Catégorie : A la une

Retour sur les enjeux du mariage pour tous: contrôler le sexe pour contrôler la race

Blog Mediapart

L’importance de ce qui s’est passé avec le mariage pour tous et la Manif pour tous ne saurait être sous-estimée. Il est probable qu’à gauche (mais aussi sans doute à droite) on se dépêche d’oublier cette séquence qui n’avait pas été prévue. Il est frappant qu’aucune initiative indépendante n’ait été prise par les partis politiques (aucun meeting) pendant toute cette période[3]. La question n’a pas été soulevée lors de l’appel à manifester par Jean-Luc Mélenchon et le Front de gauche le 5 mai 2013 et la manifestation des femmes du 9 juin n’a pas non plus mobilisé sur la question de la PMA. C’est comme si la gauche de la gauche, dans ses diverses composantes, avait perdu à cette occasion toute qualité « mouvementiste ». Le but de cette contribution est de montrer que le débat ne renvoie pas (ou pas seulement) à une banale question d’égalité des droits. Il est aussi de proposer un parcours à travers les textes et propositions de féministes dont certains sont peu connus des militants français et qui nous amènera à comprendre le lien qui existe entre les questions de « genres » et celles de « races » sans opposer les deux[4].

Ce que je voudrais montrer dans cette contribution, c’est que la Manif pour tous a été un mouvement sexiste, raciste et de classe. Sarkozy avait souhaité déchaîner les passions en lançant un débat sur l’« identité française », les valeurs. Cela n’avait pas eu beaucoup de succès. Mais la séquence de six mois que l’on a vécu en 2013 a posé toutes ces questions de manière brutale et dans la rue. Avant même de développer un peu, certaines apparences ne trompent pas :

– l’idée que la gauche était forcément illégitime et que l’on vivait désormais sous une « dictature socialiste ».

– La demande des maires du droit à une objection de conscience. Cela fait inévitablement penser au droit à l’objection de conscience obtenu par les médecins qui refusent de pratiquer des IVG mais aussi à un maire qui refuserait de marier un Noir et une Blanche.

– Les slogans « CRS à Barbès », « CRS en banlieue ».

– Une affiche, retirée dans un second temps, représentant Taubira en singe.

– L’indifférence des participants de la Manif pour tous au fait qu’il s’agit d’un mouvement international (du Brésil à l’Afrique du Sud, en passant par de nombreux pays d’Europe) et cela au nom de la spécificité de la nation française, de la civilisation française (Taubira ayant employé ce mot de « civilisation », il a été repris ad nauseam). Il est intéressant de constater que plusieurs auteurs américains mais connaissant bien la France, avaient pressenti cela. Ainsi l’historienne Joan Scott écrivait en 2011 dans un débat qui l’opposait à des historiens français de droite :

« L’origine des tensions et des conflits qui accompagnent les relations entre les sexes est imputée aux faiseurs d’embarras du temps présent – homosexuels et féministes – qui ont perdu le contact avec ce que l' »histoire » peut nous apprendre sur les inclinations humaines naturelles. Ces inclinations s’étendent de la sexualité à la politique : la hiérarchie du couple devient un modèle d’organisation sociale. […] En enracinant les comportements « français » contemporains dans une « tradition ancestrale », Habib et Ozouf essentialisent l’identité française et écartent les musulmans de la communauté nationale. […] Les dissidents sont les femmes qui demandent l’égalité des droits dans la vie politique, les homosexuels, le mariage et l’accès à la PMA, ou les musulmans qui veulent que le port du voile soit reconnu comme une forme légitime de pratique religieuse par les femmes. […] Les trois mettent en cause l’existence même de la communauté nationale[5]. »

Judith Butler avait pressenti la même chose dès 2008 à propos du débat sur le PACS :

« Le refus d’accorder une reconnaissance légale à la parentalité gay va de pair avec des politiques d’État anti-musulmanes destinées à soutenir un ordre culturel qui maintient la normativité hétérosexuelle nouée à une conception raciste de la culture. Conçu comme intégralement paternel et nationaliste cet ordre est […] menacé par les agencements parentaux […] des communautés immigrées[6]. »

Rappelons-nous, à cette occasion, que Royal tout comme Sarkozy, expliquaient les émeutes de 2005 comme la conséquence de la dégradation des structures familiales chez les immigrés.

Si le débat ne renvoie pas à une simple « question démocratique » – pour reprendre le vocabulaire marxiste – mais que les enjeux sont beaucoup plus importants (A qui appartiennent les enfants ?, Qu’est-ce que la biologie ?, Comment la France s’est constituée ?, etc.). On ne fera pas rentrer si vite le diable dans sa boîte !

L’identité de la Manif pour tous         La préoccupation essentielle de la Manif pour tous est la lutte contre le « relativisme » qui est depuis longtemps l’angoisse de l’Église catholique et qui avait amené en son temps le pape Léon XII à mettre les trois principaux livres de Bergson à l’Index : l’idée est que toutes les cultures ne se valent pas, elles sont hiérarchisées. Il y a « une » vérité dont l’Église est dépositaire. Il existe aussi un courant important de la Manif pour tous (en particulier les Veilleurs) qui constitue une résurgence des idées de Charles Maurras : il est volontiers « anticapitaliste » (il refuse la « marchandisation » à l’œuvre dans les nouvelles techniques de procréation) comme l’y invite toute une tradition catholique mais profondément patriarcale[7]. Il y a évidemment peu de chances pour que les partis de droite, défenseurs inconditionnels du capitalisme et de ses exigences, en reprennent les thématiques. Ils ont tenté d’établir des liens avec les écologistes, par exemple les opposants au nouvel aéroport de Nantes, mais ont été accueillis comme ils le méritent : « Non à la veillée puante ! » Ils ne pourront qu’être en désaccord avec des mesures comme l’extension du travail du dimanche : ce sont les députés de l’UMP, catholiques, qui étaient en pointe contre le mariage pour tous qui s’opposent aujourd’hui à la ligne majoritaire de leur parti sur ce sujet.

L’ouverture du mariage aux couples du même sexe s’attaquerait donc à des choses qui relèvent de la nature, à des choses qui existeraient indépendamment de tout choix ou de toute construction. Il s’agit donc toujours de « naturaliser ». Les chefs de file de la Manif pour tous n’ont cessé de répéter qu’il n’y a qu’une alternative : entre ce qui est « naturel » et ce qui renverrait à des « choix ». Ainsi, ce que les opposants appellent la « théorie du genre » serait, en fait, une théorie où chacun « choisirait » son sexe. Peu importe si cela ne correspond évidemment pas du tout à la réalité des débats sur le genre qui disent souvent exactement l’inverse.

La meilleure manière d’argumenter en « nature » est d’avancer des slogans qui semblent relever de l’évidence, du bon sens. Comme « Tous nés d’un père et d’une mère », ou « Tous nés d’un homme et d’une femme ». Dans le manifeste de l’Avenir pour tous (une des structures qui a succédé à la Manif pour tous), on peut lire qu’il faut rétablir « la norme supérieure de l’engendrement humain biologique » ou le slogan d’une « écologie humaine ». Un oxymore parfait puisque l’écologie, c’est par définition le fait de ne plus rester entre humains mais de faire entrer les non-humains en politique !

Leur intervention s’est focalisée » sur trois sujets :

– La filiation : un enfant a besoin d’un père et d’une mère.

– La mise dans le même sac de la GPA et de la PMA. C’est un coup de génie, mais qui est aussi très révélateur. Car qu’est-ce qu’ont en commun la GPA et la PMA ? Rien, sinon d’être le fruit d’une intervention technique, de ne pas être « naturel ». Du point de vue de l’histoire des luttes des femmes contre le contrôle de leur corps par l’Église ou par l’État, ces deux techniques sont même à l’opposé.

– La soi-disant théorie relativiste du genre.

Cette insistance sur la nature, la biologie comme fondatrices est très liée à la question de la constitution de l’État français comme un État colonial et raciste. On y reviendra.

Un mouvement sexiste         Derrière le banal « Tous nés d’un homme et d’une femme », il y a l’idée que le père et la mère jouent naturellement des rôles différents auprès de l’enfant. Mais lesquels ? Très vite on tombe sur des préjugés sexistes naturalisés qui renvoient du côté de la mère à la tendresse, à la gardienne du foyer, à la vie privée, et, du côté du père, à l’autorité, à la vie publique, au travail rémunéré, etc. On est en plein dans ce qui définit justement l’oppression des femmes quelle que soit par ailleurs l’analyse que l’on fait du travail domestique.

Cette distribution des rôles n’a rien d’universel, elle est battue en brèche avec la généralisation du travail des femmes, elle ne renvoie justement pas au sexe mais à ce qui a pris le nom de « genre ».

Pour simplifier les choses, on pourrait dire qu’à partir des années 1975, des auteures comme Gayle Rubin ont proposé trois niveaux d’analyse qu’on a appelés le « système sexe/genre ». Le sexe renvoie à l’opposition mâle/femelle et le genre à l’opposition masculin/féminin ou homme/femme. À ce propos, beaucoup ont parlé de « construction sociale », ce qui n’est évidemment pas la même chose que le « choix ». Une formule est devenue célèbre : ce n’est pas parce qu’on a un zizi qu’on aime le foot et parce qu’on a un vagin qu’on est destiné à faire la cuisine !

Il y a, enfin, la sexualité.

On s’aperçoit très vite qu’il faut se méfier d’un rapport soi-disant matérialiste entre sexe, genre et sexualité. Il serait catastrophique de considérer que le sexe, c’est du solide (toute plaisanterie mise à part), le genre relevant de l’appris ou du choix, ce qui ferait, finalement, qu’il y aurait une sexualité logique donc « normale », l’hétérosexualité. Elle serait logique au sens où elle découlerait de la nature, de la biologie. Ce qui n’empêcherait pas d’être « tolérant » envers les sexualités qui ne sont pas dans la logique, « non-normales ».

Il faut aussi se méfier de parler de « rapport dialectique » entre homme et femme constituant la base de développements…

On pourrait dire que c’est le genre qui est encore le niveau le plus stable – comme l’a fait Daniel Bensaïd avec les classes sociales quand il explique que les classes sociales ne sont pas premières (sociologiquement en quelque sorte), que c’est la lutte des classes qui est créatrice. Le genre est ce qui stabilise, ou tente de stabiliser, la sexualité, d’un côté, et le sexe, de l’autre.

Sexualité et sexe sont deux inextricables fouillis. C’est connu pour la sexualité, un peu moins pour le sexe. On a longtemps caché qu’un enfant sur 70 naît avec des caractéristiques sexuelles « intermédiaires » plus ou moins évidentes[8]. Mais, on estime que pour 200 à 300 enfants qui naissent chaque année en France, on est dans la plus grande difficulté pour les assigner à un sexe. On va donc les opérer (j’aurais envie, ici, d’employer le mot d’« excision ») à la naissance et on fabriquera le plus souvent des filles, c’est plus facile ! Plusieurs pays, comme l’Australie ou l’Allemagne, ont décidé de ne plus se voiler la face : ils ont créé une catégorie « autre » en plus de H et F au moment de la déclaration de naissance de l’enfant et ne font plus d’opération chirurgicale précoce.

Évidemment, le plus simple serait que l’on cesse d’exiger de déclarer le sexe des enfants à la naissance : en quoi cela intéresse-t-il l’État ? L’État est-il le propriétaire des enfants ?

