Pas certains ensemble contre d’autres ensemble, selon les endroits… »
Par Hubert Huertas
Sauf si le second tour inversait ou nuançait le premier, ce qui n’est pas le plus probable, les municipales de 2014 seront celles d’une double fracture. Le Parti socialiste est en retrait à peu près partout, mais l’opposition classique n’avance que très partiellement, quand elle ne recule pas. Mediapart a analysé soixante-dix villes de toutes tailles.
La multitude des cas particuliers et des villes emblématiques empêche souvent de dégager les grandes tendances du premier tour, lors des élections municipales. Paris et Lyon avaient caché la forêt des échecs du PS en 2001, et cette année la victoire au premier tour de Steeve Briois à Hénin-Beaumont, de même que les scores du FN à Béziers ou Forbach, ont créé la sensation mais ne disent pas tout de cette élection locale de portée nationale.
Derrière l’événement majeur que constitue l’enracinement des candidats de Marine Le Pen, souvent inconnus quelques semaines avant le scrutin, d’autres fractures sautent aux yeux à l’analyse. Elles concernent l’ampleur du reflux des sortants socialistes, et la performance moyenne, ou médiocre, de l’UMP et de l’opposition parlementaire en général.
Nous avons analysé les glissements de voix de 2008 à 2014 dans environ soixante-dix villes de France, petites, moyennes ou grandes, réparties sur l’ensemble du territoire. Le recul du PS y est impressionnant, et n’est pas compensé à gauche par les performances des écologistes, du Parti de gauche ou du Front de gauche, qui résistent assez bien à ce qui ressemble à une vague brune, mais de manière ponctuelle et localisée, sans inverser la tendance au niveau national.
LE PS ENTRE RECUL ET DÉROUTE
Mises bout à bout, dans les villes de notre échantillon, les pertes du PS donnent un certain vertige. Saint-Étienne : – 2 points ; Valence : -2 ; Reims : – 3,8 ; Annemasse : -6,3 ; Quimper : -8 ; Perpignan : -8,5 ; Colombes : -8,9 ; Aix-en-Provence : -9,4 ; Auxerre : -9,6…
Les affaissements supérieurs à dix points sont encore plus préoccupants pour la rue de Solférino :
Rodez : -10 ; Rennes : -11 ; Lille : -11 ; Dijon : -12 ; Strasbourg : -12 ; Mont-de-Marsan : -12 ; Clamart : -14 ; Chambéry : -14 ; Laval : -15 ; Angers : -15,5 ; Brignoles : -16 ; Caen : -17 ; Grenoble : -17 ; Tours -19…
Ce ne sont là que des exemples et ces pourcentages en baisse ne sont pas les plus marqués. Les plus spectaculaires concernent Liévin (-20), Nantes (-21, un chiffre à nuancer avec le bon score des écologistes qui dépassent les 14 %, et l’éparpillement des listes à gauche), Aulnay (-21), Orléans (-21), Limoges (-26), Roubaix (-27)…
LE SURPLACE DE LA DROITE PARLEMENTAIRE
La logique voudrait que les pertes socialistes se soient transformées en gain pour le principal parti d’opposition. C’est loin d’être le cas dans ce premier tour des élections municipales, et l’enthousiasme du président de l’UMP Jean-François Copé, dimanche soir, tenait plutôt de la méthode Coué que de la magie Copé.
Qu’on en juge avec ces comparatifs de 2008 à 2014, dans les mêmes villes que plus haut, en soulignant que les résultats de 2008 avaient été mauvais pour la droite parlementaire. On est donc parti du sous-sol pour ne pas aller très haut, voire pour descendre encore plus bas.
Dans les communes de notre échantillon, la droite classique, UMP le plus souvent, a gagné 11,6 points à Auxerre, 2,6 à Nancy, 13 à Nanterre, 10 à Chambéry, 14 à Rodez, 19 à Clamart, 10 à Rennes…
Mais dans la plupart de ces villes, il n’y avait pas de liste FN, et ceci explique cela. Ailleurs, plus le FN est fort, et plus l’UMP, ainsi que l’ensemble de la droite, piétine ou comptabilise des pertes.
