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«Néonazi»: le témoignage qui accuse un proche de Marine Le Pen

 Mediapart.fr

03 février 2014 | Par Michel Deléan et Marine Turchi

 Dans une attestation détaillée, un ex-militant du GUD raconte la « haine maladive des juifs » de Frédéric Chatillon, ancien leader de cette organisation étudiante d’extrême droite, devenu conseiller officieux de Marine Le Pen et prestataire du FN : liens avec le négationniste Robert Faurisson et Dieudonné, dîners « hommages » à Hitler, « soirées « pyjamas rayés » », connexions avec le régime syrien.

Marine Le Pen n’a « pas coupé tous les ponts avec les néonazis ». C’est ce qu’estime le journaliste Frédéric Haziza, auteur de Vol au-dessus d’un nid de fachos, publié aux éditions Fayard le 15 janvier. Dans son livre, l’auteur vise « deux de ses principaux confidents et conseillers, Frédéric Chatillon et Philippe Péninque » qui, selon lui, « assument encore aujourd’hui leur héritage politique du temps du GUD, et contrôlent les finances du Front national ».

Frédéric Chatillon accompagnant Marine Le Pen lors de son voyage en Italie, le 22 octobre 2011.
Frédéric Chatillon accompagnant Marine Le Pen lors de son voyage en Italie, le 22 octobre 2011. © Capture d’écran d’un documentaire de Canal Plus.

Conseiller officieux et vieil ami de Marine Le Pen, leader du GUD (Groupe union défense) dans les années 1990 devenu prestataire du Front national, Frédéric Chatillon ne veut pas qu’on le traite de « néonazi » ni de « négationniste ». C’est pourquoi il a demandé à la présidente du tribunal de grande instance de Paris, dans une procédure en référé, de faire censurer plusieurs passages de ce livre. L’audience s’est tenue lundi matin 3 février.

Dans ses conclusions, Me Richard Malka, avocat des éditions Fayard et de l’auteur, a détaillé le long cursus de Frédéric Chatillon à l’extrême droite (lire notre article ici). Mais lundi matin, l’avocat a versé au dossier un document inédit : une attestation extrêmement détaillée d’un ancien militant du GUD qui a « beaucoup côtoyé Frédéric Chatillon », président du mouvement à partir de 1991.

Dans ce document de trois pages, daté du 30 janvier et remis au tribunal le 3 février, Denis Le Moal, ex-gudard devenu chef d’entreprise, dresse un portrait idéologique de ce proche de Le Pen qui cultive, selon lui, « aujourd’hui comme hier une haine maladive des juifs ». Selon lui, « il ne s’agit aucunement d’erreurs de jeunesse » : ces « engagements de jeunesse » et ses « rapports avec les milieux néonazis français ou européens ne se sont jamais démentis».

M. Le Moal raconte comment, « sous (l’)impulsion » de Chatillon, « le GUD prit un tournant antisémite et négationniste ». « Nous militions surtout par anticommunisme. Les Juifs avant l’arrivée de Chatillon, ce n’était pas notre problème. À l’époque de (William) Bonnefoy (prédecesseur de Chatillon, ndlr), il n’y avait pas de dérive antisémite », explique ce « militant de base » du GUD « entre 1986 et 1995 », parti « en prenant conscience de cette dérive ».

Frédéric Chatillon lorsqu'il était chef du GUD, à partir de 1991.
Frédéric Chatillon lorsqu’il était chef du GUD, à partir de 1991. © Les Rats Maudits

L’ancien gudard rapporte une dizaine d’épisodes édifiants. Il éclaire par exemple les liens entre Chatillon et le négationniste Robert Faurisson. Selon lui, le président du GUD a demandé en mars 1991 à une partie de ses troupes « de venir assurer la sécurité d’un homme qu’il avait présenté comme un “ami” qui devait passer en procès au Palais de Justice de Paris ».

« Nous y sommes allés avec une dizaine de militants du GUD dont Jildaz Mahé O’Chinal et Axel Loustau (deux très proches de Chatillon, le second étant devenu en 2012 le trésorier du micro-parti de Marine Le Pen, ndlr). Je me suis rendu compte alors que l’ami de Chatillon était Robert Faurisson, affirme Denis Le Moal. Visiblement ils se connaissaient bien. Il nous l’a présenté en nous disant beaucoup de bien de lui et en nous précisant que nous “partagions les mêmes idées” ».

D’après l’ex-militant, les deux hommes se seraient connus à l’époque où Chatillon travaillait à la librairie OGMIOS, qui « diffusait une littérature antisémite et négationniste que Chatillon considérait comme dépeignant la réalité historique ».

Frédéric Chatillon avec Dieudonné et le négationniste Robert Faurisson, en 2009, au théâtre de la Main d'or, à Paris.
Frédéric Chatillon avec Dieudonné et le négationniste Robert Faurisson, en 2009, au théâtre de la Main d’or, à Paris. © Reflexes
Dieudonné et Chatillon au tribunal avec Faurisson
Dieudonné et Chatillon au tribunal avec Faurisson © Reflexes

Autre « souvenir édifiant » raconté par Denis Le Moal: le meeting des 25 ans du GUD, à la Mutualité à Paris, le 3 mai 1993, où Frédéric Chatillon « avait convié des représentants étudiants italiens, flamands et allemands des “partis frères” ». Ce meeting « s’est transformé en réunion faisant l’apologie du nazisme lors de l’intervention du délégué allemand Franck Rennicke, se concluant par une série de “Sieg Heil” accompagnés de “saluts nazis” », relate-t-il.

F. Chatillon (à droite) et Jean-Pierre Emié, dit  « Johnny le boxeur » (à gauche), aux 25 ans du GUD, à la Mutualité, à Paris.
F. Chatillon (à droite) et Jean-Pierre Emié, dit « Johnny le boxeur » (à gauche), aux 25 ans du GUD, à la Mutualité, à Paris. © Les Rats Maudits
Aux 25 ans du GUD, le nationaliste italien Marcello de Angelis (à gauche) et le repésentant flamand du NSV (2e à droite).
Aux 25 ans du GUD, le nationaliste italien Marcello de Angelis (à gauche) et le repésentant flamand du NSV (2e à droite). © Les Rats Maudits

Dans Les Rats maudits, un livre publié en 1995 dans lequel Chatillon et ses acolytes racontent les trente années du GUD, les auteurs notent d’ailleurs, à l’occasion de ce meeting, que « le danger rouge n’existe plus » et que « l’ennemi change ».

Dans cette attestation, Denis Le Moal affirme également que Frédéric Chatillon « organisait » à l’époque, « chaque année », « un dîner le jour de l’anniversaire du “Führer” le 20 avril, pour rendre hommage à “ce grand homme” ». Présent à l’un de ces dîners, « dans un restaurant de Montparnasse », l’ex-gudard explique que Chatillon était venu avec « un portrait peint d’Adolf Hitler », et qu’il le présenta au cours du dîner « en prononçant ces mots “mon Führer bien aimé, il est magnifique”, avant de l’embrasser ». Il assure aussi que Chatillon « organisait, alors qu’il était étudiant, des soirées “pyjamas rayés” en allusion aux tenues de déportés juifs ».

Un « débriefing par les services français » pour un « Mein Kampf en arabe »

Autre épisode révélateur: un déplacement en Espagne en novembre 1992, pour l’anniversaire de la mort de Franco. Denis Le Moal rapporte une rencontre entre Chatillon et Léon Degrelle (ancien Waffen-SS et fondateur du mouvement collaborationniste Rex en belgique). Degrelle « lui déclara, après cette charmante rencontre: “si j’avais eu un fils, j’aurais aimé qu’il vous ressemble” », « une reprise de la citation que Hitler avait (selon lui) adressé à Degrelle en 1944 ».

D’après Denis Le Moal, Chatillon était « très fier de cette filiation reconnue et assumée ». Un an plus tôt, le président du GUD se serait aussi rendu en Croatie « pour s’afficher aux côtés des néonazis européens qui se battaient avec les héritiers des Oustachis contre les Serbes ».

L’ancien militant du GUD détaille également les connexions syriennes de Frédéric Chatillon, comme le général Tlass, qui lui aurait offert, « à l’occasion de son premier séjour en Syrie », « un magnifique exemplaire de Mein Kampf en arabe que Frédéric Chatillon ramena précieusement en France ». Ce qui aurait valu au gudard d’être « interpellé pour un débriefing par les services français à sa descente d’avion », à Paris.

Frédéric Chatillon avec Manaf Tlass et Dieudonné, en Syrie, en 2008.
Frédéric Chatillon avec Manaf Tlass et Dieudonné, en Syrie, en 2008. © Reflexes

Denis Le Moal énumère les actions du GUD prenant « pour cible des intérêts ou symboles juifs en France ». Selon lui, ces attaques auraient commencé « après cette visite en Syrie » et auraient été organisées par Frédric Chatillon « du début à la fin ». « Le GUD est devenu un supplétif du régime syrien, les intérêts financiers de Frédéric Chatillon rejoignant ses intérêts politiques », estime l’ancien militant, qui apporte une autre illustration: « À cette époque Chatillon rencontre Roger Garaudy, et achète les droits de son livre révisionniste « les mythes fondateurs de l’Etat d’Israël » pour l’Egypte. Je sais qu’il pensait gagner beaucoup d’argent avec ce « filon » ».

Mediapart avait déjà relaté dans plusieurs enquêtes (à lire ici et ) l’engagement pro-Assad et le business de ce proche de Marine Le Pen avec le régime syrien. Comme nous l’avions révélé, Chatillon avait fait l’objet d’un signalement Tracfin et d’une enquête confiée à la brigade financière pour ses affaires avec la Syrie. L’enquête avait été close en avril 2012, sans provoquer de poursuites judiciaires, mais elle avait révélé le versement, par le régime syrien, de fonds à la société de Chatillon destinés à gérer sa communication.

En 2011, l’ex-leader du GUD parraine la création du site pro-régime Infosyrie.fr (fermé en janvier 2013), et il apparaît dans une manifestation de soutien à Bachar al-Assad en octobre, au côté de son ami Olivier Duguet, alors trésorier du micro-parti de Marine Le Pen:

Olivier Duguet (à gauche) et Frédéric Chatillon (à droite) le 30 octobre 2011, lors de la manif pro-Bachar Al-Assad, à Paris.
Olivier Duguet (à gauche) et Frédéric Chatillon (à droite) le 30 octobre 2011, lors de la manif pro-Bachar Al-Assad, à Paris. © Capture d’écran d’un documentaire de Canal Plus.

« Grâce à l’argent de la Syrie, Frédéric Chatillon est aujourd’hui à la pointe du combat négationniste et antisémite », affirme Denis Le Moal. À plusieurs reprises, le conseiller officieux de Le Pen s’est rendu en Syrie, avec le polémiste d’extrême droite Alain Soral et Dieudonné, « un pote »expliquait-il à Mediapart. Derrière « la rencontre de Dieudonné et de Faurisson », « le virage “politique” de Dieudonné » et « ses saillies antisémites », l’ex-gudard voit à chaque fois Frédéric Chatillon.

F.Chatillon (polo rouge) en Syrie à l'été 2006 avec Ahmed Moualek (Labanlieuesexprime), Dieudonné, Thierry Meyssan, Alain Soral.
F.Chatillon (polo rouge) en Syrie à l’été 2006 avec Ahmed Moualek (Labanlieuesexprime), Dieudonné, Thierry Meyssan, Alain Soral. © dr

Il pointe aussi du doigt les liens entre l’ex-président du GUD et Alain Soral. Il rappelle que Jildaz Mahé, « ami d’enfance et employé de Chatillon au sein de sa société de communication », figure comme « membre fondateur » d’Égalité et Réconciliation, l’association de Soral. « Cette même haine viscérale le pousse à organiser des rapprochements improbables entre extrémistes de droite et extrémistes de gauche, sous la bannière de l’antisionisme », « avec comme ennemi commun Israël et les juifs », écrit-il.