Quant à la sexualité, il faudra encore de longues batailles contre la position qui considère que l’hétérosexualité est, « quand même », la plus « normale ». L’hétéronormativité est au cœur de la psychanalyse freudienne. Judith Butler constate ainsi à son sujet que « l’hétérosexualité incestueuse est constituée comme la matrice prétendument naturelle et pré-artificielle du désir[9] ». Cela nous renvoie au complexe d’Œdipe, impossible à symétriser entre fabrication des hommes et fabrication des femmes. Le « tabou de l’inceste » protégerait un tabou de l’homosexualité.

 

Il ne faut pas cacher que la naturalisation du rapport homme/femme est également présente chez Marx. Ce dernier écrit dans les Manuscrits de 1844 : « Le rapport de l’homme à la femme est le rapport le plus naturel de l’homme à l’homme. » Marx n’historicise pas ce rapport qui renverrait donc à la nature. Ce serait une matière première, un matériau brut pour penser ensuite la production de l’histoire.

Le genre comme stabilisateur         Le genre ne stabilise pas impunément le sexe et la sexualité. Il est immédiatement un rapport de pouvoir. Dès 1975, Gayle Rubin écrit :    « Nous ne sommes pas seulement opprimées en tant que femmes, nous sommes opprimées par le fait de devoir être des femmes ou des hommes selon les cas[10]» De la même manière Christine Delphy écrit : « La division hommes/femmes se construit en même temps que la hiérarchie et non pas avant[11]. » Pour Judith Butler, le genre est moins la construction sociale de la différence des sexes qu’une « façon première de signifier des rapports de pouvoir ». Le rapport d’oppression ne vient pas après l’instauration de la division, il lui est consubstantiel[12].

Judith Butler va beaucoup travailler sur cette question du genre abandonnant un Freud trop biologisant pour un Lacan qui insiste sur l’importance du « symbolique » et du langage : si le genre ne se construit pas sur le sexe, dans une biologie naturelle qui serait portée par le sexe, c’est qu’il relève de l’imitation sans qu’existe un original, tout en « créant un effet de naturel ». Le genre, selon Butler, relève de la performance, de la mascarade, de la parade, de la danse de séduction. Il commande le désir.

Le corps genré est donc un corps performé et non pas « naturel »[13].

 

Il est temps de remarquer que toutes ces auteures font la même référence à un texte que l’on pourrait dire fondateur : Le Deuxième Sexe publié en 1949 par Simone de Beauvoir :

« On ne naît pas femme : on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine ; c’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castra qu’on qualifie de féminin[14]. »

Le mariage pour tous et l’égalité des droits         Nous pouvons maintenant revenir à la question posée en introduction : le mariage pour tous relève-t-il de l’égalité des droits ? Si on considère que c’est le cas, encore faut-il préciser entre qui et qui. Qui devient égal à qui ? Qu’est-ce qui compte ? Le Sexe ? Le genre ? La sexualité ?

S’il y a égalité des droits, c ‘est qu’on choisit le niveau de la sexualité. Il s’agit alors d’une égalité des droits entre « hétérosexuels » et « homosexuels ». Il saute aux yeux que c’est très réducteur puisqu’on peut très bien imaginer que des femmes ou des hommes décideront de se marier par exemple pour des raisons d’amitié profonde afin de faire bénéficier le survivant d’un certain nombre de droits sans pour autant être homosexuels. Qui peut y trouver à redire ?

Les ennemis du mariage pour tous ont hésité à cet endroit précis. Le cardinal Barbarin a fait l’erreur de dire que le mariage était « hétérosexuel ». Ce qui revenait de sa part à confondre le niveau du sexe et celui de la sexualité ! Il affaiblissait ainsi la position des ennemis du mariage pour tous. Boutin, un peu plus maline, n’a pas fait cette erreur en insistant sur le fait que les homosexuels avaient le droit de se marier « mais avec des personnes de sexe opposé » !

Prendre le niveau de la sexualité pour proclamer l’égalité des droits n’est pas sans poser un gros problème : qu’on le veuille ou non, cela « essentialise », « naturalise » homosexualité et hétérosexualité. Ils deviennent, à leur tour, des normes universelles a priori. Michel Foucault a très tôt compris ce risque quand il mettait en garde contre l’idée de « faire de la sexualité un invariant » qui ne se modifierait que dans ses « manifestations » du fait de la « répression »[15]. Il écrit : « Cela revient à mettre hors champs historique le désir et le sujet du désir, et à demander à la forme générale de l’interdit de rendre compte de ce qu’il peut y avoir d’historique dans la sexualité[16]. »

Ce serait bien la peine d’avoir déstabilisé le sexe et genre, si c’est pour restabiliser les choses de cette manière à partir d’une tradition qui est profondément occidentale. Sébastien Chauvin et Arnaud Lerch ont bien raison de venir nous compliquer la tâche :

« Le terme « hétérosexualité », invention datant de la fin du xixe siècle, fut forgé en même temps que celui d' »homosexualité » par le militant homosexuel Karl Maria Kertbeny, qui cherchait à constituer les deux comme des réalités également naturelles et légitimes. Dans la période victorienne antérieure, les idéaux masculins et féminins étaient d’abord définis non par leur « sexualité », mais au contraire par leur distance à la concupiscence. Le désir hétérosexuel était anormal s’il ne visait pas exclusivement la procréation, ce dont témoignent encore certains usages du mot « hétérosexualité » au début du xxe siècle : un dictionnaire médical définit ainsi en 1901 l’hétérosexualité comme un « appétit sexuel morbide pour le sexe opposé ». Au début du xxe siècle, la sexualité hétérosexuelle perd sa dimension pathologique et devient revendiquée, recommandée. […] Il faut cependant attendre les années 1960 pour que la sexualité entre hommes et femmes soit finalement valorisée en tant que telle, en dehors de toute préoccupation reproductive ou matrimoniale, et qu’ainsi le modèle « hétérosexuel » arrive à maturité[17]. »

Il faut bien reconnaître qu’on a donné au reste du monde l’impression (pas si fausse) qu’on était des girouettes : en un siècle, on leur a d’abord fait inscrire (par exemple, au Maroc ou en Inde) l’homosexualité comme un crime ou un délit (ils étaient des barbares de ne pas s’en préoccuper) et, maintenant, on leur dit qu’ils sont des barbares d’avoir une telle législation ! Cela renvoie bien à notre hypocrisie et à notre suffisance colonialiste.

Mais si le mariage pour tous ne renvoie pas à une question d’égalité des droits, comment le justifier ?

Le sexe et l’État         On pourrait proposer une autre version que celle de l’égalité des droits et dire qu’avec le mariage pour tous, L’État ne se mêle plus, enfin, du sexe des partenaires[18]. Il y a là un vieil enjeu qu’il faut réactiver. Michel Foucault a été le premier à le souligner en écrivant que la « technologie du sexe » « faisait du sexe non seulement une affaire laïque mais une affaire d’État : mieux une affaire où le corps social tout entier, et presque chacun de ses individus, était appelé à se mettre en surveillance[19] ». Si c’est l’État qui définit la relation d’égalité qui doit être prise en compte, alors il y a lieu de se méfier : contrôler le sexe et les populations fait partie de ce que Michel Foucault a appelé la biopolitique. La question n’est jamais neutre mais engage toujours des projets de contrôle, articulant Etat et capitalisme.

 

On comprendra mieux en revenant sur l’œuvre, essentielle, de Monique Wittig, écrivaine de talent, connue pour avoir participé au dépôt d’une gerbe sous l’Arc de triomphe le 26 août 1970 « à la mémoire de la femme du soldat inconnu ». Elle écrit : « L’hétérosexualité n’est pas seulement une sexualité mais un « régime politique ». » Celui qui fait des femmes les esclaves des hommes. Elle va, du coup, redéfinir les lesbiennes : ce sont les femmes qui sont devenues des esclaves en fuite, marrons, transfuges. Cependant, grâce à l’abolition de l’esclavage, la « déclaration » de la « couleur » est maintenant considérée comme une discrimination. Mais ceci n’est pas vrai pour la « déclaration » de « sexe » que même les femmes n’ont pas rêvé d’abolir. Je dis : qu’attend-on pour le faire ?[20] »

Il n’y a plus aucune raison raisonnable pour que l’État s’occupe du sexe. Si l’État à partir du xviiie siècle s’intéresse tant au sexe, c’est pour des raisons d’identification mais aussi parce qu’il existe un ensemble qui fait système. Il s’agit de contrôler le genre pour contrôler la race. Utiliser le genre, c’est la principale arme du racisme constitutif de la politique coloniale européenne. Il faut avoir en mémoire que les enjeux sont considérables : « de 1815 à 1914, l’empire colonial direct de l’Europe est passé de 35 % de la surface de la terre à 85 %. Tous les continents ont été touchés[21]. »

Sexe et genre sont intimement liés comme le révèle l’étymologie. C’est ce que rappelle Donna Haraway. Elle a rédigé l’article « genre » dans la version allemande du dictionnaire du marxisme (entrée qui n’existait pas dans la version française !). Elle rappelle :

« « Gender » comme « genre » dérivent du latin generare(engendrer) dont la racine est « gener » qui a donné « race » et « genre »[22]. »

Le recoupement du sexe et de la race va prendre une forme bien résumée par Gayatri Spivak : « Des « hommes » blancs veulent aider des femmes de couleur à se libérer des hommes de couleur[23]. »

Il n’est finalement pas étonnant de constater que l’on retrouve aujourd’hui presque les mêmes mots utilisés : « Cette solution est résumée par Loubna Méliane, porte-parole de Ni putes ni soumises : « il faut aider les femmes des quartiers à quitter leur milieu et leur famille »[24]. »

Cette question n’a pas échappé à l’historienne Ann Laura Stoler qui a étudié les politiques française et néerlandaise en Indochine et dans les Indes néerlandaises. Elle remarque :

« Il est toujours frappant d’observer à quel point le contrôle sur la sexualité et la reproduction se trouvait au cœur de la définition des privilèges coloniaux et de leurs limites[25]. »

Ainsi dans le Code civil de 1848 des Indes néerlandaises les femmes indigènes « n’avaient aucun droit sur les enfants reconnus par l’homme blanc ». Elle écrit encore :

« J’envisage le discours administratif et médical, ainsi que la gestion de l’activité sexuelle, du mariage et de la reproduction des Européens, comme partie prenante de l’appareil de contrôle colonial. […] La pensée raciale ne suit pas l’ordre bourgeois, elle le constitue. »

Elle rappelle qu’à partir des années 1920 « on a de plus en plus entendu la voix des défenseurs – voir des praticiens – de la stérilisation des personnes jugées « inaptes », membres des classes inférieures d’Angleterre, d’Allemagne et d’Amérique du Nord ». Cela n’est pas sans rappeler ce qui présente désormais comme une véritable interdiction de procréer pour les lesbiennes : l’interdiction de la PMA. Même si celle-ci restera en partie théorique (la PMA est une technique qui peut se pratiquer sans l’appareillage médico-technique), l’exclusion des femmes qui ne sont pas en couples hétérosexuels relève bien d’un régime de biopolitique.

Cela peut nous rappeler aussi ce qu’écrivait Frantz Fanon qui pourtant n’est pas très à l’aise pour parler de sexe et de sexualité comme en témoigne sa remarque un peu naïve selon laquelle il n’y a pas de pratiques homosexuelles en Martinique[26]. Alors que son livre Peaux noires, masques blancs est consacré au racisme, il intitule le premier chapitre « La femme de couleur et le Blanc » et le deuxième « L’homme de couleur et la Blanche », témoignant de l’intrication entre sexe et race.