À Roubaix, où le PS perd 27 points, l’UMP ne gagne qu’un peu plus de deux points, alors que le Front national en conquiert plus de 10. À Orléans 4,2 points (FN à 10), à Tours 0,4 (FN à 13), à Mulhouse 1,8 (FN à 21), à Clermont-Ferrand à peine 2 points de mieux (FN à 12,3), à Limoges où le PS perd le quart de son pourcentage l’UMP n’augmente le sien que de 3 points. À Lille, en dépit du reflux important de Martine Aubry, l’UMP ne dépasse pas son (mauvais) score de 2008 avec une « poussée » de 1,2 point, à Quimper aucune augmentation, à Aix-en-Provence la maire sortante Maryse Joissains avait le sentiment d’avoir renversé des montagnes après avoir gagné un peu plus de 3 points entre deux élections…
Et encore s’agit-il au moins de gains, certes faibles, mais de gains quand même. Que dire des pertes, qui sont les plus nombreuses : Montpellier : -3,4 (+8,6 pour le FN) ; Strasbourg : -1 (+10,9 pour le FN) ; Toulouse : -4,6 (FN +8) ; Nantes : -5 (FN +8) ; Dijon : -8 (FN +12) ; Bourges : -5 (FN +13) ; Perpignan : -9,3 (FN +21) ; Grenoble : -7,2 (FN +12) Brignoles : -19 (FN +37,5) ; Fréjus : droites à -26,3 (FN, +27,5) ; Carpentras : -17 (FN +12,5) ; Hayange : -20 (FN +30) ; Aubagne : -11 (FN +12)…
Il apparaît clairement que le score de la droite parlementaire est étroitement corrélé à celui du Front national dans les presque six cents villes où celui-ci a pu présenter des listes.
La leçon de ces chiffres est double.
Elle s’adresse à la gauche qui pourrait essuyer le revers le plus lourd de son histoire en matière d’élections locales, depuis plus de quarante ans. Cette gauche a un chef, qui siège à l’Élysée, et c’est à lui d’enregistrer le message, et d’y répondre au plus vite.
Mais les chiffres accablent tout autant l’état-major de la droite parlementaire. Ils démontrent à quel point la droitisation inspirée par le célèbre Patrick Buisson, et mise en place par le non moins fameux Nicolas Sarkozy (suivi par Jean-François Copé), a obtenu le contraire de ce qu’elle escomptait. Non seulement les électeurs ont rejeté l’ancien président en 2012, mais ils ont ressuscité le Front national dans la foulée, une extrême droite quasiment rayée de la carte en 2007 et 2008, et réimplantée six ans plus tard dans les conseils municipaux.
Tout le monde sait, depuis des lustres, que les Français préfèrent l’original à la copie, mais l’UMP court toujours. Au vu du premier tour, elle n’est pas près de le rattraper.
Après dix-neuf ans, le maire socialiste Michel Destot passe la main. Alliés au parti de gauche et à des associations de citoyens, les écologistes rêvent de prendre la municipalité et d’en faire l’exemple d’une alternative politique au PS. Sur la liste UMP-UDI figure Alain Carignon, l’homme politique le plus condamné de France.
Grenoble, de notre envoyé spécial
« La place Tien An Men »… « Pierre Mendès France »… « Simone Veil »… Au premier rang du meeting, Élisa Martin ne peut s’empêcher d’écarquiller les yeux. Éric Piolle vient de citer à la tribune ses « images de la gauche ». Des figures assez éloignées du panthéon de la gauche mélenchoniste qu’Élisa Martin incarne à Grenoble.
Leur âge mis à part – 41 ans tous les deux –, Élisa Martin, numéro deux de la liste du « rassemblement citoyen de la gauche et des écologistes » à Grenoble, et sa tête de liste, l’écologiste Éric Piolle, n’ont pas beaucoup de points communs. Ils partagent pourtant la même ambition : ravir ensemble Grenoble (Isère) au parti socialiste, qui détient depuis dix-neuf ans cette cité de 160 000 habitants au pied des Alpes. Leur projet : construire, dans cette ville qui fut souvent un laboratoire de la gauche, une alternative nationale au PS.
Dans cette campagne municipale un peu morne, les regards se tournent volontiers vers Grenoble. Elle est une des 80 villes où le Parti de gauche (PG) et les écologistes partent unis au premier tour. Et elle est la seule où cet attelage a une vraie chance. Les médias défilent. La campagne est nerveuse. « Pas étonnant qu’il y ait des invectives entre candidats : cette élection est une primaire à gauche », résume Simon Labouret, enseignant à Sciences-Po Grenoble.
Coprésident du groupe Europe Écologie-Les Verts (EELV) à la région Rhône-Alpes, Éric Piolle est un ovni politique. Devant 400 supporters réunis sous un chapiteau planté dans le parc Paul-Mistral de Grenoble, le candidat du « rassemblement citoyen de la gauche et des écologistes », entré en politique il y a quatre ans, a conclu vendredi 28 février le premier meeting de la campagne municipale.
Sous l’œil de la coprésidente du Parti de gauche, Martine Billard, de l’ex-secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts, Pascal Durand, et de Mohamed Mechmache, fondateur d’AC! le feu, il a fustigé le maire socialiste sortant, Michel Destot, accusé d’avoir « fracturé » la gauche en 2008 en s’alliant avec le Modem et des élus de droite. Il a aussi attaqué les « technos » du PS, parti « tenu par des barons et des salariés d’élus, incapable de se renouveler, qui se croit propriétaire du pouvoir ».