Dans ce document, Denis Le Moal est catégorique: « Je ne suis ni antisémite, ni négationniste, ni néonazi, Frédéric Chatillon l’est évidemment. il n’y a pour moi aucun doute là-dessus ».

Frédéric Chatillon se prend en photo faisant le geste de la quenelle de Dieudonné, le 6 août 2013.
Frédéric Chatillon se prend en photo faisant le geste de la quenelle de Dieudonné, le 6 août 2013. © Twitter / fredchatillon

Ce témoignage rend plus embarrassante encore la présence de Frédéric Chatillon dans l’entourage de Marine Le Pen. Questionnée en janvier 2012 sur France Inter, la présidente du FN l’avait présenté non pas comme un « ami » – ce qu’elle avait fait dans Le Monde –, mais comme comme un simple « prestataire de service ».

L’ex-leader du GUD n’est pas un fournisseur parmi d’autres: il a été le prestataire phare de la campagne frontiste de 2012 : comme l’a révélé Mediapart, sa société avait perçu 1,6 million d’euros  (presque un cinquième des dépenses déclarées par la candidate, prises en charge par l’Etat à hauteur de 8 millions).

Interrogé par Mediapart en octobre, Wallerand de Saint-Just, le trésorier du FN, avait reconnu que Frédéric Chatillon avait « beaucoup d’activités au FN. Il voit régulièrement Marine Le Pen, ils ont de bonnes relations, des relations anciennes. Nous avons confiance en lui, en son travail. » En juillet 2012, Frédéric Chatillon avait expliqué à Mediapart qu’il « voyait (Marine Le Pen) une fois par semaine pendant la campagne », mais qu’il « ne particip(ait) pas aux réunions de campagne » et n’avait « jamais été un conseiller officieux ».

L’ancien président du GUD a pourtant été aperçu à de nombreux événements du FN: des meetings de la candidate, mais aussi des conférences de presse comme celle-ci, au Salon des maires, en novembre 2011, aux côtés de hauts responsables du FN :

F. Chatillon avec Steeve Briois (secrétaire général du FN) et Nicolas Bay (secrétaire général adjoint du FN), en novembre 2011.
F. Chatillon avec Steeve Briois (secrétaire général du FN) et Nicolas Bay (secrétaire général adjoint du FN), en novembre 2011. © Capture d’écran LCP.
Photo postée sur le compte Twitter de F. Chatillon, lors du lancement de la campagne des municipales du FN, le 17 novembre 2013
Photo postée sur le compte Twitter de F. Chatillon, lors du lancement de la campagne des municipales du FN, le 17 novembre 2013 © Twitter / fredchatillon

Car Frédéric Chatillon joue aussi les passerelles politiques pour Marine Le Pen. C’est lui qui organise les tournées en Italie de la présidente du FN (exemple en octobre 2011), grâce à ses réseaux néofascistes – « mes anciens alter ego », dit-il. C’est lui aussi qui approche certains futurs candidats du parti, comme l’ancien pasquaïen et ex-dirigeant de parfumerie Bernard Marionnaud, qui mène la liste « Rassemblement bleu marine » aux municipales, à Clamart.

Leurs liens dépassent la sphère politique. Nés tous les deux en 1968, Le Pen et Chatillon se sont connus à l’université d’Assas, à Paris, et se considèraient tous deux comme de « vieux potes de faculté », selon l’ancien président du GUD. Chatillon s’est par la suite marié avec une amie d’enfance de la présidente du FN, Marie d’Herbais, qui travaille au service communication du FN et fut candidate dans la Sarthe aux législatives de 2012.

Marie d'Herbais est salariée du FN et présente chaque semaine le « Journal de bord » de Jean-Marie Le Pen.
Marie d’Herbais est salariée du FN et présente chaque semaine le « Journal de bord » de Jean-Marie Le Pen. © dr

Le trio avait fait parler de lui dans les médias à l’occasion d’une soirée arrosée en février 2003, organisée chez Frédéric Chatillon, dans le XVIe arrondissement de Paris, pour son anniversaire. Marine Le Pen s’était interposée, alors que son amie repoussait la police. Elle avait été elle-même visée par la suite par une plainte pour outrage déposée par les policiers.

Ultras, racistes et xénophobes défilent à Paris

Mediapart

26 janvier 2014 | Par Ellen Salvi et Nicolas Serve et Marine Turchi – Mediapart.fr

 

Les Homen, dans la foule, dimanche.
Les Homen, dans la foule, dimanche. © Nicolas Serve

Des dizaines de milliers de personnes ont défilé à Paris dimanche à l’appel du collectif « Jour de colère ». Le cortège a été marqué par l’omniprésence de groupuscules d’extrême droite et ponctué de slogans antisémites, homophobes et antijournalistes.

Annoncée comme un grand rassemblement citoyen anti-Hollande, la manifestation à l’appel du collectif « Jour de colère » n’a pas eu l’ampleur des mobilisations contre le mariage pour tous l’année dernière (17 000 personnes selon la police, 160 000 personnes selon les organisateurs). Sur Facebook, 25 000 personnes avaient indiqué leur participation sur la page de l’événement. Dimanche, le mouvement était marqué par une omniprésence de groupuscules d’extrême droite. Il a été ponctué de slogans antisémites, homophobes et antijournalistes.

Le collectif avait annoncé un mouvement de « convergence des luttes », organisé sous huit bannières différentes : fiscalité, éducation-jeunesse, famille, identité nationale, chômage, respect des convictions religieuses, liberté d’entreprise, respect des libertés fondamentales. La première difficulté était de contenir dans un même cortège des associations antifiscalité, identitaires, catholiques intégristes, catholiques traditionalistes, anti-islam, des partisans de Dieudonné et des groupuscules d’extrême droite antisémites.

Dès le départ de la manifestation, place de la Bastille, l’une des organisatrices prévient, au micro : « Nous marchons à côté de gens qui n’ont pas les mêmes convictions que nous. Nous l’acceptons. Ce qui nous unit, c’est la volonté de changer le gouvernement. Nous sommes un mouvement patriote. » Le speaker qui lui succède chauffe la foule : « Je vous rappelle que c’est une manifestation pacifique, mais ce n’est pas une raison pour ne pas montrer votre colère ! (…) Les journalistes qui sont des collabos, nous n’en voulons pas ! » Il cible « les pourrisseurs de l’État » et « les médias », et invite les participants à dénoncer les « provocateurs envoyés par Valls ».

Dans la foule, dimanche, un manifestant faisant un salut nazi.
Dans la foule, dimanche, un manifestant faisant un salut nazi. © Nicolas Serve
Des manifestants avec des drapeaux ornés de la croix celtique, emblème du G.U.D.
Des manifestants avec des drapeaux ornés de la croix celtique, emblème du G.U.D. © Nicolas Serve

Pendant trois heures, de la place de la Bastille aux Invalides, des groupes hétéroclites défilent contre le mariage pour tous, le « matraquage fiscal », la hausse du chômage, l’immigration, pour la défense de la famille traditionnelle, de « la souveraineté et l’identité » de la France. Parmi les slogans, certains ciblent directement les membres du gouvernement et le président : « Najat à coups de batte », « Taubira casse-toi ! » et « Hollande au poteau, le peuple aura ta peau ». Mais les deux qui reviennent en boucle sont : « Hollande démission » et « journalistes collabos ».

Pancarte d'une manifestante dans la foule.
Pancarte d’une manifestante dans la foule. © Nicolas Serve

Les organisateurs du collectif sont anonymes, mais les coïncidences avec le Printemps français, branche radicale de la Manif pour tous, sont troublantes, comme l’a démontré Mediapart. Dimanche, on pouvait voir un petit noyau s’affairer au départ de la manifestation, avec oreillettes et téléphones portables. On y retrouvait Frédéric Pichon, ancien leader du Groupe union défense (G.U.D.), figure du Printemps français et avocat de plusieurs manifestants antimariage pour tous prônant la radicalisation, recroisé une heure plus tard avec… un bonnet rouge.

Frédéric Pichon, dans la foule, dimanche.
Frédéric Pichon, dans la foule, dimanche. © Nicolas Serve

Était aussi présent Axel Loustau, le trésorier du microparti de Marine Le Pen, à la tête d’une société de sécurité privée prestataire du FN en 2012. Ce proche de l’ex-chef du G.U.D., Frédéric Chatillon, a déjà été interpellé dans les manifestations contre le mariage pour tous en avril (lire notre article).

Axel Loustau, à droite de l'homme à l'oreillette.
Axel Loustau, à droite de l’homme à l’oreillette. © Marine Turchi

Dans le cortège, on croise un grand nombre de groupuscules gravitant à l’extrême droite : les Groupes nationalistes révolutionnaires (G.N.R.), le Front nationaliste, Terre et peuple, ou encore Yvan Benedetti, ex-FN et leader de l’Œuvre française, le groupuscule pétainiste et antisémite dissout en juillet après la mort de Clément Méric. Avec les Caryatides, il lance des « Hollande ça suffit, travail famille patrie ! », « La France aux français », « Français, réveille-toi, tu es ici chez toi ! », « Israël hors d’Europe ! », ou « On n’entend plus chanter Ariel Sharon ».

« Faurisson a raison, la Shoah c’est bidon », entend-on plus loin. Parmi les personnalités présentes, on trouvait l’écrivain Renaud Camus, théoricien du « grand remplacement » (théorie selon laquelle les Français seraient en passe d’être démographiquement évincés par des peuples non européens), l’essayiste Alain Soral, passé par le PCF puis le FN, aujourd’hui à la tête d’Égalité et réconciliation.

Alain Soral, dans la manifestation, le 26 janvier.
Alain Soral, dans la manifestation, le 26 janvier. © Capture d’écran du site Égalité et réconciliation.
Renaud Camus (au centre), devant l'Opéra, place de la Bastille, dimanche.
Renaud Camus (au centre), devant l’Opéra, place de la Bastille, dimanche. © Nicolas Serve

Quenelles, ananas et complotistes

Les Homen, dans la foule, dimanche.
Les Homen, dans la foule, dimanche. © Nicolas Serve

Si Dieudonné est absent, pour cause de spectacle à Bordeaux, ses partisans sont très présents dans le cortège, brandissant des ananas et faisant des quenelles, deux symboles de la « Dieudosphère ». Nombre d’entre eux scandent d’ailleurs « Quenelle révolution ! ».

Des manifestants affichent deux des symboles de Dieudonné.
Des manifestants affichent deux des symboles de Dieudonné. © Marine Turchi
Dimanche, dans la foule, de nombreux manifestants ont fait le geste de la quenelle.
Dimanche, dans la foule, de nombreux manifestants ont fait le geste de la quenelle. © Nicolas Serve

Des familles étaient aussi présentes, parfois avec des drapeaux « Manif pour tous » :

Aux Invalides, dimanche.
Aux Invalides, dimanche. © Marine Turchi

Une poignée d’amateurs de complots en tous genres se sont joints à la marche. Sur le boulevard Montparnasse, un homme distribue des tracts rappelant « la théorie des chemtrails », selon laquelle les traînées blanches créées par le passage des avions seraient composées de produits chimiques répandus par de mystérieuses agences gouvernementales. Non loin, certains hurlent « Francs-maçons en prison ! » tandis que d’autres brandissent des pancartes dénonçant la mainmise du CRIF ou du Club Bilderberg sur le pouvoir. Toute action gouvernementale a son explication alambiquée.