Retour sur le genre         Je voudrais pour terminer revenir sur la question du genre. Donna Haraway comme Bruno Latour et Isabelle Stengers nous ont appris à nous méfier des oppositions binaires. On a vu qu’il fallait les déstabiliser plutôt que de les dialectiser et que l’État les restabilisait en permanence pour se constituer comme État colonial/racial. Or, si l’opposition genre/sexe recouvre l’opposition culture/nature ou construit/naturel, on risque un nouveau désastre.

C’est sans doute la raison pour laquelle Monique Wittig a toujours refusé la notion de genre (distincte du sexe). Elle écrit :

« Une relation d’appropriation spécifique par un homme, voilà ce qui fait la femme. À l’instar de la race, le sexe est une fonction « imaginaire » qui produit de la réalité, y compris des corps perçus comme préexistants à toute construction[27]. »

Si le sexe renvoie à la biologie comme indiscutable (à la Science) on retrouve sous une nouvelle forme tout ce à quoi nous avons essayé d’échapper dans cette contribution. Donna Harraway écrit aussi : « « Biologie » en est ainsi venu à dénoter le corps lui-même, plutôt qu’un discours social ouvert à l’invention. » C’est d’ailleurs ce que rend inévitable la discussion sur les intersexués – où les biologistes sont venus enrichir et multiplier les perspectives et non pas comme on aurait pu s’y attendre opérer une « réduction (mais cette ouverture à de nouvelles questions n’est-elle pas ce qui caractérise la bonne science[28] ?). On ne parle pas non plus impunément de la fécondation en utilisant des mots comme « compétitivité » pour parler de la « course des spermatozoïdes ». Il faut là aussi trouver de nouveaux mots, de nouvelles descriptions et proposer de nouveaux programmes de recherche biologiques.

 

Pour conclure, nous devons tenir compte des héritages lourds et particuliers que nous avons comme femmes ou comme homosexuels. Comment venir peupler « la maison des différences » et non pas en faire une arme de combat utilisable par l’État bourgeois et raciste ? On se rappelle de Bush justifiant l’intervention en Afghanistan par la nécessité de libérer les femmes ! Quand est né, dans les années 1980, le Black feminism, ce fut un moment très important : les femmes noires n’héritaient pas de la même chose que les femmes blanches. Donna Haraway rappelle : « au xixe siècle, des féministes blanches étaient mariées à des hommes blancs – à l’époque de l’esclavage – tandis les féministes noires étaient la propriété des hommes blancs. » De même les femmes noires n’avaient pas la propriété de leurs enfants. « Donc, le problème de la mère noire n’est pas seulement son statut de sujet, mais aussi le statut de ses enfants, de ses partenaires sexuels. Rien d’étonnant si la promotion de la race et le refus d’une séparation catégorique entre hommes et femmes – envers et contre toute analyse de l’oppression sexiste noire et blanche – occupent une telle place dans le discours des féministes noires du Nouveau Monde. »

On peut trouver des préoccupations semblables dans certaines interventions de Houria Bouteldja du Parti des indigènes de la république avec laquelle nous avons pourtant de multiples et graves divergences[29]. Elle explique aux féministes françaises qui campent sur une position définitive – nous savons bien ce que signifie le voile ! –, comment cette question a surgi après la défaite de « l’antiracisme officiel » « dans un contexte de relégation sociale et raciale et dans un contexte où l’idéologie dominante propose aux femmes de l’immigration de se libérer de leur famille, de leur père, frère, religion, tradition ». « Par le voile, les femmes disent aux hommes blancs, notre corps n’est pas à votre disposition. » Cela mérite d’être entendu même si le débat doit continuer.

Le mariage pour tous et la rage qui s’est déchaînée à cette occasion ne sont donc pas seulement l’occasion de dénoncer une homophobie par ailleurs bien réelle. La question touche un nombre extraordinaire d’enjeux politiques au-delà de la question homosexuelle. Le débat est loin d’être terminé y compris parmi ceux qui ont soutenu la loi et qui peuvent l’avoir fait pour des raisons très différentes.

 


[1] Exposé fait à l’université d’été du NPA le 25 août 2013.

[2] Editeur des Empêcheurs de penser en rond (La Découverte) et président de la Société Louise-Michel.

[3] Seule la Société Louise-Michel a organisé une réunion le mercredi 16 janvier 2013 avec Eric Fassin. Son intervention, de grande qualité, peut être visionnée sur le site <societelouisemichel.org>.

[4] En ce sens ce texte propose une démarche qui est totalement opposée à celle de Félix Boggio Ewanjé-Epée et Stella Magliani Belkacem dans Les Féministes blanches et l’empire, Paris, La Fabrique, 2012. La position que je développe ici est, en revanche, très proche de celle d’Elsa Dorlin. On lira avec profit son formidable petit livre : Sexe, genre et sexualité, Paris, PUF, 2008.

[5]    Joan W. Scott, De l’utilité du genre, Paris, Fayard, 2012.

[6]    Judith Butler, Ce qui fait une vie, Paris, Zones, 2010.

[7] Sur l’anticapitalisme en « affinité élective » avec le catholicisme, on lira avec intérêt le livre de Michael Löwy, La Cage d’acier. Max Weber et le marxisme wébérien, Paris, Stock, 2013. Cet anticapitalisme peut prendre la forme la meilleure avec la théologie de la Libération et la pire avec la pensée de Charles Maurras et l’antisémitisme.

[8]    Anne Fausto-Sterling, Corps en tous genres. La dualité des sexes à l’épreuve de la science, Paris, La Découverte, 2012.

[9]    Judith Butler, Trouble dans le genre, Paris, La Découverte, 2005,2006.

[10]  Gayle Rubin, Surveiller et jouir. Anthropologie politique du sexe, Paris, Epel, 2010.

[11]  Christine Delphy, Classer, dominer. Qui sont les « autres » ?, Paris, La Fabrique, 2008.

[12] Christine Delphy, L’Ennemi principal. Penser le genre, T. II, Paris, Sylepse, 2009.

[13] Comme le corps « racial ». Voir Jean-Paul Rocchi, «  Littérature et psychanalyse de la race », Tumultes, n° 31, 2008.

[14] Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, paris, Gallimard, 1949.

[15]  Soulignons ici que tous ceux qui ont travaillé sur ce sujet, à l’exception de Michel Foucault sont des femmes. Les lesbiennes ont joué un rôle essentiel à partir des années 1975.

[16]  Michel Foucault, Histoire de la sexualité. L’usage des plaisirs, T. 2, Paris, Gallimard, 1984.

[17]  Sébastien Chauvin et Arnaud Lerch, Sociologie de l’homosexualité, Paris, La Découverte, « Repères », 2013.

[18] J’emploie ici volontairement le mot de « version » une version n’est jamais exclusive, ne prétend pas à la vérité absolue. Sur cet usage : Vinciane Despret, Isabelle Stengers, Les Faiseuses d’histoire. Que font les femmes à la pensée, Paris, La Découverte/Les Empêcheurs de penser en rond, 2011.

[19]  Michel Foucault, Histoire de la sexualité. La Volonté de savoir, T. 1, Paris, Gallimard, 1976.

[20]  Monique Wittig, La Pensée straight, Paris, Éditions Amsterdam, 2007, 2013.

[21]  Edouard Saïd, L’Orientalisme, Paris, Seuil.

[22]  Donna Haraway, Des singes, des cyborgs et des femmes, Paris, Éditions Jacqueline Chambon, 2009.

[23]  Gayatri Chakravorty Spivak, Les Subalternes peuvent-elles parler ?, Paris, Éditions Amsterdam, 2009.

[24]  Cité par Christine Delphy (Christine Delphy, Classer, dominer, op. cit.). Sur ce rapport entre sexes et races, le travail de Christine Delphy est absolument irremplaçable. Il est d’une qualité inégalée.

[25]  Ann Laura Stoler, La Chair de l’empire. Savoirs intimes et pouvoirs raciaux en régime colonial, Paris, La Découverte, 2013.

[26]  Il écrit en note : « Mentionnons rapidement qu’il ne nous a pas été donné de constater la présence manifeste de pédérastie en Martinique. Il faut y voir la conséquence de l’absence de l’Œdipe aux Antilles. On connaît en effet le schéma de l’homosexualité. Rappelons toutefois l’existence de ce qu’on appelle là-bas « des hommes habillés en dames » ou « Ma Commère ». Ils ont la plupart du temps une veste et une jupe. Mais nous restons persuadé qu’ils ont une vie sexuelle normale. Ils prennent le punch comme n’importe quel gaillard et ne sont pas insensibles aux charmes des femmes, – marchandes de poissons, de légumes. Par contre en Europe nous avons trouvé quelques camarades qui sont devenus pédérastes, toujours passifs. Mais ce n’était point là homosexualité névrotique, c’était pour eux un expédient comme pour d’autres celui de souteneur. » Frantz Fanon, Peaux noires, masques blancs, Paris, Seuil, « Point ». On peut lui opposer ce que déclarait récemment Patrick Chamoiseau : « Dans ma jeunesse, il n’y avait pas de problème homosexuel en  Martinique. C’était hyper réprimé, résiduel, confidentiel. Ca ne gênait personne. On voyait surtout des homos extravertis, des petites folles. Les termes qui qualifiaient les homosexuels n’étaient pas péjoratifs : Macoumé (ma commère) pour les gays, zanmi pour les lesbiennes (les amies). Ce n’était pas agressif. » <outremerlemag.fr>.

[27]  Monique Wittig, La Pensée straight, op. cit. Monique Wittig nous met aussi en garde contre la psychanalyse, y compris sa version lacanienne défendue, par exemple, par Judith Butler : « La linguistique engendre la sémiologie et la linguistique structurale, la linguistique engendre le structuralisme, lequel engendre l’Inconscient Structural. L’ensemble de ces discours effectue un brouillage – du bruit et de la confusion – pour les opprimés, qui leur fait perdre de vue la cause matérielle de leur oppression et les plonge dans une sorte de vacuum a-historique. » On peut penser que la référence à la psychanalyse ne permet de lier sexe et race que sur le mode analogique, ce qui est évidemment totalement insuffisant. Voir Jean-Paul Rocchi, « Frantz Fanon et la théorie queer », <csprp.univ-paris-diderot.fr>.

[28] Isabelle Stengers, Une autre science est possible !, Paris, La Découverte/Les Empêcheurs de penser en rond, 2013.

[29] Je fais référence à son intervention à l’université de Berkeley, « Race, classe et genre : l’intersectionalité entre réalité sociale et limites politiques », < indigenes-republique. fr >. Là où Houria Bouteldja est moins convaincante, c’est quand elle fait appel à l’arsenal théorique althussérien pour défendre ses positions.

« Bassin miné », le film qui met le FN à nu

Blog Mediapart

  |

Bassin miné, le documentaire qui décrypte la stratégie d’implantation du Front national à Hénin-Beaumont, lance une souscription. 80 % du film est déjà «en boîte», les 20% restants dépendent de vous…

Bassin miné, la bande annonce © Edouard Mills-Affif :

http://www.dailymotion.com/video/x1cm26l_bande-annonce-bassin-mine_news

En 2003, Edouard Mills-Affif, documentariste, était le premier à témoigner de la percée du Front national dans le bassin minier (Pas-de-Calais), une terre de gauche blessée devenue un terrain de chasse idéal pour l’extrême droite. Il y a dix ans, Au pays des Gueules noires: la fabrique du Front national (52’) pénétrait dans les coulisses du laboratoire de Steeve Briois et dévoilait la face cachée de la stratégie de « dédiabolisation » chère à Marine Le Pen. Avec Bassin miné, il poursuit ce travail de décryptage, à l’occasion des prochaines élections municipales, qui pourraient voir Hénin-Beaumont basculer du Parti socialiste vers le Front national. Le récit, sur une décennie, d’une méthodique conquête politique.