Écologiste « qui roule en voiture et mange de la viande », ancien patron cofondateur du collectif anti-austérité Roosevelt 2012, Éric Piolle « défrise » : « Je suis une synthèse politique à moi tout seul. » Il déteste « les étiquettes », affirme qu’« être de gauche, c’est rompre les rangs, bouger les lignes », des phrases-valises qui plaisent à tout le monde. Élevé dans une famille catho de gauche – « l’Évangile reste un moteur spirituel » –, il a gagné beaucoup d’argent quand il dirigeait une division de la multinationale informatique Hewlett-Packard. « À 34 ans, j’étais un peu la star montante. » Pas vraiment le profil du militant écologiste-type. En 2011, il est débarqué pour avoir refusé de délocaliser son unité de 120 salariés. « C’était un projet débile : d’ailleurs le PDG d’HP y a renoncé. » Il connaît les patrons des boîtes high-tech de Grenoble, une des capitales françaises de l’innovation.
Dans cette ville de gauche, où les cadres sont plus nombreux qu’ailleurs, « Éric Piolle est le candidat écologiste idéal pour ratisser très large, assure le chercheur Simon Labouret. Que ce soit sur le plan de la crédibilité à gérer une ville ou des gages à donner à la gauche de la gauche, son programme c’est son histoire : celle d’un cadre d’une grande entreprise hightech licencié pour avoir refusé de délocaliser. »
Piolle apprécie qu’on dise de lui : « Pour un écolo, il n’est pas mal. » Pour ravir Grenoble au PS, il devra rassembler dès le 23 mars de la gauche de la gauche aux centristes, en passant par les socialistes déçus.
Après avoir été entre 1983 et 1995 le fief du RPR Alain Carignon, l’homme politique le plus condamné de France, Grenoble est ancrée à gauche. Ici, François Hollande a réuni 64 % des voix au second tour de la présidentielle. Ces dernières années, les écolos ont flirté avec le score du PS (26,5 % aux régionales de 2010). Parfois, ils l’ont dépassé (29 % aux européennes de 2009). Le centre-ville a un conseiller général écologiste depuis 2004.
La ville est depuis longtemps dans le viseur des écolos. Cette fois, aux côtés du PG, qui fait de bons scores dans les quartiers populaires, de l’Ades (une association locale connue pour ses combats anti-Carignon, et depuis 1995 par son activisme juridique contre les grands projets de Michel Destot) et du Réseau citoyen, agglutination de plusieurs collectifs locaux, EELV rêve de « faire la bascule au premier tour » : se retrouver devant le PS, même d’un rien, et lui dicter ses conditions. Par exemple une fusion des listes, au prorata des voix des uns et des autres.
Un tel résultat ferait figure de sanction lourde pour le PS, dans la ville de la ministre de la recherche Geneviève Fioraso. « Ça se joue à 2 000 ou 3 000 voix », assurent les colistiers. « On sera dans un mouchoir de poche », prédit Éric Piolle. « Jérôme Safar, le candidat socialiste, reste le favori, analyse le chercheur Simon Labouret. Mais arithmétiquement, il y a une fenêtre de tir pour la liste de Piolle. Pour l’emporter, ce dernier doit toutefois progresser en notoriété et convaincre qu’il a la légitimité pour être maire. »
« Désenchantement »
En pleine crise du Front de gauche, le PG nationalise l’enjeu. « Je vais revenir faire la fête à la mairie. Ceux qui sont au pouvoir dans ce pays ne sont plus la gauche. Ils gèrent comme Schröder et Blair. Il faut reconstruire de l’espoir, montrer qu’un autre projet est possible », affirme la coprésidente du PG, Martine Billard. « Grenoble va être une ville très intéressante », a lancé Jean-Luc Mélenchon la semaine dernière. Il devrait bientôt faire le déplacement, même si sa présence n’enchante pas certains écologistes.
« Le PS, pour l’essentiel, porte le vieux monde, assure l’ex-secrétaire national d’EELV, Pascal Durand. Le réformisme de transformation fait défaut à la gauche actuelle. Il passait auparavant par le Parlement, mais je n’y crois plus : les lobbies sont trop puissants. Il passe maintenant par le bas. Grenoble peut être le premier lieu en France où ça peut marcher. Et dans ce cas, comme un domino, tout va s’écrouler. » Un vrai discours d’opposant, comme si EELV n’avait pas deux ministres au gouvernement. Une flopée de leaders écolos pourraient venir d’ici le 23 mars : l’actuelle cheffe du parti Emmanuelle Cosse, la ministre Cécile Duflot, voire Daniel Cohn-Bendit – une visite qui ne réjouit pas les adhérents du PG.
Même si le mandat 2001-2008 a été marqué par des dissensions, les écologistes ont gouverné la ville pendant treize ans avec le PS. Dans le passé, le poste d’adjoint au logement et à l’urbanisme, des enjeux clés de la campagne, ont été occupés par des écolos. Dans l’opposition depuis 2008, ils votent souvent avec le PS. Le « rassemblement » EELV-PG a pourtant élaboré un programme de rupture, avec « trois fils directeurs : une ville démocratique, un bouclier social municipal, et une ville à taille humaine », énumère Élisa Martin (PG).