L’épisode Valls-Dieudonné ? « Une manipulation pour punir Dieudonné d’avoir invité dans son théâtre le fils du juge Roche (ex-magistrat décédé en 2003 et mort, selon ses enfants, dans des conditions suspectes – Ndlr), assure Meresia, 36 ans, l’une des volontaires en charge de la quête. C’est pour ça et pour rien d’autre ! On nous cache tellement de choses… »

Place de la Bastille, dimanche.
Place de la Bastille, dimanche. © Nicolas Serve

Les partis politiques étaient les grands absents de cette mobilisation. Le FN avait expliqué qu’il n’appelait pas à manifester, contrairement au SIEL, le parti souverainiste de Paul-Marie Coûteaux. Marion Maréchal-Le Pen a quant à elle fait marche arrière. Son collaborateur a indiqué à Mediapart mercredi qu’elle ne s’y rendrait finalement pas à cause de « l’environnement, l’appel des pro-Dieudonné, la crispation des échanges sur le web ». Sa fédération du Vaucluse, qui avait participé à l’organisation de « Jour de colère » en proposant des « tractages » et des relais locaux, a, depuis, effacé le billet sur son site.

Dans la foule, dimanche, aux Invalides.
Dans la foule, dimanche, aux Invalides. © Nicolas Serve
Au départ de la manifestation, dimanche, place de la Bastille.
Au départ de la manifestation, dimanche, place de la Bastille. © Nicolas Serve

Les habitués des manifestations contre le mariage pour tous, comme l’UMP Hervé Mariton, Christine Boutin ou le frontiste Bruno Gollnisch, étaient absents. Invitée dimanche dans l’émission « Le Supplément politique » de Canal Plus, Christine Boutin, farouche opposante du mariage pour tous, a indiqué qu’elle ne grossirait pas les rangs des marcheurs cette fois-ci : « Je ne veux pas participer à une manifestation qui peut dégénérer. Je ne suis pas certaine qu’il n’y aura pas de violence. » C’est donc de loin que la présidente du parti chrétien démocrate a suivi le mouvement. Sur son compte Twitter, elle s’est félicitée du succès rencontré par le premier « Jour de colère », tout en laissant entendre qu’elle ne manquerait pas le deuxième rendez-vous :

© Twitter / Christine Boutin

En tête de cortège, le groupe, réuni pour « crier (son) ras-le-bol face au matraquage fiscal du gouvernement », salue les identitaires qui tractent sur le trottoir. Rémi, un chef d’entreprise de 46 ans, se dit « apolitique ». Pourtant, « ça ne (lui) pose aucun problème de défiler avec des groupes extrémistes » parce que « ce sont les vrais Français qui sont dans la rue ». Même discours du côté de Marie, 24 ans, qui estime que « tout le monde peut marcher dans la rue, du moment qu’ils ne sont pas venus pour promouvoir leur parti » : « J’avais déjà marché contre le mariage pour tous l’année dernière. C’est toujours bon enfant comme ambiance ! »

De nombreux manifestants portaient cet écusson des scouts unitaires catholiques traditionalistes.
De nombreux manifestants portaient cet écusson des scouts unitaires catholiques traditionalistes. © Nicolas Serve

À l’instar de la jeune femme, nombreux sont les manifestants interrogés ce dimanche par Mediapart, à avoir déjà manifesté l’an passé. Meresia n’est pas de ceux-là. Bonnet rouge sur la tête, gilet fluo des « volontaires » sur le dos, elle use de son sifflet en continu, mais consent à le retirer pour expliquer qu’elle manifeste contre « l’éducation nationale » : « C’est une priorité. Or, tout ce qu’on apprend à nos gamins à l’école aujourd’hui, c’est l’homosexualité. J’adore les homos, je m’éclate avec les gays, mais j’ai pas envie qu’on apprenne ça à mon petit de 5 ans. Je ne veux pas qu’on lui dise que c’est normal parce que ce n’est pas vrai. »

Une bénévole dans la foule.
Une bénévole dans la foule. © Nicolas Serve

Si elles répètent qu’elles manifestent « contre le gouvernement », les personnes interrogées dans la foule ne motivent guère plus leur participation au « Jour de colère ». Christian, un retraité de 74 ans, qui a « toujours voté socialiste », avoue même qu’il ne sait « pas très bien ce qu’(il fait) » : « Je voulais montrer mon mécontentement, mais je me retrouve au milieu de personnes dont je ne partage pas du tout les idées. Quand je suis arrivé, j’ai été un petit peu dérangé de voir qui était là, mais bon, je me dis que quelquefois, on dit bonjour à des gens qu’on n’aime pas… »

Alain Escada, à la tête des catholiques intégristes de Civitas.A
lain Escada, à la tête des catholiques intégristes de Civitas. © Nicolas Serve

Parmi les contre-manifestants, une dizaine de militantes des Femen, venues aux cris de « les fachos au poteau ! ». « Femen salopes, bande de putes, la France aux Français », a répliqué la foule. Elles ont été évacuées par les forces de l’ordre.

Des antifascistes ont déployé une banderole près de la gare d’Austerlitz, sur laquelle on pouvait lire « Valls, Marine, Dieudo, tous fachos » :

Sur le pont près de la gare d'Austerlitz, la banderole déployée par des antifascistes.
Sur le pont près de la gare d’Austerlitz, la banderole déployée par des antifascistes. © La Horde
Affiches collées par le Mouvement inter Lycées indépendant en amont de la manifestation.
Affiches collées par le Mouvement inter Lycées indépendant en amont de la manifestation. © Nicolas Serve

La manifestation, ponctuée de plusieurs incidents (journalistes pris à partie, jets de pétards, fumigènes, bombes agricoles), a débouché aux Invalides, avec plusieurs discours d’anonymes sur l’estrade, venus défendre l’un des huit thèmes mis en exergue. « Nous ne sommes pas les putes de la République », « nous sommes gouvernés par des merdes », lance l’un d’eux au micro. À l’issue de la manifestation, Béatrice Bourges, porte-parole du Printemps français, a annoncé qu’elle entamait « une grève de la faim jusqu’à la destitution du président François Hollande », en précisant qu’elle allait camper au Champ-de-Mars, près de la tour Eiffel.

En fin de journée, des affrontements ont éclaté entre les forces de l’ordre et une centaine de manifestants restés sur place. Masqués pour la plupart, ces derniers ont lancé des projectiles (bouteilles, pétards, barres de fer, poubelles et fumigènes) contre les policiers qui ont répliqué par des tirs de gaz lacrymogènes. Dix-neuf policiers ont été blessés – l’un d’eux a reçu un pavé dans la mâchoire. Au total, 262 personnes ont été interpellées. Près de 250 ont été placées en garde à vue.

Les affrontements entre manifestants et forces de l'ordre, dimanche en fin de journée.
Les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre, dimanche en fin de journée. © Twitter / hugoclement

La boîte noire :Mise à jour: Cet article a été actualisé lundi matin avec le nombre total de personnes interpellées et de gardes à vue.

TVA : une victoire pour toute la presse (et pour ses lecteurs)

Mediapart

Grâce à votre mobilisation, celle de nos lecteurs, de la profession, d’élus et de personnalités, justice est enfin rendue à la presse en ligne. Le gouvernement a en effet décidé de mettre en œuvre dès maintenant l’égalité fiscale entre presse imprimée et presse numérique. Ce choix politique d’un même taux de TVA à 2,1 % pour toute la presse, quel que soit son support, est justifié au nom de l’égalité fiscale et de la neutralité technologique.

Cette décision a été annoncée, vendredi 17 janvier, à l’Hôtel Matignon, aux représentants des organisations professionnelles de la presse : SPIIL pour la presse en ligne, SPQN pour la presse quotidienne nationale, SPQR pour la presse quotidienne régionale, SEPM pour la presse magazine, FNPS pour la presse spécialisée. Lors de cette réunion interministérielle présidée par le directeur de cabinet du premier ministre, Christophe Chantepy, il a été précisé qu’une initiative législative sera prise en ce sens très rapidement, dont le dépôt sera accompagné d’une directive du ministère du budget à l’administration fiscale mettant en œuvre l’application immédiate du taux à 2,1 % pour la presse en ligne.

Dans un communiqué commun, l’ensemble des éditeurs de presse, en se félicitant de cette décision, a « salué le courage du gouvernement qui manifeste son souci d’une presse dynamique, pluraliste et inventive, qu’elle soit imprimée ou numérique » (télécharger ici le communiqué). Pour le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL), dont Mediapart est cofondateur, cette décision justifie le combat, engagé depuis sa création en 2009, pour une reconnaissance pleine et entière de la presse en ligne, à égalité de droits et de devoirs avec toute la presse. Aussi le SPIIL donne-t-il acte au premier ministre, Jean-Marc Ayrault, d’avoir pris ses responsabilités après tant d’années d’attentisme politique laissant planer une incertitude sur l’avenir de nos entreprises.

Cette avancée confirme le rôle pionnier de la nouvelle presse en ligne au bénéfice de toute la presse, dans la diversité de ses catégories et le pluralisme de ses orientations. Laboratoire sur les modèles économiques pertinents, comme l’est depuis le début Mediapart avec sa formule payante qui s’oppose avec succès à la destruction de valeur de la gratuité publicitaire, la presse en ligne indépendante est aussi un levier de transformation, de modernisation et de réforme de l’écosystème de la presse au bénéfice du public et, donc, de la démocratie.

Depuis son origine, la TVA dite super-réduite sur la presse (de 2,1 % en France, mais qui est même de 0 % en Grande-Bretagne) exprime une philosophie démocratique au bénéfice du pluralisme, de la diversité et de l’accessibilité de la presse, entendue comme un secteur aux enjeux politiques évidents, entre liberté d’information et liberté d’opinion. La décision du gouvernement français, semblable à celle prise en toute souveraineté sur le livre depuis 2012 (même taux de 5,5 % pour l’imprimé et pour le numérique), affirme la défense de principes constitutionnels et de lois fondamentales qui étaient remis en cause par la banalisation de la presse en ligne, ramenée à n’importe quel service commercial marchand.

Pour Mediapart, qui est parti en campagne sur ce terrain dès sa création en 2008 (lire ici mon premier article du 23 mai 2008 sur le sujet), cette question de la TVA portait, au-delà de son enjeu économique vital, la question de l’égalité de droits et de devoirs avec l’ancienne presse imprimée de cette nouvelle presse numérique que nous voulions à la fois inventer et imposer, bref construire durablement. C’est ainsi que nous avions obtenu le statut reconnaissant, en 2009, la presse en ligne comme une presse à part entière, relevant du périmètre de la CPPAP (Commission paritaire des publications et agences de presse). L’égalité fiscale était la conséquence logique de cette égalité juridique, aussi bien en droit administratif qu’en droit pénal.

Quand une révolution industrielle modifie radicalement la donne – éditoriale, économique, commerciale, culturelle, sociétale, etc. –, comme c’est le cas avec le numérique, il arrive que des pesanteurs, des archaïsmes et des conservatismes créent des situations de retard et de blocage. Le prétexte européen, qui fut longtemps opposé pour ne pas officiellement proclamer l’égalité fiscale aujourd’hui reconnue, en relève, ainsi que nous l’avions longuement et précisément argumenté dans un mémoire juridique du cabinet Lysias remis à Jacques Toubon, alors mandaté par la France auprès de Bruxelles sur le sujet (le télécharger ici et télécharger là un second mémoire remis il y a un an à l’Élysée).

Devant l’accord de tous nos interlocuteurs (et notamment des parlementaires) sur la justesse de notre revendication et, en même temps, l’incompréhensible immobilisme politique des pouvoirs publics, nous avons donc pris, avec le SPIIL, nos responsabilités, en appliquant aux abonnements à Mediapart le taux légitime de 2,1 %. Défendre ce taux, c’est aussi défendre une presse numérique plus abordable pour ses lecteurs et refuser cet engrenage fatal d’une presse qui, à mesure que s’approfondissent ses difficultés, ne cesse d’augmenter ses prix. Inchangé depuis notre création il y a six ans, le prix de l’abonnement à Mediapart est aujourd’hui le plus bas de la presse quotidienne d’information politique et générale. Une presse démocratique doit rester une presse accessible au plus grand nombre.