Avec ce film, nous désirons nous engager sur cette voix étroite, consistant à éviter à la fois les pièges du documentaire militant, du film de combat anti-FN, caricaturant les personnes filmées et diabolisant « l’ennemi », et les pièges de la chronique dite «objective» qui, à trop vouloir respecter le principe de neutralité, risque de basculer dans une complaisante empathie à l’égard du Front national, en l’absence de contrepoint et d’un point de vue explicite.

8 0 % du film est déjà «en boîte», les 20% restants dépendent de vous ! Pour souscrire, cliquez ici : http://www.bassinmine.com/soutenir/

Vous pouvez nous suivre sur ce blog, et retrouver nos infos, nos vidéos sur www.bassinmine.com

Les réseaux russes de Marine Le Pen

Mediapart.fr

19 février 2014 | Par Marine Turchi
Au Parlement européen, le 2 juillet.
Au Parlement européen, le 2 juillet. © Reuters

Marine Le Pen ne se contente pas de dire tout le bien qu’elle pense de Vladimir Poutine. Son parti et son entourage cultivent de solides réseaux russes, à Paris comme à Moscou. Ces liens sont bien plus que géopolitiques.

Marine Le Pen ne se contente pas de défendre une « alliance stratégique poussée » avec la Russie et de dire toute son « admiration » pour Vladimir Poutine. Son parti et son entourage cultivent de solides réseaux russes, à Paris comme à Moscou, dans des cercles politiques et économiques. Ces liens dépassent la géopolitique.

Au cœur de ces réseaux franco-russes, on trouve Aymeric Chauprade. Éminence grise de Marine Le Pen depuis quatre ans, ce géopoliticien tient depuis l’automne un rôle officiel : il est devenu son conseiller spécial, le responsable de la fédération des Français de l’étranger, mais aussi la tête de liste FN en Île-de-France aux européennes. La présidente du FN l’a présenté le 22 janvier comme « celui qui (l’)appuie depuis plusieurs années dans (sa) réflexion sur les relations internationales » (voir la vidéo).

Ses liens avec le FN sont étroits. La trésorière de son association de financement pour la campagne des européennes de 2014, déclarée en préfecture le 30 décembre, est Yann Maréchal, la sœur cadette de Marine Le Pen, à la tête de la direction des grandes manifestations au siège du FN.

Ludovic de Danne, Marine Le Pen et Aymeric Chauprade lors de la conférence de presse internationale du FN, le 22 janvier.
Ludovic de Danne, Marine Le Pen et Aymeric Chauprade lors de la conférence de presse internationale du FN, le 22 janvier. © Capture d’écran de la vidéo du FN

Également consultant international, Chauprade bénéficie de nombreux réseaux dans les milieux militaires et de défense nationale, jusqu’à Moscou. En juin, il lance devant la Douma, le Parlement russe, son « appel de Moscou » pour soutenir « les efforts de la Russie visant à résister à l’extension mondiale voulue par l’Occident des “droits” des minorités sexuelles ». Trois mois plus tard, il est l’invité du Club Valdaï, forum international sous l’égide de Poutine.

À l’université d’été du FN, il évoque la Russie à neuf reprises et dénonce sous les applaudissements « l’acharnement de nos médias contre Poutine », « qui a pourtant redressé la Russie de manière spectaculaire depuis 1999 » (voir les images à 14’50). Partisan d’une alliance franco-russe, il s’est dit en octobre « très heureux de travailler de plus en plus avec la Russie ».

« Nos intérêts coïncident avec ceux de la Russie. Nous avons un certain nombre de Français expatriés à Moscou qui sont des relais. Nous avons aussi des contacts en France », confirme à Mediapart le député européen FN Bruno Gollnisch. Chauprade fait le lien avec la Russie, avec deux autres personnages clés : Xavier Moreau, à Moscou, et Fabrice Sorlin, à Paris. Tous se retrouvent sur le site de géopolitique du conseiller de Marine Le Pen, Realpolitik TV, dont Moreau dirige l’antenne russe (aucun des trois n’a donné suite à nos demandes d’entretien – lire notre boîte noire).

Entretien d'Aymeric Chauprade par Xavier Moreau, en février 2013.
Entretien d’Aymeric Chauprade par Xavier Moreau, en février 2013. © Capture d’écran du site realpolitik.tv

Saint-cyrien et ancien officier parachutiste, Xavier Moreau s’est reconverti dans la sécurité privée en créant la société « de conseil en sûreté des affaires », Sokol, basée à Moscou. Installé en Russie depuis 2000, c’est autour de lui que les réseaux d’extrême droite se structurent à Moscou. Il voit en la Russie un « modèle alternatif de développement social » mais aussi un réel intérêt pour les investisseurs français. Il livre ses thèses à l’occasion de conférences, chroniques, ouvrage, ou d’interviews sur des sites d’extrême droite (ici ou ).

Xavier Moreau sur le site d'Aymeric Chauprade, Realpolitik TV.
Xavier Moreau sur le site d’Aymeric Chauprade, Realpolitik TV. © Capture d’écran Realpolitik TV.

Entre le FN et le chef d’entreprise, Bruno Gollnisch parle de « relations amicales ». « C’est un homme d’affaires, un garçon influent. Il a des amitiés là-bas et notamment chez M. Poutine. Je crois que c’est toujours l’un de nos contacts en Russie. Il a servi dans certaines circonstances d’intermédiaire », explique l’élu FN, qui coupe court lorsqu’on l’interroge sur la nature de ces liens : « Si on ne veut pas griller les contacts et les relations, cela requiert une certaine discrétion. On va s’arrêter là. »

Sollicité par Mediapart, Xavier Moreau a refusé tout entretien en affirmant qu’il « écri(vait) et conseill(ait) uniquement sur les questions stratégiques et de politique étrangère » et qu’il n’avait « pas de lien avec les partis politiques français en dehors des élus de (s)a circonscription ».

Fabrice Sorlin et Jean-Marie Le Pen, en 2007.
Fabrice Sorlin et Jean-Marie Le Pen, en 2007. © FN Gironde

Dernier personnage du trio, Fabrice Sorlin. Candidat FN aux législatives de 2007 et aux cantonales de 2008 en Gironde, il est à la tête de l’Alliance France-Europe Russie (AAFER). Piégé en 2010 par « Les Infiltrés », sur France 2, avec son mouvement catholique radical Dies Irae à Bordeaux, Sorlin a rebondi sur le front russe. C’est lui qui conduisait la petite délégation qui a accompagné Chauprade à Moscou, en juin. Il a lui aussi lancé son appel à la Douma, en dénonçant la « perte des valeurs traditionnelles », « l’idéologie mortifère et la dictature des lobbies minoritaires ».

Emmanuel Leroy
Emmanuel Leroy © dr

L’AAFER veut œuvrer au « rapprochement » de l’Europe et la Russie, par la « réinformation » sur la « réalité de la politique russe ». À la communication, on retrouvait Emmanuel Leroy, idéologue et plume de Marine Le Pen pendant la pré-campagne de 2012. Issu du GRECE (le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne), ce défenseur d’un axe Paris-Moscou dispose de contacts en Russie. En juillet 2007, son nom apparaît sur la liste des intervenants du “White Forum”, rassemblement d’ultra-droite à Moscou, où étaient aussi invités des négationnistes comme David Duke, un ancien chef du Klu Klux Klan.

Un autre conseiller officieux de Marine Le Pen ne cache pas son attrait pour la Russie. L’ex-leader du GUD, Frédéric Chatillon, prestataire du FN avec sa société de communication Riwal, est régulièrement emmené à Moscou pour ses affaires. Lors de la tournée russe de la présidente du FN, du 18 au 23 juin, il est d’ailleurs présent à Moscou, d’où il poste plusieurs photos sur les réseaux sociaux. « Début de soirée à Moscou. Je lève mon verre au président Poutine ! J’envie les Russes d’avoir un vrai chef ! » écrit-il sur Facebook le 18 juin.

Frédéric Chatillon à Moscou. Photo postée le 20 juin 2013 sur ses comptes Twitter et Facebook.
Frédéric Chatillon à Moscou. Photo postée le 20 juin 2013 sur ses comptes Twitter et Facebook. © Twitter / fredchatillon

Les Russes courtisent l’extrême droite française

Ces réseaux ne sont pas étrangers aux positions de Marine Le Pen par rapport à la Russie et son alliée, la Syrie. La présidente du FN a toujours défendu une Europe des nations « élargie à l’ensemble du continent, de Brest à Vladivostok » et un partenariat avec la Russie pour des « raisons civilisationnelles et géostratégiques ».

À son arrivée à la tête du FN, elle explique que « la crise donne la possibilité de tourner le dos aux États-Unis et de se tourner vers la Russie ». En octobre 2011, dans un entretien au quotidien russe Kommersant, elle ne cache pas qu’elle « admire Vladimir Poutine ». Ce qu’elle redira sur RTL en rendant hommage à sa maîtrise des « oligarques » « qui étaient en train de voler le peuple ».

À l’époque, elle se vante déjà d’être « peut-être la seule en France qui défend la Russie ». Depuis, elle n’a de cesse de dénoncer sa « diabolisation » par les médias français. En décembre, elle affirme même que les homosexuels ne sont pas persécutés en Russie, alors que les agressions homophobes se multiplient. Pendant la campagne présidentielle, elle prône « une alliance trilatérale Paris-Berlin-Moscou ».

Marine Le Pen, Louis Aliot et Thierry Légier reçus par Sergueï Narychkine, un proche de Vladimir Poutine, le 19 juin 2013.
Marine Le Pen, Louis Aliot et Thierry Légier reçus par Sergueï Narychkine, un proche de Vladimir Poutine, le 19 juin 2013. © dr

La fascination du FN pour la Russie n’est pas nouvelle. Jean-Marie Le Pen s’était rendu plusieurs fois en Russie et entretenait une amitié avec le sulfureux ultranationaliste Vladimir Jirinovski. C’est d’ailleurs celui-ci qui encense Marine Le Pen lors de son entrée dans le classement du magazine Time. Les deux hommes « avaient les rapports amicaux et la sympathie des gens qui se retrouvent à la marge », explique à Mediapart Christian Bouchet, autre russophile du FN et candidat à Nantes aux municipales. Mais pour lui, « sur le fond, Jean-Marie et Marine Le Pen disent quasiment la même chose ».

Marine Le Pen reçue par Dmitri Rogozine, vice-premier ministre russe, le 21 juin 2013.
Marine Le Pen reçue par Dmitri Rogozine, vice-premier ministre russe, le 21 juin 2013. © Twitter / Ludovic de Danne

Sauf que désormais, c’est des cercles du pouvoir que tente de se rapprocher la présidente du FN. En juin 2013, elle réalise avec Louis Aliot une tournée de dix jours en Russie et en Crimée (racontée ici par Mediapart), dont elle a fait une large publicité. Marine Le Pen est successivement reçue par le président de la Douma et proche de Poutine, Sergueï Narychkine, le vice-premier ministre Dmitri Rogozine et le président de la commission des affaires étrangères de la Douma, Alexeï Pouchkov.