La liste cible ses critiques sur les grands projets de Michel Destot : le grand stade des Alpes, sous-utilisé, contesté par les écologistes et les associations citoyennes ; les projets de rocade autoroutières ; la candidature (ratée) de Grenoble aux Jeux olympiques d’hiver de 2018 ; le projet d’aménagement de l’Esplanade, dont l’Ades a obtenu l’annulation du plan d’urbanisme.
Elle dénonce la folie des grandeurs de la majorité sortante (« il y a un côté prétentieux », admet un adjoint de Destot qui rempile avec Safar), conteste le financement direct par les collectivités de pôles de compétitivité ou du méga-programme Nano 2017. « Avec Michel Destot, Grenoble est devenue une ville pour les magazines en papier glacé : les projets arrivent tout ficelés et les habitants n’ont plus qu’à choisir la couleur des pots de fleurs », résume Éric Piolle.
La dynamique militante est réelle. Les happenings de campagne sont souvent inventifs. Mais mobiliser reste difficile, admet Alain Manac’h, sympathisant écologiste, figure du quartier populaire de la Villeneuve : « J’ai fait une réunion d’appartement chez moi, il y avait moins de monde que d’habitude. Les gens se sont fait tellement tartiner… »
En face, le candidat socialiste, Jérôme Safar (photo), dauphin désigné de longue date par Michel Destot, dénonce un « accord d’appareils », une liste « ingérable », « faux nez de Jean-Luc Mélenchon ». Il prédit qu’il sera devant au premier tour, de loin. Ce quadra est l’incarnation de l’apparatchik socialiste : assistant parlementaire de Destot dès 1988, il a été son adjoint à la culture, puis son premier adjoint, chargé des finances et de la sécurité – il a aussi travaillé dans le privé, DRH chez Bouygues.
Destot l’admet : il a « hésité » à passer la main : « Je ne souhaitais pas qu’on perde la ville. J’étais le meilleur candidat, ce n’est pas prétentieux de le dire, ici tout le monde me connaît. Mais le moment était venu. » Le PS compte mettre Jérôme Safar sur orbite pour devenir président de la métropole grenobloise qui verra le jour en 2015 et détiendra bien plus de pouvoirs que la ville.
Pour marquer sa différence, Safar a renouvelé sa liste « à 60 % ». Les figures de droite avec qui gouvernait Michel Destot depuis 2008 (un ancien adjoint d’Alain Carignon, l’ancien président des Amis de Sarkozy en Isère) n’y figurent pas. L’adjoint Modem à l’urbanisme de Michel Destot, Philippe de Longevialle, est parti seul. Safar est soutenu par le PCF (scotché par son alliance électorale avec le PS qui lui garantit quelques grosses mairies dans l’agglomération), le parti radical de gauche ou Go-Citoyenneté, un mouvement local né à la fin des années Carignon.
Il assume le bilan Destot (l’innovation, la sécurité, la rénovation urbaine, l’aide sociale : Grenoble a le deuxième CCAS de France, etc.). Mais revendique « une nouvelle méthode, un nouveau projet », et assume une « rupture » sur l’école, un des points contestés du bilan de l’équipe sortante : s’il est élu, chaque petit Grenoblois aura une tablette au CP.
Le candidat socialiste n’est pas très connu des Grenoblois. L’été dernier, un sondage de notoriété commandé par le PS avait donné des résultats décevants. Ce samedi 1er mars, sur le marché de Saint-Bruno, un quartier populaire derrière la gare, deux papis abordent le candidat. « Vous représentez Destot ou Carignon ? » « Michel Destot… C’est moi qui lui succède. » « Destot, c’est mon ami », dit l’un des deux, Ahmed, 82 ans. « C’est moi qui vais devenir votre ami maintenant », plaisante Safar. Rires, tapes sur l’épaule. Le candidat socialiste s’éloigne. Ahmed se confie: « Je vote Destot. Mais lui je m’en fous, je ne le connais pas. »
Se démarquer d’un gouvernement impopulaire
Jérôme Safar doit surtout affronter le scepticisme des électeurs. « Il y aura de l’abstention. À quel niveau ? Il y a des gens hésitants et ceux qui ne disent rien, ce n’est pas mieux. » Les habitants lui parlent de leur « honte d’être représentés par cette équipe » gouvernementale. « Ils disent qu’il faut les changer, qu’ils ne sont pas capables. Ils veulent de la compétence. » Plaidoyer pro domo du gestionnaire. Façon, aussi, de se démarquer d’un gouvernement impopulaire pour éviter la sanction.