Notre décision d’appliquer le taux à 2,1 % ne fut en rien une ruse et encore moins une fraude : en toute transparence, ce fut l’affirmation d’un combat et d’une exigence, dont la double légitimité est aujourd’hui reconnue, aussi bien par le gouvernement que par la profession. Tout comme sa totale indépendance économique (voir ici notre campagne « A qui appartient votre journal ? ») aide les journalistes à se battre, où qu’ils travaillent, pour défendre leur indépendance, les audaces entrepreneuriales de Mediapart aident tout le secteur professionnel à avancer dans l’invention d’un nouvel écosystème, plus vertueux et plus transparent, plutôt que dans la répétition des erreurs du passé, lesquelles ont aggravé la crise liée à la transition numérique. Avec le soutien des lecteurs et, donc, de l’opinion que permettent et facilitent l’horizontalité et la rapidité démocratiques d’Internet, nous faisons levier, pression et mobilisation, dans l’intérêt commun et pour le bien public.

C’est bien pourquoi il serait incompréhensible que les audacieux que nous sommes, et dont l’audace aujourd’hui profite à tous, soient lourdement pénalisés par une administration fiscale aveugle aux bouleversements numériques et à leurs enjeux aussi bien politiques qu’économiques. Résultat de la mobilisation suscitée, dans l’opinion et dans la profession, par des contrôles fiscaux discriminatoires visant les journaux en ligne qui appliquent d’ores et déjà ce taux légitime de TVA, parmi lesquels Mediapart au premier chef, cette victoire restera incomplète tant que cette menace pèsera sur nous, mettant en péril l’avenir de nos entreprises.

Aussi, lors de la réunion tenue à Matignon, les représentants du SPIIL ont-ils demandé avec insistance que la décision prise soit complétée par la suspension des contrôles et redressements fiscaux ayant comme motivation l’application, pour le passé, d’un taux de TVA à 19,6 % (passé à 20% depuis le début de l’année 2014) dont les pouvoirs publics conviennent désormais qu’il était injustifié.

Pour mémoire, un premier redressement de plus d’un million d’euros nous a déjà été signifié fin décembre 2013, de façon aussi expéditive que déloyale, en nous appliquant des pénalités de mauvaise foi jusqu’en 2010 alors même que notre combat a toujours été public. Si ce redressement était suivi de redressements similaires pour les années suivantes (2011, 2012, 2013), avec le même barème, les mêmes pénalités et, donc, la même injustice, c’est près de six millions au total que le fisc pourrait nous réclamer, soit plus que ce que nous a coûté le financement de Mediapart jusqu’à ce qu’il commence à devenir bénéficiaire ! Comme je l’ai expliqué dans un précédent billet (lire ici), sauf à brader son indépendance, Mediapart ne pourrait survivre à une telle ponction financière.

Président de la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, le député (PS) Patrick Bloche qui, avec d’autres parlementaires, a toujours défendu la juste cause de la presse en ligne, a déclaré au Monde, en accueillant « avec allégresse » l’annonce gouvernementale, que « s’il y a une loi, cela conduira l’administration fiscale à suspendre les contrôles fiscaux » (lire ici). Pour l’heure, hélas, nous n’avons aucune certitude en ce sens, le prochain rendez-vous avec les inspectrices du fisc étant fixé au 29 janvier. Nous allons évidemment tout faire, en usant de toutes les voies de recours possibles avec toujours la même transparence sur nos actions, pour obtenir cette assurance de ne pas être persécutés pour un combat dont chacun, aujourd’hui, peut constater la justesse et la légitimité.

Merci à tous, lecteurs, amis, collègues, élus et personnalités, de votre soutien sans lequel nous n’aurions pas réussi à transformer cette épreuve en victoire. Et merci à tous de bien vouloir rester vigilants tant que cette victoire ne sera pas pleine et entière.

Le plan Sapin affole l’inspection du travail

Mediapart.fr

13 janvier 2014 | Par Rachida El Azzouzi

Malaise dans les sections de l’inspection du travail. Le « plan Sapin », vaste projet de réforme des services, qui sera débattu à la fin du mois au Parlement, ne passe pas dans les rangs d’une majorité des agents et des syndicats. Explications.« Alerte, vigilance, combat », « Casse de l’inspection du travail : le Medef en rêvait, le PS l’a fait », « La gauche peut être pire que la droite », « Non aux fourberies de Sapin »… Les relations entre les agents de l’inspection du travail et leur ministre de tutelle Michel Sapin ne s’améliorent pas. Dans les sections mais aussi sur la page facebook « Contre la casse de l’inspection », les tracts des syndicats se suivent et s’accumulent depuis des mois pour dénoncer le vaste projet de réforme du système d’inspection que le ministre du travail a lancé à son arrivée en 2012 pour « plus d’efficacité et de cohérence ». Avec toujours le même ton virulent.

Après deux ans d’un dialogue social rythmé par des grèves et des manifestations mais aussi les séminaires et les groupes de travail avec les syndicats (bien que tout semblait déjà plié selon une note interne dévoilée par la CGT Gironde en février dernier), le projet de loi tant décrié – que l’on peut consulter ici – sera présenté en conseil des ministres ce 22 janvier, puis débattu au Parlement la semaine suivante pour une entrée en vigueur dès le printemps 2014. Le calendrier est serré pour les syndicats les plus hostiles au projet (CGT, Sud, SNU, FO et CNT) qui l’estiment « dangereux » car « il porte atteinte à l’indépendance des agents et diminue les effectifs de contrôle pour renforcer la ligne hiérarchique ».

Michel Sapin
Michel Sapin © reuters

Ils espèrent parvenir à sensibiliser dans la dernière ligne droite des parlementaires contre cette réforme dite du « ministère fort » qu’ils ont rebaptisée réforme du « ministère mort ». Passée inaperçue dans le brouhaha médiatique, ce chamboulement inédit de l’organisation territoriale du corps de l’inspection du travail ainsi que de ses pouvoirs – derrière lequel se cache Jean-Denis Combrexelle, l’inamovible directeur général du travail sous la droite en poste depuis 2002 –, est « une mise à mort de l’inspection du travail française », accusent les syndicats. Ils organisent, à la veille de l’examen du texte devant l’assemblée, un grand meeting à la bourse du travail à Paris le lundi 27 janvier pour « alerter sur la casse » de ce qui constitue l’un des derniers remparts des salariés face au rouleau compresseur patronal.

Dissimulé dans le volumineux et complexe projet de loi relatif à la formation professionnelle, l’emploi et la démocratie sociale, qui prévoit également la suppression des élections prud’homales (lire ici notre article) et que le gouvernement veut voir voté au plus vite avant la trêve parlementaire de fin février en raison des municipales, le « plan Sapin » est massivement rejeté en interne. « Nous réclamions une réforme, de nouveaux moyens, de nouveaux effectifs, mais pas une mise à mort que même la droite n’aurait pas osé faire », confie un inspecteur du travail francilien « écœuré » qui espérait un doublement des effectifs tant les sections sont à flux tendu. La France ne compte encore qu’un inspecteur ou contrôleur du travail pour 10 000 salariés, un ratio fort médiocre qui laisse plusieurs longueurs d’avance aux délinquants en col blanc dans les entreprises…

© @dr

Pas une seule des organisations syndicales de l’inspection du travail n’a voté pour cette réforme lors du comité technique ministériel. La CFDT (17 %) et l’UNSA (14 %), qui représentent un tiers des agents, se sont abstenues. Les autres qui représentent deux tiers du personnel (CGT, FSU, SUD, FO, CNT, CFTC) ont voté contre. Non pas que la majorité des 700 inspecteurs et 1 500 contrôleurs du travail soient « rétifs  »au changement, c’est maintenant » », « corporatistes », comme le ministère peut les décrire, s’insurge Pierre Meriaux, délégué syndical SNU-TEFE-FSU. Mais parce que derrière le bel habillage – « renforcer les pouvoirs de l’inspection » –, et sous couvert d’une revalorisation de certains métiers et de quelques avancées, les syndicats voient dans cette réforme plusieurs attaques dangereuses à l’institution et à la fonction d’inspecteur du travail ainsi qu’une désorganisation du travail « pathogène, lourde de souffrance au travail ». « Des attaques jamais vues », disent-ils, depuis la création de cette institution il y a 121 ans – au départ pour protéger les femmes et les enfants avant de devenir un élément fondamental de la protection des salariés.

« On a tous expérimenté des pressions patronales sur des dossiers sensibles »

Plusieurs points de ce projet qui entend faire passer sans concours, mais selon un tri, 1 500 contrôleurs (agent catégorie B aux pouvoirs limités) en inspecteurs (agent catégorie A aux pouvoirs étendus) pour ne faire plus qu’un seul corps, une vieille antienne, les inquiètent. Certaines de leurs craintes ont été confirmées par le CNIT, les “sages” de l’Inspection du travail (comme ici ou là) qui ont demandé au ministère de revoir sa copie. Notamment le coup qui pourrait être porté à l’indépendance des contrôleurs et inspecteurs. Garantie par la convention 81 de l’Organisation internationale du travail (OIT), elle place ces deux corps de la fonction publique accessibles uniquement par concours à l’abri « de tout changement de gouvernement et de toute influence extérieure indue ».

Or la disparition des sections au profit d’unités de contrôles de 8 à 12 agents encadrés par un DUC dans la novlangue du ministère, un supérieur hiérarchique, qui, nouveauté, aurait lui aussi des pouvoirs de contrôle dans les entreprises, pourrait menacer leur indépendance et signer la fin de leur autonomie. « Jusque-là, explique Yann Dufour, membre du bureau national de la section “travail” de la CGT, une section (un inspecteur, deux contrôleurs, deux secrétaires intervenant en toute indépendance, dans un secteur géographique délimité) s’organisait comme elle le voulait, selon les opportunités, les urgences et les demandes des salariés, sans supérieur hiérarchique au-dessus d’elle ».

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Avec la nouvelle réforme qui coupe les agents des usagers en accentuant la programmation de leur activité en amont, c’est fini. « Les missions seront définies par le haut, par les exigences de la hiérarchie qui dictera  »quand il faut y aller”, avec le risque d’une inspection affaiblie dans la lutte contre les abus des employeurs, poursuit Yann Dufour. On a tous expérimenté des pressions patronales sur des dossiers sensibles au travers de notre hiérarchie partagée entre l’accompagnement et le contrôle des entreprises. Elle est là pour promouvoir la politique de l’emploi du gouvernement, vendre les emplois d’avenir, les contrats de génération. En temps de crise, de chômage et de licenciements massifs, elle préfère parfois fermer les yeux sur une infraction au code du travail pour ne pas se mettre à dos des patrons qui répliqueraient par du chantage à l’emploi. »

Pierre Meriaux du SNU-TEFE-FSU va plus loin, comparant le sort réservé par la gauche aux inspecteurs du travail à celui des juges d’instruction sous la droite : « Sarkozy a tenté de flinguer les juges d’instruction trop indépendants et il n’y est pas arrivé. Hollande va dézinguer les inspecteurs du travail pour les mêmes motifs, pour répondre aux demandes du patronat car il est devenu le président des entreprises, et il va réussir sans que personne s’alarme de ce nouveau recul social. » Conscient lui aussi, en trente ans d’inspection qu’en temps de chômage record, priorité est donnée par la hiérarchie à l’emploi plutôt qu’au contrôle de la bonne application du droit du travail.