À chaque fois, elle exprime ses « valeurs communes » avec la Russie, son opposition au mariage pour tous et explique que son parti a été le « seul mouvement politique français à s’être opposé à toute intervention en Syrie ». Elle prône un « combat » commun avec les Russes « contre l’effondrement culturel » et « les deux nouveaux totalitarismes du XXIe siècle, le mondialisme et l’islamisme ».

Cette ligne s’est imposée au Front national, qui compte de nombreux admirateurs de Poutine. C’est « un patriote, il aime son pays », « il fait beaucoup de bien à son pays. On peut le saluer », a estimé le 10 février Wallerand de Saint-Just, trésorier du FN et candidat à Paris.

Quant aux députés frontistes, Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard, ils sont tous deux membres du groupe d’amitié France-Russie. La députée du Vaucluse s’est rendue à Moscou en décembre 2012, où elle a été reçue par le président de la Douma, à l’occasion d’un forum international de parlementaires. Cette année, elle était présente à l’ambassade de Russie pour le 20e anniversaire de la fédération russe.

Comme sa tante, Marion Maréchal-Le Pen voit en Poutine « un patriote » qui « défend les intérêts de son pays » et « ça fonctionne plutôt bien », dit-elle le 4 février sur iTélé. Lors de la commission parlementaire France-Russie, en février 2013, elle salue un « grand pays », un « partenaire vital », et dénonce la « diabolisation systématique » de son président par la France à travers des « désinformations régulières » (voir la vidéo). Le conseiller culture de Marine Le Pen, Karim Ouchikh, lui, n’hésite pas à parler d’un « activisme russophobe » en France.

Bruno Gollnisch reçu à la Douma en mai 2013.
Bruno Gollnisch reçu à la Douma en mai 2013. © gollnisch.com

Autre frontiste russophile, Bruno Gollnisch était en visite en mai à Moscou comme président de l’Alliance européenne des mouvements nationaux (l’AEMN, qui regroupe des partis d’extrême droite européens). Il a été reçu à la Douma avec une délégation d’élus européens. Sur son blog, il parle de « modèle russe » et fait l’éloge du « patriotisme intransigeant » de Poutine.

Pour le président du FNJ, le président russe est aussi le modèle à suivre. Dès 2008, Julien Rochedy saluait l’« homme à poigne » et sa politique « virile et puissante ». En janvier, il s’est prononcé pour l’interdiction, comme en Russie, de la « propagande LGBT ». Plusieurs candidats frontistes défendent le régime russe et fustigent la « propagande anti-russe » des médias, comme l’universitaire Catherine Rouvier à Aix-en-Provence – qui a aussi raillé Obama et sa dénonciation de « l’homophobie supposée de Poutine » –, ou l’ex-cadre dirigeant du FNJ Antoine Mellies dans le Rhône.

Sur le compte Twitter D'Antoine Mellies.
Sur le compte Twitter D’Antoine Mellies. © Twitter / @AntoineMellies

Pourquoi ce rapprochement ? « Au départ, il y avait à la fois un anti-communisme du FN et une fascination pour la Russie éternelle, la grande nation », explique la chercheuse Magali Balent, spécialiste des extrémismes et nationalismes en Europe.

Pour l’auteure de Le Monde selon Marine (2012), il s’agit aussi de « montrer que ce que fait la Russie, c’est ce que voudrait faire Marine Le Pen pour la France. La ligne de conduite de Poutine, ce sont des causes strictement nationales (la guerre déclarée au terrorisme et à tout ce qui menace les “Russes originels”), et l’hostilité à l’UE ».

Chez Jean-Marie Le Pen, cela relevait d’une « démarche essentiellement idéologique ». À l’inverse, Marine Le Pen « est dans une démarche pragmatique et veut le pouvoir. Elle ne veut pas défendre une cause idéologique, mais utiliser l’international pour gagner des voix dans son pays. Elle vise les cercles de pouvoir, qui peuvent la crédibiliser ». Même si ces connexions se limitent aux « échelons inférieurs » du pouvoir, la chercheuse voit un « intérêt réel » pour Le Pen à « laisser entendre qu’elle a des relations avec les dirigeants de la Russie ».

Le livre de Vladimir Bolshakov.
Le livre de Vladimir Bolshakov. © dr

La présidente du FN profite de l’accueil qui lui est réservé là-bas. « Vous êtes bien connue en Russie et vous êtes une personnalité politique respectée », lui avait lancé Sergueï Narychkine lors de sa visite, selon Le Figaro. Elle met aussi en avant dans sa bibliothèque le livre élogieux de l’ancien correspondant de la Pravda à Paris, Vladimir Bolshakov (Marine Le Pen – Pourquoi la Russie en a besoin ?). Elle a d’ailleurs rencontré l’auteur en juin.

« Marine Le Pen est considérée comme quelqu’un de sulfureux en France, et peut-être en Europe, mais pas à l’étranger, et notamment en Russie. Son côté autoritaire ne déplaît pas aux Russes. Jean-Marie Le Pen lui-même était reçu à l’étranger comme un homme d’État – par Reagan, par les chef d’État africains », rappelle Magali Balent.

Le Kremlin voit-il en Le Pen une alternative à droite pour l’avenir ? « Il n’est pas improbable que des dirigeants russes considèrent qu’elle a toutes ses chances en France et pourrait mieux réussir que la droite », estime la chercheuse. Ils misent aussi sur un « basculement de l’opinion publique occidentale vers un paradigme nationaliste »,dont pourrait profiter la présidente du FN, a rapporté au Figaro
le politologue Dmitri Orechkine.

Le site ProRussia TV
Le site ProRussia TV © Capture d’écran de prorussia.tv

Les Russes courtisent en tout cas l’extrême droite française. La Voix de la Russie, radio d’État russe diffusée à l’étranger, propose depuis septembre 2012 une web télé, ProRussia TV, où l’on retrouve plusieurs anciens du FN. L’objectif ? Présenter les actualités russes, françaises, internationales « sous l’angle de la réinformation », à rebours d’une « vision tronquée et manichéenne » que délivrerait « le mainstream médiatique français ». Pour ses antennes locales, la radio russe met les moyens : en Allemagne, elle a, selon Slate, financé des émissions en alignant plus de 3 millions d’euros, en 2012.

La boîte noire :Sollicités, ni Marine Le Pen, ni ses conseillers aux affaires européennes et internationales (Ludovic de Danne et Aymeric Chauprade), n’ont donné suite à nos demandes.

Contacté, Xavier Moreau a décliné notre demande d’entretien. Sollicité via le site de son association l’Alliance France-Europe Russie, Fabrice Sorlin n’a pas donné suite.

Magalie Balent est chercheuse associée à l’IRIS (institut de relations internationales et stratégiques) et à la fondation Robert Schuman. Elle est l’auteure de Le Monde selon Marine – La politique internationale du Front national, entre rupture et continuité (2012).

Communiqué de la section LDH de Toulouse

logo LDH

La Ligue des droits de l’Homme de Toulouse dénonce avec force les tags de la haine

 

Nous assistons aujourd’hui à une banalisation des actes racistes, antisémites, homophobes, anticommunistes et antimaçonniques. La ville de Toulouse n’échappe malheureusement pas à ce phénomène aux vues des faits s’étant déroulés la nuit dernière. La section Toulousaine de la LDH condamne et dénonce vigoureusement les tags peints dans différents lieux de la vie toulousaine.

 Dans la nuit du samedi 15 au dimanche 16 février 2014, plusieurs symboles néonazis ont été tagués dans la ville de Toulouse. Des formules et symboles que l’on croyait d’un autre âge ont ressurgis cette nuit. Pèle mêle, des attaques homophobes et antisémites, des croix gammées et croix celtiques avec une signature : « Toulouse Nationaliste ». On trouve encore « CRIF à mort », « franc-maçon aux chiottes » ou encore « mort aux cocos ».

 En frappant sur les lieux qui symbolisent la diversité tel l’espace des diversités et de la laïcité, la culture comme le cinéma Utopia, le savoir en ce qui concerne l’Université Toulouse I Capitole ou encore les principes du débat politique avec le local de la CNT 31 et du parti de gauche, l’extrême droite et ses avatars attaquent clairement la démocratie, le pluralisme et la République. Comment ne pas voir ici les dégâts engendrés par la complaisance manifestée à l’égard des discours pervers portés par l’alliance dangereuse des mouvements du « printemps français » et du « jour de colère ».

 Peut-on aujourd’hui encore accepter l’inacceptable ? Cette résurgence des discours et des pratiques néofascistes inquiète les démocrates ainsi que tous les républicains engagés dans le combat contre l’extrême droite. Elle appelle également à la responsabilité de tous citoyens qui dans leur vie quotidienne se doivent d’être vigilants quant à la banalisation des discours de haine.

 

La section de la ligue des Droits de l’Homme de Toulouse demande aux autorités locales que toute la lumière soit faîte sur ces évènements. Elle appelle à une réaction citoyenne franche et massive de tous les toulousaines et toulousains. Elle sera aux côtés de celles et ceux qui se réuniront samedi 22 février à 14h30 devant l’Espace des diversités et de la laïcité rue d’Aubuisson à Toulouse.

Le jour où la haine s’allie, il est temps pour les forces républicaines progressistes et solidaires de réagir d’une manière unanime en condamnant des agissements insupportables.

Zone euro : en France aussi, ça manifeste pour la démocratie

La crise de la zone euro, du moins celle de la dette publique, est derrière nous, comme le montre le calme qui règne sur les marchés depuis un an et demi. Pour autant, l’économie de la zone euro est loin d’être rétablie et, surtout, la gestion désordonnée de la crise par les Etats a eu un coût démesuré. Elle a engendré une défiance sans précédent à l’égard du projet européen, désormais assimilé à l’austérité et à la technocratie postdémocratique symbolisée par la Troïka (commission, FMI, BCE). Il faut beaucoup d’optimisme pour proclamer, comme le fait Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, «l’euro est sauvé, l’Europe continue» (1). Car, on voit mal la construction communautaire se poursuivre très longtemps sans l’adhésion des citoyens.

L’Allemagne en a pris conscience depuis longtemps, y compris au niveau politique, comme le montre la volonté de la Chancelière, Angela Merkel, de modifier les traités européens afin d’améliorer le fonctionnement de la zone euro. En France, en revanche, le débat est sous l’étouffoir, car jugé trop explosif. Les politiques estiment que parler d’Europe ne peut que faire le jeu du Front national alors même qu’il est donné en tête des élections européennes de mai prochain…

Saut intégrateur

Il n’est donc pas anodin que plusieurs initiatives lancées par des intellectuels français voient le jour en même temps pour dénoncer «la résignation qui tétanise actuellement notre pays». Elles réclament un saut intégrateur afin d’introduire non seulement de la solidarité financière entre les Etats, mais surtout de la démocratie. Toutes s’appuient (et rebondissent) sur les propositions du groupe Glienicker – composé d’économistes et de juristes allemands de tous les bords politiques – qui ont été publiées en octobre dernier et qui appellent, elles aussi, à une véritable fédéralisation de la zone euro.