À la Villeneuve, 11 000 habitants, un quartier populaire du sud de la ville, le candidat et des militants distribuent des tracts à la sortie des écoles. L’accueil est poli. Une mère de famille promet de voter PS si on lui trouve un nouveau logement. « J’ai toujours voté à gauche, là je ne sais pas, dit un habitant qui s’occupe de familles roms. Je suis un peu écœuré. La société se décompose. » « Il y a peu de discussions. C’est souvent « merci, bonne soirée » », dit Hélène Vincent, adjointe PS. « On sent un désenchantement. Le gouvernement mène une politique de droite de l’offre qui ne peut pas fonctionner, ça peut décourager des militants et des électeurs », craint un militant socialiste.
Face à la liste rivale, le PS joue la carte du « sérieux ». Éreinte les écologistes et le PG, qui proposent les transports gratuits pour les moins de 25 ans et la remunicipalisation du gaz, de l’électricité et du chauffage. « Ça coûte 100 millions d’euros, c’est autant d’impôts en plus », dit Jérôme Safar. « La liste menée par Éric Piolle veut livrer un combat des gauches, mais l’assemblage bancal qui la compose confine plus à un mélange d’extrême gauche, d’écologie radicale, d’opposants au principe d’innovation, même si ce n’est pas le cas de tous les colistiers, assure le député PS de Grenoble-centre, Olivier Véran. Ce mélange improbable serait dangereux pour l’écosystème grenoblois. »
En privé, un socialiste évoque ces « obscurantistes » qui veulent prendre la ville. Safar, lui, se garde d’être trop dur et pointe le spectre d’un retour de la droite. « Il ne faut pas se tromper d’adversaires quand les temps sont durs pour la gauche, et c’est le cas ces temps-ci. Je crie au feu. On ne peut pas se permettre des divisions artificielles. »
En face, le candidat UMP-UDI bataille pour exister, plombé par la présence sur sa liste, en position éligible, de l’ancien maire Alain Carignon, condamné en 1996 pour corruption, abus de biens sociaux, subornation de témoins : cinq ans d’inéligibilité, 29 mois de prison ferme. Après un long psychodrame, une primaire annulée, une guerre fillonistes-copéistes évitée de justesse, c’est Matthieu Chamussy, élu d’opposition depuis deux mandats, qui conduit la liste.
« Bien sûr j’aurais préféré, et Alain Carignon le sait, que les choses se passent différemment, qu’il fasse un autre choix. Mais comme disait le Général, il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités. » Il ne se risque pas plus loin dans la critique. Se réjouit juste de « l’avoir fait reculer significativement de la troisième à la neuvième place ». Malgré l’opprobre, Carignon reste intouchable. « Ce monsieur est majoritaire sur la liste et c’est lui qui tire les ficelles. Il affaiblit la droite et renforce le FN », s’inquiète Jérôme Safar.
Sur le papier, Chamussy n’a aucune chance de devenir maire. À moins que le Front national n’atteigne les 10 % et accède à une quadrangulaire au second tour. Le jeu serait alors un peu plus ouvert. Surtout si la gauche reste divisée. Voilà pourquoi, malgré la rudesse de la campagne, et des positions très tranchées sur des dossiers clés (le développement économique, la vidéosurveillance, l’urbanisme, etc.), Piolle, Martin et Safar pensent déjà au second tour.
Ils se connaissent bien : tous trois dirigent leurs groupes respectifs au conseil régional Rhône-Alpes. Ils refusent par avance de fermer les portes, jugeront au soir du premier tour sur la base des résultats. « Tout est toujours possible », assure Michel Destot, du haut de son Aventin. D’ici là, ce sera la guerre à gauche.
La boîte noire :Modification, jeudi 6 mars. Dans la première version de l’article, une citation (« On sent un désenchantement. Le gouvernement mène une politique de droite de l’offre qui ne peut pas fonctionner, ça peut décourager des militants et des électeurs ») a été attribuée à une élue socialiste grenobloise dont le nom était cité. Celle-ci m’a affirmé par mail ne jamais avoir tenu ses propos. Ils sont notés dans mon cahier, ils ont donc bien été prononcés ce jour-là lors d’une rencontre avec des militants, mais pour être franc, je ne me souviens plus des circonstances exactes de cette prise de notes. Du coup, dans le doute, la citation à été anonymisée. Ce qui n’enlève rien à sa force.
Des Roumains de la minorité rom, munis de leur titre de transport, empêchés de monter dans des bus : plusieurs cas ont été signalés en région parisienne. L’un de ces passagers indésirables vient de porter plainte. La RATP assure avoir procédé à un « rappel au règlement » et le Défenseur des droits s’est saisi du dossier.
Cosmin rentrait chez lui, à Champs-sur-Marne en Seine-et-Marne, après un rendez-vous à Paris dans les locaux de l’association des Enfants du canal où il suit une formation dans le cadre du service civique. Il attendait le bus 213 à la gare RER de Noisy-Champs, en direction de Lognes-le-Village un mardi de janvier, en fin d’après-midi. Il raconte qu’au moment où il s’apprêtait à monter dans le véhicule, le chauffeur s’est interposé pour lui interdire l’accès, alors même qu’il était muni de sa carte Navigo.