Au ministère, ces craintes prêtent à sourire. « Le risque d’une perte d’indépendance est un élément fantasmatique. On est dans le délire. La convention de l’OIT sera respectée. Le DUC n’a qu’un rôle d’animateur pour que les agents jouent plus collectif. Il y a 750 sections actuellement en France et personne au-dessus d’elles n’assure leur coordination. Ce n’était pas efficace. »

On pointe aussi une frange de la corporation, « militante du statu quo qui n’aime pas le changement, plus attaché à son autonomie, son fonctionnement de profession libérale qu’à son indépendance ». Avant de vanter au contraire cette réforme du « ministère fort » qui « va révolutionner enfin l’inspection du travail française, fondre en un seul corps contrôleurs et inspecteurs, l’un des rares pays d’Europe en retard, et faire face aux enjeux d’un monde du travail qui s’est complexifié ». Une réforme acceptée « par la moitié des agents », tient-on à préciser, « en particulier, par les jeunes générations », ce que contestent les syndicats.

Des nouveaux pouvoirs ou des pouvoirs conformes aux exigences du patronat ?

Autre inquiétude des agents et des syndicats de l’inspection du travail : l’inexorable dépénalisation du droit du travail qui a cours en France, en raison de l’obsession du patronat d’échapper aux bancs des délinquants des tribunaux correctionnels, et ne plus voir le nom d’une entreprise affichée dans les journaux. À l’heure actuelle, les inspecteurs qui constatent des infractions ne peuvent que recourir à la voie pénale. Or, la moitié des procédures sont classées sans suite et celles qui aboutissent requièrent en moyenne deux ans. Le ministère souhaite donc que les agents puissent aussi imposer des sanctions administratives et financières plus immédiates. Il envisage également de recourir aux ordonnances pénales (procédures sans audience avec un juge au lieu de trois) pour accélérer les procédures. Sur le papier, c’est plutôt une avancée, gage de rapidité quand les tribunaux sont engorgés.

Mais plus que des nouveaux pouvoirs, les opposants à la réforme voient là « des pouvoirs conformes à la volonté du patronat », « une forme de nouveau cadeau de François Hollande au Medef en toute discrétion » après l’accord sur la flexibilisation du marché du travail il y a un an ou la suppression des prud’hommes à venir. Aujourd’hui, les agents de contrôle peuvent demander directement à l’employeur de régulariser des situations d’infractions (paiement d’heures supplémentaires, mise en conformité d’équipements de travail, etc.). Ils peuvent également, s’ils le jugent utile et efficace, relever les infractions constatées par voie de procès-verbal, les adresser au procureur de la République, qui va choisir s’il poursuit les auteurs des infractions considérées ou pas.

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« Demain, l’autorité administrative, c’est-à-dire le directeur régional du travail, qui n’a rien d’indépendant, pourra transiger avec les contrevenants pour des contraventions et délits punis d’une peine d’emprisonnement inférieure à un an – ce qui constitue une énorme part des peines prévues en cas d’infractions. Cela signifie, très concrètement, que le directeur régional proposera aux employeurs une amende transactionnelle pour régler le litige : pas de passage en correctionnelle pour le patron délinquant ! » s’alarme Benoît Verrier, inspecteur du travail et syndicaliste Sud.

Une accusation que le ministère réfute en bloc : « Le régime des sanctions ne change pas. Les agents continueront à signaler au procureur les infractions qui relèvent du pénal. Ce dernier donnera suite ou pas. Mais plutôt qu’un classement sans suite, nous préférons une sanction financière. » « Il vaut mieux une sanction six mois après les faits que trois ans. Cela n’a pas de sens. Notre organisation ne tenait plus. Il fallait une révolution », abonde un directeur régional du travail sous couvert d’anonymat.

Sur son blog (ici et), Gérard Filoche, membre du bureau national du parti socialiste, et ancien inspecteur du travail – qui a marqué les esprits en avril dernier avec ses larmes de colère après les aveux de Jérôme Cahuzac et la signature de l’accord sur l’emploi “flexibilisant” un peu plus les salariés –, partage les mêmes craintes que la majorité du corps de l’inspection. Il voit dans cette réforme « la mort d’un métier, d’une institution, une cassure historique ». « C’est triste, écrit-il, de voir tant de compétences, d’expérience du droit du travail et des entreprises, bafouées et méprisées de la sorte. Et par un ministre de gauche que toute l’inspection attendait. C’est aussi la fin de la défense du droit du travail pour des millions de salariés. C’est pour cela que les agents sont médusés et dans une colère noire. »

Au moment même où le monde du travail va de plus en plus mal, où salariés et syndicalistes ont besoin de ces garants du code du travail honnis des patrons dans les entreprises, le plan Sapin vient accentuer le malaise et le mal-être qui règnent dans les services. Malmenés par la RGPP (la réforme générale des politiques publiques), puis la MAP, « la RGPP de gauche », essorés par l’avènement du « faire mieux avec moins », la pression des chiffres, impuissants devant le démantèlement du code du travail depuis trente ans, dont le dernier grand coup fut porté avec l’accord sur l’emploi il y a un an, les agents du ministère du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle sont à cran.

Sous pression, ils alertent régulièrement sur leurs conditions de travail qui ne cessent de se dégrader au fil des années faute de moyens suffisants, d’effectifs, de pouvoirs. « Le suicide de deux de nos agents, Luc Béal-Rainaldy et Romain Lecoustre (reconnus accident du travail), en 2011 et 2012 est encore dans toutes les têtes. Cette nouvelle réorganisation pathogène ne peut qu’engendrer ce type de drames, des dépressions, des suicides tout en détruisant un service public de proximité important pour les salariés, les précaires », lâche une inspectrice sous couvert d’anonymat.

Elle craint d’être désormais « cantonnée par sa hiérarchie à l’emploi, l’hygiène et la sécurité, qu’on lui demande de laisser de côté les salaires, les conventions collectives, la protection des délégués, la durée du travail, tout ce qui fait le quotidien de l’exploitation des salariés ». Et comme nombre de ses pairs de la fonction publique, acquis à la gauche, elle regrette amèrement d’avoir voté François Hollande aux deux tours : « Ce n’est pas le président des salariés mais des patrons. »

Une désillusion criante dans les services de l’inspection du travail, où la promotion du jour de l’an de la Légion d’honneur (à retrouver ici) de Michel Sapin n’est pas passée inaperçue. Aucun syndicaliste, seuls des hauts gradés de l’administration, des DRH ou des chefs d’entreprise, ont été promus. « On ne s’attendait pas à y retrouver Xavier Mathieu, le leader des Continental, mais quand même, pour une promo de ministre de gauche ! » se désole un vieux routier de l’inspection et du syndicalisme, qui voit là « une nouvelle preuve du virage pro-patronal » du gouvernement socialiste.

URL source: http://www.mediapart.fr/journal/france/130114/le-plan-sapin-affole-linspection-du-travail

Pierre Tartakowsky revient sur la position de la LDH dans l’affaire Dieudonne..

http://www.ldh-france.org/section/loudeac/2014/01/11/pierre-tartakowsky-revient-sur-la-position-de-la-ldh-dans-laffaire-dieudonne/

La République insultée

Médiapart

|  Par François Bonnet

En refusant pour la deuxième fois la levée de l’immunité parlementaire de Serge Dassault, le Sénat barre la route à la justice. Choix catastrophique qui montre combien une large partie des politiques n’admettent toujours pas de devoir rendre compte aux citoyens comme aux juges indépendants.

 

Le Sénat a donc refusé à la justice la levée de l’immunité parlementaire du sénateur UMP et homme d’affaires Serge Dassault. Pour la deuxième fois en six mois. Ce 8 janvier, à la différence de juillet 2013, le parquet appuyait la demande de levée d’immunité formulée par les juges d’instruction sur la base d’éléments multiples accréditant une corruption massive et un système mafieux d’achat de votes à Corbeil-Essonnes, sur fond de règlements de comptes criminels.

Le choix fait par le bureau du Sénat – dont les membres sont protégés par le secret du vote –, et à travers lui par la chambre haute du Parlement où la gauche détient la majorité, est une insulte à la République et à l’un de ses premiers principes : la séparation des pouvoirs. Qu’en 2014, quelques mois après l’affaire Cahuzac, quelques semaines après l’adoption d’une loi édulcorée sur la transparence et la moralisation de la vie politique, la classe politique vienne ainsi se mettre en travers de la justice est un désastre démocratique. Le symbole est clair : une large partie des responsables politiques estiment ne pas avoir de comptes à rendre à la justice et utilisent tous les moyens institutionnels à leur disposition pour y échapper. Une anecdote qui en dit long sur ces arrangements à huis clos : la demande de levée d’immunité ne peut même pas être rendue publique et il n’y a pas d’explications de vote !

Cela a été peu noté mais, il y a quelques semaines, des manifestations spontanées ont eu lieu durant plusieurs jours en plein centre de Bucarest : il s’agissait pour les citoyens roumains de protester contre l’adoption d’une loi qui installait de fait une immunité inviolable des responsables politiques (lire ici). La France, toujours prompte à dénoncer la corruption et les retards roumains, présente aujourd’hui ce même visage hideux d’élus campés sur leur impunité, refusant cette justice des citoyens.

Serge Dassault.Serge Dassault. © Reuters

Le raisonnement tenu par Serge Dassault et par ceux qui l’ont soutenu est toujours le même, celui entendu depuis bientôt quarante ans, au fil des affaires politico-financières et de ces grands scandales de corruption mettant en cause parlementaires et ministres : un régime d’immunité est une protection nécessaire. Elle met les hauts responsables de ce pays à l’abri des règlements de comptes et des manipulations judiciaires, pour ne pas parler des excès de zèle des « juges rouges ». Michel Poniatowski sous Giscard le disait déjà. Serge Dassault le répète aujourd’hui, comme il y a quelques mois le sénateur socialiste et président du conseil général des Bouches-du-Rhône, Jean-Noël Guérini. Et les deux hommes ajoutent sans rire : ils sont bien sûr tout disposés à être convoqués et entendus par les juges, ce que n’empêche nullement cette fameuse immunité ! (Lire ici la lettre de Serge Dassault envoyée aux membres du bureau du Sénat, lettre publiée par L’Express.)

C’est oublier l’essentiel : que cette immunité prive les juges de moyens décisifs d’enquête. Par exemple la garde à vue, le contrôle judiciaire et la détention provisoire (lire le détail ici). Dans le cas précis de Serge Dassault, la levée d’immunité demandée par les juges Tournaire et Daïeff, en charge du volet financier des scandales de Corbeil, leur aurait permis de placer le sénateur en garde à vue et de perquisitionner ses bureaux. Des mesures de contrôle judiciaire auraient pu lui interdire de rencontrer les nombreux protagonistes d’affaires dont la gravité est telle qu’elles font par ailleurs l’objet de trois informations judiciaires distinctes !

À ce stade, après plusieurs mois d’enquêtes, le parquet a choisi de soutenir la demande des juges estimant qu’ils devaient être en mesure de déployer tous les moyens nécessaires pour progresser, ce qui exclut la thèse d’un acharnement des magistrats à l’encontre de Serge Dassault. Car les faits aujourd’hui mis au jour laissent entrevoir un système de corruption à grande échelle pour emporter les élections municipales de Corbeil-Essonnes.

La publication par Mediapart, en septembre dernier, d’enregistrements dans lesquels l’avionneur reconnaît avoir mis en place un système d’achat de voix (lire ici) a accéléré les enquêtes en cours. La police (Division nationale des investigations financières et fiscales, Dniff) s’est saisie de ces enregistrements. Parallèlement, des investigations ont été lancées concernant des comptes bancaires de l’avionneur au Liban, par où auraient transité plusieurs versements d’argent. Enfin, dans une autre affaire de Corbeil, criminelle cette fois, Serge Dassault a été entendu en octobre dernier sous le statut de témoin assisté dans le cadre d’une enquête sur une tentative de meurtre.