Le dernier en date de ces manifestes est paru lundi dans Le Monde. Lancé par une dizaine d’économistes (dont Thomas Piketty, Daniel Cohen ou Xavier Timbeau), de journalistes (dont Guillaume Duval ou l’auteur de ces lignes), de politologues et de Pierre Rosanvallon, et déjà signé par près de 300 citoyen(ne)s, ce texte appelle à une «union politique de l’euro». Pour eux, «l’Union traverse une crise existentielle» qui risque de favoriser une «tentation du repli national» qui aggravera les problèmes au lieu de les résoudre : elle «engendrera des frustrations et des tensions à côté desquelles les difficultés de l’Union sembleront joyeuses». Ils estiment que «les institutions européennes actuelles sont dysfonctionnelles, et doivent être repensées. Clamer que l’opinion n’aime pas l’Europe actuelle, et en conclure qu’il ne faut rien changer d’essentiel à son fonctionnement et aux institutions en place est une incohérence coupable».

Créer un (autre) budget de la zone euro

Pour les auteurs du manifeste, «l’enjeu central est simple : il faut permettre à la démocratie et la puissance publique de reprendre la main, afin de réguler efficacement le capitalisme financier mondialisé du 21e siècle, et de mener les politiques de progrès social qui manquent cruellement à l’Europe actuelle. Une monnaie unique avec 18 dettes publiques différentes sur lesquels les marchés peuvent librement spéculer, et 18 systèmes fiscaux et sociaux en concurrence débridée les uns avec les autres, cela ne marche pas, et cela ne marchera jamais. Les pays de la zone euro ont fait le choix de partager leur souveraineté monétaire, et donc de renoncer à l’arme de la dévaluation unilatérale, sans pour autant se doter de nouveaux instruments économiques, sociaux, fiscaux et budgétaires communs. Cet entre-deux est la pire des situations.»

Ce manifeste appelle donc à la création d’un budget de la zone euro alimenté par une ressource propre ne dépendant pas de la bonne volonté (si on ose dire) des États : après s’être accordés sur une définition commune de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, les gouvernements créeraient un taux minimal de l’ordre de 20% (qui alimenterait le budget des États), un taux additionnel de 10% allant au budget commun (qui serait, au final, compris entre 0,5% et 1% du PIB communautaire). Une telle ressource propre permettrait, en outre, de lutter contre l’évasion fiscale. Ce budget rendrait possible «d’impulser des actions de relance et d’investissement notamment en matière d’environnement, d’infrastructures et de formation».

Ecarter la Commission

«En ces temps de disette budgétaire, la zone euro doit démontrer sa capacité à lever l’impôt de façon plus juste et plus efficace que les États, faute de quoi les peuples ne lui donneront pas le droit de dépenser», affirment les auteurs du manifeste. «Au-delà, il faudra généraliser très rapidement au sein de la zone euro l’échange automatique d’informations bancaires et engager une politique concertée de rétablissement de la progressivité de l’impôt sur les revenus et les patrimoines. Tout en menant en commun une politique active de lutte contre les paradis fiscaux externes à la zone.»

«Pour voter l’assiette de l’impôt sur les sociétés, et plus généralement pour débattre et adopter démocratiquement et souverainement les décisions fiscales, financières et politiques que l’on décidera à l’avenir de mettre en commun, il faut instituer une Chambre parlementaire de la zone euro». L’idée, pour ne pas dépouiller les parlements nationaux de leurs prérogatives fiscales, est que cette nouvelle chambre soit composée de députés nationaux (leur nombre variant selon le poids démographique de chaque État).

Mutualiser les dettes

Elle remplacerait à la fois le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro et l’Eurogroupe – instances paralysées dans le domaine fiscal par la règle du vote à l’unanimité – et serait chargée, notamment, de fixer chaque année en fonction de la conjoncture, le niveau de déficit acceptable. La Commission, elle aussi, serait écartée de la gouvernance de la zone euro : un gouvernement doté d’un ministre des Finances serait créé, gouvernement responsable devant cette seconde chambre.

Enfin, le manifeste réclame la mise en commun des dettes de la zone euro, «faute de quoi la spéculation sur les taux d’intérêt recommencera encore et toujours». Il rappelle que la mutualisation a de facto commencé avec le Mécanisme européen de stabilité, l’union bancaire en gestation et les OMT de la BCE (programme de rachat des dettes souveraines). Les auteurs du texte reprennent à leur compte l’idée du groupe des économistes conseillant la Chancellerie allemande qui avaient proposé, en 2011, la création d’un «fonds de rédemption des dettes européennes» mettant en commun les dettes dépassant 60% du PIB.

Vers une «Europe optimale»

Le deuxième texte, rendu public le 14 février, a été, lui, rédigé par le «groupe Eiffel Europe» composé d’économistes et de politiques (en sont membres, notamment, Agnès Bénassy-Quéré, Jean-Louis Bianco, Sylvie Goulard, Laurence Boone). Là aussi les auteurs veulent lancer le débat en France en appelant à «bâtir une communauté politique, démocratique, à partir de l’euro» pour donner naissance à une «Europe optimale».

Comme le «manifeste», ils regrettent le déficit démocratique de la zone euro : «même si aucune élection n’a abouti à un rejet de l’euro, les Etats qui ont demandé une assistance comme la Grèce, le Portugal ou l’Irlande, sentent le joug d’une autorité mal identifiée composée des chefs d’État et de gouvernement européens, des ministres des Finances (Eurogroupe), de la BCE et de la Commission européenne, ainsi que du FMI. Les responsabilités sont diluées dans un magma politico-technocratique, privé de légitimité, dont la troïka devient le symbole. Le destin de certains pays a été suspendu au vote du Bundestag et aux décisions de la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe». Bref, il s’agit d’une véritable «créditocratie» qui a abouti à faire de «l’euro une source de divisions», un comble.

François Hollande, trop timide

Le groupe Eiffel milite, à la différence du manifeste, pour la création d’une assemblée élue au suffrage universel propre à la zone euro, qui désignerait un gouvernement responsable devant lui. Les députés européens pourraient cumuler les deux fonctions. Là aussi, il s’agit d’écarter la Commission et de mettre fin à l’existence de l’Eurogroupe. Cet exécutif disposerait d’un budget alimenté par des ressources propres (impôt sur les sociétés, taxes environnementales, etc.) qui pourrait, par exemple, prendre à sa charge une partie des allocations chômage – une idée défendue par Pierre Moscovici, le ministre des Finances français.

Des idées en partie partagées par François Hollande, mais que celui-ci se garde bien de défendre devant les Français. Car, au fond, le chef de l’Etat n’est pas pressé de se lancer dans une réforme des traités européens de peur de diviser sa propre majorité déjà bien mal en point. Reste à savoir s’il pourra rester encore longtemps les bras ballants surtout si les européennes voient la victoire du FN et si les pressions allemandes pour changer les traités deviennent plus fortes. À force de refuser le débat, on prend le risque de se faire imposer un agenda. Comme l’ont fait les marchés entre 2010 et 1013, avec le prix qu’on connaît.

(1) La Libre Belgique, 17/02/2014

Jean QUATREMER BRUXELLES (UE), de notre correspondant

Sur France Inter, «Tous à poil !» recommandé et Copé ridiculisé

«Bonjour petit garçon, comment t’appelles-tu ?- Jean-François.- Ah, c’est bien, c’est un beau prénom, est-ce que tu veux que je lise un livre ?- Oh oui, monsieur- D’accord, alors j’ouvre Barbe Bleue, tu sais, il zigouille plein de femmes, même que dans les règlements de compte à Marseille, c’est de la petite bière à côté. Et la domination masculine dans Barbe Bleu, je te raconte pas…-Ah ben non, pas ça, heu, c’est cruel pour les enfants !»

Ainsi commence L’as-tu lu mon petit Loup, l’émission du dimanche soir de Denis Cheissoux, sur France Inter, consacrée à l’actualité littéraire pour la jeunesse. Et le journaliste de lister toute une série de livres pour enfants à chaque fois repoussé par un faux petit Copé : «Peau D’âne ? Ah non, ça sent l’inceste à plein nez !»

Cette émission ressemblait davantage à un billet destiné à dénoncer la récente sortie du président de l’UMP qui dénonçait dimanche 9 février ce petit livre de Claire Franek et Marc Daniau, brûlot destiné,  à ses yeux, à corrompre la jeunesse française. «A poil le bébé, à poil la baby-sitter, à poil les voisins, à poil la mamie, à poil le chien… A poil la maîtresse… Vous voyez, c’est bien pour l’autorité des professeurs !», s’énervait Copé. Mécontent, il poursuivait : «Il y a un moment où il va falloir qu’à Paris on atterrisse un petit peu sur ce qui est en train de se faire dans ce pays.Et le rôle des responsables que nous sommes, c’est de dire ça suffit.»

Quatre jours après que tout le monde ou presque lui soit tombé dessus, il récidivait sur la théorie du genre :

Copé: «On dit qu’on est réac! Ah bon?»par libération

Petit rectificatif de Denis Cheissoux, qui au fil des années a acquis une connaissance de la littérature enfantine difficilement contestable : «Aucune sexualité là-dedans, les peintures pleines de vie de Marc Daniau nous montrent simplement la joie communicative que tous ces gens éprouvent… à l’idée d’aller se baigner tout nu dans l’océan. Parce que c’est ça la chute  de l’album de cet effeuillage collectif.»

Denis Cheissoux rappelle que ce livre respecte la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse et ajoute que Tous à poil ! est «une des victimes de la chasse aux sorcières littéraire, soupçonnée de promouvoir la lutte des classes, de mettre les figures dirigeantes ou enseignantes en situation délicate.» Il envoie un rappel à Copé : «Dans cette société française qui se radicalise, qui regarde dans le rétroviseur, qui a peur : ordre, IVG, famille, tradi, homo… J’en passe et des meilleures, la littérature jeunesse aide à vivre et donc à grandir. Les livres ne sont ni des guides, ni des exemples à suivre.» Et de continuer ainsi jusqu’à la pique finale : «UMP, ça ne signifie pas Union pour un monde à poil ? Ah non, peut-être pas.»

LIBERATION

Municipales: l’abstention fait peur aux socialistes

Mediapart.fr

14 février 2014 | Par Lénaïg Bredoux et Mathieu Magnaudeix

Ministres, députés et candidats locaux du PS s’inquiètent d’une flambée de l’abstention aux municipales. Elle pourrait transformer le scrutin des 23 et 30 mars en défaite sévère.

Le ton a changé. Ces dernières semaines, les socialistes étaient encore nombreux à croire à un miracle aux municipales et à parier sur des pertes de villes limitées et compensées par quelques gains symboliques, comme Marseille. Mais depuis dix jours, la panique monte. Après les critiques du « pacte de responsabilité » de François Hollande, les derniers bugs au sommet de l’État, avec l’abandon de la loi famille et l’imbroglio sur le gel de l’avancement des fonctionnaires, leur font craindre une abstention massive le jour du vote.

Les témoignages recueillis (voir notre boîte noire) dans différentes régions et dans des villes de tailles diverses sont quasiment unanimes : l’image des maires et des équipes sortantes est souvent positive, les réunions publiques font le plein, mais de nombreux socialistes craignent que cela ne suffise plus à éviter une lourde défaite. La faute à l’abstention qui pourrait être massive et rebattre les cartes dans bien des villes. « Il y aura de l’abstention à gauche, c’est évident, assure le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll, proche de François Hollande. Mais pour le reste, je suis bien incapable de dire ce qui va se passer. »

« Depuis une dizaine de jours, il y a une inflexion nette, constate le député PS Philippe Baumel, candidat en septième place à Breuil (Saône-et-Loire), la ville de 4 000 habitants dont il a été maire avant d’être élu député en juin 2012. Un poids critique est tombé dans cette campagne municipale : les bégaiements sur la loi famille ont atteint le cœur de l’électorat de gauche, qui doute fortement de la volonté du gouvernement d’aller au bout des choses. Les paparazzades de l’affaire Gayet ont atteint l’image du président. »

« Au-delà de l’image souvent très bonne des équipes municipales sortantes, la gauche risque d’être pénalisée par la désillusion de l’électorat populaire sur les attentes de résultats économiques et sociaux. Mais on a aussi troublé notre électorat de classe moyenne et de classe supérieure qui considère que la gauche est aussi là pour faire avancer la société », en référence à la loi famille, abonde Bernard Roman, député du Nord.