De nationalité roumaine issu de la minorité rom, Cosmin, selon son surnom d’emprunt, vit dans un cabanon situé dans un bidonville. Réflexe rare parmi ses compatriotes rétifs aux contacts avec la police, il décide de déposer plainte quelques jours plus tard. Selon son témoignage – assorti d’une copie de son titre de transport valide – que Mediapart a pu consulter, le bus était déjà en stationnement quand Cosmin, âgé de 23 ans, est arrivé à l’arrêt. Les portes étaient fermées. Le chauffeur ne les a ouvertes qu’à partir du moment où d’autres passagers se sont présentés. Cosmin était accompagné de deux collègues dans la même situation que lui. « Nous avons laissé passer (les autres passagers) et lorsque j’ai voulu monter dans le bus le chauffeur m’a dit en ces termes : “Les Roumains, ils vont à pied, ils montent pas dans le bus.” Je me suis expliqué avec le chauffeur en lui montrant mon pass Navigo, j’avais tout à fait le droit de monter comme tout le monde, mais le chauffeur ne l’a pas entendu comme ça. »
La suite révèle les motivations du conducteur. « Le chauffeur de ce bus était agressif, indique Cosmin dans sa plainte, et il a dit en ces termes : “Je m’en fous, tu peux avoir deux pass Navigo, tu monteras pas dans mon bus.” J’ai de nouveau expliqué à ce chauffeur que c’était un bus de transport public, donc que j’avais le droit de monter dedans comme tout le monde. » Le chauffeur lui aurait alors rétorqué : « Le bus n’est pas public, vous, vous êtes sales, sales Roumains, j’aime pas vos visages, et je prends qui je veux dans mon bus. » Avant d’ajouter : « Sales Roumains, vous êtes comme les chiens. » Il aurait alors joint le geste à la parole : « Finalement, il était tellement énervé qu’il a fait descendre tout le monde du bus, il a fermé les portes et il est resté debout face à la porte. Finalement, nous sommes partis voyant (que) l’accès au bus serait impossible. »
Choqué par cette scène, Cosmin prévient son tuteur en service civique, François Loret, également membre du Collectif de soutien aux Roms du Val-Maubuée. Le lendemain, la direction de la RATP est alertée : le bénévole envoie un mail de protestation relatant l’enchaînement des faits. Il ajoute que cette pratique est « récurrente » de la part des agents « sur les lignes qui desservent le secteur du Val-Maubuée ». « Le fait de détenir un titre de transport ne suffirait donc plus à pouvoir utiliser les transports en commun, il faudrait maintenant pouvoir justifier d’une appartenance ethnique en conformité avec les pensées les plus malsaines de certains de vos personnels ? » s’interroge-t-il, prévenant que le Défenseur des droits a été saisi et qu’une plainte contre la RATP n’est pas à exclure « pour que cessent ces pratiques odieuses, discriminatoires et interdites ».
La réponse tarde à venir. Une semaine après les faits, François Loret se rend sur les lieux pour tenter d’interpeller les chauffeurs de la ligne « contre le racisme » et faire un appel à témoins. « Une famille rom est arrivée sur ces entrefaites. Et là, rebelote. Ils veulent monter dans le bus, l’accès leur est refusé », indique le bénévole. « Le chauffeur a vu que je le prenais en photo, poursuit-il, il a appelé les services de sécurité de la RATP qui, eux-mêmes, ont appelé la police, et au bout du compte, j’ai été contraint de supprimer la photo de mon appareil. »
Ce n’est que le 1er mars qu’un mail signé d’une conseillère clientèle RATP arrive sur la boîte électronique de François Loret. Le « correspondant » de la ligne 213 a été mis au courant. « Un travail est en cours avec la mairie, les autorités et un rappel a été fait aux agents de la ligne », assure la chargée de clientèle. « Une surveillance importante est en cours en ce moment », ajoute-t-elle, concluant qu’elle « regrette cette situation ». Ce contact avec la RATP n’est pas le premier. Un an auparavant, le militant s’était indigné de l’habitude prise par des conducteurs de RER de klaxonner au passage de leur train au niveau d’un campement, depuis évacué, installé à proximité des voies.
Les « regrets » de la RATP n’empêchent pas les incidents de se poursuivre, selon François Loret, qui cite l’exemple d’une femme rom « qui s’est fait sortir du bus manu militari par le chauffeur » sur la même ligne, à l’arrêt de la gare de Chelles. Autre mésaventure signalée : le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, une habitante d’un autre bidonville de Champs-sur-Marne a expliqué au collectif de bénévoles qu’un agent de sécurité de la RATP, à La Défense, là où elle s’installe régulièrement pour jouer de la musique, a contrôlé ses papiers d’identité (ce qu’il n’est pas autorisé à faire) et les lui a confisqués (sans les lui rendre, y compris les jours suivants). « Nous sommes allés lundi au commissariat de Noisiel, les policiers en poste n’ont pas voulu prendre notre plainte, ils n’ont accepté qu’une main courante », indique François Loret, qui précise que le procureur a été saisi ainsi que, de nouveau, le service clientèle de la RATP.