Faiblesse de la justice

Les vingt-six membres du bureau du Sénat ne peuvent ignorer la gravité des faits visés par l’enquête et des soupçons pesant sur le milliardaire. Le refus réitéré de laisser travailler les juges ne renvoie pas seulement à cette consternante habitude des politiques de jouer de toutes les procédures pour se soustraire à la justice. Les conditions du vote (13 voix contre la levée, 12 pour et une abstention, ce qui laisse supposer au moins deux défections dans la majorité de gauche) laissent entrevoir la puissance de Serge Dassault installé au cœur du pouvoir depuis près de trente ans.

Serge Dassault avec son bras droit Jean-Pierre Bechter, actuel maire de Corbeil.Serge Dassault avec son bras droit Jean-Pierre Bechter, actuel maire de Corbeil. © (dr)

La France est-elle si loin de l’Italie, où Silvio Berlusconi a pu durant des années acheter des voix de parlementaires pour empêcher des levées d’immunité ou faire adopter des lois sur mesure lui permettant d’échapper aux juges et aux procès ? Tout à la fois milliardaire, avionneur, marchand d’armes, patron de presse et parlementaire, la puissance politique de Serge Dassault va bien au-delà des frontières du seul département de l’Essonne (lire notre billet ici). Interlocuteur permanent du gouvernement et de l’Élysée, ayant gravi tous les échelons de la politique (conseiller général, maire, député, sénateur), ses capacités d’influence et de pression demeurent intactes.

C’est une mauvaise nouvelle pour les citoyens tant elle vient confirmer la faiblesse de la justice française et de tous les possibles contre-pouvoirs. Au début des années 1990, quelques retentissantes affaires (Urba-PS, Lyonnaise des Eaux, Carignon, Noir, Mouillot, parti républicain) avaient laissé espérer que les juges parviendraient enfin à s’émanciper de la tutelle politique.

Les quinze ans de procédure des affaires de la Ville de Paris, les six années de procédure visant Jean-Noël Guérini, la Cour de justice dont la fonction première est de ne jamais aboutir, le démantèlement des moyens des brigades financières, montrent combien il faut, plutôt que de progrès, parler de régression dans la lutte contre la corruption et les financements illicites. Et pour ceux qui en douteraient, la difficulté des nombreux juges saisis des affaires mettant en cause Nicolas Sarkozy (Karachi, Bettencourt, Libye) à progresser vient confirmer cette impossibilité française à construire une justice indépendante et efficiente.

Il est ainsi assez aisé au Syndicat de la magistrature de dénoncer après cette décision du Sénat une « justice d’exception où les parlementaires se protègent entre eux du déroulement normal d’investigations pénales. Il est inadmissible, dans un État de droit fondé sur la séparation des pouvoirs et l’indépendance de l’autorité judiciaire, que perdure ainsi un régime permettant au pouvoir législatif de faire obstruction au fonctionnement de la justice ». De son côté, Anticor « s’élève contre cette décision qui jette le discrédit sur l’ensemble de la classe politique et porte atteinte au fonctionnement de la justice » (leur communiqué ici).

Face à cette situation délétère, François Hollande et le gouvernement n’ont procédé qu’à quelques arrangements cosmétiques. Les travaux de la commission Jospin ont été aussitôt rangés au fond du tiroir (notre article ici), l’indépendance du parquet n’est pas à l’ordre du jour, la suppression de la Cour de justice est une promesse oubliée, le procureur financier est à ce jour sans moyen (lire ici), sans parler du recul opéré par l’exécutif sur la publicité des déclarations de patrimoine des élus… « Nous fonctionnons sur des modalités institutionnelles qui ne correspondent plus à l’état social et sociétal de la France contemporaine », disait à Mediapart le constitutionnaliste Dominique Rousseau.

Le scandale Dassault vient ainsi le souligner jusqu’à la caricature : en se refusant à faire des responsables politiques des justiciables comme les autres, le Parlement et l’exécutif ne cessent d’alimenter la crise d’un régime à bout de souffle.

Après Bordeaux et Nantes, Orléans ne veut pas du show de Dieudonné

Faut-il interdire le spectacle de Dieudonné ? C’est la question à laquelle les préfets et les maires sont appelés à répondre, à trois jours du début de la tournée du polémiste. Lundi, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a fait parvenir aux préfets et aux édiles une circulaire leur rappelant les outils juridiques permettant d’empêcher les représentations du one-man-show incriminé, intitulé le Mur. François Hollande demande, lui, aux préfets d’être «vigilants et inflexibles». «Face à l’antisémitisme, face aux troubles à l’ordre public que suscitent des provocations indignes, face aux humiliations que représentent les discriminations, je demande aux représentants de l’Etat et en particulier aux préfets d’être vigilants et inflexibles», a déclaré le chef de l’Etat sans citer nommément le polémiste, lors des vœux aux corps constitués.

L’avocat de Dieudonné a de son côté déjà fait savoir que son client «agirait immédiatement» contre toute interdiction. «Bien sûr, il y aura référé», a indiqué à l’AFP Me Jacques Verdier. Certaines municipalités ont déjà tranché, d’autres doivent le faire dans les jours à venir. Le point.

Les villes qui demandent l’interdiction

Le préfet de Loire-Atlantique, Christian de Lavernée, fait savoir ce mardi que l’arrêté d’interdiction du spectacle de Dieudonné à Nantes, prévu jeudi, a été signé. Le préfet «a procédé à l’analyse des circonstances particulières du spectacle» programmé au Zénith de Nantes le 9 janvier, début d’une tournée du polémiste poursuivi à plusieurs reprises pour ses propos antisémites. Le préfet a ensuite «signé en conséquences l’arrêté d’interdiction». Le tribunal doit se prononcer jeudi matin sur l’interdiction.

Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, et la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, avaient laissé entendre dès lundi matin que le spectacle de Nantes pourrait être interdit dans la ville. Plus de 5 200 billets avaient été vendus pour la représentation nantaise, contre laquelle la famille Klarsfeld, au nom des Fils et filles des déportés juifs de France, a appelé à manifester mercredi. Les Klarsfeld ont depuis retiré leur appel à manifester.

Le sénateur-maire de Tours, le socialiste Jean Germain, annonce lui aussi ce mardi son intention d’interdire le spectacle de Dieudonné dans sa ville et précise qu’un arrêté est attendu dans la journée. La salle de 2 000 places du centre de Tours où le spectacle de Dieudonné était annoncé affiche complet.

Dès lundi, le maire UMP de Bordeaux, Alain Juppé, avait fait savoir son intention d’interdire la représentation prévue dans sa ville le 26 janvier. Les conditions «dans lesquelles un spectacle ne pourrait avoir lieu», selon les termes de la circulaire, «sont remplies à Bordeaux», a ainsi indiqué lundi Alain Juppé, premier élu à trancher.

De son côté, Michel Delpuech, préfet de la Gironde et d’Aquitaine, va prendre un arrêté en vue d’interdire ce spectacle «dans le cadre des pouvoirs de police qui sont les siens, afin de prévenir les troubles à la tranquillité et à l’ordre public», a annoncé la préfecture à l’AFP. «L’interdiction d’un spectacle au titre du pouvoir de police générale du maire ne saurait ainsi avoir qu’un caractère tout à fait exceptionnel», relève également l’ancien Premier ministre. L’élu indique toutefois que cette interdiction «peut toutefois être justifiée lorsqu’il apparaît que c’est la seule solution pour mettre fin au trouble à l’ordre public causé par une représentation présentant un ensemble de caractéristiques».

Le député-maire d’Orléans, Serge Grouard, a annoncé mardi qu’il prendrait un arrêté en vue d’interdire lui aussi le spectacle de Dieudonné, programmé samedi dans sa ville. L’élu UMP a précisé lors d’une conférence de presse qu’il signerait l’arrêté «demain (mercredi) ou jeudi matin».

Celles qui doivent encore se prononcer

Les villes de Nancy et de Metz, où le Mur est programmé respectivement les 18 et 19 janvier, avaient pour leur part annoncé leur volonté de le faire interdire dès le 2 janvier, soit avant l’envoi de la circulaire Valls.

La duperie de François Hollande

 Mediapart.fr

07 janvier 2014 | Par Laurent Mauduit

 Beaucoup de médias pointent un changement de cap social-libéral de François Hollande. Mais si virage il y a eu, il est en fait intervenu le jour même de son accession à l’Elysée. Ce qui fait planer des doutes sur la sincérité de ses engagements pendant la campagne.

C’est reparti ! Périodiquement, les grands médias croient deviner que François Hollande est en train de négocier un changement de cap de sa politique économique et sociale. Il a donc suffi que, lors de ses vœux aux Français pour la nouvelle année, le 31 décembre, le chef de l’Etat révèle son intention de proposer aux entreprises un « pacte de responsabilité », avec à la clef des nouveaux allègements de charges sociales en contrepartie d’engagements sur le front de l’emploi, pour qu’aussitôt, les commentaires reprennent : « Hollande a-t-il pris un tournant « social-libéral ? »», s’interroge Europe 1. « Hollande change de logiciel », assure France Info. Dans un entretien avec le Journal du dimanche, l’ancienne ministre socialiste de l’écologie, Delphine Batho, croit, elle, déceler « un tournant idéologique de Hollande ».

Pourtant, cet apparent consensus surprend. Car à y regarder de près, un constat saute aux yeux : si tournant il y a eu, il n’est pas intervenu en cette fin d’année 2013, ni même dans le courant de l’année 2012. Non ! Ce tournant néo-libéral, François Hollande l’a négocié le jour même de son accession à l’Elysée. La bonne question n’est donc pas de savoir s’il y a eu un virage récent ; c’est bien plutôt de savoir pourquoi, dès le début, le chef de l’Etat a choisi de mettre en œuvre une politique économique et sociale radicalement contraire à ses engagements de campagne. En somme, la bonne question est beaucoup plus grave : de la part de François Hollande, n’y-a-t-il pas eu une part de duperie ?

Que l’on se comprenne bien ! Il ne s’agit pas de nier ici l’importance des propos récents tenus par François Hollande et de la réforme qu’il vient d’annoncer, dans le souci de parvenir à ce « pacte de responsabilité » avec les entreprises. Car cette annonce est, sans conteste, stupéfiante. Le gouvernement sort d’interminables polémiques – avec les syndicats, avec la gauche de la gauche, avec sa propre majorité… – du fait du « choc de compétitivité » qu’il a proposé aux mêmes entreprises, en leur offrant, sans contrepartie ni contrôle, 20 milliards d’euros sous forme de crédits d’impôt, financés sur le dos de salariés ou des consommateurs par le biais notamment d’une hausse de la TVA.

Et ces controverses ne sont pas même éteintes que le gouvernement envisage un nouveau plan d’allègements de cotisations sociales, qui serait financé par l’impôt. En clair, encore et toujours, sur le dos des contribuables ou des consommateurs.

L’annonce de François Hollande vient donc confirmer que c’est bel et bien une « politique de l’offre » néo-libérale qu’il entend conduire. Une « politique de l’offre » qui vise à organiser un immense transfert des entreprises vers les ménages. Après les 20 milliards d’euros, d’autres cadeaux devraien suivre.

Mais la référence au « choc de compétitivité » permet de clore ce débat biscornu autour du supposé virage du chef de l’Etat. Car, avec son « pacte de responsabilité », François Hollande ne procède pas à un virage : il ne fait qu’amplifier cette « politique de l’offre » qu’il conduit au détriment du monde du travail depuis de longs mois.

Depuis quand précisément ? C’est la question clef. En vérité, cela a été la première surprise de ce quinquennat. Alors que, pendant la campagne présidentielle, il avait vivement condamné le « choc de compétitivité » préconisé par Nicolas Sarkozy ainsi que la hausse de la TVA voulue par le champion de l’UMP pour financer le dispositif, François Hollande a tourné casaque dès son accession à l’Elysée.

Au mois de juin 2012, plusieurs ministres font en effet entendre une petite musique inattendue – que l’on n’avait jamais entendu pendant la campagne dans la bouche des hiérarques socialistes – suggérant que le problème majeur de l’économie française était celui de la compétitivité de ses entreprises. Et lors du premier sommet social du quinquennat, le 9 juillet 2012, le nouveau chef de l’Etat lance les prémisses de la réforme qui conduira au fameux choc de compétitivité.