Une candidate socialiste aux municipales: Anne-Laure Jaumouillié (La Rochelle)Une candidate socialiste aux municipales: Anne-Laure Jaumouillié (La Rochelle) © DR

Thierry Mandon, porte-parole du groupe PS à l’Assemblée, élu de l’Essonne, fait le même constat : « Depuis des mois, notre électorat est déstructuré sociologiquement. Et entre la loi famille et le débat sur le gel de l’avancement des fonctionnaires, on ne l’a pas vraiment brossé dans le sens du poil ces derniers temps. On lui donne même des contre-gages ! Dans les réseaux militants, associatifs, bénévoles autour du PS, cela pèse. Et comme l’électorat populaire est déjà parti… »

« Les questions locales continuent de prédominer, mais depuis quelques semaines, les interpellations sur la politique nationale sont un peu plus régulières. Dans l’électorat de gauche, l’impatience, voire la déception, s’expriment de plus en plus », témoigne le socialiste Mathieu Klein, en campagne pour ravir la mairie de Nancy (Meurthe-et-Moselle) après trente ans de règne du centriste André Rossinot.

« Je ne sens pas de raidissement, mais c’est vrai que les sujets nationaux émergent dans les conversations, raconte Olivier Dussopt, député et maire PS d’Annonay (Ardèche), candidat à sa réélection. La plupart du temps, les gens font la différence entre le national et le local. Mais je ne sais pas ce que pensent ceux qui ne me parlent pas ! Dans un quartier difficile, j’ai aussi été témoin pour la première fois de quelques violentes réactions antisystème, pro-Dieudonné. »

À Reims, où le PS est en plus mauvaise posture pour garder la mairie prise à la droite en 2008, on s’inquiète. « Le vote sanction se renforce. Le fait que le gouvernement ne soit pas très populaire, cela compte. (…) Je crains qu’une partie de notre électorat ne se déplace pas », a prévenu dans le Journal du dimanche la maire sortante, Adeline Hazan. « En janvier, on ne sentait pas le poids du contexte national. Désormais, c’est bien là, explique Nicolas Marandon, premier fédéral du PS de la Marne et directeur de campagne d’Adeline Hazan. Les gens nous disent ne pas comprendre pourquoi ça tire dans un sens, puis dans l’autre. Sur la fiscalité, on prend cher, de la part des petits patrons comme des habitants des quartiers populaires. Il y a le chômage qui ne baisse pas, la loi famille. Ou récemment les salaires des fonctionnaires, on n’avait pas besoin de ça ! »

Même à Tulle (Corrèze), la ville que François Hollande a dirigée, son successeur Bernard Combes, également conseiller à l’Élysée, s’inquiète : « À ma permanence, j’ai entendu des gens qui sont venus me dire : “Si c’est pour geler nos salaires, alors on va geler le bulletin de vote !” Sur la loi famille, d’autres m’ont dit : “Cette loi nous aurait aidés” ou bien “J’ai du mal à avoir un droit de visite pour mes petits-enfants”. Certains ne comprennent pas que 80 000 manifestants ultra-orthodoxes fassent la politique familiale dans une société en mouvement. » Mais « ils me disent aussi qu’ils aimeraient me réélire », précise Combes, pas franchement menacé par la droite.

La situation est assez similaire à Rennes, une grande ville détenue par la gauche depuis 1977. Le PS, qui présente pour la première fois une jeune députée, Nathalie Appéré, est encore en position de force. Élue dans un quartier populaire de la ville, sa camarade socialiste Marie-Anne Chapdelaine voit surtout des « gens qui se concentrent sur les municipales », et qui veulent voter à gauche. Mais elle aussi a été rattrapée sur le terrain sur le gel de l’avancement des fonctionnaires, annoncé par Vincent Peillon, démenti, puis confirmé, puis démenti par Jean-Marc Ayrault, et par l’abandon de la loi famille. Vendredi, une de ses électrices l’a appelée afin de lui dire qu’elle s’abstiendrait pour ces deux raisons aux municipales. « Il va y avoir de l’abstention. Mais cela sera marginal, croit Chapdelaine. Moi, je vois aussi des gens de gauche qui vont se tourner vers l’extrême gauche. » « Pour l’électorat populaire, il faut aussi qu’on explique mieux notre politique. Par exemple qu’on dise qu’on ne va pas donner un blanc-seing au patronat avec le pacte de responsabilité », ajoute-t-elle.

Des « socialistes, dehors ! » dans les cages d’escalier

À Solférino, le Monsieur élections du PS, le député Christophe Borgel, qui reçoit de nombreux appels des candidats en campagne, confirme : « La fin de semaine dernière n’a pas été bonne. L’ambiance s’est dégradée, dans tous les milieux sociaux. Le pataquès de la loi famille a remis 100 balles dans la machine sur le mode “on est des baltringues”. Malgré les bons retours en porte-à-porte et les sondages locaux parfois excellents, cette ambiance générale peut conduire à une abstention qu’on peut ne pas voir venir. »

Bon connaisseur de la carte électorale et de l’historique des municipales, il fait le raisonnement suivant : depuis 1977, il y a plus de 100 villes de plus de 10 000 habitants qui basculent à gauche ou à droite. La tendance est même plus forte depuis les trois derniers scrutins. En 2001, la gauche en avait perdu 101 et gagné 45. En 2008, elle en avait conquis 112, pour 30 perdues.

Mathieu Klein, candidat PS à NancyMathieu Klein, candidat PS à Nancy © DR

Cette fois, le mouvement risque d’être plus ample. D’abord parce que le PS et ses alliés détiennent un nombre impressionnant de villes moyennes et de grandes villes. Ensuite parce qu’ils sont au pouvoir. Enfin parce que l’électorat de François Hollande est déboussolé, voire déstructuré, entre les ouvriers qui souffrent massivement du chômage, les classes moyennes agacées par les impôts et déçues par les reculs sociétaux, les quartiers populaires, qui se sentent toujours abandonnés, et les jeunes de gauche qui étaient très attachés au droit de vote des étrangers et aux mesures contre le contrôle au faciès.

Dans le meilleur des scénarios (lire notre article), la gauche obtiendrait un « 2001 réduit », soit 150 villes de plus de 10 000 habitants qui basculent, dont 80 vers la droite et 30 vers la gauche. Si Marseille en fait partie, « on pourra dire qu’on a bien travaillé », sourit Christophe Borgel. Le pire cauchemar du PS serait 150 villes perdues, pour 50 villes gagnées, 4 villes pour le FN et Marseille qui reste à droite. Une débâcle qui rappellerait celle de 1983.

Élus et candidats interrogés estiment qu’une partie de leurs sympathisants peut aller glisser un bulletin Front de gauche ou extrême gauche dans l’urne, mais dans des proportions limitées. Ils ne croient pas tellement à une « vague bleue » pour l’UMP. La droite, disent-ils, ne fait pas franchement rêver les électeurs. L’image donnée par le principal parti d’opposition ces derniers mois ne peut que les conforter. « La vague bleue, je n’y ai jamais cru. Et je n’ai toujours pas l’impression que l’UMP soit en position d’être l’incarnation de l’alternative locale », analyse Stéphane Le Foll.

« Je ne sens nulle part un appétit féroce pour la droite républicaine. Il y a même une certaine démobilisation de leur côté : dans certaines villes de Saône-et-Loire, la droite n’arrive pas à boucler des listes », témoigne le député Philippe Baumel. D’autant que l’UMP est concurrencée parfois localement par des listes « très à droite, pas étiquetées FN mais qui en sont très proches ». « Dans les quartiers populaires d’Annonay, l’ancien maire de droite est bien plus mal reçu que moi », explique Olivier Dussopt.

Les socialistes cauchemardent encore de leur débâcle législative de 1993. Ils ne sentent pas encore le même climat : leur électorat est fatigué, déçu, parfois consterné, mais pas dans cet état de colère violente qui pourrait profiter à la droite.

À l’époque, se souvient le ministre du travail Michel Sapin, les sympathisants changeaient de trottoir ou les insultaient. « Jean Glavany (député, ancien ministre) raconte que quand il montait dans l’avion, les gens le sifflaient ! Là, ce n’est pas comme ça, ils sont sympas », témoigne Christophe Borgel.

« Quand ils parlent du national, en fait, ils me plaignent », souffle, sous couvert d’anonymat, une députée socialiste. Olivier Dussopt rapporte tout de même que « certains élus de grandes villes ont entendu des “socialistes dehors !” dans les cages d’escalier le week-end dernier ».

Les socialistes craignent d’autant plus une démobilisation de leur électorat qu’ils se méfient de l’effet déformant des sondages. Pour l’instant, dans des villes que la droite espérait accrocher comme Toulouse ou Quimper, ils sont favorables aux maires sortants. Mais les instituts mesurent très mal l’abstention. Des dernières enquêtes, ressort un taux qui va de 10 à 20 %. Aux municipales de 2008 et de 2001, 38 % des électeurs s’étaient abstenus dans les villes de plus de 3 500 habitants.

« Il faut dire que le national ne donne pas très envie à un électeur de gauche d’aller voter et qu’il donne très envie à un électeur de droite d’y aller », résume Borgel. Au PS, c’est l’heure de la mobilisation générale : les candidats sont priés d’investir massivement le terrain et de multiplier le porte-à-porte pour aller chercher leurs électeurs.

Face à leurs électeurs, certains n’hésitent pas à dire leurs gros doutes sur la politique du gouvernement, afin d’enrayer la machine à perdre et de se déconnecter le plus possible de la politique nationale. « Moi, je ne manie pas la langue de bois, explique Philippe Doucet, député et maire sortant d’Argenteuil (Val-d’Oise), ouvertement critique à l’égard du gouvernement. Quand on me parle des rythmes scolaires, je ne cache pas que pour nous c’est la galère ! » Des aveux de sincérité peut-être utiles en temps de campagne municipale, mais qui risquent de nourrir le vote sanction aux européennes de mai.

La boîte noire :Nous avons interrogé une dizaine de socialistes pour cet article, de sensibilités différentes au PS. Leurs témoignages reflètent leur état d’esprit et leurs retours de terrain du moment. Tout peut encore changer – il ne s’agit bien entendu pas d’une prédiction de résultat.

URL source: http://www.mediapart.fr/journal/france/140214/municipales-l-abstention-fait-peur-aux-socialistes

La capitulation de trop

Par Denis Sieffert5 février 2014

La vieille droite entraînerait moins de monde si des peurs économiques et sociales ne venaient se mêler aux fantasmes identitaires.