Ces agissements à répétition ont fait réagir le vice-président du conseil régional d’Ile-de-France, Pierre Serne (EELV), chargé des transports et des mobilités. Dans un courrier en date du 10 mars adressé au P-DG de la RATP, Pierre Mongin, il dénonce les « faits graves » qui lui ont été relatés et demande des explications. Le Défenseur des droits, de son côté, a commencé à enquêter. Des attestations de témoins confirmant des propos à teneur discriminatoire voire raciste lui ont été adressées. Une fois obtenu l’aval du procureur de la République, il entend accéder aux bandes de vidéosurveillance.
À la CGT-RATP-Bus, on ne paraît pas étonné. « Nous avons des remontées d’un climat délétère dans certains dépôts. Les machinistes ne sont pas plus racistes que le reste de la population, mais on ne peut nier des dérapages », reconnaît un dirigeant du syndicat. « Une pétition anti-Roms, dénonçant l’insécurité supposée liée à leur présence, a circulé il y a quelques semaines. À la CGT, nous avons réagi auprès des agents en leur faisant remarquer que cet appel à signature était raciste. Les conditions de travail des machinistes sont difficiles. Nous sommes soumis au stress, aux incivilités, à la pression que fait peser l’entreprise. Mais quel que soit le contexte, rien ne justifie des comportements discriminatoires. Dans certains cas, le chauffeur peut demander à des passagers de descendre s’il considère qu’ils représentent une menace, un danger pour lui ou pour les autres passagers. Des personnes agressives, alcoolisées, armées ou transportant des objets trop encombrants peuvent se voir refuser l’accès. Mais encore une fois, rien ne justifie des propos racistes », indique-t-il. « Dans le cas évoqué sur la ligne 213, poursuit-il, si le chauffeur s’était senti menacé, il aurait dû prévenir la sécurité en activant ce qu’on appelle une “alarme discrète”. »
« Ces agissements seraient passibles de sanctions »
Sollicité par Mediapart à la mi-mars, le service de presse de l’entreprise ne conteste pas les faits. Et assure même avoir procédé à un « rappel au règlement », signe que l’entreprise attribue à la plainte un certain crédit : « Il apparaît très difficile de savoir avec exactitude ce qu’il s’est passé sur cette ligne. Une enquête est actuellement en cours et nous sommes à la disposition de ceux qui la mènent pour y répondre en toute transparence. En tout état de cause, les agissements évoqués, s’ils étaient avérés, seraient contraires aux valeurs et au code éthique de l’entreprise, ainsi qu’au règlement que se doivent d’appliquer les conducteurs de bus de la RATP. Ces agissements, encore une fois s’ils étaient avérés, seraient en conséquence passibles de sanctions. Un rappel relatif à l’application du règlement, à savoir le fait d’accepter à bord des bus tout voyageur muni d’un titre de transport valide, a d’ores et déjà été réalisé par l’encadrement du dépôt de bus concerné. »
Les cabanons dans lesquels vivaient Cosmin et la musicienne de la Défense à Champs-sur-Marne viennent d’être détruits par les forces de l’ordre. Aux aurores, jeudi 13 mars, CRS et policiers ont fait irruption sur leur lieu de vie et ont procédé à l’expulsion des habitants.
La RATP a été précédemment mise en cause en août 2011 lorsqu’une rame de tramway a été spécialement affrétée pour transporter des familles roms qui venaient d’être chassées de leur campement de Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, situé près de l’hôpital Delafontaine. Parti de la station Cosmonautes, le véhicule a circulé pendant quarante minutes sous escorte policière, des agents se situant le long du trajet pour empêcher les passagers de descendre. Les Roms avaient été dirigés jusqu’au RER E, à Noisy-le-Sec, en direction de Chelles ou de Tournan en Seine-et-Marne.
La boîte noire :Cet article a fait l’objet d’une enquête au cours du mois de mars 2014. La RATP a répondu à l’ensemble de mes questions concernant sa connaissance des faits relatés, sa réaction auprès des agents et les procédures existantes en matière d’accès aux bus. À ma demande, le service de presse s’est engagé à transmettre au(x) chauffeur(s) incriminé(s) mon souhait de recueillir leur version des faits. Il n’a pas été donné suite à cette sollicitation.
Ils se moquent de la justice, des juges et du droit. Mardi soir, le site Mediapart a révélé une synthèse des écoutes réalisées par les juges sur le téléphone de Nicolas Sarkozy entre le 28 janvier et le 11 février. Ce sont les conversations de l’ex-président avec son avocat Thierry Herzog qui ont amené le parquet national financier à ouvrir une enquête pour trafic d’influence et violation du secret de l’instruction le 26 février.