Dans les semaines qui suivent, toute la politique économique s’inspirera de la même doctrine. Austérité budgétaire et salariale, trahison des ouvriers de Florange, abandon de la « révolution fiscale », quasi-abandon du projet de partition des banques : dans la foulée de ce « choc de compétitivité », François Hollande surprend en conduisant une politique totalement à rebours de ce qu’il avait suggéré pendant la campagne, notamment en professant que son ennemi, c’était la finance.

Des ordonnances très antidémocratiques

En clair, l’histoire de François Hollande diverge totalement de celle du premier septennat de François Mitterrand. Car dans ce dernier cas, il y a eu pendant au moins 10 à 12 mois un gouvernement qui s’applique à conduire une politique de réformes… de gauche ! Politique de relance, nationalisation, création de l’impôt sur les grandes fortunes : même si c’est avec maladresse, la gauche tente d’appliquer une politique conforme à ses valeurs. Et ce n’est qu’après avoir heurté de plein fouet le mur de la contrainte extérieure que le gouvernement négocie, en 1982-1983, le fameux « virage de la rigueur ».

L’histoire de François Hollande diverge aussi totalement de celle de Lionel Jospin qui devient premier ministre en 1997. Dans ce dernier cas, le dirigeant socialiste accède en effet à Matignon avec un programme très ancré à gauche et ne tourne pas casaque aussitôt. Non ! Il est plutôt pris par une sorte d’irrépressible épuisement. Face à la force croissante des marchés financiers, on le sent de plus en plus impuissant. Jusqu’à l’aveu final, qu’il concèdera malencontreusement pendant sa campagne présidentielle, en 2002 : « Mon projet n’est pas socialiste ».

Rien de tel dans le cheminement de François Hollande. Il n’a pas cherché, ne serait-ce que quelques semaines, à appliquer une politique de gauche, avant de négocier, comme en 1982, un virage de la rigueur. Il n’a pas plus donné le sentiment, comme ce fut le cas sous Lionel Jospin, de devenir progressivement impuissant, comme paralysé face aux marchés. Non ! La vérité commande de dire que François Hollande a d’emblée appliqué une politique économique néo-libérale. Cela s’est fait dans une confusion formidable, dans un désordre dont la gauche socialiste n’est sûrement pas près de se remettre, mais au moins le cap économique n’a jamais vraiment changé : cap à droite !

Et c’est pour cela que le débat qui rebondit aujourd’hui sur le supposé changement de cap de François Hollande apparaît un tantinet surréaliste. Car la vraie question à se poser est la suivante : comment diable François Hollande a-t-il pu faire entendre une petite musique de gauche pendant la campagne présidentielle, avec ses sorties tonitruantes contre la finance ou en faveur d’une taxe à 75% sur les très hauts revenus, et mettre derechef en œuvre une politique de droite sitôt son élection assurée ? Dans ce pas de deux, n’y-a-t-il pas eu une part de duperie ?

En tout cas, c’est à une controverse inédite que s’est exposé François Hollande. Car dans le passé, il est des hommes politiques à qui l’on a pu reprocher leur inconstance ou leur versatilité – ce fut le cas de Jacques Chirac. Il en est d’autres qui ont changé de politique économique en cours de mandats, mais parfois avec des arguments solides – ne faut-il pas modifier son cap quand des écueils imprévus surviennent ?

François Hollande, lui, avait promis – ou parfois seulement suggéré – une politique économique de gauche ; et dès le premier jour, sans explication ni justification, il a mis en œuvre une politique de droite. Et il l’a fait tellement spontanément – sans même donner le sentiment d’hésiter, sans consulter son propre parti ou les célèbres « visiteurs du soirs » auxquels avait eu recours en d’autres temps François Mitterrand – qu’on en vient à penser que tout cela a été calculé. Cyniquement calculé : gagnons l’élection à gauche ; gérons le pays à droite…

On devine sans peine que cette logique conduit la gauche socialiste dans une impasse gravissime. On a pu en prendre la mesure : au fil des mois, la contestation sociale dans le pays s’est faite de plus en plus tumultueuse et a gagné jusqu’aux rangs mêmes des parlementaires socialistes.

Le chef de l’Etat est d’ailleurs bien placé pour mesurer la violence des critiques que suscite sa politique, lui qui vient d’annoncer un recours aux ordonnances pour les prochaines réformes du gouvernement. En clair, un gouvernement de gauche, qui se disait pourtant attaché à une refondation démocratique, va utiliser l’arme la plus contestable de la Constitution, celle qui lui permet de gérer les affaires du pays en se passant de l’approbation des élus de la Nation – y compris les élus de sa propre majorité. Une politique néo-libérale mise en œuvre de manière autoritaire grâce aux dispositions les plus contestables de la monarchie républicaine : il n’y a là aucune virage. Il s’agit juste d’un enlisement. Détestable enlisement auquel la gauche ne survivra pas…

Dieudonné: sous le vacarme, un hold-up

Mediapart.fr

06 janvier 2014 | Par Hubert Huertas

C’est encore une semaine Dieudonné… En annonçant son intention d’interdire ses spectacles par circulaire, alors qu’il dispose déjà de l’arsenal juridique pour le faire sans vacarme, Manuel Valls a saturé l’espace médiatique. Pourtant, par-delà les postures, ce qui est en jeu n’est pas la provocation bruyante du « fantaisiste » antisémite : c’est son hold-up sémantique silencieux.

Au-delà de son usage politique, l’affaire Dieudonné c’est l’affaire Taubira, mais à l’envers. D’un côté un raciste emblématique, qui se sert de sa couleur, et de l’autre une victime du racisme, qu’on veut réduire à ses pigments. Entre eux deux, la société française, qui s’interroge, et se demande si elle doit ouvrir les yeux, ou détourner la tête.

Au lendemain des premières agressions subies par la ministre de la justice, un grand silence avait suivi. Même chose avec Dieudonné. Depuis des mois, voire des années, on constate un embarras, face à « l’humoriste antisémite », et à ses provocations de plus en plus décomplexées. Dans les deux cas les appels à ne pas trop en faire se justifient par la prudence et le sens de la mesure. Dénoncer les extrémistes, ou les enfants d’extrémistes qui ont comparé Christiane Taubira à un animal, aurait, paraît-il, donné de l’ampleur aux dérapages de quelques isolés. Et interdire les sketches de Dieudonné lui ferait de la publicité en le transformant en victime.

Il faudrait se taire de crainte de faire du bruit…

Dans les deux cas, ceux qui s’en prennent aux fondements de la République en profitent donc pour s’emparer du droit républicain. Les ennemis de la ministre ont invoqué la « liberté de manifester ». Et les fournées de spectateurs venus voir Dieudonné pour casser du juif en chœur, revendiquent la liberté de rire et d’aller au spectacle !

Dans les deux cas, l’agresseur s’est transformé en victime. C’est tout juste si les défenseurs de Christiane Taubira, qui ont fini par se lever, n’ont pas été accusés de complicité avec les délinquants, ou d’accointances antifrançaises avec les indépendantistes de Guyane. Et c’est à peine si Dieudonné ne se plaint pas d’un racisme anti-Noir exercé par ses « dénonciateurs ».

Car les anti-Dieudonné seraient membres du «Système », et lui serait le révolté, l’homme libre, celui qui mène la lutte « antisystème » ! Ainsi, le pire dans ce retournement, parce que le plus insidieux, n’est pas que le cloaque en vienne à dénoncer l’eau trouble, mais l’espèce d’OPA lancée avec succès sur les symboles et le vocabulaire, c’est-à-dire le patrimoine commun.

Et ce n’est pas une première : la frange extrême des opposants au « mariage pour tous » a déjà coiffé, l’année dernière, le bonnet phrygien de 1789, en se réclamant du printemps 68 ! Dans le même esprit, Dieudonné nous fabrique une épidémie de quenelles au nom de la lutte antisystème ! Dieudonné, Anelka, et ceux qui les imitent ne seraient pas des racistes, mais des damnés de la terre, des prolos, des militants persécutés par « le système » !

Quel système ? Celui de la précarité ? Celui des bas salaires ? Celui des faibles contre les forts ? Celui des milliardaires du foot ? Non, « le système », comme s’il n’y en avait qu’un, et comme si sa simple évocation avait le pouvoir de transformer un régressif en progressiste. Il est là, le danger Dieudonné. Pas dans le vacarme que provoquerait ou non son interdiction, pas dans les circulaires à grand spectacle, mais dans le silence d’un hold-up sémantique, qui ferait passer, sans qu’on s’en aperçoive, un facho pour un illuminé, et sa vessie pour une lanterne.

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Sur Dieudonné, récidiviste en ignominie, Mediapart a déjà publié plusieurs articles.

Le 31 décembre 2008 :

Dieudonné, ce pitre qui ne fait pas rire, par Edwy Plenel

Militant antiraciste devenu propagandiste antisémite, Dieudonné ne fait plus rire. Vendredi 26 décembre 2008, au Zénith, il a atteint des sommets d’ignominie en distinguant par un «prix de l’insolence» le négationniste Robert Faurisson, acharné à nier la réalité du génocide dont ont été victimes les juifs d’Europe. Mais s’indigner face à cette provocation, recherche explicite du scandale, ne suffit pas, pas plus que le recours à la justice. Encore faut-il se donner les moyens véritables de faire reculer cette renaissance d’une idéologie criminelle, sur fond de vide politique, de misère sociale et d’ignorance abyssale. La suite ici

Et le 2 juin 2009 :

Comment l’affiche de Dieudonné illustre la haine antisémite toujours recommencée, par Antoine Perraud

Il y eut l’affiche de la liste dite « antisioniste » présentée en Île-de-France aux élections européennes de juin 2009 par Dieudonné. Il y eut, en décembre 2008 au Zénith, le barouf antisémite du prétendu « comique » en l’honneur du révisionniste Faurisson. Ces deux manifestations s’inscrivent comme le reflet ténébreux d’une aversion fatale : celui qui la ressent l’attribue à ceux qu’elle vise. Une telle haine, aussi nauséabonde qu’instructive, mérite une visite guidée, qui occupe le XXe siècle et culmine – dans la bassesse – en avril 1944. La suite ici

Ce dernier article a été mis à jour et se trouve désormais ici sous le titre Dieudonné ou la haine antisémite toujours recommencée.

La boîte noire :Hubert Huertas, jusqu’alors responsable du service politique de France Culture, vient de rejoindre Mediapart. Voici son première article même si nos lecteurs connaissent bien son blog : il est à lire (et écouter) ici. Et à relire ici un précédent billet annoncant son départ de France Culture pour Mediapart.

URL source: http://www.mediapart.fr/journal/france/060114/dieudonne-sous-le-vacarme-un-hold

A la SNCF, le racisme en toute impunité

 Mediapart.fr

05 janvier 2014

  © Reuters

À la sûreté ferroviaire de Montpellier, des agents de l’entreprise publique envoient des SMS racistes, diffusent des chants néonazis dans les locaux, maltraitent des usagers d’origine maghrébine. Selon des documents internes que Mediapart s’est procurés, la direction de la SNCF le sait. Le reconnaît. Et laisse faire. 

Pour la SNCF, le racisme n’est pas un problème. Selon deux rapports internes que Mediapart s’est procurés, l’entreprise publique a établi que des agents de la sécurité ferroviaire ont écrit un SMS raciste et diffusé des chants néonazis au sein de leur local dans une gare. Ils se comporteraient par ailleurs de façon discriminatoire et violente envers des usagers d’origine maghrébine. Mais la direction de la SNCF a choisi de ne pas sanctionner ces comportements que ses services ont eux-mêmes identifiés comme gravement contraires à l’éthique et susceptibles de poursuites pénales. Pire : le lanceur d’alerte, un agent discriminé, a, lui, fait l’objet d’un avertissement.