Article paru dans

La gauche vacille. Entre « incompréhension » et « consternation », les Verts, le Front de gauche et même des députés socialistes, comme le rapporteur du projet de loi « Famille », Jean-Pierre Michel, n’ont pas mâché leurs mots pour signifier, lundi soir, leur désarroi ou leur colère après la nouvelle reculade du gouvernement. En renvoyant aux calendes grecques l’examen d’un texte qui avait déjà été expurgé de tout ce qui risquait de fâcher la droite la plus réactionnaire, MM. Hollande et Ayrault ont commis un acte lourd de conséquences. À droite, ils ont renforcé cette vieille France traditionnaliste, mélange de ruralité et de grande bourgeoisie urbaine, qui n’a toujours pas digéré la prise de la Bastille. À gauche, ils ont montré en quelle considération ils tenaient leurs partenaires et leur propre parti. Aux socialistes, comme aux écologistes, ils ont rappelé de la façon la plus brutale que le gouvernement entend imposer à sa majorité parlementaire un lien de subordination. Sans même parler de la légèreté avec laquelle sont traitées les associations et ceux de nos concitoyens pour lesquels la réforme était importante jusque dans leur vie intime. Voilà bien la Ve République dans ce qu’elle a de plus détestable !

Il est certes trop tôt pour mesurer les effets politiques de cette capitulation. On peut craindre tout de même qu’à part quelques mouvements d’humeur, les élus finissent par se résigner, confirmant finalement que ce qui unit leur camp politique relève davantage du groupement d’intérêts que de l’affinité idéologique. Mais les conséquences risquent d’être encore plus dévastatrices dans les profondeurs de notre société. Il n’est pas indifférent en effet de voir à quelle droite MM. Hollande et Ayrault ont offert une si prometteuse victoire. C’est une population recroquevillée sur ses dogmes, défendant contre la marche du temps un monde d’une désespérante fixité. Un peuple des parvis d’église apeuré par notre époque, et qui voudrait tant que la France de demain reste blanche, chrétienne, familiale, patriarcale, patrimoniale. En un mot, qu’elle reste pure. À la fin du XIXe siècle, le pape Pie IX, réputé particulièrement rétrograde, avait produit une encyclique pour dénoncer les « erreurs de l’époque ». C’est ce que font aujourd’hui les adeptes de la « Manif pour tous ». Ils dénoncent les « erreurs de l’époque » : le mariage homosexuel, l’IVG, la gestation pour autrui, la procréation médicalement assistée, l’égalité hommes-femmes… Et la citadelle à défendre porte un nom : famille. Ou plutôt une certaine famille, celle de l’héritage. Une famille immuable, dictée par un ordre naturel. Il suffit pourtant de lire un peu de Françoise Héritier ou de Maurice Godelier (voir Politis n° 1288) pour apprendre que les sociétés humaines ont fait preuve en cette matière de plus d’imagination et d’accommodement qu’on ne croit.

Mais il y a d’autres raisons à cette résurgence du passé. Ce qu’on appelle le « retour du religieux », en tant que fait politique, n’est pas un phénomène français. C’est une affaire planétaire. Les réactionnaires de dimanche dernier sont un peu nos islamistes à nous. Ou nos créationnistes, si l’on préfère l’exemple américain. Nos cathos de droite ont d’ailleurs reçu le renfort d’associations musulmanes attachées comme eux à la lignée et à la sacralisation de la famille. Les uns et les autres refusent le primat de la loi sur un ordre naturel qui viendrait de Dieu. Sans égards pour le pouvoir séculier, ils continuent de manifester contre une loi pour le « mariage pour tous » qui a été votée. Et certains d’entre eux vont plus loin encore : défiant la raison, ils affirment que notre école s’apprête à enseigner une « théorie du genre » qui n’existe pas (voir page 26 ce qu’en dit Éric Fassin). Hallucination pour les uns, franche manipulation pour les autres. C’est devant cette France obscure que MM. Hollande et Ayrault ont plié. Eux si prompts à dénoncer les atteintes réelles ou supposées à la laïcité quand il s’agit de mères musulmanes portant le voile…

Évidemment, cet épisode tragi-comique s’explique aussi parce qu’il se déroule sur fond de crise. La vieille droite rancie de Mmes Béatrice Bourges et Ludovine de la Rochère entraînerait moins de monde dans son sillage si des peurs économiques et sociales – légitimes celles-ci – ne venaient se mêler aux fantasmes identitaires, et si certains dirigeants de l’UMP ne jouaient pas avec le feu en entretenant l’ambiguïté sur des informations qu’ils savent fausses. C’est donc tout un rapport de force qui continue de basculer politiquement et culturellement en faveur de la droite. Faute d’accepter de changer de politique économique et sociale, la gauche de gouvernement démobilise déjà son camp en montrant son impuissance dans la lutte contre le chômage. Et voilà que, même sur le terrain sociétal, où elle avait jusqu’ici quelque mérite, elle abandonne la rue aux nostalgiques de l’Ancien Régime.

Répression à Sotchi: un écologiste envoyé en camp de travail

Mediapart

L’écologiste russe Evguéni Vitishko purge actuellement une peine de prison de quinze jours dans sa petite ville de Touapsé (au nord de Sotchi) pour avoir proféré des jurons en public sur un quai de gare de banlieue, jurons qui n’ont été entendus que par l’un des policiers qui le suivaient discrètement. Leur mission : faire en sorte que ce militant ne puisse pas prendre l’avion pour Moscou où il devait tenir une conférence de presse pour détailler toutes les destructions et toutes les atteintes aux Droits Humains entrainées par la préparation des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi.

Au cours de cette comparution en flagrant délit, et en dépit des efforts de ces avocats Alexandre Popkov et Marina Dubrovin, la justice russe a organisé, c’est inédit même en Russie, une comparution par vidéoconférence avec  le tribunal régional de Krasnodar, la capitale de la région. Il s’agissait essentiellement, sans que la défense puisse faire valoir ses droits,  de révoquer le sursis à la condamnation de trois ans de camp infligée  au mois de décembre dernier par Evguéni pour « hooliganisme ».C’est à dire pour avoir accroché aux grilles de la propriété du gouverneur de la province, une banderole expliquant « La forêt appartient à tous, c’est notre bien commun ». (1)

                Cette semaine, bien avant la fin des jeux, Evguéni va donc partir pour un camp de travail et de redressement à régime sévère pour trois ans. Jusqu’au bout le responsable de l’association Ecovahta, Les gardiens de l’écologie du Caucase, se sera battu pour raconter aux Russes et à la presse internationale l’ampleur des dégâts environnementaux, sociaux et humains. Ceci  dans la plus grande indifférence des journalistes sportifs qui se borne à égrener le double décompte des médailles et des températures de plus en plus hautes. La tragédie écologique de la superbe vallée  (protégée) de Krasnaïa Poliana n’intéresse pas mes confrères. Le pouvoir de Vladimir Poutine comptait sur cette indifférence. Et, un a un, les derniers défenseurs des Droits Humains, quittent Sotchi. Parfois pour l’étranger. De peur d’être arrêtés, persécutés et condamnés comme Evguéni Vitishko. Et l’on ne » voit guère en France, d’intellectuels et de militants, même chez les Verts, se mobiliser pour aider ces gens courageux…

(1)    Voir le reportage publié il y a quelques jours par Mediapart…

Voici le sobre communiqué envoyé par les amis d’Evguéni, communiqué qui se  termine par cette phrase :  « Un nouveau prisonnier politique condamné pour des raisons inventées de toutes pièces pour ses activités environnementales et en faveur des Droits de l’Homme ».

ПОСРЕДИ ОЛИМПИАДЫ ЕВГЕНИЯ ВИТИШКО ПОСАДИЛИ НА ТРИ ГОДА В КОЛОНИЮ

  Краснодарский краевой суд оставил в силе решение Туапсинского суда

об изменении наказания члену Совета Экологической Вахты Евгению Витишко

 
Сегодня одновременно в Краснодаре и в Туапсе проходил суд по делу Евгения Витишко,

известного общественного деятеля, члена Совета Экологической Вахты по Северному Кавказу. Судья Краснодарского краевого суда Андрей Коннов рассматривал апелляцию на решение судьи Туапсинского городского суда Игоря Милинчука от 20 декабря 2013 года, согласно которому Евгению Витишко условное наказание, которое он получил по приговору в рамках так называемого « дела о порче забора » на даче губернатора Кубани Александра Ткачева, была заменено на три года заключения в колонии. Евгений Витишко участвовал в суде из Туапсе по видеотрансляции. Его защищали адвокаты Александр Попков и Марина Дубровина.

Начало суда было задержано на два часа. Суд был скорым и заранее предрешенным. Андрей Коннов удовлетворил все ходатайства прокуратуры и поддержал ее требование оставить решение судьи Милинчука в силе. С этого момента Евгений Витишко осужден на три года колонии. В России посреди Олимпиады-2014 появился новый политзаключенный, осужденный по сфабрикованным основаниям за свою природоохранную и правозащитную деятельность.

 

 

Tous les commentaires

Nouveau 13/02/2014, 17:21 | Par j WACQUANT

Bonjour

Pour arréter les dégats et mettre fin au gachis et à la corruption, signez et faites suivre la pétition pour un contrôle citoyen du CIO :

http://www.avaaz.org/fr/petition/Les_dirigeants_mondiaux_Un_vrai_controle_democratique_sur_le_CIO_Comite_International_Olympique/?copy

L’Appel pour des élections honnêtes

Par Les invités de Mediapart

Lancé par le Parti de gauche et signé notamment par Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’homme, Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale d’EELV, Annick Coupé, porte-parole nationale de l’Union syndicale Solidaires, l’appel demande « que Marine Le Pen soit condamnée de manière exemplaire » à l’issue de son procès pour l’usage de faux tracts à Hénin-Beaumont en mai 2012.


 

Ce jeudi 6 février 2014 aura lieu le procès fait à Marine Le Pen pour l’usage de faux tracts. En effet, en mai 2012, pour sa campagne législative à Hénin-Beaumont, ses militants du Front national avaient distribué un faux tract appelant, en arabe, à voter pour Jean-Luc Mélenchon.

Si le FN a d’abord nié être à l’origine de ce faux tract, Marine Le Pen l’a ensuite assumé publiquement à la télévision. Elle a reconnu être à l’origine de la manœuvre et avoir fait diffuser ce faux tract.

Ce travail de faussaire est un défi lancé contre la démocratie. Si chaque candidat peut, en toute impunité, se faire passer pour un autre candidat, comment les citoyens pourront-ils s’y retrouver ? Comment savoir qui dit quoi réellement et qui manipule ? Comment le peuple peut-il exercer sa souveraineté ?

Si Marine Le Pen obtient du tribunal la relaxe qu’elle demande, chacun aura le droit à l’avenir d’éditer des tracts au nom de ses adversaires politiques. A quelques semaines des élections municipales et européennes, les faux tracts se compteraient alors sûrement par milliers dans le pays.

Si Marine Le Pen n’est pas condamnée, il n’y aura plus d’élections honnêtes possibles.

En signant cet appel, nous, citoyens français,

– dénonçons ces manœuvres frauduleuses

– demandons que Marine Le Pen soit condamnée de manière exemplaire, le code pénal prévoyant la possibilité de la rendre inéligible.

– réclamons le droit d’exercer notre souveraineté par le biais de campagnes électorales honnêtes et loyales. Sans faux tracts.

 

Parmi les signataires: Pierre Tartakowsky, Président de la Ligue des Droits de l’Homme, Emmanuelle Cosse, Secrétaire nationale d’EELV, Annick Coupé, porte-parole nationale de l’Union syndicale Solidaires,  Eva Joly, Députée européenne,Julien Bayou, porte-parole d’EELV, Pierre Laurent, Secrétaire national du PCF, Clémentine Autain…

ldh-aquit-dr@orange.fr

06 41 89 41 22

https://www.facebook.com/ldh.aquitaine