Après avoir acquis des téléphones portables à puces, se croyant à l’abri des grandes oreilles des juges, l’ancien chef de l’Etat et son avocat se livrent a une opération de corruption d’un magistrat à la Cour de cassation. Mettant à mal la théorie du complot politique ou celle de la revanche des juges d’instruction, voici le fond de ce dossier, accablant, qui est dévoilé.
L’annulation de la saisie des agendas
Dans le cadre de l’enquête ouverte sur un possible financement de sa campagne électorale de 2007 par la Libye, Nicolas Sarkozy est placé sur écoute. Pour court-circuiter ces interceptions téléphoniques dont il a été averti, il se procure un nouveau portable, enregistré sous le nom de «Paul Bismuth», mais celui-ci est également «branché» par les enquêteurs. Il ne le sait pas, pas plus que son avocat, et les deux hommes discutent donc à bâtons rompus. Le 29 janvier, un de leurs échanges est intercepté : Me Herzog avertit son client qu’il a parlé avec «Gilbert». Il s’agit de Gilbert Azibert, magistrat à la Cour de cassation. La plus haute juridiction doit alors se prononcer sur la légalité de la saisie des agendas présidentiels dans le cadre de l’affaire Bettencourt.
Gilbert Azibert explique à Thierry Herzog qu’il a déjeuné avec l’avocat général chargé de prendre des réquisitions dans cette affaire. D’après Azibert, ces réquisitions seront favorables à l’ancien président. Elles le seront en effet. Me Herzog se montre donc confiant, «sauf si le droit finit par l’emporter», lâche-t-il. Le 30 janvier, l’avocat explique à son client que «Gilbert» a eu accès à une note confidentielle du rapporteur de la Cour de cassation, qui penche aussi pour l’annulation de la saisie des agendas. La conséquence de cette décision est énorme pour l’ancien chef de l’Etat : toute mention des rendez-vous inscrits dans ces carnets devra être effacée de la procédure Bettencourt. «Ce qui va faire du boulot à ces bâtards de Bordeaux», commente Herzog, évoquant les juges d’instruction qui avaient mis en examen Nicolas Sarkozy pour abus de faiblesse.
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Un magistrat très zélé
Gilbert Azibert est très coopératif. Le 5 février, toujours d’après une écoute révélée par Mediapart, il a pris un rendez-vous avec un conseiller pour tenter de l’inciter à prendre la bonne décision. Quelques jours plus tard, il annonce qu’il en a rencontré deux autres. Herzog le remercie, et lui assure que Nicolas Sarkozy va le recevoir car il sait «parfaitement» tout ce qu’il fait pour lui. C’est alors que le magistrat évoque ce poste à Monaco qu’il aimerait tant… D’après l’écoute, Nicolas Sarkozy se dit prêt à l’aider. «Tu rigoles, avec ce que tu fais…» lance Herzog à Azibert. Finalement, la Cour de cassation validera la saisie des agendas.
Une conversation fictive pour tromper les juges
Sarkozy et Herzog ne veulent pas que les juges se doutent qu’ils communiquent grâce à un autre téléphone. Ils vont donc imaginer des conversations sur des thèmes convenus à l’avance pour tromper leur vigilance… Sarkozy demande par exemple à son avocat de le rappeler, sur son vrai téléphone, pour «qu’on ait l’impression d’avoir une conversation». Sur quel sujet ? Les agendas Bettencourt… OK, mais «sans triomphalisme», prévient l’avocat.
Une taupe dans l’administration
Autre infraction détectée par les juges grâce aux écoutes : la violation du secret professionnel. D’après les échanges entre Sarkozy et son avocat, le premier est informé que les juges envisagent de perquisitionner son bureau dans le cadre de l’affaire libyenne. L’ancien président demande même à Thierry Herzog «de prendre contact avec [leurs] amis pour qu’ils soient attentifs».
«Je vais quand même appeler mon correspondant ce matin, […] parce qu’ils sont obligés de passer par lui», répond l’avocat. Ce correspondant n’est pas nommé. Les juges chargés de l’enquête pour trafic d’influence soupçonnent également une fuite au sein du conseil de l’ordre du barreau de Paris. Les juges sont en effet obligés de prévenir le bâtonnier lorsqu’ils placent sur écoute un avocat (Nicolas Sarkozy est inscrit au barreau de Paris).
Or, à chaque fois, l’ex-président a été prévenu qu’il était placé sur écoute. Dans l’affaire libyenne, il s’est procuré un nouveau téléphone. Et dans l’enquête pour trafic d’influence, d’après nos informations, la puce «Paul Bismuth» a aussi été grillée, Sarkozy sachant que ce second téléphone était sur écoute. D’où les perquisitions en catastrophe dans le cabinet et au domicile de Thierry Herzog, comme à la Cour de cassation, le 4 mars.