À plusieurs reprises, la SNCF a déjà démontré qu’elle tolérait très bien le racisme ordinaire (voir notre précédente enquête). Mais cette affaire pourrait prendre une tout autre ampleur.

À Montpellier, comme sur tout le territoire, la sécurité ferroviaire est assurée par la SUGE (sûreté générale), une police interne armée qui a pour mission de protéger les voyageurs et le personnel de l’entreprise. À Montpellier, on compte 25 agents. L’un d’entre eux, Kamel C., 36 ans, ressent un malaise dès son arrivée en juillet 2011. Le 7 décembre 2012, c’est l’incident de trop. Un agent envoie le SMS suivant à de nombreux collègues :

« Seine-Saint-Denis : cinq arabes se tuent au volant d’une C5 lors d’une course-poursuite. Le Mirail à Toulouse : un jeune arabe au volant d’une saxo force un barrage de police et se tue. Grenoble : trois maghrébins se tuent à bord d’une DS3 Racing volée.

MORALITE : vous n’imaginez pas tout ce que Citroën peut faire pour vous »

C’est Éric (le prénom a été modifié), l’un des destinataires du message, qui sonne l’alarme : « Je venais d’arriver à Montpellier en provenance de l’Alsace, où j’étais militaire. Et comme j’ai les cheveux ras, ils ont cru que j’étais de leur camp. Alors que j’étais ahuri de découvrir ce noyau de fachos. »

La direction de la Suge ne réagit pas. Kamel alerte donc Lucien Demol, déontologue de la zone Méditerranée, qui provoque une réunion sur place en février 2013, ayant pour thème « la discrimination sur le lieu de travail ». Y prennent part 22 agents et 8 dirigeants de toute la zone Méditerranée. Au cours de cette réunion, l’historique du service est retracé puis relaté dans son rapport, un « flash déontologique » à vocation interne que nous avons pu consulter.

Dans ses conclusions, sont établis « plusieurs actes de manquement à la déontologie et à connotation diffamatoire » au cours des deux dernières années. En voici quelques extraits dans l’ordre chronologique :

  • « En octobre 2010, un agent découvre dans son vestiaire un DVD à tendance pornographique revêtant un caractère homophobe. »
  • « En octobre 2011, une représentation phallique, créée au moyen d’un légume, est suspendue à la porte du DPX (NDLR : chef d’équipe) d’un site. »
  • « Dans la même année, des tranches de saucisson sont déposées dans le casier d’un agent SUGE de confession musulmane. »

– En 2012, à plusieurs reprises, « des propos et des musiques » du groupe néonazi Légion 88 sont diffusés dans le bureau de la gare, avec, sur l’air de “la ballade des gens heureux”, le refrain suivant : « Je te propose une ratonnade, le massacre des sales rebeus. » (NDLR : arabes en verlan.)

– Fin 2012, enfin, le SMS évoqué plus haut : « une blague de mauvais goût vantant les bienfaits d’une extermination raciale » selon les mots du déontologue.

Au sein du groupe, personne ne prend le parti de Kamel à part Éric, qui sera dès lors lui aussi mis au ban : « Ils m’ont traité comme un traître. Et même lors de la réunion, hormis le déontologue, personne ne m’a épaulé parmi les hauts cadres de l’entreprise. » À Nîmes, une pétition est même affichée en soutien à l’auteur du SMS. « J’étais face à tous ces cons, dos au mur. J’ai encore du mal à l’exprimer aujourd’hui, mais j’ai failli faire des bêtises, raconte Éric, la voix tremblante. J’ai agi comme un humain normal, en pensant que la SNCF allait réagir. Ça a été tout le contraire. Sur place, la hiérarchie m’a pointé du doigt, m’a dit que je salissais le service. On a alerté en plus haut lieu. Mais la direction a préféré protéger ces gens qui ont des comportements antirépublicains. »

De son côté, Kamel est acculé : « À partir du SMS, Éric et moi avons été frappés d’ostracisme et on nous a diffamés. Quand je vois comment la SNCF communique sur sa charte de la déontologie et ce qui se passe sur le terrain… » Fin janvier, Kamel fait une crise d’angoisse. Il se rend aux urgences, et est hospitalisé un mois pour une cholécystite aiguë, puis arrêté jusqu’en juin. « Pour moi, c’est la double peine. Face à une certaine population (NDLR : issue de l’immigration), quand je dresse un procès-verbal, je suis considéré comme un traître. C’est déjà dur à vivre car je me considère juste comme français, je mets tout le monde sur un pied d’égalité, mais je ne suis pas vu comme ça. Et là, c’est encore bien plus grave : dans mon propre service, dans mon entreprise, on me traite d’une façon intolérable. »

Ce n’est pas tout. Lors de sa venue, le déontologue recueille d’autres témoignages dont il se fait l’écho dans son rapport : « Des confessions d’actes contraires à la loi nous ont été rapportées. Des violences physiques et verbales auraient été commises volontairement lors d’interpellations, à l’encontre d’une certaine catégorie d’individus et notamment de personnes de souche maghrébine (sic). »

Puis, Lucien Demol précise le climat au sein de la Suge de Montpellier : « Des propos diffamatoires sont propagés à l’encontre de ceux qui n’adhèrent pas à ces idées discriminatoires. Un harcèlement est perceptible laissant présager de graves conséquences sur la notion de camaraderie de groupe et sur l’état de santé des agents mis à l’écart. » 

Le Défenseur des droits saisi

Dans son rapport, le déontologue Méditerranée rappelle tous les articles de loi qui pointent ces comportements comme a priori illégaux : l’article 225-1 du code pénal qui sanctionne toute discrimination de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Mais aussi la diffamation en raison de l’origine (article R624-3 du code pénal), les outrages contre les agents publics décrits dans le code des transports (passibles de six ans d’emprisonnement au vu des articles 433-5 et L2242-7). Ainsi que le guide déontologie de la Suge qui affirme que « l’éthique, l’intégrité, la morale, la déontologie sont les concepts de base de l’agent ».

Son enquête établit clairement le nom des agents à l’origine des actes discriminatoires, notamment l’auteur du SMS, un délégué syndical FO-First. Mais le déontologue pointe aussi la responsabilité des chefs qui n’ont pas réagi : « L’implication du manager doit être sans faille dans la lutte contre toutes les formes d’exclusions. (…) Sa recherche d’auteurs d’actes répréhensibles doit être permanente, et les sanctions appliquées à la hauteur de la gravité. »

En clair, il est temps d’agir. Mais que fait la direction de la Suge ? Rien. Que fait la direction de la SNCF ? Elle diligente une nouvelle enquête, menée cette fois par la direction nationale de l’éthique, que Mediapart s’est également procurée. Classée « Confidentiel SNCF », elle est adressée, comme indiqué sur le document, au président de la SNCF lui-même, Guillaume Pepy. Cette nouvelle synthèse confirme tous les éléments, et fait de nouveau référence, entre autres, à la diffusion de « vidéos nazies » et la mise à l’écart des « alerteurs ».

Dans ce document, la direction nationale de l’éthique estime que « la hiérarchie locale est trop conciliante avec les auteurs de ces écarts » : « Ni demande d’explication, ni entretien formel, et a fortiori, pas de sanction. Le chef d’agence se limite pour l’essentiel à des notes de service restant dans le flou et les généralités. »

Sauf pour Kamel. Alors qu’aucune procédure disciplinaire n’a été engagée contre les agents discriminants, Kamel, délégué CGT, reçoit un avertissement pour des absences prétendument injustifiées : il n’aurait pas fourni en temps et en heures le bon de délégation lui permettant d’assurer son travail syndical, ce qu’il conteste formellement.

Une fois, note la direction nationale de l’éthique, une sanction a bien été prise : fin novembre 2012, un agent de la Suge de Montpellier a porté des coups à un usager menotté. Mais elle a été minime en dépit des preuves fournies par la vidéosurveillance : quatre jours de mise à pied, ce qui illustre « une tradition de tolérance dont l’effet de dissuasion ou d’exemplarité pose question », analyse la direction de l’éthique. Et encore : le directeur national de la Suge proposait une mise à pied d’une journée seulement. Et le DRH régional un simple conseil de discipline, dont il n’avait pas engagé le processus.

Face à ce nouveau rapport accablant, la direction nationale de la SNCF ne bouge pas plus. Ni licenciement pour fautes répétées, ni avertissement, ni même un blâme. Pas le moindre signalement à la justice. Elle laisse faire alors même que la direction nationale de l’éthique préconise « des procédures disciplinaires systématiques en cas d’écart comportemental avéré », de « veiller à la proportionnalité des sanctions à la gravité des faits », de « veiller à l’application de ces instructions », et de « promouvoir un nouvel encadrement local ».

Sollicitée jeudi, la SNCF n’a pas répondu à notre simple question : pourquoi rien de tout cela n’a-t-il donc été mis en œuvre ? Selon nos informations, il ne s’agit pas, plusieurs mois après que la gravité des faits a été doublement confirmée, d’un simple délai lié à la lourdeur administrative de l’entreprise publique. Mais d’une vraie volonté de passer l’éponge.

Le Défenseur des droits, autorité indépendante chargée de veiller à la protection des droits et des libertés, nous a confirmé avoir été saisi de l’affaire. Il la prend visiblement très au sérieux puisqu’il prépare une vérification sur les lieux, qui devrait survenir dans le courant du mois. Il ne souhaite cependant pas commenter une affaire en cours d’instruction.

Mais selon nos informations, le Défenseur des droits a demandé à la SNCF des explications sur ces faits dès le mois d’avril. L’entreprise n’a pris la peine de répondre que sept mois plus tard, en novembre, en éludant complètement ses responsabilités. La SNCF explique que les agents plaignants n’ont subi aucun dommage dans leur déroulement de carrière – ce qui n’a jamais été le sujet.

Concernant le SMS, elle estime qu’il s’agit de la vie personnelle du salarié puisque le message aurait été envoyé depuis un téléphone personnel sur des téléphones personnels. La SNCF fait référence à un arrêt de la Cour de cassation du 26 janvier 2012 qui explique que « l’envoi par un salarié d’un courriel dénigrant son supérieur hiérarchique, de sa messagerie personnelle et en dehors du lieu et du temps de travail, à l’adresse électronique personnelle d’un collègue de travail, ce qui confère à ce message un caractère purement privé, ne constitue pas un manquement à son obligation de loyauté envers son employeur ».

Une jurisprudence sans grand rapport donc avec la situation de Montpellier. Comme n’a d’ailleurs pas manqué de le souligner la direction nationale de l’éthique de la SNCF qui, dans son rapport confidentiel, évoque à propos de cet arrêt une « fausse piste juridique » puisque « une décision de la chambre sociale de la Cour de cassation du 19/10/11 affirme que des échanges entre collègues ne relèvent pas de la vie personnelle ». Pour sauver son image, la SNCF semble dès lors privée d’arguments : ses propres services l’ont alertée sur leur absence de pertinence.

Elle ne pourra pas non plus faire croire qu’elle est prise de court : la Suge, une sorte d’État dans l’État au sein de la SNCF, n’en est pas à son premier dérapage. Nous avons ainsi déjà raconté comment Alain Ngamukol, noir de peau, embauché en 2005 à la Suge de Goussainville, avait dû subir le racisme prétendument humoristique de ses collègues : « Cela te fait quelle sensation de marcher avec des chaussures ? Si elles te gênent pour courir, n’hésite pas, tu les enlèves. » Ou : « Alors, ça te fait quoi de voir la neige pour la première fois ? » En avril 2011, la SNCF a été condamnée en appel à lui verser 8 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral. Mais là non plus, la SNCF n’avait pas sanctionné les agents fautifs.